par Georges Fotinos, Inspecteur général de l’Education nationale
La violence à l’école, « phénomène marginal » pour Alain Savary en 1982 est devenue en 1997 pour Claude Allègre « un enjeu majeur pour la société ».
Pourtant une analyse précise de ce phénomène à travers les rapports et textes réglementaires publiés depuis trente ans démontre non seulement son caractère annoncé, mais permet de comprendre, après une très lente reconnaissance par l’institution, comment cette violence est de nos jours sur-évaluée et sur-médiatisée.
Pour la vaincre des solutions existent qui ont montré leur efficacité. Elles tiennent toutes à la mise en œuvre d’une politique globale qui associe les actions de trois types.
Jusqu’à nos jours, les préoccupations de gestion de ce phénomène semblent avoir prévalu sur la mise en œuvre d’une véritable prévention qui ne peut trouver ses sources qu’à l’école maternelle et élémentaire.
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Le Président : On ne compte plus les livres, les colloques, les rapports sur le thème de « la violence à l’école ».
L’un de ces rapports, qui fait autorité, a été présenté à l’Académie des Sciences Morales et Politiques par M. Jacques Dupâquier au nom d’un groupe de travail présidé par notre collègue Jean Foyer : La violence en milieu scolaire.
Parmi les personnalités auditionnées, M. Georges Fotinos, Inspecteur Général de l’Education nationale, auteur du rapport au Ministre de l’Education nationale : La violence à l’école. État de la situation en 1994.
Le rapport Fotinos est abondamment cité dans La violence en milieu scolaire et la communication de l’auteur est reprise dans plusieurs annexes et dans le texte même du rapport.
Très récemment, M. Fotinos a publié avec Jacques Fortin, Une école sans violence ? ou de l’urgence à la maîtrise. Cet ouvrage m’a paru remarquable à plus d’un titre. D’abord il saisit, à travers textes et rapports réglementaires du Ministère de l’Education Nationale, la montée de la violence dans les établissements scolaires puis il rend compte d’expériences de terrain qui – d’après les auteurs – ont prouvé leur efficacité.
Nous nous félicitons donc, Monsieur, de vous accueillir comme l’un des tout premiers experts sur le sujet.
Avant de vous rencontrer je vous imaginais originaire des landes : Andernos, Castagnos, Pasicos… mais vos ancêtres sont grecs ! Et vous nous donnez envie de reprendre nos déclinaisons :
o jotinoV, tou jotinou, ton jotinon… joV c’est la lumière, jotinoV c’est lumineux !
Votre carrière va de l’instituteur au professeur certifié, au docteur en géographie, à l’Inspecteur Général de l’Éducation Nationale. Vous avez été chargé de missions au Cabinet de Martine Aubry et vous êtes en charge, aujourd’hui au Ministère de l’aménagement des temps scolaires.
Vous aimez l’architecture baroque et vous jouez au football, en amateur ! Il est toujours bon de mieux se connaître !
Notre dialogue promet d’être animé. Au départ quelques constats :
Le thème de la violence à l’école, il faut bien le dire, constitue un fonds de commerce très rentable pour ceux qui veulent l’exploiter. L’émotion soulevée par les actes de violence suscite les passions.
Il n’y a pas un ministre, depuis des décennies, qui ne se soit inquiété de réduire la violence à l’école. Evidemment la question qui se pose c’est : quelles propositions pour quelles réformes ? Les conclusions de M. Dupâquier sont sévères : « Ce qui nous est proposé c’est une école composée de classes hétérogènes où l’entraide soit une valeur supérieure à la compétition […] » Et le rapport se termine de la façon suivante : « autrement dit : persévérer dans la mauvaise direction en accélérant ».
Nombreuses sont les expériences tentées sur le terrain pour endiguer et supprimer la violence. On est admiratif à la fois du courage que ces expériences supposent de la part de maîtres confrontés chaque jour à des violences verbales et physiques, à la fois de leur conscience professionnelle. Beaucoup ne baissent pas les bras.
Au cœur du problème, qu’entend-on par “pédagogie” ? S’agit-il de pédagogies qui s’appliquent à la transmission des savoirs ? et chacun sait que certaines d’entre elles sont contestées. S’agit-il de pédagogies qui s’appliquent à transformer la société ? Qui opposent parents et maîtres aux élèves ? ces derniers plus protégés comme futurs artisans d’une nouvelle société. Ces pédagogies engendrent-elles en partie la violence ? L’école de ces pédagogies est-elle toujours l’école de la République ?
C’est dire, Monsieur, si votre communication est attendue !
Georges FOTINOS : Comme vous l’avez très bien dit, Monsieur le Président, je pense que la violence à l’école est un vrai sujet de société tel que le définissait Marcel Mauss, c’est-à-dire un fait qui met en branle, dans certains cas, la totalité de la société et de ses institutions et qui est sous-tendu, quoi qu’on en dise, dans une société qui recherche en permanence le consensus, par des clivages philosophiques et idéologiques.
Mais, avant de développer cette réflexion préliminaire, je voudrais remercier l’Académie de m’avoir invité, d’abord pour débattre d’un sujet aussi sensible que polémique, mais qui paradoxalement peut nous permettre aujourd’hui de mieux comprendre et de remettre en perspective les missions et le sens de l’école (contenus, méthodes et organisations) dans l’évolution générale de la société française. Mais c’est aussi par cette invitation reconnaître et mettre en valeur certains travaux de l’Inspection Générale de l’Education nationale qui répondent à ce besoin de cohérence de plus en plus fortement ressenti.
Mon propos construit d’abord sur la question fondamentale : « Peut on définir la violence ? » s’articulera ensuite en trois parties.
Dans la première partie, je resituerai la violence en milieu scolaire dans l’évolution générale de la violence dans la société. Il est absurde de faire abstraction de cette forte liaison « qui nous crève les yeux ». L’école n’est pas hors la société.
Dans la seconde partie, j’analyserai la position de l’institution Education Nationale vis-à-vis de ce phénomène au regard des textes et rapports publics. C’est une position frileuse, changeante, évoluant lentement vers une reconnaissance officielle.
La troisième partie présentera de façon plus fine le rapport de l’I.G.E.N. dont je suis l’auteur : La violence à l’école. Etat de la situation en 1994. Analyse et recommandations ainsi que des éléments de son prolongement actuel tirés de notre livre « Une école sans violence » de l’urgence à la Maîtrise.
La question de fond pour commencer : Peut-on définir la violence ? Les médias, les autorités morales, religieuses, les responsables politiques, économiques et sociaux, l’opinion publique dénoncent la violence mais parfois avec une ambiguïté à la limite de la fascination. Il se révèle en cette circonstance plus facile d’admirer ou de condamner que de former un concept.
Dans le langage commun ordinaire, la violence est omniprésente, ses déclinaisons factuelles sont multiples et protéiformes, allant en tous sens, de l’insulte à l’extermination d’une population en passant par le racket scolaire.
Cet amalgame agrégeant des réalités si diverses peut-il être la marque insigne de l’incapacité à penser clairement et distinctement l’extension et les limites de ce concept et/ou celle d’une réalité consubstantielle à l’être humain ?
En d’autres termes, la violence peut-elle être définie objectivement ? Il apparaît que non, car cette notion implique soit celle d’un mal soit celle d’un bien. Elle suppose une appréciation morale comme Sartre le remarque justement : « La violence se donne toujours comme une contre-violence, c’est-à-dire pour une riposte à la violence de l’Autre »
Par conséquent, toute violence est récusée et dénoncée ou acceptée et valorisée par référence à une attitude pratique ou à une conduite dont le sens présuppose déjà une définition subjective de la violence. Dans un univers naturel strictement objectif, le concept de violence n’existerait pas. C’est ainsi que, pour Aristote, la violence est le propre de l’Art ou de la Technique à l’égard de la nature.
Descartes, de son côté, écrit : « Je ne connais rien de violent dans la nature sinon au respect de l’entendement humain qui nomme violent ce qui n’est pas selon sa volonté ou selon ce qu’il juge devoir être. »
Il en est de même mais sur un tout autre registre, des philosophes rationalistes, des stoïciens jusqu’à Nietzsche, qui excluent toute méchanceté et toute violence de la nature. Pour eux, la violence ne peut venir que des faibles qui se heurtent à des obstacles naturels qu’ils sont incapables de surmonter.
Donc, pour qu’il y ait violence, il faut un sujet doué de volonté et de jugement. La violence physique a pour objectif de briser la volonté morale. Il importe ainsi de distinguer deux sortes de violence : la violence instauratrice, violence légitime à l’égard des autres (éduquer, instruire, civiliser, pacifier) et la violence destructrice dénoncée comme le mal absolu. Marx se situe délibérément dans la première catégorie ; pour lui « la violence est l’accoucheuse de toute vieille société qui en porte une nouvelle dans ses flans. »
Je voudrais, à ce moment de mon exposé, indiquer une forme de violence « destructrice » particulièrement minorée dans la hiérarchie des violences mais omniprésente dans la société et notamment dans les établissements scolaires : la violence dans le langage. Freud a justement remarqué que l’humanité s’est fortement civilisée le jour où l’homme a substitué l’injure à la lance.
Cette remarque situe bien les rapports qu’entretiennent violence et langage. Quels que soient leur efficacité, il existe une frontière bien réelle entre eux. Si un discours est menaçant, c’est seulement s’il contient la potentialité d’une contrainte physique. Le langage, lui, vise à persuader ou à convaincre. Au contraire, la violence a pour objet de contraindre.
Enfin, pour clore cette approche philosophique, deux nouvelles questions :
La philosophie en tant qu’instauratrice de la sagesse, art du discours rationnel, n’est-elle pas l’outil ad hoc pour lutter contre la violence destructrice, négative et pulsionnelle ?
Devons-nous suivre Kant quand il affirme : « Etre à la fois homme et sage, c’est trop pour des mortels. » ?
La biologie nous apporte alors quelques éléments de réponse.
Le système nerveux fonctionne pour que l’organisme dans lequel il est situé se mobilise pour agir dans et sur l’environnement et réaliser le maintien de son bien-être, de son plaisir, c’est-à-dire l’équilibre de sa structure. Pour opérer sur cet extérieur, le système nerveux doit être prévenu de ce qui se passe dans l’organisme, ce que Claude Bernard appelle le milieu intérieur. L’équilibre de fonctionnement biochimique de ce milieu est la condition nécessaire à notre vie. Ce système est composé de trois niveaux :
Le cerveau « reptilien » : le plus primitif, codé génétiquement, permet la survie individuelle. Il est celui du présent qui répond aux besoins immédiats et qui ne possède pas de mémoire.
Le cerveau « limbique » est celui de l’affectivité, de la mémoire. Il possède les protéines qui codent les synapses et crée cette mémoire moléculaire et qui multiplient les rapports avec l’environnement.
Le cortex est le cerveau de l’avenir, ou cerveau associatif, situé au niveau des aires orbito-frontales. Ce cerveau permet, en associant les deux cerveaux déjà évoqués et les voies neuronales codées par la mémoire, de créer des structures qui n’existent pas dans l’environnement. Seul l’homme a cette possibilité d’associer différemment des éléments empruntés à des structures-objets pour constituer un objet qui n’existe pas ; c’est un processus imaginatif.
Face à un stimulus douloureux, deux comportements sont possibles : la fuite ou l’agression qui mettent en œuvre des réactions biochimiques destinées à rétablir cet équilibre intérieur. L’agression peut présenter trois formes :
défensive, c’est à l’origine un comportement inné ;
d’angoisse et d’irritabilité qui secrète l’inhibition d’action, c’est un comportement appris ;
prédatrice et de compétition qui repose sur l’apprentissage de la gratification. Comportement qui commande aussi bien la défense du territoire où se trouvent les objets les plus gratifiants, tels que la notion de propriété, de dominance et de hiérarchie. Cette capacité repose sur la propriété fondamentale du cerveau de produire de l’information et de l’utiliser comme moyen de dominance.
On comprend alors que la violence à l’école va s’organiser, là comme ailleurs autour de l’axe inhibition-action. Nous butons dès lors sur les questions du « comment » et du « pourquoi ».
Pour Henri Laborit, la cause principale provient de la compétition imposée très tôt dans le système éducatif et qui a pour finalité d’établir la dominance et la hiérarchisation. Les exclus pour exister reconstituent un système de valeurs, fondé notamment sur l’image de l’homme viril, courageux, capable d’être le chef admiré et suivi.
Dans ce contexte, la violence est rarement efficace, mais elle rend momentanément à l’action la place qu’elle a perdue. Sinon, la fuite et l’inhibition, seules voies restantes, s’offrent dangereusement (suicide, toxicomanie). Nous sommes ici proches de la frontière dangereuse de la sociobiologie.
I – VIOLENCE SOCIALE / VIOLENCE A L’ECOLE
La plupart des études et des recherches diachroniques sur la violence montrent que nos sociétés, loin d’être actuellement déstabilisées par une croissance de la violence, sont, comparées au passé, des espaces relativement sécurisants. Si nous prenons en compte la violence physique qui porte atteinte à l’intégrité des personnes, qui menace leur santé et leur vie, qui fait courir un risque mortel, nous constatons que les nombres d’homicides volontaires et de viols n’ont jamais été aussi faibles.
En un siècle, avec une population, qui a plus que doublé, le nombre d’accusations pour coups et blessures portées devant les Assises est aujourd’hui huit fois moindre. Le nombre de condamnations criminelles quatre fois moindres, et celui des accusations pour viols (en dépit du secret plus profond hier qu’aujourd’hui) cinq fois moindre.
Sur ce sujet, Le Monde avait organisé, en octobre dernier, un Forum. Toutes les interventions convergeaient vers ces constats. Nos sociétés prospères ne croient plus pour la craindre ou la souhaiter à la possibilité d’une révolution violente. Mais, à mesure qu’elles deviennent en réalité plus paisibles et plus tranquilles, elles font des cauchemars de violence.
La peur des agressions et tout ce que l’on range sous le vocable de violences urbaines ont fait irruption dans l’imaginaire collectif. Tel est le paradoxe actuel de nos sociétés démocratiques. Elles sont généralement plus paisibles et plus sûres que celles qui les ont précédées mais elles ne le savent pas. Ce qui a changé ce n’est pas la violence quotidienne mais notre intolérance sans cesse croissante à l’égard de celle-ci. La violence est devenue tabou.
Pourtant, malgré ces éléments objectifs « apaisants », on constate une psychose sociale, un repli sécuritaire qui ne cesse d’augmenter dans la population française. Les facteurs explicatifs sont à rechercher à l’intersection de l’objectif et du subjectif.
En fait, l’insécurité n’a pas besoin d’être totalement avérée pour s’exprimer. Les statistiques fournissent à ce propos quelques précisions. Les crimes et délits ont régulièrement augmenté depuis 1990. Sur les 3 millions 600 000 délits constatés en 2000, les deux tiers sont des vols ou des cambriolages. La délinquance sur les personnes représente 5 %. Ce pourcentage apparaît faible quantitativement, mais révèle un impact fortement influent. Quant aux petits délits, vols à la tire, atteintes aux biens, on note que c’est la catégorie qui a le plus progressé et qui apparaît à l’origine de cette crispation protectionniste sur la propriété privée.
Ce sentiment d’insécurité n’est donc pas dénué de réalité, mais il est amplifié et dramatisé au regard des risques encourus. L’intrusion croissante à la limite de l’omniprésence et de l’omnipotence des médias dans la sphère de l’individu et de la famille accentue encore cet impact notamment pour certaines populations plus perméables à la peur comme il en est des personnes âgées ou isolées.
En fait, il semble que notre société se trouve dans une situation où la sécurité objective ayant augmentée, la sécurité subjective s’en trouve diminuée. La question qui se pose dès lors est celle-ci : serions nous, à ce propos, entrés de plain-pied dans le paradoxe de Tocqueville pour qui « plus un phénomène désagréable diminue, plus ce qui en reste devient insupportable » ?
Qu’en est-il exactement pour le phénomène de la violence à l’école ?
II – L’EDUCATION NATIONALE ET LA VIOLENCE A L’ECOLE
Un phénomène ancien, circonscrit et méconnu
En septembre 1978, plutôt que d’aborder le problème de la violence par des observations ponctuelles, ce qui était le cas jusqu’à cette date et se faisait au hasard des visites occasionnelles dans les établissements de types divers, le groupe de la Vie Scolaire de l’Inspection générale de l’Education nationale décide d’en faire pour la première fois l’objet d’une étude systématique [1] à partir d’un échantillon d’établissements aussi homogène que possible permettant des comparaisons.
Quarante et un collèges, « en situation à priori difficile », répartis sur la presque totalité du territoire national, constituent cet échantillon. A noter que quelques académies « n’ont pu trouver aucun établissement répondant à la définition ».
L’objectif ambitieux de cette étude était de tenter de déterminer les corrélations qui existent entre tel degré de violence et tel type d’établissement présentant telles caractéristiques, d’établir de fait une typologie.
Les aspects de la violence dans les établissements de l’échantillon
L’analyse permet de mesurer de façon tangible l’évolution de la société française et, particulièrement, celle du monde de l’Education Nationale vis-à-vis du phénomène de la violence.
En effet, pour les rédacteurs de l’époque, les enseignements à tirer de ce recensement sont presque « rassurants » : « Certes, la violence dans ses différentes manifestations existe. On remarque toutefois, sauf pour les déprédations et les vols, qu’on trouve dans à peu près tous les établissements, qu’une bonne moitié de ces collèges s’en déclare exempte. »
De plus, contrairement à des idées reçues, il ressort que les interventions de la police dans le périmètre scolaire sont fréquentes, que le racisme entre élèves concerne un établissement sur deux et celui des adultes, un sur cinq.
Sur le même registre, on note que le vol existe dans tous les établissements de l’échantillon, que le racket s’exerce dans trois cinquièmes d’entre eux, que presque 70% des collèges sont concernés par des enfants fugueurs et 50% par des tentatives de suicide, et que les agressions physiques graves contre les adultes concernent un collège sur quatre et les agressions bénignes (menaces, injures, pneus crevés, carrosseries rayées), un collège sur cinq.
Fait plus étonnant pour nous, au regard des chiffres donnés, la conclusion en trois points affirme que :
« la violence est moins répandue et moins dramatique qu’on a en général tendance à le croire,
elle est essentiellement liée à des facteurs extérieurs à l’établissement »,
à l’intérieur de l’établissement, elle est en général maîtrisée ou contrôlée ».
Une des explications que l’on peut avancer tient à l’interaction de l’évolution des mentalités et de l’école et de celle du comportement des médias sur ces vingt dernières années.
La notion de sécurité a depuis structuré l’espace public comme l’espace civil d’où toute menace, tout danger doit être exclu ; l’individu en est d’autant plus fragilisé. Il en est de même de l’école et des enseignants. Ces problèmes qui, naguère, existaient mais relevaient le plus souvent de la responsabilité et du comportement réactif individuel de l’enseignant et des familles, sont aujourd’hui tombés dans le domaine public et confiés à différents professionnels institutionnels. L’ingérence médiatique a conduit à focaliser l’attention sur des faits de violences graves mais peu nombreux et isolés, et quelquefois, à l’inverse, à réduire l’importance d’une violence « douce », « à bas bruit », dont les formes sont produites conjointement par les conditions économiques et par l’institution scolaire.
Ceci étant posé, il ne faut pas nier une forte augmentation de celle-ci, accentuée notamment par la création et la généralisation d’outils statistiques spécifiques.
Une des conséquences de ce mélange détonnant récent est le déclenchement sporadique, mais non aléatoire, d’une psychose sociale qui secoue fortement la société française et met en réel péril le fonctionnement des établissements scolaires ainsi que leur rôle et leurs missions.
Face à cette situation, les pouvoirs politiques se sont vus obligés d’apporter des réponses sur deux registres, l’un réagissant à l’urgence du moment, l’autre visant à la mise en œuvre d’actions préventives à plus longs termes. Les médias, « loupes » des faits de société au quotidien, privilégient en règle générale les premières mesures.
Un phénomène en voie de cristallisation : 1982-1992
Au cours de cette période, on note une évolution très nette vers la reconnaissance de ce phénomène. Elle s’explique en grande partie par la publication des premiers textes ministériels.
D’une part, la loi du silence, « l’OMERTA », tant au niveau des responsables des services déconcentrés de l’Education nationale, des chefs d’établissement, des enseignants, que dans une moindre mesure des élèves, est désormais battue en brèche par la reconnaissance officielle de l’Institution. D’autre part, il ne faut pas le nier, par le développement de la possibilité d’obtenir des moyens nouveaux en matériels, subventions et personnels.
Cette reconnaissance, lente et progressive, par le Ministère de l’Education est due, à l’origine, à l’Inspection Générale (groupe Etablissements et Vie Scolaire). En effet, ce n’est qu’en 1982 et pour la première fois, qu’un Ministre de l’Education nationale, M. Alain Savary, saisit l’IGEN sur le problème de la violence, « problème marginal », mais qui se situe dans la forte volonté politique « de transformer progressivement la vie des établissements ».
C’est donc après une longue période de « décantation » que le Ministère de l’Education nationale reconnaît, mais de façon indirecte, l’existence du phénomène et signe avec le Ministère de la Justice, en 1991 une circulaire intitulée : « Opération Education nationale – Justice » dont l’objectif est de familiariser les personnels et les élèves avec le fonctionnement des juridictions pour lutter contre le sentiment d’insécurité et prévenir la petite délinquance aux abords des établissements.
La brèche est ouverte en 1992. La circulaire « Amélioration de la sécurité des établissements scolaires » dite circulaire « Lang-Glavany-Quilès » du nom des trois ministres signataires met en place pour la première fois dans l’histoire du système éducatif français, une coopération Education – Police. Ce texte à titre préventif recommande de créer des groupes de suivi départemental de sécurité qui sont composés du Préfet, de la police nationale (Sécurité publique et Police judiciaire) de la Justice des mineurs, d’élus et des Recteurs et Inspecteurs d’Académie ainsi que des groupes locaux de sécurité centrés autour des établissements scolaires.
Autre conséquence de la mise en œuvre de cette circulaire de 1992, un certain nombre d’établissements scolaires difficiles sont classés « établissements sensibles » (167 en 1993) et reçoivent des moyens supplémentaires. L’Inspection Générale de l’Administration de l’Education Nationale est chargée par le Ministre d’évaluer le fonctionnement de ces établissements. Le rapport [2] présenté par MM. Braunstein et Dasté est, dans sa tonalité générale, « mitigé » : « la situation (de ces établissements) s’est améliorée, mais elle reste d’une grande fragilité ». Les recommandations s’articulent principalement sur deux constats : pour la réussite de ces élèves, le pédagogique de qualité est désormais insuffisant sans relais familial ; pour éviter les dysfonctionnements locaux, une politique homogène, non discriminante, plus performante des personnels s’impose.
D’une façon générale, les bilans d’actions suite à ces directives ministérielles sont décevants malgré des rappels fermes de l’Administration et des… Ministres.
Cette situation semble en partie due à la vision fragmentaire, ponctuelle et univoque de ces textes qui segmentent la violence selon des logiques institutionnelles pour résoudre un problème global et d’ordre systémique. L’absence de réflexion fondée sur la diversité des origines du phénomène et de la mesure des conséquences de ses impacts ne provient-elle pas de cet « astigmatisme » ?
Un phénomène « systémique » : 1995-1998
En 1995, construit sur ces deux principes liés (analyse systémique et enquête nationale), est remis au Ministre le rapport de l’IGEN, dont je suis le rapporteur et que je vous présenterai dans le détail dans la troisième partie de mon exposé. L’enquête menée, s’appuyant par certains points sur une étude de 1993, « les conduites agressives dans les lycées et les collèges » réalisée par Philippe Barret (IGEN / EVS), met en évidence une grande carence de la prise en compte de ce phénomène par les responsables du système éducatif (décideurs académiques responsables des centres de formation). Elle fait ressortir un certain nombre d’actions exemplaires qui sont toutes construites sur un projet ternaire qui lie la Prévention (à dominante pédagogique et éducative) à la Répression et à la Remédiation.
En 1996, très rapidement, à la demande du Président de la République, le Ministre de l’Education nationale, prenant appui sur ce rapport, met en place les mesures gouvernementales en matière de prévention de la violence à l’école. Ce plan de 19 mesures poursuit trois objectifs :
renforcer et améliorer l’encadrement des élèves
aider les élèves et les parents
protéger les établissements et améliorer leur environnement.
Le premier bilan annuel d’application de ces mesures marque le caractère prématuré de l’enquête, mais fait ressortir « la présence de ce plan dans les esprits » et son utilité à « structurer les stratégies mises en place ». Deux fortes préoccupations émergent : la nécessité d’une formation spécifique des personnels tant initiale que continue, et le renforcement en nombre et en qualité de l’encadrement et de la sécurité des biens.
En 1997, comme en écho à la nécessité de l’analyse systémique préconisée et suite à un appel d’offres commun du Ministère de l’Education nationale (Direction de l’Evaluation et de la Prospective) et du Ministère de l’Intérieur (Institut des Hautes Etudes de Sécurité Intérieure) aux universitaires, sont rendues publiques 14 recherches sur la violence à l’école. Cet état des savoirs réalisé par les principaux spécialistes de la question non seulement fait considérablement progresser la connaissance scientifique de ce domaine par ses approches pluridisciplinaires : sociologiques, juridiques, médicales, ethnologiques, didactiques, psychologiques… mais se révèle un outil très apprécié par les responsables et les formateurs appartenant aux institutions concernées par la prévention de la violence à l’école.
En 1998, la lutte contre les comportements violents à l’école devient une des priorités éducatives du Premier Ministre (Lionel Jospin) et des ministres (Claude Allègre et Ségolène Royal).
Pour arrêter cet engrenage « intolérable », un plan élaboré avec cinq autres ministères (Justice, Intérieur, Défense, Culture, Jeunesse et Sports) , fondé sur la liaison « organique » des mesures préventives et répressives, a été mis en œuvre à titre expérimental sur neuf sites répartis sur six rectorats (Créteil, Versailles, Lyon, Aix-Marseille, Lille, Amiens). Il concerne 638 000 élèves dont 270 000 élèves du secondaire.
Les trois objectifs assignés à ce plan à étapes sont de soutenir les victimes, renforcer la capacité d’intervention des établissements, et conduire une action éducative globale.
Pour ce faire, les principales mesures concernent une concentration très importante des ressources sur ces sites (25 000 emplois jeunes dans l’emploi d’aides-éducateurs, personnels d’éducation, médico-sociaux, appelés du contingent…), un dispositif d’observation permanent, une gestion des ressources humaines adaptée, des sanctions aggravées, une formation spécifique des personnels, un partenariat renforcé, notamment par la création des contrats locaux de sécurité élaborés conjointement par le Préfet, le Procureur de la République et le Maire en association avec le Recteur.
En janvier 2000, le deuxième volet du plan triennal est publié. Il concerne les académies de Strasbourg, Rouen et Toulouse (soit en tout neuf académies et 470 établissements).
Ce deuxième volet se caractérise plus particulièrement par :
une implication et un suivi ministériel, interministériel et associatif (clubs anti-violence) renforcés ;
l’apprentissage de la morale civique à l’école élémentaire ;
une refonte des textes réglementaires sur les procédures disciplinaires et les sanctions (les textes réglementaires fixant ces orientations vont entre en vigueur en 2001).
L’arrivée de Jack Lang au Ministère de l’Education est marquée par sa décision de créer un Comité National de lutte contre la violence à l’école. Cette instance composée de représentants des acteurs, usagers et partenaires du système éducatif dispose d’un groupe permanent d’experts. Il est chargé de suivre et d’animer cette politique ainsi que de faire des propositions.
De 1982 à 2000 de « phénomène marginal », selon la formule du Ministre Alain Savary, la violence à l’école est devenue pour le Ministre Claude Allègre un « enjeu majeur » de notre société.
Pour l’avenir, la France ne devrait-elle pas d’une part s’inspirer de certaines recherches Canado-Américaines réussies qui privilégient fortement la prévention dès la petite enfance, associent les parents, utilisent la médiation des pairs ainsi que les programmes de résolution de conflits.
Cette proposition, associée à la promotion de l’atout spécifique français d’intégration citoyenne par la laïcité, n’offre-t-elle pas une des rares perspectives optimistes et raisonnables de lutte efficace contre ce fléau ?
Pour ce faire, nous pouvons préconiser un certain nombre de recommandations :
La prévention des comportements violents ne peut être que précoce (petite enfance) et donc associe la famille.
Approche non stigmatisante s’adressant à des groupes plutôt qu’à des enfants étiquetés « à risque ».
Importance de la formation et de la supervision des animateurs des programmes qui doivent avoir un rapport de confiance avec les enfants pour espérer être efficaces (volontariat indispensable).
Les programmes centrés sur la responsabilité de l’enfant sont plus productifs que ceux centrés sur l’autorité de l’adulte. Il en est de même pour les apprentissages centrés sur l’acquisition des processus psychologiques et psychosociaux, par rapport aux apprentissages centrés sur l’acquisition des comportements discrets et contextualisés, ainsi que pour les approches médiationnelles par rapport aux approches directives de l’adulte.
Le processus de violence est multifactoriel et réclame donc des stratégies multifocales touchant l’enfant et son environnement (famille, pairs, école, quartier et communauté, services sociaux, municipaux, associations).
Le développement d’habiletés parentales, de compétences pour la résolution des conflits (conjugaux en particulier), d’une maîtrise du stress chronique (qui conduit à percevoir l’environnement menaçant et hostile et provoque des comportements de retrait et d’agression), d’une sensibilité parentale aux besoins d’autonomie de l’enfant préscolaire contribuent au développement d’une bonne estime de soi et d’une capacité d’exploration intensive et extensive permettant une bonne intégration sociale de l’enfant.
Chez les enfants et les adolescents, les stratégies de médiation par les pairs contribuent aux modifications des attitudes, croyances et comportements par rapport à la violence.
III – LE RAPPORT : Prévenir, réprimer et remédier : une stratégie qui réussit.
En 1993, le doyen Pierre Vandevoorde juge nécessaire d’actualiser les connaissances sur un phénomène qui n’a donné lieu à aucune étude depuis 1985 et me confie ce travail [3] . Entre-temps, « les violences à l’école n’ont pas cessé ; l’intérêt porté par les médias à certaines d’entre elles laisse penser à leur recrudescence ; à coup sûr, en tout cas, le sentiment d’insécurité s’est accru dans les établissements scolaires sans qu’on puisse établir une exacte proportion entre la réalité des premières et l’intensité du second ».
Face à cette situation, comment les différents niveaux et responsables du système éducatif ont-ils réagi et quelles solutions ont-ils trouvées ?
Pour répondre à ces questions, le groupe IGEN/EVS, faute d’informations existantes, se forge son dispositif et ses propres outils d’enquête.
Les observations et interrogations sont déterminées aux trois niveaux suivants : l’académie et le département, les centres de formation initiale et continue, les établissements scolaires. Vingt-six académies sur vingt-huit se sont senties plus ou moins concernées par ce travail.
Quatre axes majeurs sont ainsi mis en évidence : les instruments centraux d’observation et d’action mis en place, la politique de prévention préconisée et réalisée, les sanctions, et les remédiations proposées et mises en œuvre. Seules quatre académies ont construit une politique cohérente sur ces quatre éléments constitutifs fondamentaux qui structurent, en les liant, les actions réalisées.
La réussite de cette politique repose à tous les niveaux concernés sur le triptyque : prévenir, réprimer, remédier.
La prévention
La prévention doit présenter un caractère global qui prend en compte l’ensemble des paramètres participant à l’apparition de la violence : géographiques, sociologiques, psychologiques et pédagogiques. Elle doit se concrétiser en actions, le plus souvent partenariales, cernant au plus près la réalité.
Toutefois, ces actions en partenariat ne peuvent exister, ni à fortiori être efficaces, sans une politique spécifique menée par l’établissement. Dans cette optique, il faut mettre en place, en priorité, des moments et des lieux spécifiques d’écoute des élèves qui se concrétisent par des entretiens individualisés avec des adultes volontaires, des reprises de dialogue entre parents et élèves, et le suivi du projet personnel de l’élève par le professeur principal. Pour ces moments privilégiés de communication, sont créées des heures banalisées où se gèrent les problèmes comportementaux et relationnels, où se débattent les questions de la citoyenneté, de la vie et de la réglementation à l’intérieur de l’établissement.
Ces actions nécessitent une conception éducative où la prévention de la violence repose en priorité sur celle de l’échec scolaire, et qui se centre sur la pédagogie différenciée où méthodes et contenus sont « adaptés aux élèves tels qu’ils sont ».
Cette aide pédagogique prend la forme, au niveau de la classe, de soutien méthodologique, suivi et dialogue pédagogiques, tutorat, dédoublements, aide au travail personnalisé. Au niveau de l’établissement, elle s’appuie notamment sur la coordination disciplinaire, les liaisons écoles / collèges / LP / LEGT, la place particulière et importante de certaines disciplines, EPS, Arts, ainsi que sur les projets transdisciplinaires.
La mise en œuvre de toutes ces actions ne prend un sens que si celles-ci s’inscrivent réellement dans le projet d’établissement. Il faut que le projet soit compréhensible par tous. Sa réalisation et son évaluation en sont facilitées.
Un des axes majeurs de cette politique est de rendre les élèves acteurs de la prévention. Les faire passer « de l’indifférence à la responsabilité ». Cela nécessite une véritable formation des délégués des élèves afin de permettre un dialogue réel (il est néanmoins institutionnel) entre jeunes et adultes. Le délégué est ainsi responsabilisé dans le cadre d’une information constante avec ses camarades de classe.
Enfin, le suivi individualisé des élèves par le tutorat, qui porte plus particulièrement sur la construction du projet personnel, entraîne un contrat qui se traduit par une responsabilisation individuelle de l’élève.
La répression
Toute politique de lutte contre la violence scolaire offre, tel Janus, un double visage : la prévention et la répression.
La prévention passe nécessairement par l’appropriation, par les élèves et les adultes, des règles collectives du fonctionnement social. Il s’agit donc, dans cette optique, de lutter contre la « désocialisation » de certains élèves et de leur faire admettre l’existence de règles de vie fondées sur un contrat et intégrées au projet d’établissement.
Dans cette conception, la répression est la suite quasi organique de la prévention et sa limite. La transgression est et doit être sanctionnée, pour garder non seulement l’équilibre fonctionnel du groupe, mais aussi celui de l’individu. Les sanctions sont alors des points de repère communs et valables pour tous.
La remédiation
L’objectif prioritaire explicite est de mettre en place des situations de réinsertion scolaire pour les jeunes délinquants ou en danger de le devenir. Pour ce faire, des instruments sont proposés :
le centre d’information et d’orientation spécialisé auprès d’un tribunal
le contrat de réinsertion scolaire
une démarche plus généraliste fondée sur le projet personnel de l’élève et des espaces éducatifs délocalisés.
Le rapport conclut cette partie « académique », au regard des réussites et des échecs, que le cœur des solutions se trouve au sein même de l’établissement et qu’il fonctionne sur la perception par les acteurs des causes de la violence, qu’elles soient d’origines endogènes ou exogènes au système éducatif.
Les causes de la violence
Les causes exogènes
Une conception fataliste, sous-tendue par l’argument (réel) que la violence est un fait de société et par celui (discutable) que ses racines et ses causes sont exclusivement « exogènes », entraîne les « démissions successives et en cascades » des différents niveaux de responsabilité institutionnels et instaure alors les conditions les plus favorables au développement de la violence à l’école. Laisser se développer ce « laxisme », c’est faire son deuil de toute politique préventive et laisser le champ à la seule répression.
Il est évident que l’école ne peut supprimer les composantes sociales et économiques de la violence « importée », mais elle doit les intégrer dans la construction de ses actes éducatifs.
« Les enseignants qui refusent de les reconnaître sont alors complètement désarmés sur le plan éducatif. Demandeurs de répression et de protection, ils contribuent alors à renforcer les phénomènes d’exclusion et d’affrontement. »
Les causes endogènes
Il faut toutefois ici remarquer que cette violence se déclenche en un lieu et dans des circonstances précis situés à l’intérieur de l’école. Ce qui signifie que cette dernière produit, pour certains élèves, des « effets déclencheurs » et qu’elle n’est pas une réalité « hors les murs », comme certaines simplifications le laissent accroire. Les contenus d’enseignement, les méthodes, les comportements de certains enseignants sont donc, dans certains contextes, sources d’effets.
L’échec scolaire, dans toutes ses composantes et sous toutes ses formes, apparaît ainsi comme la source de ces effets. Son éradication passe par une prise en compte, par l’ensemble des forces vives de l’établissement, de l’objectif d’intégration de tous les élèves et par ses traductions pédagogiques.
Un modèle théorique
Je propose in fine une esquisse de modèle théorique construite sur l’éventail très large des actions mises en œuvre, mais qui sont marquées par trois grandes tendances qualifiées de : sécuritaire, identitaire et solidaire.
Le sécuritaire est fortement marqué par les mesures de protection et de répression ; c’est le syndrome de la « citadelle assiégée ». L’identitaire repose sur des priorités d’actions qui maintiennent et améliorent l’identité de l’établissement où la prévention pédagogique est dominante ; c’est le type de « l’établissement sanctuaire ». Le solidaire est construit sur la recherche d’un équilibre en osmose avec l’environnement, fondé sur la prévention partenariale ; c’est le modèle de « l’espace éducatif concerté ».
Les formations
La seconde partie concerne les actions menées par les MAFPEN et les IUFM, récentes et trop peu nombreuses.
Les actions menées par moins de la moitié des MAFPEN sont surtout structurées au départ sur le partenariat institutionnel avec la justice et la police. Deux tendances de formation se dégagent : l’une apparaît porter plus spécialement sur le caractère exogène de la violence à l’école (violence importée), l’autre sur sa spécificité endogène (violence créée). Il faut noter, depuis 1993-1994, une demande plus importante des personnels de l’Education nationale pour des stages concernant la sécurité.
Quant aux actions de formation initiale prenant comme thème la violence à l’école, ou l’insérant dans des formations plus générales, elles concernent moins d’un quart des IUFM. Elles sont différentes selon leur implantation géographique et selon l’importance que leur accordent les formateurs. L’éventail va de la priorité à l’absence, le thème étant alors confié à la formation continue. La plupart des formations proposées sont nettement plus informatives qu’actives et destinées plus spécialement aux conseillers principaux d’éducation.
En conclusion : vingt-quatre recommandations
Construites sur quelques principes fondamentaux, elles proposent aux différents responsables du système éducatif un éventail de mesures opératoires et modulables, qui répondent aux impératifs suivants
éduquer, prévenir, remédier, innover ; construire un véritable projet et définir un règlement pour affermir droits, devoirs, sens de la responsabilité, fonder les contrats et les éventuelles sanctions ;
agir avec tous les partenaires indispensables ;
créer l’organisation d’accompagnement, de suivi et de développement des actions contre la violence ;
inscrire dans la formation initiale et continue des personnels le projet de formation du citoyen et l’apprentissage des moyens permettant de faire face aux situations concrètes difficiles.
ECHANGE
Le Président : Monsieur, permettez-moi de vous dire que j’ai été très frappé d’une espèce de fossé entre le professionnel que vous êtes, qui connaît son dossier à fond et les réactions d’autres professionnels qui sont aussi sur le terrain, comme vous-même.
Je pense ainsi à un jeune maître, qui n’est pas là ce soir, mais qui est membre de l’Académie et m’a prié de vous poser la question suivante. Dès qu’il est en âge de savoir siffler, et donc de prévenir, un enfant de 8 à 10 ans gagne 500 F par jour de ses grands frères qui font commerce de la drogue. A ce tarif-là, comment l’école aurait-elle la prétention d’être compétitive ? Là est, sans doute, l’une des racines les plus fortes de la violence.
D’autre part, le problème de la violence à l’école n’est-il pas très généralement un problème d’autorité au plus haut niveau de la République ? A partir du moment où le Président de la République couvre son ministre, qui couvre ses recteurs, qui couvrent les proviseurs, qui couvrent les professeurs et les soutiennent au moment où ceux-ci sanctionnent, au lieu de les désavouer systématiquement, il me semble que le problème de la violence ne se pose plus.
Georges Fotinos : C’est biblique ! Par rapport à cette préoccupation, on note dans le plan Bayrou et le plan Allègre-Royal une collaboration étroite avec le Ministère de l’Intérieur, qui se concrétise par la création des contrats locaux de sécurité. Ces derniers à l’initiative des municipalités mettent en place des dispositifs de prévention et de lutte contre la violence urbaine. Le dominant, dans ce contrat local de sécurité est souvent le Ministère de l’Intérieur. Mais c’est un plan global cohérent qui prend en compte aussi bien les transports que le conseil communal de prévention de la délinquance (CCPD), le projet des établissements scolaires. La police de proximité, les aides-éducateurs ou des emplois jeunes. C’est une approche préventive et sécuritaire qui est recherchée par un grand nombre de communes.
Janine Chanteur : Je suis frappée par tout le travail qui est fait, mais en même temps je suis un peu étonnée : nous avons des enfants et des petits-enfants qui ont été écoliers, collégiens, lycéens dans le problème de l’école. Nous connaissons des familles, des directeurs et des proviseurs et quand vous nous dites que la violence a diminué, je me demande si les chiffres que vous nous citez reflètent vraiment la réalité. Avant 1968, on n’entendait pas parler d’agression commise par un élève sur un autre élève ou sur un professeur, maintenant on entend parler de crimes.
Il y a peut-être moins d’actes de vol, je n’en sais rien, je ne le crois pas d’ailleurs, mais il y a des actes d’une violence qui est infiniment plus grave que celle que nous avons pu connaître.
Vous avez choisi la date de 1979 et vous avez présenté 1979 comme un temps très éloigné où la violence régnait. En fait, ce n’est pas très éloigné et c’est une date qui n’est pas innocente : nous, dans l’enseignement, nous l’avons vue venir, la violence. Et nous l’avons vue venir avant même 79 alors que, comme élève ou comme étudiante, nous ne la connaissions guère.
Pourquoi ? On peut dire d’abord que nous n’avons pas su véritablement sortir de la guerre. Nous avons été traumatisés et vraiment atteints par une guerre telle qu’elle n’était pas seulement le risque de la vie, mais également le risque de la vie morale et spirituelle. Et de cela nous ne sommes pas encore remis.
Nous avons vécu, après 45, un véritable terrorisme intellectuel de ceux qui s’appelaient les Compagnons de route du Marxisme. Il faut avoir été professeur de collège et de lycée, comme je l’ai été, dans ces années-là pour savoir à quel point leur propagande était terrible, comment se faisaient traiter les gens qui ne suivaient pas. Certains professeurs retrouvaient leur nom dénoncé sur un mur, etc. Bref tout cela a quand même véritablement détruit une forme de sécurité dans nos établissements, car certains professeurs, dans leurs classes, se livraient à l’endoctrinement.
Et puis est arrivé mai 68 où le fameux slogan « Il est interdit d’interdire » s’affichait partout. Nous avons vu la montée en puissance de Bourdieu, de Foucault, etc… chez qui la violence était idéalisée. C’est aussi le moment où la drogue est arrivée à l’école, un peu avant 68, beaucoup à partir de 68, où surtout, alors que les problèmes politiques auraient dû concerner d’abord et avant tout des adultes, on a fait entrer la politique à l’école. Si vous reprenez les textes de Jules FERRY, vous voyez que la politique s’arrêtait au seuil de l’école, elle ne regardait pas les enfants. Or la politique – je suis professeur de philosophie politique (j’en parle peut-être un peu plus en connaissance de cause) – c’est véritablement le lieu de la violence. Les enfants ont été amenés par certains professeurs à défiler dans les rues à un âge de plus en plus innocent, c’est-à-dire sans la moindre distance entre ce qu’ils faisaient et ce qu’ils pouvaient en penser. On leur a appris la désobéissance et le mépris de la société : il ne faut pas s’étonner que la violence soit montée en puissance.
Nous nous sommes trouvés aussi – j’ai été étonnée que vous n’en parliez pas du tout – devant un milieu scolaire complètement transformé par la multiculturalité. On aurait dit que personne ne l’avait prévue. Quand on reçoit des gens qui n’ont pas d’argent, qui ne parlent pas la même langue, qui sont mal logés, on devrait quand même faire quelque chose pour les accueillir. Qu’est-ce que l’Education nationale a fait ? absolument rien. J’en ai été témoin. A quelques-uns nous avons essayé, ici et là, mais les gouttes d’eau se perdent véritablement dans la mer. Il n’y a pas eu de grande politique de l’immigration. Il n’y en a toujours pas.
Et on s’étonne que se soit développée une violence que nous ne savons plus ni prévenir, ni gérer, en dépit de toutes les bonnes volontés dont vous avez parlé. On a beau tenter de la cacher, elle est manifeste partout.
Tenter d’intégrer réellement les immigrés coûterait très cher, mais il faut savoir ce que l’on veut. L’Education nationale dépense un argent fou, mais est-ce qu’elle n’en gaspille pas une bonne partie, ce qui est tout de même bien malheureux.
Il me semble que, maintenant, il est temps enfin de nous y mettre tous, d’exiger qu’on fasse un moratoire pas seulement sur les programmes mais également sur les valeurs que nous voulons inculquer à l’école.
Gabriel Blancher : Monsieur l’Inspecteur Général, j’ai été très intéressé par votre exposé et particulièrement par la comparaison que vous avez faite entre la violence de la société et la violence à l’école, ce qui m’a paru, d’un point de vue historique, très intéressant.
Je voudrais précisément vous poser une question : avez-vous trouvé trace de violence à l’école il y a un siècle, en France, alors que la société française était elle-même très violente, comme vous l’avez souligné à partir de faits et de chiffres précis ?
Georges Strauss : Je suis très terre-à-terre par rapport à l’intérêt de votre exposé qui m’a ouvert des horizons, en particulier tout ce que vous avez dit sur la difficile cohabitation entre les enseignants et les éducateurs.
La question est la suivante, c’est une question de méthode. L’enquête de 1979 a porté sur 41 collèges. Vous pouvez dire comme ça combien il y a de collèges en France, en tout, actuellement ?
Georges Fotinos : Aux alentours de 5 000 collèges publics.
Georges Strauss : C’était très différent en 79 ?
Georges Fotinos : Il y en avait moins environ 4700.
Odette Arsac : J’étais professeur de lycée entre 68 et 82, c’est-à-dire à ce moment où il y avait soi-disant beaucoup de violence. Je suis d’accord avec vous ; j’ai eu des vols, c’est-à-dire que, professeur de physique j’ai eu quelques pinces crocodile et deux ou trois chronomètres qui sont partis. J’ai rectifié le tir et ça s’est arrêté. Je n’ai jamais eu un coup de poing, jamais eu mes pneus crevés, jamais eu un coup de couteau et, quand je mettais zéro à un élève, il n’allait pas me donner un coup de poing pour que la note augmente. Donc, je ne me suis pas reconnue parmi ces violences entre 70 et 80.
On analyse beaucoup les causes de violence qui sont celles de la société, je crois que c’est vrai mais qu’a t-on fait ? Je pense que le collège unique est une erreur capitale de l’Education nationale. Vouloir mettre sous principe d’égalité tous les élèves dans le même moule, c’est à mon avis la cause principale de l’échec scolaire et des difficultés que peuvent avoir, précisément, toutes ces populations issues de l’immigration et qui ne peuvent pas suivre. A mon avis, le collège unique est une faute capitale.
Georges Fotinos : Je n’ai pas abordé la question de la même façon que vous, je ne suis pas tout à fait d’accord avec ce que vous dites sur l’intrusion du politique et je vais tenter d’expliquer pourquoi. Mon analyse aurait tendance à renverser votre argument. Je pars d’un constat que nous faisons tous actuellement. Les structures, les instances, les lieux où sont dispensées les valeurs qui nous ont faits nous, adultes « d’avant ou d’après guerre », c’est-à-dire l’Église, le parti politique, l’entreprise, l’association, la famille, par certains côtés sont démissionnaires, démissionnés, sclérosés, n’existent plus ou se sont déconsidérés.
Il existait, au cours de cette période, quoi que vous en disiez, une convergence sur les grands principes et les valeurs de vie sociale et personnelle. Ce que disait le prêtre, l’instituteur, le moniteur de colonie de vacances « ce qui était enseigné » au niveau de l’entreprise et ce que disait le parti se rejoignait sur les valeurs et la morale républicaine. Le lien social et la paix sociale en étaient issus. L’ascenseur social fonctionnait.
Aujourd’hui, les valeurs dominantes sont les valeurs marchandes. C’est le triomphe de l’économie de marché. Ces valeurs désormais prépondérantes sont parfaitement illustrées par « ce gosse qui siffle ». Un jeune qui ne possède pas les structures intellectuelles pour donner un autre sens à son existence, un sens qui trouve ces racines dans la culture et les droits de l’homme, ne peut résister à cette « marchandisation » des rapports humains.
Bernard Lacan : La société marchande a peut-être entraîné un certain nombre de dérives mais sur une déstructuration déjà préexistante de toutes les institutions formatrices et dispensatrices de valeurs. En soi la société marchande n’est pas l’origine de ces dysfonctionnements.
Georges Fotinos : C’est un élément qui tend parfois à l’hégémonie.
Janine Chanteur : Les gens qui n’étaient pas marxistes entre les années 50 et fin des années 70 ne trouvaient pas d’éditeur parce qu’ils étaient arrêtés, vous le savez.
Georges Fotinos : Le problème de la violence à l’école est étroitement lié au sens de l’existence et aux valeurs sociales dominantes.
Naguère les contenus enseignés bénéficiaient d’un consensus social qui se concrétisait dans l’expression élitisme républicain. La massification des années 1970 a radicalement modifié les données du problème. L’adaptation est longue, difficile et loin d’être réalisée. Elle s’exprime notamment par cette violence.
Michel Benoist : J’ai été très intéressé, Monsieur, par ce que vous avez dit au début de votre exposé sur la façon dont, dans les établissements scolaires, étaient traités les problèmes de violence.
« Il y a 30 ou 40 ans, avez-vous dit, c’était très simple : le professeur, le proviseur, qui connaissaient bien leur collège ou leur lycée, leurs élèves, et comment survenaient les incidents, mettaient en garde, prenaient éventuellement des sanctions et tout rentrait dans l’ordre ». Ce qui fait que, si à cette époque-là, il y avait peut-être davantage d’actes de violence qu’aujourd’hui, en réalité, ils portaient moins à conséquences ; les violences étaient mieux gérées.
Aujourd’hui, en effet, avez-vous expliqué, le problème se traite tout à fait différemment. Dès que, dans une classe, le maître rencontre un problème de violence, il considère que ce n’est pas son affaire ; il en réfère à des « éducateurs » d’un type nouveau, spécialement chargés dans les établissements d’intervenir dans les questions de sécurité ou de violence.
Vous nous avez donné beaucoup, d’exemples de mesures et de rapports successifs, faits pour améliorer cette organisation qui se révèle peu efficace. Mais il ne m’est pas apparu qu’un effort soit fait, notamment au niveau des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres, pour que ceux-ci incorporent cette préoccupation de la violence éventuelle des élèves dans leur pédagogie, tant il est vrai, comme vous l’avez dit, que la pédagogie ce n’est pas seulement la transmission des connaissances mais aussi l’éducation, nationale autant que possible. Or nous ne constatons pas, au vu ses résultats, que les enseignants actuels aient encore, dans de trop nombreux cas, fait leur nécessaire synthèse et retrouvé, devant leurs élèves, les réflexes de leurs aînés. Qu’en est-il ?
Georges Fotinos : Cela n’a pas beaucoup évolué depuis le rapport, au contraire même dans certains cas.
Anne Aumonier : Je voudrais vous demander si, dans votre rapport, vous faites une place à la responsabilité qui incombe à la famille.
Quel est le rôle des parents dans l’éducation ? Est-ce qu’on a associé les parents à l’éducation de leurs enfants ? Est-ce qu’on ne va pas chercher très loin des éducateurs en y mettant beaucoup d’argent ? Ne devrait-on pas impliquer davantage les parents, notamment dans le respect que les enfants doivent à leur maître ?
Nous avons eu quatre enfants. Quand le professeur avait dit quelque chose, même si ce n’était pas du goût des enfants, le professeur avait raison, quoi qu’il arrive, quitte à aller voir le professeur après, pour voir ce qui n’allait pas.
Maintenant, le petit rentre chez lui et le père vient donner des coups de poings au professeur qui l’a puni ! C’est comme ça que ça se passe.
Georges Fotinos : Comme vous l’a dit le Président, je me suis occupé de ce dossier « encalminé » au Ministère de l’Emploi et de la Solidarité auprès du délégué interministériel à la famille. J’étais chargé de promouvoir la politique interministérielle de relations parents-école. Ce qui est loin d’être évident, les champs des pouvoirs institutionnels étant fortement protégés. La coopération interministérielle s’est révélée une entreprise ardue.
La méfiance du monde enseignant vis-à-vis des parents est une constante en Europe, depuis le 19ème siècle. Toutefois, alors que les pays anglo-saxons s’orientent depuis longtemps vers l’implication des parents dans le fonctionnement même de l’école, la France « hésite ».
Cette situation spécifique, loin d’être conjoncturelle, trouve plus particulièrement sa source dans la confrontation de l’histoire cumulative de notre système éducatif – qui entretient simultanément des formes de régulation héritées du passé – et d’évolution des idées civiles qui génèrent de nouvelles attentes.
Historiquement, on peut distinguer trois époques de la relation parents-école :
L’époque des « assujettis », issue de l’empire napoléonien mais reprise par la république, et fondée sur la relation autoritaire instaurée par l’Etat sur le citoyen en matière d’éducation. Les familles abandonnent au seuil de l’école toute prétention à faire valoir à faire valoir leurs demandes. Elles délèguent au maître une part importante de l’autorité et du droit d’instruction.
L’époque des « partenaires », initiée par la loi d’orientation sur l’éducation de 1989, qui légalise et institutionnalise la participation des parents à tous les niveaux du système éducatif, école, collège, lycée, Inspection d’Académie, rectorat, Ministère. Cette participation est dénoncée aujourd’hui par certains parents, comme excessivement formelle, dans un système de représentation en crise qui ne concerne qu’une partie de la population culturellement favorisée.
L’époque des « clients », issue de la charte de 1992 sur le renouveau du service public, qui affirme que l’usager doit être placé au centre de tous les services publics. Cette norme pose à l’administration une obligation de résultats et préconise des principes nouveaux : transparence et responsabilité, simplicité et accessibilité, participation et adaptation, compétence et fiabilité. Cette philosophie néo-libérale, appliquée à l’école, accentue le consumérisme des parents. La réponse actuelle du système éducatif est double, d’une part développer le caractère autonome des établissements publics, d’autre part, associer de façon institutionnelle les établissements privés au service public. Ce dispositif permet ainsi une régulation « naturelle » des demandes des parents qui peuvent « naviguer » alternativement sur ces deux systèmes tout au long de la scolarité de leurs enfants.
Pour dépasser les nombreux dysfonctionnements créés par l’intrication de ces différents dispositifs, qui pèsent d’une façon ou d’une autre sur la scolarité des enfants, une approche différente voit actuellement le jour : la co-éducation. Cette politique, qui associe et fait participer les parents au projet éducatif de l’école, repose d’abord sur la reconnaissance des compétences parentales et se situe dans un rapport de dignité et d’égalité. Elle se constitue sur des problèmes concrets. La violence à l’école en est un majeur. On ne pourra le résoudre sans une participation active des parents.
Jacques Arsac : Vous avez eu quelques mots tout à l’heure qui m’ont terriblement inquiété parce que je me demande si on n’est pas en train de mettre des cautères sur une jambe de bois.
Vous dites qu’il y a disparition d’un consensus sur des valeurs qu’on trouvait dans l’Église, l’entreprise, dans les partis etc. Que peut-on faire s’il n’y a pas restauration d’un certain nombre de valeurs considérées comme fondamentales, y compris par les parents.
Vous dites ensuite qu’il y a une crise du sens, qu’il n’y a plus de sens à la vie… Est-ce qu’on peut espérer quelque chose sans la reconstruction de ce tissu dans lequel la vie avait un sens, des repères visibles de loin par tous, communément admis ? Est-ce qu’on n’est pas en train de bricoler pour un mal qui est beaucoup plus profond que ça ? On met un peu de pommade pour calmer la démangeaison, mais on ne soigne pas le malade !
Georges Fotinos : Je suis d’accord avec vous sur le fonds. Nous sommes entrés dans une nouvelle période historique après « la chute des idéologies ». Cette rupture pose brutalement la question des valeurs sur lesquelles notre société fonctionne. Il me semble actuellement que nos avançons à tâtons.
Jacques Delfosse : Il me semble que dans les Conseils d’administration, depuis 1968, on parle avec les parents. Il y a eu pour cela les conseils d’administration d’une part et les conseils de classe de l’autre. Depuis ce temps-là, si on a institutionnalisé leur présence c’est pour leur faire prendre leurs responsabilités. Les professeurs ne refusent pas leur présence des parents : ceux-ci doivent jouer leur rôle éducatif avec eux.
Je vais citer un exemple symbolique que j’ai connu dans l’Académie de Lyon dans les années 75. On a construit un nouvel établissement, ouvert sur la vie. On a même fait passer la rue dans l’établissement. C’était pratique pour les personnes qui faisaient leur marché, qui allaient faire des courses.
On a fini par fermer à clef les établissements au moment où on a vu disparaître d’abord les photocopieuses et puis les premiers ordinateurs. Dans le Val-de-Marne, une photocopieuse a disparu en 24 heures. On l’a livrée à 18h, le lendemain matin, elle n’était plus là.
Si la violence est dans les établissements, on l’a un peu introduite, démagogiquement.
Philippe Sentis : Je voudrais dire très rapidement que, à l’époque où les parents n’avaient aucun droit institutionnel, ils étaient beaucoup mieux considérés en fait que maintenant où ils sont présents dans les Conseils d’administration et dans les Conseils de classe. Il y a 50 ans, les instituteurs avaient le plus grand respect pour les parents. Il y avait une bonne entente bien que les parents n’aient officiellement aucun droit.
Georges Fotinos : Quelque chose d’important vient d’être dit par rapport aux relations parents-école, c’est la dignité et le respect. Si les enseignants, dans le travail avec les parents, les regardent comme des personnes ayant des compétences et non comme un père ou une mère d’élèves convoqués (par un juge), les relations seront totalement différentes.
Bernard Lacan : Faut-il être optimiste ?
Georges Fotinos : Je suis passé par presque tous les états, optimiste, pessimiste, sceptique, enthousiaste… Sincèrement je crois qu’une des solutions, et en cela je rejoins vos préoccupations, il faudrait définir un grand plan d’éducation pour la Nation ou la formation tout au long de la vie aurait une place prépondérante et qui soit la priorité des gouvernements.
Vouloir résoudre le problème de la violence à l’école, c’est vouloir créer cette dynamique. C’est adapter l’Ecole à son temps.
Le Président : Nous vous savons gré de nous avoir donné, chiffres à l’appui, l’état de la violence constatée dans l’école publique.
Vous avez vu que nos objections visaient beaucoup plus que des procédures. Ce que nous mettons en cause, ce sont certaines pédagogies qui, parfois, dissimulent des objectifs politiques.
C’est une vue des choses sur laquelle nous n’arriverons pas à nous entendre ce soir. Fort heureusement la question de Monsieur Lacan vous aura permis de conclure dans un sens qui nous rapproche. Car nous sommes tous d’accord sur la nécessité de redéfinir un grand projet, suivant une intuition et une vision qui nous fait défaut et qui manque cruellement à l’Education Nationale.
Monsieur, le mot de la fin revient au fabuliste : La Fontaine nous mettra tous d’accord, « mieux vaut douceur que violence ».