par Henri Lafont, président de l’Association des médecins pour le respect de la vie
La liste des maladies incurables et mortelles reste importante. Devant cet échec de la médecine, des espoirs sont suscités par la thérapie cellulaire. Où trouver les cellules souches appropriées ? L’embryon humain en est une source potentielle. Que penser de l’exploitation de ce gisement ? Les cellules souches adultes, de découverte récente, ouvrent-elles une nouvelle voie ? Des questions éthiques surgissent. La science pourrait avoir le dernier mot. Tant mieux, si elle reste au service du genre humain.
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Le Président : La communication d’aujourd’hui ne traite pas, directement, de l’unité du genre humain. Mais il serait facile de trouver des liens avec notre thème de cette année. Mais surtout, cette communication est exceptionnelle par le sujet qu’elle traite et par la personnalité de celui qui le traite.
Le sujet : « L’embryon humain comme médicament, est-ce la médecine future ? » Le caractère exceptionnel du sujet est tout entier dans ce titre. Et si l’embryon humain pouvait venir à bout de maladies incurables, serions-nous capables de ne pas sacrifier longtemps nos convictions éthiques ? C’est le problème.
La personnalité du Docteur Henri Lafont ajoute au caractère exceptionnel de cette soirée.
Vous êtes docteur en médecine, lauréat de la Faculté de Médecine de Paris, spécialiste des maladies du cœur et des vaisseaux ; ancien attaché d’enseignement à la Faculté Necker ; vous êtes ancien interne des Hôpitaux de la région de Paris ; ancien attaché consultant des hôpitaux de Paris. Votre activité professionnelle a été hospitalière et privée.
Enfin, vous êtes l’ancien Président du syndicat national des médecins spécialistes des maladies du cœur et des vaisseaux. Vos engagements dans la vie associative témoignent de votre détermination à défendre la vie. Vous êtes Président-fondateur de l’Association des médecins pour le respect de la vie : l’A.M.R.V. dont l’objet est de promouvoir le respect de la vie humaine dans la vie professionnelle. En 1974, votre Association a fait signer une déclaration des médecins de France : « L’avortement n’est pas l’acte d’un médecin. », déclaration signée par 13 500 médecins.
Enfin, de 1995 à 1999, vous avez été Président de l’« Union pour la Vie » dont l’Ingénieur Général Paul Guitton est aujourd’hui Président.
Vous avez publié un Que sais-je ?, “Les maladies du cœur”, au P.U.F. et, récemment en décembre 2001, vous avez publié “La bioéthique”, ouvrage aujourd’hui épuisé et en réédition. Je voudrais vous exprimer mon admiration pour avoir lu “La bioéthique”. Elle comprend trois parties ; d’abord un véritable cours de biologie et Henri Lafont dit, en termes amusés, qu’il n’a pas fallu attendre les récents travaux sur l’embryon pour que les gens s’aiment, aient des enfants sans savoir très bien comment ça se passait ! Aujourd’hui on sait comment ça se passe. On ne peut l’ignorer car la radio, la télévision, les médias nous en parlent toute la journée.
Après ce cours de biologie – cours précis, simple, des phrases courtes qui disent bien ce qu’elles veulent dire – Henri Lafont aborde les problèmes éthiques. Je n’en dirai rien puisque c’est le principal objet de son exposé.
Enfin, il porte un jugement sur les projets législatifs. Les convictions d’Henri Lafont sont sans équivoque. Les quelques lignes qu’il a rédigées pour expliciter quelque peu le thème de sa communication laissent percer toute la compassion du médecin devant la souffrance du patient. “Oui” pour une science au service de l’homme, tant mieux si elle reste au service des hommes.
Les questions qui vont être abordées mettent à l’épreuve notre Foi. Nous n’avons pas tous les mêmes points de vue, ni donc les mêmes exigences devant l’utilisation de l’embryon. C’est en respectant le secret des consciences que nous abordons ce thème difficile qui n’aura pas trop de la grande clarté intellectuelle et spirituelle de notre ami le Docteur Henri Lafont.
Henri Lafont : Après ces paroles élogieuses, je ne peux, hélas, que vous décevoir, sans excès, je l’espère. En effet, le sujet que nous allons aborder n’est pas facile. Je vais tenter de le réduire à quelques propositions simples.
Je parlerai en médecin, puisque, connaissant un peu la médecine, je sais lire les articles médicaux et je ne traiterai pas trop de philosophie car je ne suis pas philosophe. J’essaierai de vous apporter quelques éléments qui permettent d’éclairer un sujet sur lequel on discute ou on va discuter beaucoup, par conséquent sur lequel il faut avoir des idées de base relativement claires.
L’Assemblée nationale, avec trois ans de retard, vient d’adopter en première lecture un « projet de loi relatif à la bioéthique » qui fait suite à de longues controverses. Ce texte apporte de nombreuses modifications à une législation qui date de 1994 sur des pratiques qui sont en perpétuelle évolution, au sujet de la biologie de la reproduction notamment, faisant intervenir des notions qu’il est habituel de classer sous le vocable de bio-éthique.
Parmi les adaptations proposées par le législateur figurent des dispositions qui introduisent l’utilisation de l’embryon humain comme source possible de moyens thérapeutiques. C’est une nouveauté qui suscite des « espoirs gigantesques », la thérapie « cellulaire” ou mieux “régénérative”.
Annoncés avec un grand tapage médiatique, ces espoirs gigantesques sont-ils fondés ? Quels moyens sont envisagés pour mettre en œuvre cette thérapie nouvelle ?
Cette thérapie régénérative a une histoire.
Bien avant le siècle dernier, dans les civilisations les plus primitives, le cannibalisme ou l’anthropophagie avait un lien avec un rite religieux mais aussi avec le secret espoir d’acquérir les facultés de son parent défunt.
Au siècle dernier, le Docteur Nihans, un Suisse, avait eu l’idée de régénérer des sujets vieillissants par les cellules fraîches – cela nous rappelle l’exclamation de l’ogre du Petit Poucet : « ça sent la chair fraîche ! », – prélevées sur des fœtus animaux.
J’ai connu personnellement un médecin français qui travaillait dans le sillage de Nihans et fréquentait les abattoirs où un boucher lui fournissait des organes d’embryons de mouton ou de veau d’où il extrayait des cellules destinées à ses malades. Cela se passait dans le département de la Sarthe. Il prétendait obtenir des résultats.
Cette expérience, dont on dit que Pie XII bénéficia, fut très vite abandonnée mais l’idée avait germé et elle reprend aujourd’hui grâce aux cellules-souches.
Les cellules-souches embryonnaires
On a tellement parlé des cellules-souches que nul n’est censé ignorer ce que sont les cellules-souches. Vers les années 80 fut expérimentée une thérapie cellulaire, par greffe de cellules nerveuses de fœtus humains avortés à des patients atteints de la maladie de Parkinson. Ainsi fut inaugurée l’utilisation, au profit de leurs semblables, de jeunes êtres humains arrachés à la vie par avortement. Cette technique nécessite d’extraire ces cellules de fœtus vivants. Cela oblige à respecter un protocole particulier, à un âge défini de la grossesse, avec l’accord de la mère. Pour traiter un parkinsonien, on doit disposer de quatre à huit fœtus. Cette thérapeutique, très discutable au point de vue éthique et dont les résultats sont décevants, soulève donc de vives critiques.
Et voici qu’en 1995, donc très récemment, on entreprit de cultiver des cellules prélevées sur des embryons très jeunes afin de collectionner des lignées de cellules quasi indifférenciées. Les cellules des embryons âgés de quelques jours se développent facilement en culture dont la durée est presque indéfinie. Bien que de telles cellules extraites des embryons ne soient pas des êtres humains mais seulement des fragments d’êtres humains, on ignore encore si celles qui sont prélevées dans les trois premiers jours, c’est-à-dire au stade morula, quand il y a moins de trente-deux cellules, ne sont pas susceptibles d’évoluer vers la formation d’un embryon humain. Ceci a fait l’objet d’une note du Père de Dinechin publiée en annexe d’un avis du Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE), avis qui recommandait au Législateur d’autoriser les cultures d’embryons humains, en vue de réaliser des « collections de cellules » dites cellules-souches.
Que sont ces cellules-souches ? Notre corps est formé de cellules qui, toutes, dérivent de cellules primordiales, c’est-à-dire des cellules qui sont à l’origine de notre développement. Au premier stade de la vie embryonnaire, que l’on appelle “morula”, il n’y a que des cellules primordiales qu’on dit totipotentes parce que leur potentiel de différenciation est indéfini. On se demande même si une telle cellule isolée ne peut pas devenir un embryon. “Totipotentes”, c’est-à-dire qu’elles peuvent se transformer dans tous les types cellulaires. Elles commencent à se différencier lors de la formation du bouton embryonnaire qui apparaît vers le 5e jour de la vie ; on appelle “blastocyste” l’embryon à ce stade lorsque commence à se former une cavité au sommet de laquelle se trouve un mince disque de douze à seize cellules qui constituent le « bouton embryonnaire. » C’est au sein du bouton embryonnaire que se développera l’embryon. Les autres cellules formeront les annexes, notamment le placenta, le sac vitellin, etc. Mais les cellules de l’embryon proprement dit, du corps de l’embryon, dérivent du bouton embryonnaire. Ce sont les cellules-souches embryonnaires, celles auxquelles on accorde aujourd’hui tant d’intérêt.
Au fur et à mesure des divisions, ces cellules se répartissent en différents points du corps de l’embryon qui se développe ; destination qui leur est assignée par un donneur d’ordre mystérieux, encore mal connu mais dont on connaît les effets. Là, elles poursuivent leur spécialisation, on dit qu’elles se différencient, pour modeler les différents tissus et organes. Les plus primitives sont dites totipotentes et, en se spécialisant, elles deviennent pluripotentes puis plus ou moins différenciées. Moins elles sont différenciées, plus elles intéressent les biologistes. Telles sont les cellules du bouton embryonnaire, celles qui apparaissent entre le 5e et le 8e jour, avant que l’embryon ne soit implanté dans l’utérus.
Venons-en aux cellules-souches adultes. Les premières cellules-souches adultes, connues, sont les cellules hématopoïétiques de la moelle osseuse. Ces cellules de la moelle osseuse élaborent des éléments figurés du sang, globules blancs, globules rouges, plaquettes, et assurent le continuel renouvellement du sang. On les appelle les cellules-souches hématopoïétiques.
Depuis quelques années, on a découvert l’existence de cellules-souches primordiales dans la plupart des organes, adultes. En 1991, la biologiste Marie-Louise Labat, surveillant des cultures cellulaires humaines, a la surprise de découvrir des cellules de morphologie particulière qu’elle voit se différencier. « Ce sont probablement des cellules-souches » pense-t-elle. En poursuivant la culture de ces cellules elle s’aperçoit qu’elles sont capables de se différencier. De nombreux travaux confirment cette observation.
Nous savons maintenant que nos organes renferment des cellules-souches, enfermées dans de petits abris d’où elles se mobilisent lorsqu’un dommage survient dans l’organe. De sorte que ces petits abris sont en quelque sorte des zones de stockage des éléments capables de réparer nos tissus. Nous ne sommes pas étonnés, quand nous subissons une blessure, qu’il y ait un processus de réparation, de cicatrisation ; cette reconstitution est due à la présence dans nos organes de cellules-souches.
La définition des cellules-souches est encore un peu floue et diffère selon les auteurs. L’Académie des Sciences, qui a publié récemment un rapport sur les cellules-souches adultes, donne la définition suivante : « Le terme de cellule-souche est utilisé pour désigner une cellule qui, lorsqu’elle est placée dans un environnement tissulaire approprié, est capable de se multiplier et de produire des cellules spécialisées qui acquièrent une morphologie et une fonction spécifique du tissu ». Ce rapport confirme que des cellules-souches présentes dans la moelle osseuse pouvaient devenir non seulement des éléments figurés du sang mais aussi des cellules osseuses, des cellules musculaires et même des cellules nerveuses. Ces découvertes très récentes laissent la place à beaucoup d’inconnues ; il reste beaucoup à apprendre sur les cellules-souches adultes. Il faut les identifier, les cultiver et découvrir comment, par des cultures in vitro, orienter leur différenciation vers tel ou tel type cellulaire.
La thérapie cellulaire
Qu’en est-il de la thérapie cellulaire ? Les propriétés des cellules-souches, qu’elles soient embryonnaires ou adultes, ont fait germer l’idée de leur utilisation par des greffes destinées à régénérer des tissus altérés, traumatisés ou fatigués et ont fait naître de grands espoirs. Qui n’a entendu ou lu des commentaires sur les perspectives mirobolantes, les espoirs gigantesques que cette thérapie cellulaire est à même de faire naître ? C’est en partie en raison des espoirs fondés sur la thérapie cellulaire qu’a été demandé au Législateur de modifier la loi au profit de l’expérimentation sur les embryons
La thérapie cellulaire utilise le pouvoir prétendument régénérant des cellules-souches. Je dis “prétendument” parce qu’on n’a pas encore la preuve de son efficacité. On a pensé d’abord aux cellules fœtales, puis on s’est tourné vers l’embryon que les pratiques de l’assistance médicale à la procréation mettait à portée des biologistes ; n’oublions pas en effet que des embryons ne sont à notre disposition que depuis qu’on pratique la procréation médicalement assistée et il est vrai que les cellules-souches embryonnaires sont celles qui ont la plus vaste faculté de différenciation, sont les plus faciles à cultiver. De là à dire qu’elles sont utiles en thérapeutique, c’est aller un peu vite.
Il n’y a guère que deux ou trois ans seulement qu’on envisage d’utiliser les cellules-souches présentes au sein des organes adultes pour régénérer les tissus altérés. Puisqu’elles le font sur l’organisme d’un individu sain pourquoi ne pourraient-elles pas être utilisées chez cet individu quand le processus naturel est défaillant ? Dans une communication à l’Académie de Médecine, le 20 mars 2001, le Professeur Milhaud a posé les bases de cette perspective : « deux dogmes solidement établis ont été remis en question par l’étude des cellules-souches. Premier dogme : on pensait que les cellules nerveuses, on en avait un capital défini à la naissance et qu’elles ne pouvaient pas se reproduire. On s’aperçoit que, non seulement l’organisme est capable de refaire des cellules nerveuses quand il en demande mais que, en plus, ces cellules nerveuses peuvent provenir de cellules-souches en provenance d’organes distincts et distants du cerveau. La découverte de la formation de nouveaux neurones met donc fin à l’infaillibilité du dogme selon lequel le capital cellulaire du cerveau ne peut que décroître avec l’âge. » C’est très intéressant pour ceux qui abordent un âge un peu sensible de savoir que nous disposons, peut-être, d’un moyen de régénérer le cerveau grâce aux cellules-souches.
Deuxième dogme battu en brèche, « les cellules-souches d’un organe donné sont pluripotentes puisqu’elles peuvent reproduire d’autres types cellulaires que ceux qui sont présents dans l’organe en question. »
Ce qu’on peut espérer des cellules-souches c’est qu’elles nous apportent la possibilité de refaire notre foie quand il a été abîmé par une hépatite, notre cerveau lorsqu’il a été endommagé par un accident vasculaire cérébral ou dévoré par les lésions d’Alzheimer, notre cœur quand est survenu un infarctus. Cet espoir est-il fondé ? La question reste ouverte.
En face de cet espoir quelles sont les sources des cellules-souches ? L’embryon d’une part, nous l’avons vu, les organes adultes d’autre part.
L’utilisation des cellules-souches embryonnaires
Pour les cellules-souches embryonnaires issues d’embryons surnuméraires, où en est-on en pratique ? Les cellules embryonnaires peuvent être prélevées sur des embryons laissés pour compte des procréations médicalement assistées. Cette source est la seule, car, pratiquement tous les embryons procréés le sont dans le cadre de la PMA. Lors d’une procréation médicalement assistée, grâce à la stimulation ovarienne, on recueille entre huit et douze ovocytes, ces précieuses cellules germinales féminines. On les féconde avec des spermatozoïdes apportés par le mari ou par le Cecos, banque de sperme, et on parvient à procréer huit ou dix embryons dont deux ou trois seulement sont implantés. Il reste donc entre 6 et 8 embryons inutilisés. Ceux qui sont défectueux sont éliminés ou ne tardent pas à mourir mais les bons sont envoyés au congélateur. Ils constituent une réserve en vue d’une deuxième tentative. En effet, le taux de réussite de la procréation artificielle est faible et il est fréquent de faire plusieurs tentatives.
Un grand nombre de ces embryons congelés, qu’on appelle “surnuméraires”, restent indéfiniment dans les congélateurs sans avenir, soit parce que le couple a eu un succès dès la première implantation, soit parce qu’il a renoncé à renouveler une expérience difficile et très pénible. Ce résidu des procréations médicalement assistées augmente chaque année au point de constituer un contingent important. Leur nombre est évalué à 30 000 pour les optimistes, 100 000 pour Testart. Je ne prends pas à mon compte ces chiffres mais ce sont des chiffres très importants.
Que faire de ces embryons surnuméraires ? Ils sont voués tôt ou tard à la destruction. Pourquoi ne pas utiliser leurs cellules si riches de promesses ? Croyez-vous qu’on ait essayé ? Dans un article de juin 2001 du journal “The Lancet” on lit : « En dépit de la hauteur des espoirs suscités, les études animales permettant d’évaluer le bénéfice potentiel permettant d’exploiter le bénéfice potentiel des cellules-souches sont rares et quasi embryonnaires. De nombreux cliniciens et quelques scientifiques pensent que le faible niveau des études préliminaires conduit à estimer qu’il est prématuré d’envisager des essais cliniques ». La question qui se pose aujourd’hui est de savoir s’il est opportun de se lancer dans une telle expérimentation, si les promesses de la thérapie cellulaire sont telles qu’elles autorisent à franchir le cap éthique des recherches sur l’embryon. Car ces recherches passent par la destruction des embryons, objets d’expérimentations. On est donc placé devant le problème d’une expérimentation mortifère en vue d’une thérapeutique dont les possibilités sont problématiques mais dont certains prétendent que c’est le grand espoir pour demain.
D’autre part, on craint des réactions d’incompatibilité résultant de la greffe de cellules issues d’un organisme étranger au malade car l’embryon surnuméraire peut se comporter comme facteur de réactions de rejet pour incompatibilité immunologique.
Aussi a-t-on envisagé pour pallier cet inconvénient d’utiliser, de préparer un embryon clone du sujet à traiter. D’où le projet, toujours en vue d’un futur pas encore accessible, de fabriquer des clones embryonnaires avec les noyaux des cellules du malade à traiter qui pourrait ainsi disposer de quelques clones embryonnaires sur lesquels seraient prélevées des cellules-souches que l’on cultivera et qu’on pourra, après différenciation, greffer sur l’organe malade.
J’insiste encore sur le caractère futuriste pour ne pas dire imaginaire des perspectives de thérapies cellulaires à partir de ces cellules-souches embryonnaires, ce qui n’empêche pas de présenter le clonage thérapeutique comme une éventualité plausible. Le clonage thérapeutique est entré dans le vocabulaire comme s’il était réalisable. Comme nous le verrons, le clonage serait thérapeutique dans l’intention mais non dans la réalité.
Les cellules-souches adultes
Envisageons maintenant la deuxième source de cellules-souches, les organes adultes. Où en est l’expérimentation sur les cellules-souches adultes ?
De nombreuses équipes y travaillent activement. Elles découvrent des faits surprenants et prometteurs. Ainsi, dans l’article cité, on indique que « la pluripotentialité des cellules-souches adultes dépasse largement les premières attentes. Elles peuvent secourir les cellules hématopoïétiques comme, à l’inverse, on voit des cellules dérivées de la moelle osseuse des souris adultes se développer vers la lignée nerveuse. » Si vous parcourez la bibliographie des cellules-souches, ce que chacun peut faire sur Internet, vous êtes saisi par le nombre des publications sur les cellules-souches adultes. Aux États-Unis, les fonds privés subventionnent davantage de laboratoires travaillant sur les cellules-souches adultes que ceux qui expérimentent sur les embryons humains.
Pour autant, que sait-on de la valeur de la thérapie cellulaire humaine avec des cellules-souches adultes ? Les essais cliniques sont encore très peu nombreux, les publications très rares. Tout ce que l’on peut dire c’est que le premier avantage de cette thérapie semble être la sécurité car, pour traiter une pathologie d’un organe, le problème c’est de prélever les cellules-souches soit sur cet organe, soit dans un autre organe de l’individu malade. Donc on cultive et on modifie les propres cellules du patient pour les greffer, ce qui n’expose pas au risque d’incompatibilité.
D’autre part, les quelques essais sur les animaux ont montré que les cellules embryonnaires présentent l’inconvénient de ne pas être facilement contrôlables. La greffe de telles cellules se complique parfois du développement de tumeurs bénignes ou malignes attribuées à d’inévitables impuretés.
Par conséquent on ne gère pas facilement les cellules-souches embryonnaires alors que les cellules-souches dont nous disposons sont gérées par un contrôle du système lymphatique, des fameux lymphatiques T4 qui sont altérés dans le SIDA. Chez le sujet sain, ces lymphocytes contrôlent les cellules-souches autochtones en excès. Donc il y a une sécurité physiologique.
Est-ce que, pour autant, on a la preuve que la thérapie cellulaire est une bonne thérapeutique ? On ne peut pas le dire, on sait encore peu de chose à ce sujet, les expériences sont trop peu nombreuses. Il y a, pour le traitement de certaines maladies sanguines, des espoirs, des résultats encore partiels mais encourageants. Un cardiologue français a utilisé des cellules-souches sur des séquelles d’infarctus du myocarde et il a obtenu, dit-il, une amélioration de la fonction cardiaque.
Mais il ne s’agit encore que d’essais préliminaires donc je ne peux pas vous laisser quitter cette salle avec la certitude que, grâce aux cellules-souches adultes, nous allons bientôt guérir de nombreuses maladies. J’ai lu aujourd’hui dans le “Quotidien du Médecin” la relation de bons résultats de l’utilisation de cellule-souches adultes dans la maladie de Parkinson. Mais ce qui est certain c’est que les cellules-souches adultes présentent de nombreux avantages par rapport aux cellules-souches embryonnaires.
Nous disposons d’un rapport important de l’Académie des Sciences sur les cellules-souches adultes. C’est une étude très documentée, suivie de nombreuses annexes avec des références nombreuses qui confirme l’intérêt des cellules-souches adultes et demande aux Pouvoirs publics de favoriser cette recherche. Moyennant quoi, le rapport n’en conclut pas moins : « Nous avons vu précédemment les problèmes que posent les cellules-souches adultes. L’urgence, si l’on ne veut pas prendre un retard considérable dans l’exploitation d’un domaine de recherche qui peut révolutionner l’abord thérapeutique – ce n’est pas moi qui le dit, c’est l’Académie des Sciences – de certaines pathologies est de disposer d’un modèle expérimental techniquement exploitable permettant un travail de recherche efficace. Or un tel modèle n’est actuellement pas disponible. Dans cette optique il est essentiel de pouvoir utiliser les cellules-souches embryonnaires humaines. L’utilisation en parallèle de cellules-souches embryonnaires de gros animaux (singes) sans sous-estimer que les travaux sur les primates se heurtent partout dans le monde à des oppositions bien organisées, (voir le rapport de l’Académie des Sciences sur l’expérimentation animale), peut s’avérer être une approche complémentaire d’une très grande utilité d’autant qu’existent chez les primates des modèles de pathologie proches des maladies humaines. » Autrement dit, à défaut de pouvoir expérimenter commodément sur les primates, – comprenons que c’est très coûteux et que les Associations protectrices des animaux s’y opposent, – pourquoi n’utiliserions-nous pas les embryons humains ?
Il est évident que les deux écoles, celle qui préconise de porter toute l’attention à la recherche sur les cellules-souches adultes et celle qui propose d’utiliser les cellules-souches embryonnaires, ces deux écoles ne rencontrent pas les mêmes problèmes éthiques.
L’utilisation des cellules-souches adultes ne soulève que des problèmes de légitimité de procédures, de prudence, de contrôle et, comme toute expérimentation, d’information et de consentement du patient.
La recherche sur les cellules-souches embryonnaires conduit à la transgression d’interdits majeurs. Elle conduit en effet à sacrifier des embryons humains. Sacrifier, pourquoi ? parce que, comme je l’ai dit, prélever des cellules du bouton embryonnaire d’un blastocyste, c’est-à-dire d’un embryon de six à huit jours, détruit l’embryon. Celui-ci est sacrifié au sens propre, et au sens symbolique. Il est sacrifié au progrès scientifique d’une part et d’autre part à d’éventuels projets thérapeutiques. La thérapie cellulaire à partir de cellules-souches embryonnaires revient donc à utiliser un être humain, l’embryon, comme moyen pour améliorer la santé d’un semblable ce qui est inacceptable sur un plan éthique car elle transgresse deux principes auxquels nous avons l’habitude de nous référer et de satisfaire.
Premier principe : celui de la non-exclusion d’une catégorie d’êtres humains, principe consacré par l’article 21 de la Charte européenne. On ne fait pas de différence entre les êtres humains, ceux qui peuvent être utilisés pour servir à l’humanité et ceux que l’on respecte totalement.
Deuxième principe : celui qui interdit de considérer un être humain seulement comme un moyen et non comme une fin, principe kantien je crois, que partage la très grande majorité des éthiques de la tradition philosophique occidentale. L’expérimentation sur les embryons et l’utilisation des embryons à des fins de thérapie cellulaire ne respecte pas ces deux principes fondamentaux.
Le clonage
Venons-en au clonage. C’est un mot explosif, qui suscite l’émotion ; il engendre l’inquiétude. Pourtant, peu de gens savent très bien de quoi il s’agit et la méfiance est un réflexe instinctif.
Qu’est-ce ce c’est qu’un clonage ? Pour un biologiste, c’est un mode de reproduction, une reproduction asexuée, réalisant une copie conforme, le clone. Quand je fais une culture de cellules, je fais du clonage cellulaire, rien de plus banal. Il faut bien distinguer le clonage cellulaire du clonage embryonnaire. Quand je fais du clonage embryonnaire cela veut dire que je procrée un embryon avec une technique qui ne comporte pas la rencontre des gamètes. Il faut tout de même disposer au moins du gamète femelle, l’ovocyte, cette cellule infiniment précieuse, car elle est à l’origine de toute vie humaine. Elle est si rare puisqu’on ne peut l’obtenir que par effraction chez la femme. Il faut pour cela faire une intervention chirurgicale. Prenant cet ovocyte, on lui retire son noyau, à la place duquel on dépose le noyau d’une cellule de l’individu dont on veut obtenir un clone. Le clonage embryonnaire a été largement pratiqué dans le règne animal. Il permet de reproduire un individu comparable à celui qui a donné le noyau parce qu’il a un génome identique. L’embryon ainsi procréé in vitro est capable de se développer, s’il a pu être implanté dans l’utérus d’une femelle de la même espèce, et il arrivera même à voir le jour. C’est ce qu’il s’est passé pour la brebis Dolly. Dolly est un clone de brebis ; mais, avant d’être Dolly elle a été un clone embryonnaire. Quand on fait un clonage, on ne donne au clone la possibilité de se développer jusqu’à sa naissance que si on l’a implanté dans un utérus.
Le clonage thérapeutique ce n’est rien d’autre que la production de clones dont on interrompra la vie à l’âge où les cellules-souches seront utilisables pour une thérapie cellulaire. C’est du clonage reproductif interrompu.
Le Premier Ministre, quand il a présenté le projet de loi de bioéthique au mois de juillet dernier, a solennellement déclaré son opposition au clonage reproductif mais il a déclaré qu’on pourrait autoriser des cultures de cellules, c’est-à-dire des clonages cellulaires. C’est-à-dire qu’à partir des cellules qu’on a prélevées chez l’embryon on fait des cultures et ces cultures sont des clonages cellulaires à partir de cellules qui ont été prélevées soit sur des embryons surnuméraires soit sur des clones embryonnaires. Il faut être méfiant quand on voit sur quoi portent les déclarations et les textes de loi, quant à l’intervention exacte à laquelle on a à faire.
Je ne parle pas du clonage reproductif qui est aujourd’hui l’objet d’une réprobation universelle, sauf pour quelques membres de sectes comme la secte raélienne, sauf pour ce « fameux » docteur Antinori qui a déclaré, il y a quelques jours, avoir fabriqué des clones embryonnaires ; affirmation sur laquelle on doit faire les plus grandes réserves car j’ai appris ce matin que Yann Wilmuth, le père, si j’ose dire, de Dolly avait dit « ça ne repose sur rien, c’est incontrôlable, je fais les plus grandes réserves sur ces déclarations d’Antinori ». Par conséquent, aujourd’hui, on n’a pas encore réalisé de clone humain. Ce pourrait cependant n’être qu’une question d’heures ou de mois.
Ce qui est très important à comprendre, c’est que le clonage humain, si on l’arrête à l’âge de huit jours, on peut le qualifier de “thérapeutique” mais ce n’est qu’un clonage reproductif interrompu. Que peut-on faire à partir de ce clonage ? Les expériences des biologistes en biologie animale, des gens qui ont fait du clonage en biologie animale nous mettent en garde. On pourrait s’attendre à ce que ces biologistes nous disent : ça marche, vous pouvez entreprendre la même chose chez l’homme. Or il se trouve que les ténors de la recherche sur le clonage animal ne sont pas du tout favorables au clonage humain. Lors d’une réunion à Washington, le 7 août 2001, qui a été rapportée par “Le Monde” du 28 août de la même année, Rudolf Jaenish, professeur au Massachusset’s Institute of Technology et chercheur d’un Institut a expliqué d’une manière détaillée que le problème majeur du clonage « dépend de phénomènes qu’on ne maîtrise pas. Les échecs dans la reproduction des animaux par clonage ne se comptent pas et l’expérience que nous avons avec le clonage animal nous permet de prédire avec un haut degré de certitude que peu d’humains clonés survivraient à une naissance et ceux qui y parviendraient seraient anormaux. »
Comment imaginer que des êtres humains, qui, s’ils devaient voir le jour, auraient toutes chances d’être anormaux, puissent, si leur vie a été interrompue à l’âge de huit jours, fournir des cellules utilisables ? Comment espérer que ces cellules qui ont toutes les chances d’êtres porteuses d’anomalies lourdes soient en mesure d’améliorer le cerveau d’un homme malade ? On va vers des catastrophes ! Et Yann Wilmuth l’a dit, et on ne compte plus les déclarations des biologistes qui travaillent sur le clonage animal et qui supplient : « surtout, ne le faites pas chez l’homme ! » Si le but du clonage thérapeutique est réellement l’amélioration de la santé des gens, il semble peu raisonnable d’utiliser les cellules de sujets humains affectés de multiples anomalies.
Restant sur le point de vue biologique, retenons
1/ que la thérapie cellulaire est actuellement à un stade embryonnaire ;
2/ que l’utilisation des cellules-souches embryonnaires à des fins thérapeutiques ne repose actuellement sur aucune expérience ; non seulement on n’a pas de certitude que cela puisse marcher mais on a de bonnes raisons de penser que cela ne marcherait pas. Est-ce qu’il y a vraiment urgence à exploiter l’embryon humain ? Restent les cellules-souches adultes. Nous savons que les équipes sont suffisamment actives dans ce domaine. Point n’est besoin de les stimuler mais peut-être faudrait-il faire un effort financier pour les aider. Certes la thérapie cellulaire ne repose encore que sur des bases fragiles, mais si nous en attendons des perspectives favorables, c’est indéniablement vers l’utilisation des cellules-souches adultes qu’il faut s’orienter. Ne nous attendons pourtant pas à voir, dans un avenir très proche transformer l’avenir de la maladie de Parkinson ou d’Alsheimer.
Ainsi, nous vivons d’anticipations que nos législateurs ont prises au mot et ont accueillies comme une réalité et qui les ont amenés à modifier la loi en faveur de l’expérimentation sur l’embryon… On comprend que les législateurs aient été sensibles aux appels qui ont été lancés par la plupart des corps constitués. Au plaidoyer du Professeur Frydman pour la recherche sur l’embryon s’ajoutent les rapports de l’Académie de médecine, de l’Ordre des médecins, du Conseil d’État, du Comité national d’éthique, etc.
Les cliniciens ne sont pas les seuls à demander des recherches sur l’embryon car c’est aussi le vœu de Madame Nicole Le Douarin, Secrétaire perpétuelle de l’Académie des Sciences, qui estime, au nom de la science fondamentale, qu’il est indispensable d’expérimenter sur l’embryon pour faire progresser la connaissance sur la biologie humaine.
Il reste donc à ceux qui s’inquiètent de voir surgir des clones humains en chair et en os à reporter sans attendre leur attention et leur vigilance sur l’urgence du moment qui n’est pas celle du clonage dit reproductif mais celle de l’expérimentation sur l’embryon, surnuméraire ou non. C’est ce que la loi récemment votée en première lecture à l’Assemblée nationale autorise. Cette loi autorise aussi la création d’embryons humains pour la recherche « dans le cadre de la PMA ». La rédaction des articles, si elle ne permet pas le clonage, ne le pénalise cependant pas explicitement.
L’unique problème éthique
Vous attendez peut-être que je soulève des problèmes éthiques. Il n’y a pas “des” problèmes éthiques, il y a un seul problème éthique : l’embryon est-il un être humain ou doit-il être considéré comme tel ? S’il n’est pas un être humain, s’il ne doit pas être considéré comme tel, il n’y a pas d’objection majeure à l’utiliser pour essayer d’améliorer les thérapeutiques. Mais s’il est un être humain ou s’il doit être considéré comme tel, pratiquer des recherches qui aboutissent à sa destruction, ou l’utiliser comme moyen thérapeutique c’est enfreindre un principe fondamental qui gère la vie en société à savoir la « non exclusion d’une partie ». Transgresser ce principe serait un retour à une forme d’esclavage. C’est aussi de ne jamais utiliser un être humain comme moyen pour un autre être humain car chaque être humain a sa fin propre.
Je voudrais faire remarquer, à propos de ces problèmes éthiques, la formidable révolution qui s’est opérée il y a vingt ans et dont découlent tous les problèmes d’aujourd’hui. Jacques Testart l’a dénoncée dans une phrase lourde de sens : « L’externalisation de l’œuf humain, comprenez la mise à la disposition des biologistes de l’ovocyte féminin, la possibilité de créer sans la sexualité qui scelle l’alliance des sexes dans la parentalité sont des événements d’une importance gigantesque pour l’humanité. » Entendons-nous. Jacques Testart n’a aucune prétention de maîtriser l’éthique ni de moraliser. Il observe simplement que l’externalisation de l’œuf humain et la possibilité de créer sans la sexualité qui scelle l’alliance des sexes, c’est-à-dire la procréation artificielle par fécondation in vitro, est un événement aux conséquences considérables pour l’humanité. Comprenons que si les pratiques de l’assistance médicale à la procréation ont mis l’être humain à ses débuts à la portée des biologistes, cela n’a été possible que parce que des femmes ont mis leurs ovocytes, ces gamètes infiniment précieux, entre les mains des biologistes. C’était leur livrer les clés de la procréation. Les conséquences en sont incalculables. En voici quelques exemples. Désormais, l’embryon humain est à la portée des chercheurs. La première demande vient des couples inféconds. On a inventé la procréation in vitro ; or, cela ne marche pas bien. Cela appelle des recherches pour améliorer les techniques de PMA, pour enrichir nos connaissances sur le développement de l’être humain. Dans un deuxième temps, cela ouvre des horizons sur des thérapeutiques nouvelles ; cela ouvre la voie à l’obtention de brevets dont on dit déplorer que la France soit si peu productrice. Il y aurait beaucoup à dire sur cet aspect économique de la recherche. Ces perspectives sont autant de motifs de pression sur le législateur.
Or la grande question, pourrait-on dire la seule, est la suivante : « Peut-on dans des circonstances exceptionnelles et pour des motifs graves enfreindre l’interdit fondamental “Tu ne tueras pas” ? » Et d’abord, « Faut-il considérer l’embryon humain dès la fécondation comme un être humain à part entière ? » Cette question clé commande toutes les autres.
Mais la transgression est à la mode et elle recrute des chantres dans différents milieux. Le meilleur moyen de se laisser convaincre est de prétendre que l’embryon n’est pas un être humain ou qu’il ne l’est que partiellement.
On invoque aussi la théorie du moindre mal. Je voudrais pour conclure citer Philippe Caspar : « En organisant la transgression des interdits, l’éthique du moindre mal consacre un enfermement de la conscience dans une logique de vie où elle est acculée à choisir des maux eux-mêmes générateurs d’autres maux. Elle n’éveille pas la conscience à une prise de conscience de ce qui se noue, se conditionne, se catalyse dans l’existence. » Tentant de maintenir la barre, l’Église catholique donne la consigne de traiter l’embryon comme une personne humaine mais, depuis la loi Veil, une brèche s’est ouverte et la transgression s’est installée. A ceux qui sont tentés au nom d’une compassion mal comprise de reconnaître les lois de cette transgression il est important de montrer que les motifs invoqués sont de mauvaise qualité. La thérapie cellulaire est loin d’avoir fait ses preuves et le clonage n’est encore qu’un rêve dont, s’il se réalise, il ne faut attendre aucun bienfait plausible.
ECHANGE DE VUES
Le Président : L’attention à vos propos était telle que j’ai pensé, un moment, au fameux tableau de Rembrandt, au Ryck Museum d’Amsterdam, “La leçon d’anatomie”. Nous étions tous à vous écouter avec la même attention passionnée aux propos du maître ; à cette différence près : la « leçon d’anatomie » est donnée autour d’un corps humain alors que l’embryon est difficile à voir.
Janine Chanteur : Je vous remercie beaucoup pour l’ensemble de cette conférence avec laquelle je suis évidemment en accord. Je voudrais simplement faire quelques remarques.
En France et dans le monde, il n’y a pas de véritable statut de l’embryon pour le moment. On n’a pas décidé encore s’il s’agit d’un être humain ou non et on commence à légiférer sur ce qu’on ignore : n’est-ce pas incohérent ?.
Je suis frappée par le fait que l’embryon se congèle et survit à la congélation tandis que le fœtus ne survit pas à la congélation et nous ne survivrions pas non plus. Est-ce qu’on doit voir là une différence radicale dans le processus d’humanisation cellulaire ? Je pose la question, je n’en sais rien. Je vois simplement une différence entre le stade embryonnaire et le stade fœtal.
Vous nous avez dit que nous vivions d’anticipations. N’est-ce pas fatal ? Si la science n’anticipait pas, elle ne se ferait pas. Ce n’est pas sur ce point que l’on peut porter un jugement éthique sur la science. Vous nous avez remarquablement montré que les cellules-souches adultes sont peut-être – mais encore faut-il que l’expérimentation se fasse – la voie de l’avenir parce que, précisément, elles ne contredisent aucune loi éthique. Alors pourquoi, en effet, ne pas faire porter tous les efforts sur ces techniques-là ?
En ce qui concerne l’embryon, on nous a parlé (et il ne faut surtout pas tomber dans ce piège, me semble-t-il) de solidarité. Qu’est-ce que la solidarité d’un embryon avec les humains qu’il serait censé guérir, alors qu’il ne peut rien dire, qu’il est entièrement un objet entre les mains de l’expérimentateur ? Il faut surtout, lorsqu’on entend parler de solidarité dans l’espèce humaine entre l’embryon et le patient refuser une pareille mauvaise raison et je dirai même une raison qui est odieuse. D’autant plus, vous l’avez remarqué, que l’animal risque d’être mieux protégé que l’embryon.
Alors il me semble qu’il faudrait remettre l’accent sur la différence fondamentale qu’il y a entre l’homme et l’animal. Il faudrait véritablement nous attacher à redémontrer cette différence, sans oublier que l’homme est aussi animal mais qu’il n’est pas seulement animal et réaffirmer cette différence de façon telle que les groupes de pression ne fassent pas autorité comme ils le font maintenant.
Mgr Bernard Dupire : A la suite des propos de Madame Chanteur sur la protection des embryons humains, ne devrait-on pas inciter les Mouvements qui militent, à juste titre, pour la protection des animaux, à inclure dans leur combat la protection des « petits d’hommes » !…
Henri Lafont : Le fait que l’embryon soit congelable et pas le fœtus ou pas le vieillard que je suis, on ne peut pas dire que ce soit une césure dans le rythme de la vie. Il y a des cellules comme l’ovocyte qui ne se congèlent pas ; le spermatozoïde, très bien. Cela veut dire simplement, qu’il y a un degré d’évolution. Un enfant de trois mois ne marche pas, à un an il marche. On pourrait énumérer des quantités de situations qui sont supportées à un certain âge et pas à un autre. Je ne crois pas que ce soit un argument pour dire qu’il y a un changement de nature.
Je vous remercie d’avoir souligné que l’anticipation en matière de sciences n’est pas forcément une mauvaise chose. Ce n’est pas au savant que l’on peut reprocher de faire de l’anticipation. C’est à la presse et aux politiciens et à ceux qui veulent faire de l’argent avec n’importe quoi. C’est là-dessus qu’il faut insister. Bien sûr le scientifique anticipe ; mais parce qu’il dit : cela pourrait faire ci, cela pourrait faire cela … Le journaliste qui passe dans les parages dit : il va se passer des choses extraordinaires ; il amplifie et déforme ce qu’a dit le biologiste.
Quant à la solidarité de l’embryon, je suis d’accord.
L’animal mieux protégé que l’homme. Je ne pense pas que la Société protectrice des animaux se soucie de l’avenir des embryons. Ce que je sais c’est que les humains, eux, se préoccupent de nous démontrer que l’homme n’est qu’un animal. En définitive on assiste plus à une animalisation de l’homme qu’à une humanisation de l’animal. C’est la tendance actuelle car, parmi les choses que l’on observe, c’est que ces innovations, qu’il s’agisse de l’insémination artificielle, de la procréation in vitro, ce sont des techniques qui se sont développées chez l’animal parce qu’on en espérait une rentabilité et qu’on a adaptées à l’homme secondairement pour satisfaire des désirs qui ne sont pas seulement des caprices mais qui ont été satisfaits sans penser à toutes les conséquences que cela pouvait avoir.
Georges-Albert Salvan : Je suis journaliste et je vais vous répéter la question que j’ai posée, il y a vingt-cinq ans, au Père Jérôme Hamer qui était secrétaire du Saint-Office, futur Cardinal. La France s’apprêtait à voter la loi Veil. J’étais à l’époque correspondant de l’AFP au Vatican et le Saint-Siège avait convoqué une Conférence de presse présidée par le Père Hamer. Innocemment, je lui ai demandé si on n’était pas un peu sur le chemin des lois nazies de Nuremberg. Le père Hamer a été surpris, il a fait une réponse ambiguë qui n’était ni oui, ni non mais plutôt oui que non. Cette réponse a déclenché un débat homérique à la Chambre des députés de Paris et Madame Veil, en pleurs, comme argument a soulevé sa manche et a montré son numéro de matricule de camp de concentration. L’affaire était réglée. Je vous pose aujourd’hui la même question.
Henri Lafont : Le tribunal de Nuremberg a condamné explicitement toute exploitation de l’homme par l’homme. Nous le rejoignons, parce que, d’une part, l’éthique nationale-socialiste était une éthique qui ne regardait pas aux moyens. Leur eugénique était une eugénique sans freins, capable de détruire l’être humain pour des motifs de toutes sortes, donc qui a introduit des discriminations entre les hommes. C’est pour cela que j’y reviens, parce que autant Hitler avait fait des lois scandaleuses, autant Nuremberg avait réagi explicitement contre ces lois. Nous sommes toujours concernés par la condamnation du tribunal de Nuremberg.
On ne va pas trop s’engager sur l’eugénisme parce que je me sens un peu hérétique vis-à-vis de certains de mes amis, en ce sens que je pense qu’il est sain de vouloir engendrer des enfants en bonne santé et de disposer d’une population de bonne qualité. Ce qui n’est pas bon, c’est d’éliminer des êtres humains pour des raisons de non conformité à une norme définie comme la seule acceptable ou de détruire des êtres humains pour servir aux autres. On faisait du savon avec la graisse des déportés…
Gabriel Blancher : J’ai été très intéressé par l’exposé du Docteur Lafont et je voudrais lui poser une question sur un point particulier : un embryon obtenu par clonage, c’est-à-dire par transfert intyra-ovocytaire d’un noyau somatique, doit-il avoir, puisqu’il pourrait devenir un jour un être humain, le même statut qu’un embryon obtenu par les méthodes habituelles ?
Henri Lafont : C’est évidemment la question que tout le monde pose : le clone embryonnaire est-il un être humain ?
La question est posée par certains philosophes : est-ce que ce qui caractérise l’être humain c’est d’avoir été procréé par l’union des gamètes ? Autrement dit, quand il n’y a pas union des gamètes, y a-t-il véritablement un être humain ? La réponse ne peut être donnée avec une certitude totale que si l’on voit quel est le produit, quel est le fruit. Si l’on n‘avait pas eu Dolly, on pourrait discuter indéfiniment. Maintenant qu’on a Dolly, des souris, des veaux (pas de chats, les chats se prêtent mal au clonage) et même des lapins, on voit bien que ce sont des lapins, des souris, des veaux ; par conséquent il n’y a aucune raison de penser que, dans l’espèce humaine, ce ne serait pas un homme. On le sait puisqu’on a vu Dolly.
D’après le Comité Consultatif national d’Éthique, l’embryon est un être humain potentiel, une personne humaine potentielle.
Nicolas Aumonier : C’est juste une question de fait, de précision, parce que votre exposé était vraiment très clair ;
Comment estimez-vous, quantitativement, l’expérimentation actuelle sur les embryons surnuméraires ? Elle est illégale, mais elle doit certainement exister de fait. D’après les bruits de couloir, est-il possible d’avoir une idée du nombre d’expérimentations qui sont conduites ? Car il est évident que si cette pratique, même illégale, existe largement de fait, cela créera un lobby très fort en faveur d’une légalisation de ce type d’expérimentation. Donc : quel est le fait actuel ?
Henri Lafont : Je ne peux pas vous répondre parce qu’il n’y a pas de publication ; et de ce fait, on est obligé de se contenter de « on-dit », de bruits de couloir. On n’a aucun élément quantitatif.
Un élément positif pour dire “ça se fait”, c’est ce qu’a écrit Friedmann, tout à fait impunément, dans son livre (Dieu, la médecine et l’embryon) : « si nous n’avions pas expérimenté sur les embryons, si nous n’avions pas créé des embryons pour la recherche, nous n’en serions pas au point où nous en sommes ». Par conséquent, il l’a fait. Donc ça s‘est fait, cela se fait et si on insiste tellement pour demander la légalisation c’est précisément par crainte de l’intervention de la justice, et bien qu’il n’y ait pas eu de poursuites engagées contre ceux qui font ce qui est actuellement interdit.
Cela dit, le lobbying que vous évoquez, en faveur de cette recherche, est particulièrement animé par les politiques qui, à travers cette recherche, espèrent engranger les bénéfices de brevets qui actuellement manquent terriblement à la France. Cette recherche sur l’embryon, sur les cellules embryonnaires est interdite en France et ne permet pas de créer de brevets. C’est, probablement, une des raisons les plus importantes pour expliquer cet acharnement des pouvoirs publics à promouvoir la recherche embryonnaire…Les collections de cellules sont brevetables.
Jacques Hindermeyer :Merci, cher ami, d’avoir traité ce sujet si controversé. Ayant lu de nombreux ouvrages, je ne peux que conclure : « il faut respecter l’embryon », comme le fait le Père Krieg, en réponse au Professeur Sureau qui veut « relativiser le respect » et au Professeur Axel Khan qui prétend que « l’embryon, c’est une potentialité ».
Or, la rencontre des deux cellules de la reproduction va donner un être humain, entièrement programmé dès la fécondation. Que dire de plus ?
Mgr René Coste : Je vous félicite pour votre exposé, très compétent. Je suis tout à fait d’accord avec votre façon de poser le problème éthique. Il est vraiment celui que vous posez, sur la base de l’axiome que l’embryon doit être considéré comme un être humain.
Je voudrais simplement rappeler un des éléments du débat, que vous connaissez bien, mais qui n’a pas encore été évoqué ici : le fait qu’un certain nombre de chrétiens ne sont pas d’accord avec cet axiome fondamental ou que du moins ils y apportent de fortes nuances. Ils reprochent à cette conception d’être matérialiste en arguant qu’elle retient uniquement la prise en compte de réalités matérielles. Bien entendu, il s’agit de cellules vivantes dotées d’une prodigieuse potentialité (c’est évident, surtout avec la génétique) mais, à leurs yeux, elles n’impliquent pas automatiquement « l’humanisation ».
Celle-ci vient de la reconnaissance, par les parents, de cet être qui commence à se développer. C’est, du moins, leur point de vue. Pour eux, ce sont les relations humaines – et non pas le matériel pur – qui fondent l’humanité d’un être.
Cette positon a été soutenue, à l’époque de la loi Veil, dans un article publié par la revue des jésuites Les Études. C’est la thèse soutenue par la plupart des personnes qui sont en faveur de l’avortement. Il est donc important de la rappeler et d’en instaurer la critique.
Henri Lafont : Je vous remercie beaucoup, mon Père, d’avoir précisé ces choses-là.
Il y a une implication à ce que vous dites dans la considération que l’on donne aujourd’hui à l’embryon selon qu’il est ou non revêtu du projet parental, c’est-à-dire que, comme le dit Friedmann, « si cet embryon n’est pas recouvert d’un projet parental sa mère ne s’intéresse pas à lui, pour moi c’est un amas de cellules. » Il l’a écrit aussi clairement que cela.
Est-ce que la nature d’un être change selon la façon dont je le regarde ? Est-ce que ce vers devient un crapaud parce que, par une hallucination, j’y vois un crapaud ?
Jacques Hindermeyer : Existe-t-il, au Vatican, un laboratoire, crée à l’instigation du Saint Père, pour étudier les cellules-souches ? question de première importance, car on trouve des cellules-souches dans le cordon ombilical et pas seulement chez l’embryon.
Henri Lafont : C’est tout à fait exact, il y a au Vatican un laboratoire qui est spécialisé dans le recueil des cellules-souches cordonales, c’est-à-dire du cordon.
Pour le cordon, c’est très particulier parce que, si vous recueillez le sang du cordon à la naissance, il y a dans ce sang du nouveau-né une grande quantité de cellules-souches. À quoi peuvent servir ces cellules-souches ? À personne d’autre qu’à l’embryon qui vient de naître. Que projette-t-on d’en faire ? On les congèle et on attend qu’il en ait besoin à trente, quarante, cinquante ans. C’est une opération rentable pour les gens qui réalisent un tel stockage de cellules cordonales. Il y a une exploitation financière potentielle considérable, en théorie. J’en ai eu vent par quelqu’un qui travaille dans une clinique dont les patrons sont tentés par ce projet. Mais ce n’est pas actuellement légal..
Francis Jacques : Merci, Docteur Lafont, d’avoir si clairement et si fortement distingué : les cultures cellulaires et embryonnaires, les divers clonages cellulaire, embryonnaire, thérapeutique, le clonage reproductif interrompu ou non. Je n’ai pas été étonné d’apprendre que le Vatican pousse de manière sectorielle à des expériences en laboratoire sur les cellules souches cordonales. Vous nous faites comprendre qu’en s’affinant le débat permet de ne pas trop gêner la recherche biomédicale ! Merci. Que désirer de plus ? Elargir et approfondir le débat.
On rencontre d’abord la question des propriétés de l’embryon : oui ou non est-il humain ? La terminologie de l’embryon comme simple amas de cellules est scientifiquement exacte, mais elle est très réductrice. En réalité le clonage cellulaire dans un but thérapeutique ne peut se faire sans qu’il y ait eu un clonage reproductif pour créer un embryon auquel on prendra ses cellules souches. Il n’y a pas d’alternative. Le clonage reproductif mène à la naissance d’un enfant génétiquement identique au génome de départ ; il consiste aussi à faire un zygote qui va devenir un blastocyte sur lequel on prélève les cellules. C’est la mort d’un petit embryon. On autorise l’expérimentation sur des embryons « surnuméraires » qui « ne font plus l’objet d’un projet parental »(sic). Ce langage exquis prépare leur utilisation comme un matériau biologique inerte. Seriez-vous d’accord avec moi pour noter que la terminologie adoptée est plutôt neutralisée, comme aseptisée (on parle de « pré-embryon », de « personne potentielle », de transfert de cellules somatiques au lieu de clonage cellulaire, de cellules de scission d’embryon au lieu de clonage en début d’évolution, de cellules pluri-potentes au lieu de cellules embryonnaires). Elle compose certains scrupules avec l’hégémonie de fait des sciences positives. Quelque chose se masque, se dilue, se relativise, qui pourrait bien être la valeur ontologique de la vie.
Quid ensuite de la question de définir l’embryon ? Les problématiques que vous avez évoquées de l’humanisation éventuelle, de la couverture parentale, ne dissimulent pas l’enjeu du débat. Il est indispensable, à mon sens, de confronter plusieurs expertises, de plusieurs disciplines, et surtout de plusieurs modalités de la pensée. Ni la philosophie ni la théologie ne sont forcloses. En philosophie, on a toujours considéré que les rapports entre l’éthique et la vie étaient problématiques. Chez Kant, pour la raison que vous donniez tout à l’heure, chez Bergson et Nietzsche plus encore. L’anthropologie philosophique en fait un sujet personnel, alors que l’anthropologie scientifique — des sciences du génome aux sciences de la cognition — en fait un objet ; Et l’anthropologie théologique ? Elle tient l’homme pour une créature. Si nous ne voulons pas avoir des définitions unilatérales, des problématiques, des catégories unilatérales, il faut s’en souvenir. Ces trois groupes ne devraient-ils pas se parler sans arrogance, sans attendre de posséder un système commun de présupposés ? Leurs conceptions montrent une différence féconde : c’est tantôt l’homme, tantôt Dieu qui est considéré comme le maître de la vie.
J’ose ici rappeler l’existence d’une théologie de la Création et de « réflexions chrétiennes ». La place qu’on fait au Dieu vivant, dans le débat éthique, trahit la place qu’on lui laisse dans la Création (qui n’est pas la nôtre mais la sienne), et dans notre vie. La transcendance du Dieu d’Abraham et de Jésus est là justement pour porter la garantie ontologique de ce qu’est l’embryon, indépendamment de la couverture parentale. Déjà, quand on a dit tout à l’heure que l’embryon naît de l’union de deux gamètes, j’ai pensé qu’il naît aussi de l’amour des parents. L’embryon existe en tant qu’être comme le fruit de l’amour des parents, sa bénédiction. Est-ce une remarque anthropologique ou théologique ? Disons « d’anthropologie – théologique ».
Le caractère problématique des rapports entre l’éthique et la vie demeure en bio-éthique, avec son superbe trait d’union au centre du mot. Le supprimer ne contribuerait qu’à masquer le problème ou à l’évacuer cyniquement. Je consultais les Actes de la 5ème session du Comité international de bioéthique (1998) : les notices privilégient l’appartenance institutionnelle ; le programme supposait acquis rien de moins que le statut de l’éthique et de la bio-éthique. Or, « les aventures présentes de la biologie et de ses applications ne se réclament d’aucun système de valeurs particulières ». Ce n’est pas moi qui le dit mais François Gros dans L’ingénierie du vivant.
Mais ici qui va en décider ? Notre questionnement s’approfondit, encore cette fois, d’une question de principe, préjudicielle. Est-ce que ce sera la majorité ? Une simple réflexion conceptuelle aussi fine que l’on voudra ? Qui décide et délibère de la factualité en bio-éthique ? Sont-ce uniquement les techniciens biologistes ? Les praticiens de la médecine, les juristes ? Comme la proportion des scientifiques au sein des comités les fait juges et parties, ils tirent argument de législations plus libérales à l’étranger. Les philosophes moralistes et les spécialistes de théologie morale sont-ils présents, indépendants et courageux ? La question fait sourire.
On aboutit à abandonner la seule et véritable résistance aux religions traditionnelles, ainsi réduites à la défensive et à l’impopularité. Comme leur mode de catégorisation du réel n’est pas pris en compte, elles sont vite accusées d’obscurantisme. Dieu marginalisé serait-il devenu un gêneur ? L’Eglise n’est pas là pour s’opposer à l’avancée de la science. Mais il y a un consensus ecclésial que, dès la fécondation, existe un être qui est un être humain, non pas une personne potentielle, ce qui impliquerait un non-être mais une personne en évolution. Dès la fécondation est conçu un être unique, porteur de l’image de Dieu, appelé dans une perspective d’éternité à devenir fils adoptif du Père. Sur ce point certaines affirmations sont conciliables des anthropologies philosophique et théologique, pourtant écartées du ‘débat’.
On pouvait espérer que les comités de bio-éthique s’attacheraient à contrôler la fuite en avant des techno-sciences. Il faut se rendre à l’évidence : leur efficacité, malgré la probité de beaucoup de leurs membres, diminue régulièrement. Les moratoires et les pauses recommandées dans la recherche ont fait long feu. Leur vrai rôle était-il d’acclimater les esprits, de les préparer aux capitulations à venir, de freiner la technologie jusqu’à une vitesse acceptable par le public ? Que vous en semble, Docteur Lafont ?
Ce n’est pas le moment d’appauvrir le débat, au moins dans notre belle Académie. Mais de le garder multi-centrique et dialogal, sans attendre qu’on se demande de plus en plus faiblement où va la logique de la main-mise de l’homme sur la vie. Je salue votre souci de structurer le débat d’un point de vue éthique, sans du tout le réduire à la déontologie médicale. De mon côté, je ne pouvais faire moins que d’accentuer les perspectives ontologique et théologique. Ce n’est que justice de les réintroduire, sans leur arracher le désaveu de ce qui constitue leur profondeur respective.
Henri Lafont : Je vous remercie beaucoup de votre intervention parce qu’elle est passionnante, elle justifierait à elle seule une rencontre. C’est tout un monde que vous évoquez.
Michel Berger : Vous savez que je trouve votre exposé parfaitement clair.
Je pense que c’est volontairement que vous n’avez par introduit de distinction entre être humain et personne. Il a été rappelé que l’embryon devait être considéré comme un être humain. Personne ne met en cause cette affirmation. Il n’y a pas un seul biologiste qui mette en cause que l’embryon doive être considéré comme être humain. Ce que Jean-Paul II écrit dans Evangelium vitæ c’est que l’embryon doit être considéré comme une personne. C’est à mon sens le problème que l’on ne peut pas éluder parce que le Conseil constitutionnel, par sa décision de juillet 1994, nous impose cette réflexion.
Henri Lafont : Je vous remercie beaucoup, j’aurais pu faire moi-même cette précision.
Il faudrait se demander si un être humain peut ne pas être une personne ? Ceci dit, j’aurais dû citer plus exactement : « comme une personne humaine » et non comme un être humain.