Par le Père Paul Valadier, Professeur à la Faculté Jésuite de Paris
Il convient tout d’abord de s’interroger sur la pertinence de l’expression “culture de mort”. A en faire un usage non critique, on s’expose à en rajouter sur le nihilisme ambiant. Or, c’est justement ce nihilisme qui peut être considéré comme le fléau essentiel de l’époque. On doit se situer par rapport à lui, et donc le définir pour introduire à son juste niveau une réponse chrétienne, en évitant de contribuer au pessimisme dominant.
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Le Président : Nous sommes heureux d’accueillir le Père Valadier pour la cinquième communication sur le thème que nous avons choisi pour cette année académique. Nous avons déjà parcouru la moitié du chemin. Au risque de paraître caricatural, je dirai que cet état des lieux – cette réflexion sur un monde sans Dieu que nous avons jusqu’à présent effectuée – risquait de nous laisser une impression de pessimisme, de noirceur. En accueillant le Père Valadier, nous entrons sans doute dans une phase plus positive, vers plus d’Espérance.
Mais je ne suis pas là pour en traiter. Il me suffit de vous remercier d’être venu et de remercier Janine Chanteur qui, après d’autres, a accepté de présenter le Père Valadier.
Janine Chanteur : C’est en effet une grande joie pour nous, aujourd’hui, de vous recevoir, Mon Père. Mais faut-il vous présenter ?
Parmi nous, beaucoup connaissent votre œuvre, vous vous en doutez. Je rappellerai brièvement qu’après de brillantes études en philosophie et en théologie, vous avez obtenu le doctorat d’État ès Sciences humaines et le doctorat en Théologie, deux titres prestigieux.
Entré à la Compagnie de Jésus, vous avez été ordonné prêtre en 1965. Votre carrière est éloquente : professeur puis doyen de la faculté de la Compagnie de Jésus au Centre Sèvres, à Paris, vous avez enseigné aussi à l’Institut catholique de Paris et à celui de Lyon et à l’Institut d’Études politiques de Paris. Actuellement, vous êtes professeur de philosophie au Centre Sèvres. Vous organisez également des colloques et vous m’avez fait l’honneur de me demander de participer à votre dernier colloque sur la question « Y a-t-il un propre de l’homme ? ». En même temps, vous avez écrit une bonne quinzaine d’ouvrages qui, tous, ont retenu l’attention. Débats, admiration, voire polémique, vous n’avez laissé personne indifférent. Votre dernier livre, à la fois synthèse de votre pensée et ouverture à de nouvelles recherches, date de mars 2002.
À travers vos écrits, vous témoignez d’un intérêt constant porté au monde d’aujourd’hui, celui en qui nous sommes appelés à vivre et, nous l’espérons, à faire notre Salut. Mais ce monde manque à l’évidence de repères. Quand vous vous faites historien de la philosophie, c’est pour mieux le comprendre. Qu’il s’agisse de vos ouvrages consacrés à Nietzsche, quatre je crois ; qu’il s’agisse de celui consacré à Machiavel ou de ceux qui traitent plus directement de morale, j’en ai lu huit, vous développez les thèmes que vous abordez en référence à la dignité de l’homme. Mais vous ne vous contentez pas du mot. Vous éclairez ce concept tout au long de votre œuvre et vous le définissez très clairement dans « Morale en désordre », votre dernier ouvrage. Voilà qui est contraire à la plupart des discours qui s’emparent du mot “dignité” sans jamais arriver à le conceptualiser en l’ancrant dans un monde concret, actuel, le monde de la vie quotidienne, de la vie morale, de la vie sociale, de la vie politique.
Dans ce monde, la question « Que dois-je faire ? » est d’autant plus pressante que la réponse hésite à se construire entre des orientations diverses, voire opposées. Les philosophies, cet hybride aux yeux de caméléon qu’on appelle l’opinion soumise à des mœurs qui ont échappé à l’universalité et même l’ultime recours à Dieu, sont devenues aujourd’hui, vous le constatez, de simples propositions, une foire aux possibles, où chacun fait le marché qui lui convient.
À ce constat pessimiste, vous opposez sinon un optimisme assuré du moins une réflexion résolue qui renvoie dos à dos le « conformisme libertaire » et le « passéisme communautariste » chers à beaucoup de nos contemporains qui ne réfléchissent plus qu’à partir de ces philosophies actuelles. Ce n’est pas chez vous l’effet d’une dogmatique toute prête, c’est le fruit d’une recherche à partir des Écritures dont le message est tout entier de vie et d’espérance, pour vous, pour nous, et pour qui sait l’entendre au moment de l’histoire qui est le sien. Vivre les Écritures dans la vie que nous menons hic et nunc.
Pour vous, philosophe et théologien, qui pensez comme on dit « en situation », la solution ne saurait se trouver dans un relativisme, confortable aussi bien pour la pensée que pour l’action. Elle est plutôt dans cette recherche inlassable, toujours vivante aujourd’hui et maintenant et dont vous démontrez la nécessité que notre liberté va ouvrir à l’avenir. On comprend alors l’affinité entre votre pensée et celle de Nietzsche par exemple, ou de Machiavel. L’énergie qui tend vers le surhumain – le surhumain nietzschéen – est loin d’être une orgueilleuse affirmation de soi. Elle nous tire au contraire hors du nihilisme, ce sommeil de violence et de mort qui transforme nos sciences en explications définitives, propres à justifier nos mœurs au mépris de notre humanité ou qui établit nos désirs successifs en critères de notre conduite.
Chez Machiavel, si vous appréciez le réalisme, vous étudiez ce que vous appelez la fragilité du politique qui, laissé à lui-même, ne trouve sa légitimation que dans le succès dont Machiavel connaît, lui aussi, la précarité.
Ce soir, face à la culture de mort, vous allez nous parler de l’actualité de la réponse chrétienne. Philosophe, moraliste, théologien, mon Père, nous vous remercions d’être venu nous éclairer en nous conviant à entendre la parole de résurrection que vous rappelez à la dernière page de Morale en désordre « Lève-toi et marche » dont vous dites que vous voudriez être « le relais contre les sirènes de la volonté du néant ».
Père Paul Valadier : Je vous remercie infiniment, Madame, pour cette présentation certainement beaucoup trop flatteuse, mais qui me touche d’abord venant de vous et puis parce que si en effet j’ai écrit beaucoup de livres, je constate qu’ils tombent souvent dans un grand silence aussi bien dans l’Église que dans le monde universitaire. Constater que des esprits de la qualité du vôtre y trouvent intérêt me touche beaucoup. Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, je suis très heureux d’être devant vous ce soir et en même temps impressionné par le sujet que vous m’avez proposé et que j’ai peut-être naïvement ou témérairement accepté de traiter : « Face à la culture de mort, actualité de la réponse chrétienne ».
Il va de soi que sur un sujet pareil on ne peut que proposer quelques perspectives personnelles et qu’il n’y a évidemment dans ce domaine aucune affirmation qui puisse se donner ou passer pour définitive ; par conséquent, prenez ce que je vais déclarer comme une analyse, peut-être provisoire et en toute hypothèse soumise à vos questions, à vos remarques et à vos critiques.
L’expression de “culture de mort” a été utilisée, me semble-t-il, et peut-être forgée par le Pape Jean-Paul II d’abord dans son encyclique Evangelium vitæ en 1995 mais des recherches plus poussées et plus pointues montreraient peut-être que cette expression avait déjà été utilisée auparavant par lui. En tout cas, dans cette encyclique, il scande à deux ou trois reprises cette formule en l’opposant à une culture de vie qu’il appelle de ses vœux. Il s’agit à l’évidence d’une formule choc, qui bouscule, qui prend à revers, qui tient en éveil par rapport à la somnolence collective. On pourrait dire par conséquent que cette formule a quelque chose de prophétique dans la mesure où elle vient secouer une civilisation endormie. De ce point de vue là cette formule a le mérite, par le fait même qu’elle choque, d’éveiller et de nous interroger alors que souvent, autour de nous et peut-être nous-mêmes, nous pensons que les choses sont en place.
De ce point de vue, cette formule me rappelle un propos de Joseph de Maistre dans ses Considérations sur la France, au chapitre III. Il écrit : « La philosophie nous dit “tout est bien” (et il pensait à Condorcet, à la philosophie des Lumières) et nous voyons que tout est mal parce que rien n’est à sa place ». Je crois qu’il y a une filiation, sur laquelle je reviendrai peut-être tout à l’heure, entre Joseph de Maistre et le propos du Pape.
De la même façon, cette formule permet de se distancier de cette culture de mort pour proposer la réponse chrétienne et ce qui m’est donc proposé dans cette méditation est à la fois – du moins c’est ainsi que je l’ai compris – de m’interroger sur cette formule de “culture de mort” et d’essayer d’esquisser ce que peut-être une réponse ou la réponse chrétienne.
Je vais donc poser d’abord une première question : Qu’entendre par “culture de mort” ? Cette expression ne pose-t-elle pas un certain nombre de problèmes ? Dans un deuxième temps, j’essaierai de montrer la vérité de cette expression. Et dans un troisième temps, j’essaierai de proposer une ou la réponse chrétienne.
I – l’expression culture de mort
Il importe d’abord de s’interroger sur la pertinence de cette expression de “culture de mort”. Peut-on en totalité se rallier à ce qu’elle implique, pour autant qu’on puisse comprendre exactement de quoi il retourne ?
Je me demande d’abord s’il est tout à fait possible de caractériser globalement la civilisation moderne, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit, de manière aussi négative et en ces termes. Est-il possible d’identifier notre monde à un monde de mort ? Que veut-on dire au juste par cette formule ?
Il me semble qu’elle comporte un danger, celui d’aboutir à une condamnation, lourde, extrêmement grave, qui identifierait en sa totalité, dans tous ses éléments, une culture à la mort sans laisser de jeu ou de nuance dans le jugement et dans l’appréciation de cette culture. Or est-il possible, juste, et même sain, sous un angle philosophique et à plus forte raison sous un angle théologique ou chrétien, d’identifier le monde dans lequel nous sommes à la mort ? On peut se demander si cette formule ne serait pas précisément du nihilisme puisque, en un sens, elle peut laisser entendre que l’on identifie l’homme, l’homme moderne, à son impuissance, à ses échecs, à sa violence et donc qu’on l’identifie à la mort.
Je voudrais remarquer encore qu’en réalité cette formule choc est cohérente, du moins me semble-t-il, avec une certaine tradition théologique. On peut le faire apparaître sous trois aspects qui d’ailleurs rejoignent par certains côtés bien des traits de la théologie propre à Jean-Paul II.
Cette tradition postule d’abord une certaine lecture de l’histoire occidentale et par conséquent une lecture historico-philosophique de l’avènement de la modernité ou du monde moderne. En gros cette lecture – et on trouverait nombre de textes de Jean-Paul II qui vont dans ce sens et apporteraient des aliments à cette remarque – postule un premier moment, pour le Pape il s’agit du premier millénaire, qui représente une phase théocentrique où la civilisation se comprend dans son rapport à Dieu et dans la dépendance à Dieu.
Puis une rupture s’est opérée, que je n’analyse pas ici, et qui a provoqué un effacement de cette préférence théocentrique ; elle a abouti à la substitution d’un anthropocentrisme à ce théocentrisme ; ainsi l’homme moderne est-il censé s’être mis peu à peu à la place de Dieu, s’être substitué à Dieu ; les conséquences de cette substitution de l’anthropocentrisme au théocentrisme ne se font pas attendre, elles se produisent évidemment peu à peu, mais inévitablement elles font glisser la civilisation occidentale du côté de la décadence et elles aboutissent d’une certaine façon à sa propre mort, c’est-à-dire à l’incapacité de sortir de ses contradictions et des pièges dans lesquels elle s’est mise elle-même. Dans un grand nombre de textes de Jean-Paul II, il est tout à fait impressionnant de voir partant, en effet, du XIe siècle le développement de cette analyse de la modernité qui aboutit aux conséquences inéluctables qu’ont été les camps de la mort et le totalitarisme.
On peut se demander si le postulat qui est au départ de cette lecture est un postulat juste ou s’il s’agit d’une approche contestable. Y a-t-il jamais eu une civilisation européenne théocentrée et qu’est-ce que cela voudrait dire ? Est-il vrai que la civilisation occidentale actuelle est une civilisation anthropocentrique c’est-à-dire où l’homme se prétend le centre du monde et fait tourner le monde autour de lui ?
Ce qui paraît aussi contestable dans cette lecture c’est que finalement on aboutit à cantonner l’influence chrétienne sur un moment du passé. Il y aurait eu une période féconde, semble-t-il, qui fut la période théocentrique ; après quoi, pour des raisons diverses, qui tiennent d’ailleurs éventuellement aux incomplétudes, aux péchés des chrétiens eux-mêmes et de l’Église, le christianisme se trouve de plus en plus marginalisé et, d’une certaine façon, impuissant. Ce qui m’intrigue toujours dans cette lecture, qui se veut en général très agressive à l’égard du monde moderne, c’est qu’elle postule que depuis à peu près mille ans le christianisme a été réduit à l’impuissance et qu’il a assisté, démuni, à la montée de cet anthropocentrisme. Sans doute aujourd’hui, il peut d’une certaine façon prendre sa revanche en condamnant cette société et en l’identifiant à l’anthropocentrisme et d’une certaine façon à la mort. Mais ce qui me paraît tout à fait inquiétant, d’un point de vue théologique, c’est que ce discours postule un jugement très négatif sur l’influence du christianisme puisque cela laisse entendre que, pendant un millénaire, il a vu se déployer, sans qu’il y soit pour rien, une civilisation qui l ’a peu à peu marginalisée. Or on peut se demander si des philosophes comme Descartes n’étaient pas avant tout de bons chrétiens, s’ils ne voulaient pas démontrer, tout autant que Galilée ou Newton, la gloire de Dieu dans la Création, donc si la science moderne, loin de témoigner d’un anthropocentrisme critiquable, n’était pas aussi une façon de répondre à des exigences spirituelles et théologiques.
Un deuxième postulat me paraît discutable, car on peut craindre que la condamnation de la culture de mort ne contribue guère à proposer à l’homme moderne un message de vie. Assurément le jugement extrêmement sévère concernant le monde moderne vise à proposer à cet homme moderne le salut, c’est-à-dire l’Évangile et par conséquent la Foi chrétienne. La seule difficulté, c’est que pour proposer le salut on commence par identifier l’homme à son péché, et donc pour proposer la bonne nouvelle on commence par en donner une très mauvaise. On commence par identifier l’homme à sa mort pour lui proposer sa vie. Vieux et redoutable thème théologique. Il faut commencer par identifier le pécheur à son péché pour pouvoir lui proposer le Salut.Comme si Dieu avait besoin du péché pour pouvoir sauver l’homme. Il faut commencer par enfoncer l’homme dans son impuissance, dans son péché, dans son méfait, dans sa faiblesse pour pouvoir le sauver. On risque fort de travestir le Dieu d’Amour, qui ne désespère jamais de sa créature, en un Dieu de condamnation et nous savons les séquelles spirituelles, psychologiques de ce discours qui pourrait se parer d’une ascendance augustinienne, et qui n’a pas manqué d’entretenir chez beaucoup une pente forte à l’athéisme…
On aboutit à penser Dieu comme un rival de l’homme, puisque lorsque l’homme s’affirme, prend conscience de ses pouvoirs, à travers la raison, la science, la démocratie, les droits de l’homme, on en conclut qu’il ne peut s’affirmer que contre Dieu.
Cette perspective est-elle en tous points vraiment fidèle au message chrétien ? Où est ici ce que dans la liturgie catholique on appelle l’admirabile commercium entre Dieu et l’homme en Jésus-Christ ; car la perspective chrétienne de l’Incarnation passe par un abaissement de Dieu pour grandir l’homme, et nullement par une mauvaise rivalité comme si Dieu était d’autant plus reconnu que l’homme était abaissé. C’est au contraire à travers le visage d’un homme, que Dieu épouse l’humanité pour l’élever jusqu’à lui. Autrement dit, l’Incarnation implique que Dieu, comme tout père d’ailleurs, est heureux lorsque ses fils et ses filles prennent conscience de leur pouvoir, de leurs possibilités, et, grâce à Lui, essaient de mettre un monde qui soit à peu près sur ses pieds.
Rivalité d’autant plus dangereuse qu’elle alimente très clairement l’athéisme : si Dieu est jaloux de sa créature, comment celle-ci pourrait-elle reconnaître en lui un Père ? C’est pourquoi d’ailleurs cette tradition théologique précise a des connivences fortes entre un certain athéisme puisqu’elle a les mêmes postulats intellectuels de base. Ce n’est pas pour rien que tout à l’heure j’ai fait allusion à Joseph de Maistre ; car le traditionalisme de Joseph de Maistre est exactement dans cette perspective.
Le dernier point qui me fait difficulté, c’est de poser l’Église en redresseur de tors, en condamnatrice plus qu’en porteuse d’espérance ou de dialogue. Si, effectivement, la civilisation dans laquelle nous sommes est identifiée à la mort, discute-t-on avec une culture de mort ? On la condamne, on lui fait comprendre ses impasses ; l’Église peut alors se situer en porteuse de la vie face à quelqu’un qui n’est porteur que de la mort. Elle se prévaut d’être détentrice de la vie et de la vérité puisqu’en face d’elle, il n’y a qu’une réalité de mort.
II – La vérité de cette expression
Il faut aussi reconnaître, malgré les difficultés que je viens d’énoncer, la vérité de cette expression. Et telle est la seconde partie de mon exposé. Car il est parfaitement vrai, et cette formule a le mérite de le souligner, que toute culture humaine comprise comme l’ensemble des institutions que l’homme se donne, l’art, la politique, en passant par les sciences, est évidemment porteuse de germes de mort. Freud a écrit Das Unbehagen in der Kultur, “Malaise dans la Civilisation”, qui illustre parfaitement cette dualité de pulsions, en tout individu d’abord et selon lui même en toute Kultur, dualité des tensions entre des pulsions de vie et des pulsions de mort.
Il serait bien étrange en effet d’affirmer que la civilisation occidentale ne connaît aucune pulsion de mort. La formule dans sa vigueur oblige à prendre conscience des pulsions de mort présentes aussi dans notre culture sous des apparences souvent flamboyantes.
On peut évidemment se poser la question de savoir si notre culture, la culture présente, comporte plus de pulsions de mort que d’autres ou non. Je veux bien croire que le premier millénaire était admirable parce que théocentrique. De là à croire qu’au VIIIe siècle il n’y avait pas de pulsions de mort dans la société européenne, j’hésite un peu. Quand on voit les polémiques qui ont opposé l’Orient et l’Occident avant la rupture, politiques aussi bien que théologiques, on a du mal à imaginer qu’il n’y avait pas de pulsion de mort. D’ailleurs aucune culture ne peut être vivante, comme aucun individu n’est vivant, s’il ne connaît des pulsions de mort en lutte avec des pulsions de vie.
Mais on peut poser la question parfaitement légitime et brûlante de savoir si notre culture ne donne pas plus de force aux pulsions de mort qu’aux pulsions de vie. Il en est sans doute ainsi à cause des moyens tout à fait considérables que nous avons entre les mains. Peuvent se retourner contre nous, contre l’homme moderne, les puissances tout à fait considérables dont nous disposons, notamment dans les sciences, on peut penser à l’atome, à la génétique. C’est donc à la mesure même des grandeurs incontestables et admirables de la civilisation moderne que nous sommes exposés à des dangers d’autant plus considérables et non pas parce que cette civilisation serait identifiable à la mort.
Il est bien vrai que notre civilisation connaît plus que des traces de pulsions de mort. Et ce n’est pas un hasard non plus si un certain nombre d’observateurs caractérisent notre civilisation, ou le monde moderne actuel, sous le terme de “barbarie”, retrouvant peut-être là la formule de la culture de mort. Mais puisqu’il s’agit des pulsions de mort, il est possible de les entraver et de les contrecarrer. S’il y a des pulsions de mort, cela veut dire qu’il y a aussi des pulsions de vie et tout le problème est de savoir comment on joue des unes sur les autres. Ce qui n’est jamais facile, ni dans le cas de la psychologie individuelle comme le savent bien les psychologues, et encore moins dans le cas de la vie collective.
Nous voyons bien que nous vivons dans des sociétés qui sont marquées par l’absence d’espérance ; les grandes espérances idéologiques de l’avenir sont, au moins pour le moment, largement mortes, et cela aboutit fatalement à un repli individualiste sur l’individu qui va chercher en lui-même le sens de sa vie ou la jouissance.
Cette absence d’espérance et ce repli sur soi, je n’ai pas besoin de faire un très long tableau, ce sont des réalités perceptibles dans les mœurs, dans la fragilité des relations, dans les couples, dans les familles… Nous en sommes tous les témoins souvent navrés. Par rapport à la science, cette fameuse religion de l’avenir, celle du progrès scientifique qu’attendait Renan est loin de s’être éteinte. On aurait pu penser qu’avec les dangers du nucléaire, avec la génétique, avec les menaces sur l’environnement, on serait revenu de la grande espérance mise sur les progrès techniques et scientifiques ; or il me semble qu’il n’en est rien. Il suffit de voir nos journaux concernant le clonage, ou les cellules souches. On affirme régulièrement que la science doit l’emporter pour des raisons thérapeutiques et que, même si le droit ne se pliait pas, les scientifiques contreviendraient à la loi. Ces chantages manifestent une volonté de puissance au plus mauvais sens du terme, de la part des pouvoirs scientifiques demandant au droit, aux mœurs de s’aligner sur leurs entreprises. Or pour justifier cette volonté de domination, on invoque quelque chose d’apparemment incontestable qui est la santé humaine. C’est en vue de guérir des maladies ou pour faire reculer la souffrance humaine qu’on justifie le chantage.
Ces mêmes pulsions de mort sont présentes dans la vie politique et économique à travers les phénomènes de corruption considérables et tout à fait inquiétants. De même à travers les arts, comme on le voit dans certaines productions ou pièces de théâtre, pour ne rien dire du cinéma. Je ne parle pas seulement ici des étalages pornographiques mais d’une espèce de doute, de soupçon, de haine de l’homme même qu’on traîne dans la boue avec la jouissance affichée à le traîner dans la boue. La vie religieuse n’échappe pas à ce phénomène : la multiplication des sectes et les fondamentalistes sont d’une certaine façon signes de pulsions de mort.
Je résumerai pour ma part volontiers cette situation par une formule nietzschéenne. Nous sommes en effet dans une situation marquée par le nihilisme. Et c’est la formule que j’utiliserai plutôt que celle de culture de mort.
La formule nietzschéenne est évidemment compliquée à comprendre, mais je retiens une quasi définition qu’il donne de ce nihilisme. Le nihilisme consiste, dit-il, en la dévalorisation des valeurs les plus hautes, c’est-à-dire dans la découverte que c’est le néant (nous retrouvons la mort) qui est à l’œuvre dans et derrière les valeurs les plus hautes. Je crois que c’est une vue extrêmement intéressante, qu’on peut contester, mais qui est une clé de lecture tout à fait pertinente. Je donne des exemples que Nietzsche n’aurait peut-être pas donnés. Je trouve significatif que, aujourd’hui, tout le monde soit d’accord pour faire appel à la dignité de l’homme. Qui va dire qu’il est contre ? Mais, au nom de cette dignité on en vient à justifier, par exemple, l’euthanasie. C’est-à-dire poser des gestes non pas de vie, non pas de soutien aux souffrants, mais d’élimination du souffrant.
Voilà ce que j’appelle le nihilisme. Derrière la valeur la plus haute : dignité, mourir dans la dignité, on fait appel en réalité à une volonté de mort. Voilà une pulsion de mort enrobée dans une pulsion de vie par appel à la dignité. Voilà encore une chose indiscutable : qui va dire qu’il veut mourir dans l’indignité ? personne. Donc voici une valeur incontestable qui sert à couvrir des gestes de mort.
La liberté ; qui est-ce qui va être contre la liberté et qui est-ce qui va être pour l’esclavage ? Personne, bien entendu. Mais au nom de la libre disposition de son corps, nous avons entendu une personne aussi éminente qu’Elisabeth Badinter, expliquer que les femmes comme les hommes étaient parfaitement libres de disposer de leur corps dans la prostitution et que l’État, les pouvoirs publics, n’avaient pas autorité à poser des limites à l’exercice de cette liberté.
Donc, au nom de l’idée du droit à disposer de son corps – comme si jamais il y avait un tel droit – autrement dit encore, au nom de la liberté, qu’est-ce qu’on justifie, concrètement, sinon une forme d’esclavage, avec à l’horizon des réseaux de mafieux, ou la drogue… ?
J’ai fait appel tout à l’heure à la santé, à la thérapeutique. Là encore on voit bien que les expériences sur l’embryon, les cellules-souches, sont justifiées par la santé. Là encore quelque chose est incontestable : qui ne voudrait pas que l’on trouve un remède contre le cancer ou contre la maladie d’Alzheimer ? Simplement cette évocation d’une valeur très haute sert à justifier une pulsion absolument incoercible à travailler des cellules-souches quand bien même personne n’a d’assurance sur les vertus thérapeutiques de cette recherche.
Cet appel au concept de nihilisme me paraît plus intéressant, à tout prendre, que le concept de culture de mort parce qu’il apporte une appréciation plus juste. Ce n’est pas la mort seulement, car personne ne veut la mort telle quelle, c’est la mort sous le couvert de la vie et sous le couvert des valeurs les plus hautes. Sous le couvert de proposer la vie, on enrobe un discours de mort et même un discours de désespérance et de condamnation.
Il faut être attentif à ce que ce nihilisme ambiant contamine, peut-être par inconscience de sa nature, beaucoup de discours et beaucoup de diagnostiques que nous pourrons porter sur la société moderne. Ce que je crains, pour ma part, c’est qu’un discours un peu brutal concernant la culture de mort et identifiant notre civilisation à la mort fasse le jeu du nihilisme car, s’il était vrai que nous sommes identifiés à la mort, quelle issue ? Et du coup on en arrive à identifier l’homme moderne à sa propre désespérance. Voilà qui est grave.
J’en viens à ma dernière partie : « y a-t-il une réponse chrétienne ? ».
III – La réponse chrétienne
Première remarque : un chrétien n’est pas face à une culture de mort ou une supposée culture de mort. Il en participe, il est dedans. Nous sommes comme tous les autres, travaillés par des pulsions de mort, par certaines formes de désespérance, d’individualisme, de découragement. Nous sommes dedans et il y aurait une illusion majeure à croire que nous sommes sur l’Aventin et que nous regardons en bas des gens qui pataugent dans le nihilisme. Nous participons aussi et il faut le reconnaître, au nom même de notre commune humanité, nous sommes dedans ; et si nous n’en sommes pas conscients nous risquons effectivement des replis sur nous-mêmes à travers un spiritualisme désincarné, à travers certaines formes de dogmatisme ou à travers le sectarisme. Si on s’imagine que l’on est dessus, ou « en face », on risque en réalité de contribuer à ce nihilisme par ses propres jugements, c’est-à-dire par l’identification, trop brutale, entre l’homme moderne et ses pulsions de mort.
Je crois, par conséquent, qu’il y a un premier travail de diagnostic sur nous-mêmes, sur chacun de nous pour repérer nos propres complicités avec le nihilisme. Quand on essaie de regarder cela, on s’aperçoit que ces complicités sont beaucoup plus profondes qu’on ne le pense ; et par exemple dans une certaine jouissance à condamner le monde moderne, à l’identifier à la propre mort si sensible dans nos Églises, on voit bien la présence du nihilisme. Dirait-on à un adolescent en difficulté qu’il est un raté en prenant le risque de l’identifier à sa propre pulsion de mort, ou va-t-on tenter, tout en sachant ses faiblesses, de lui montrer qu’il vaut mieux que ses échecs ? N’en est-il pas de même pour le chrétien envers sa propre civilisation, à laquelle, j’insiste, il participe par tout lui-même sans être « en face »…
Deuxième remarque : cette plage de discernement suppose certes que nous reconnaissions que notre culture est tissée de pulsions de mort mais que nous reconnaissions aussi qu’elle ne manque pas de pulsions de vie. Car, après tout, ce que j’ai dit sur la science tout à l’heure, c’est la dégradation d’un projet magnifique. Ce n’est pas parce que nous allons discuter ou condamner les projets insensés concernant le clonage que nous allons jeter à la poubelle la recherche scientifique. Ce n’est pas parce que nous sommes contre l’euthanasie que nous allons laisser des gens perdurer dans la maladie.
Autrement dit : qu’est-ce qu’il faut faire ? Je dirai ceci dans un diagnostic toujours difficile : plutôt que de favoriser les pulsions de mort, plutôt que d’identifier notre civilisation à ses pulsions de mort, le Chrétien doit chercher quelles sont les pulsions de vie et les favoriser. Par exemple, il est de bon ton aujourd’hui, à propos des droits de l’homme, de parler de « droit de l’hommisme » et, de fait, j’en ai donné un exemple tout à l’heure, il est des façons de concevoir les droits de l’homme qui sont une dégradation des droits de l’homme. Faut-il pour autant « jeter le bébé avec l’eau du bain » ? Non, je crois qu’au contraire il faut se battre sur ce terrain même pour dire que les droits de l’homme ce n’est pas seulement un individualisme libertaire. C’est une exigence haute et qu’il faut honorer en tant qu’exigence haute.
Voilà qui fait partie de la ou d’une solution chrétienne. Qu’est-ce qu’il faut favoriser dans un individu comme dans une culture ? Enfermer l’individu ou la culture dans sa mort ou lui faire désirer la vie en lui montrant ses propres possibilités vivantes ? Un individu a toujours des possibilités vivantes, même le plus grand criminel au fin fond de la prison, il a des possibilités de s’en sortir. De la même manière, les droits de l’homme peuvent être entendus d’une manière absolument perverse, mais cette référence constitue pourtant un immense idéal à défendre et à mettre en œuvre.
Troisième remarque : nous sommes dans une société qui doute de l’espérance et comme croyants, nous avons à donner à espérer. Nous avons à croire à la Résurrection. Ce n’est pas un dogme abstrait, car la Résurrection signifie que la mort n’a pas le dernier mot, qu’elle n’a jamais le dernier mot ; que l’échec, si grave soit-il, n’est jamais l’ultime réalité ; que la Résurrection par conséquent est une réalité vivante qui travaille au cœur de l’Histoire, au cœur des hommes ; que l’Esprit du Ressuscité n’abandonne pas l’homme, même l’homme moderne. Et c’est pourquoi je suis toujours très réticent quand on parle d’un supposé anthropocentrisme moderne. Quelle erreur de diagnostic : mais non, l’homme moderne ne se croit pas au centre ! il est au contraire dans le désarroi le plus total ; il serait tellement facile d’en administrer la preuve… Or la parole d’Évangile, la parole de salut, c’est d’aider cet homme à ne pas désespérer de lui-même alors que tout le porterait à désespérer. Il revient à l’Église non pas de condamner – elle peut condamner, pourquoi pas – pas d’abord de condamner comme si elle seule portait la vérité sur l’homme, mais d’aider à la fécondation de l’Esprit, d’aider l’humanité à accoucher de l’Esprit qui est déjà en elle, donc à « faire la vérité ». L’Alliance se poursuit ; Dieu n’abandonne pas l’homme moderne, même si cet homme moderne par beaucoup de côtés a commis des choses horribles et en commet tous les jours. La Bible est l’histoire d’un peuple qui passe son temps à refuser Dieu et vers qui Dieu revient tout le temps en lui disant : viens, on va repartir ! Pourquoi cette histoire cesserait-elle ?
Dernière remarque : il est très difficile de lutter contre le nihilisme parce que, comme Nietzsche l’a bien vu, le nihilisme a un autre aspect. Il le définit aussi par cette formule : « Der Wille fehlt » ; la volonté manque. A cause du désarroi concernant les valeurs, le nihilisme aboutit à ce que la volonté se dissout, ne sait plus que vouloir et si elle peut encore vouloir (la fidélité dans le mariage, la justice sociale, etc…). Un des rôles de la Foi ou de l’Église c’est précisément d’aider à construire des libertés créatrices, d’aider nos contemporains à retrouver le goût d’entreprendre, de créer, malgré tout, d’aider des volontés défaites à se reconstruire, autrement dit de ne pas désespérer d’elles-mêmes.
Inutile de les écraser sous l’idéal, parce qu’on fera alors le jeu du découragement et du nihilisme ; le travail, c’est de faire désirer la vie, la vie bonne, de répondre au désir du Dieu Père que ses créatures vivent et soient ses égaux. Qu’est-ce qu’on fait d’autre quand on annonce l’Alliance sinon l’annoncer comme cela ? Qu’est-ce qu’on fait d’autre quand on annonce un Dieu-père sinon un Dieu qui désire la vie de ses enfants, qui ne se substitue pas à eux, qui ne prend pas ombrage que se fils, ses filles soient sur leurs pieds, raisonnent, créent un monde humain, etc. mais qui s’en réjouit ! Donc ce que veut Dieu ce sont des hommes et des femmes qui entrent dans une communauté fraternelle, non pas des hommes ennemis les uns des autres mais des hommes capables de vivre de la Charité et de l’Espérance.
Ainsi LA réponse chrétienne, s’il y en a une (je crois qu’il y a en réalité de multiples visages de cette réponse) n’est pas de proposer une civilisation de l’Amour ou une culture de la Vie qu’on supposerait indemne de la pulsion de mort. Ce serait proposer un mythe, car il n’y a jamais de culture de vie qui ne soit que culture de vie.
Le travail des chrétiens c’est de travailler au sein de la culture actuelle, telle qu’elle est avec ses ombres considérables et ses lumières non moins considérables, pour favoriser les forces de vie, et donc contribuer au travail de l’Esprit.
Il n’y a pas qu’une seule réponse ; chacun de nous, au point où il en est, dans la singularité de sa situation, peut aider à favoriser les forces de mort, c’est clair, comme il peut aider à favoriser les forces de vie et la réponse chrétienne c’est justement d’être sur ses gardes, de ne pas croire que l’on favorise les forces de vie quand on favorise les forces de mort et d’être attentif, peut-être ensemble, en communauté, en Église, à donner davantage d’impulsions aux pulsions pour la vie qu’aux pulsions pour la mort.
Echange de vues
Le Président : Vous m’aviez dit que vous pourriez laisser de côté beaucoup d’illustrations pour gagner du temps et en laisser aux débats que nous souhaitons et que vous souhaitez également. Et bien, non seulement vous avez laissé du temps pour ce précieux moment de l’échange, mais cela ne vous a pas empêché de donner de nombreuses illustrations qui éclairent vos propos.
Janine Chanteur : Je voudrais simplement, puisque je vous ai présenté, mon Père, vous remercier de ce que vous nous avez dit aujourd’hui.
Vous nous avez vraiment placés au carrefour où nous avons, avec notre faiblesse et avec nos forces, un choix à faire qu’on ne fait pas une fois pour toutes, qu’on fait tous les jours. Tous les jours, en se levant le matin, et c’est ce choix qui nous est vraiment demandé par l’Amour de Dieu.
Tugdual Derville : Mon Père, j’ai été vraiment intéressé par votre exposé à propos de l’expression « culture de mort » car c’est justement le texte d’où provient cette formule, l’Évangile de la Vie comme vous l’avez signalé, qui m’a personnellement « mis en marche ». Mais justement, j’ai été un peu surpris par la présentation que vous en avez faite. Ma lecture de l’Encyclique, texte qui, au fond, n’est rien d’autre qu’un commentaire du commandement « Tu ne tueras pas », est éclairée un peu différemment, par trois constats :
dès l’introduction du texte, il nous est proposé, de façon positive, de défendre la vie comme « la seule voie du bonheur » ;
un peu plus loin, il nous est dit, comme vous l’avez suggéré, que nous nous trouvons nous mêmes, chacun d’entre nous, au centre d’un conflit intérieur entre « culture de vie » et « culture de mort ». Vous avez très justement évoqué ce que vous avez nommé nos « pulsions de mort » et je crois même qu’il faut aller plus loin : Moïse, qui a reçu cet exigeant commandement de l’interdit du meurtre, était lui-même un meurtrier. Il avait tué un égyptien. Nous sommes tous, à notre tour, des meurtriers, plus ou moins consciemment et plus ou moins potentiellement (il y a des regards voire des silences qui tuent) ; c’est en cela que le commandement nous concerne…
enfin, c’est une vision contrastée de notre société qui apparaît derrière le « panorama d’ombres et de lumières » que nous décrit l’Évangile de la Vie selon sa propre expression. Il n’y a donc pas, à mon avis, une présentation univoque de notre culture comme simplement une « culture de mort ».
Mais, en même temps, ce en quoi notre culture peut être partiellement désignée comme « culture de mort », de ténèbres, est décrit de façon concrète. Je citerai un exemple essentiel que vous n’avez pas cité – mais vous en avez cité d’autres – celui de l’avortement avec le chiffre annuel de 50 à 60 millions d’avortements sur la planète… Il y a ainsi près d’une femme sur deux dans notre pays qui a, un jour, subi un tel évènement, si dramatique et douloureux. Et la portée d’un tel geste est explicitée avec force mais aussi avec beaucoup de compassion dans le texte du Pape.
Pour moi donc, la culture de mort, c’est l’expression d’un constat : celui des atteintes délibérées à la vie, délibérées même lorsqu’elles ne sont pas totalement conscientes. Ce constat résonne comme un appel à défendre le plus faible, le plus petit. Pour y répondre, nous essayons de sortir, le plus vite possible, vie après vie, de ces atteintes. Et il faut bien commencer par éclairer ces ténèbres.
Je conviens avec vous que l’expression « culture de mort » a une connotation très dure, qui peut paraître provocatrice et qu’elle ne doit pas être prononcée dans n’importe quel cercle. Mais je crois qu’elle répond à une nécessité. « Consolez, consolez mon peuple » : comment faire pour consoler, ramener à la vie des personnes, des couples, des hommes ou des femmes qui ont subi ou commis, plus ou moins volontairement, des actes de mort qui les font tant souffrir ? Si ces actes ne sont pas éclairés par une lumière d’espérance, comment vont-ils s’en sortir ? Et comment pourrions-nous les aider si nous occultons la vérité sur ces drames ? Ce serait une forme de non assistance à personnes en danger… C’est en annonçant aux personnes cette vérité difficile qu’une lumière d’espérance peut être portée sur les souffrances que leur causent les blessures de la vie.
Père Paul Valadier : Il est possible que j’entende mal la formule mais je crois quand même avoir regardé les textes de près et je consonne avec votre propos, on peut l’entendre comme vous l’avez entendu
Dire la vérité. Personne ne prétend dire le mensonge et cacher les choses. Vous avez pris le cas de l’avortement. Jean-Paul II demande que la loi civile soit en conformité totale avec la loi morale. En pratique, qu’est-ce que cela veut dire ? Compassion ou mise en place d’un système pénal condamnant les femmes qui se font avorter comme on le faisait jadis, avec le succès que vous connaissez ? Cela fait aussi partie de la vérité que de s’interroger sur la portée de la position ainsi défendue.
Or la compassion consiste à se demander : qu’est-ce qu’on fait devant des maux comme ceux-là ? Il n’y a pas d’un côté ceux qui défendent la vérité de l’homme, la morale pure et dure, et de l’autre côté des gens qui ne veulent pas voir la vérité de l’homme et qui font n’importe quoi. Il y a des situations dramatiques, celles que nos sociétés affrontent, et personne n’a les mains pures, même pas quand on propose des lois répressives dont la vérité oblige à reconnaître aussi les redoutables implications humaines et politiques. La vérité, c’est de dire le tout des choses, d’éclairer les faces de mort, mais de ne jamais identifier ni une personne, ni une culture à sa mort. Donc de dire aussi, ce qui est sans doute moins commode que les condamnations, de dire les faces de vie, en quoi tient sans doute l’essentiel du message évangélique (qui est, ne l’oublions pas, une bonne nouvelle).
Gabriel Blancher : J’ai été passionné par la communication du Père Valadier et je suis d’accord sur le fait que l’on doit plutôt parler de nihilisme que de culture de mort.
Mais on peut parler cependant de culture de mort quand sont votées des lois concernant l’avortement et peut-être demain l’euthanasie. Si nous pouvons voir apparaître, dans notre culture actuelle, des lois de cette nature, c’est vraisemblablement parce que la notion de Dieu n’a plus la même force qu’au premier millénaire.
C’est sur ce point que je veux poser ma question : ne croyez-vous pas que ce qui ouvre la porte à la culture de mort c’est le fait que la Loi, la règle morale dépende, dans l’esprit actuel, uniquement de la volonté humaine et non d’une entité ou d’une autorité indépendante de l’homme et supérieure à lui ?
Père Paul Valadier : Vous avez tout à fait raison.
Le problème est de savoir s’il en irait autrement si nous avions à faire à une référence explicite à Dieu qui fonderait la loi et les règles. Je n’en suis pas absolument sûr ; il est possible de démontrer d’un point de vue anthropologique que les grands interdits fondamentaux, ceux du Décalogue, sont structurants de la réalité humaine. On peut les rapporter à Dieu et on peut voir en eux un don de Dieu à l’humanité, mais ils sont aussi une base de ce que j’appelle la commune humanité. C’est très important dans une démocratie pluraliste.
Même dans les cas de la loi pour l’interruption volontaire de grossesse, on n’a pas dit : il y a un droit à l’avortement inconditionné. On a posé des limites. Mais nul n’a jamais dit que l’on pouvait tuer si cela plaisait. L’interdit est toujours là quoique souvent tourné et bafoué.
Henri Lafont : Mon Père, vous avez apporté des lumières intéressantes sur un sujet actuel.
Vous avez montré une préférence pour la notion de nihilisme à celle de culture de mort. En revanche, je n’ai pas reconnu dans la pensée de Jean-Paul II votre rappel de l’opposition entre ce que vous avez appelé l’âge d’or du premier millénaire et la période « d’humanisation » que nous avons atteinte. L’âge d’or n’était pas exempt de crimes abominables, perpétrés au plus haut niveau, mais notre époque me paraît bien caractérisée par l’éclosion d’une culture génératrice de mort, de l’avortement à l’euthanasie, culture soutenue par des forces qui luttent activement pour créer des lois et des habitudes qui conduisent à donner la mort, celle d’enfants non encore nés, voire d’embryons cultivés in vitro et devenus objets d’expérimentation, celle qui conduit de la loi Veil, loi d’exception, à des lois qui font de l’avortement un droit et qui y incitent presque. Une culture qui tend à imposer la reconnaissance d’un droit à l’euthanasie.
Lorsqu’on assiste à l’effort des organismes internationaux sur les pays émergents pour y développer la contraception et faire reconnaître l’avortement comme un moyen de contraception, il est difficile de ne pas y reconnaître un élément mortifère.
Comme vous, je ne veux pas être manichéen, et j’admets qu’il faut déceler en chacun de nous des tensions destructrices, mais notre civilisation développe indiscutablement des germes de mort, non plus accidentellement, mais de façon concertée et il est important d’en être conscient.
Peut-être est-ce, dans votre esprit, une question de vocabulaire, et trouvez-vous à l’expression « culture de mort » une forme agressive, mais le devoir de vérité oblige à appeler un chat un chat.
Père Paul Valadier : Je suis entièrement d’accord avec vous pour dire qu’il y a des germes de mort, des pulsions de mort qui ont des puissances considérables dans notre société ; simplement, ce qui me gêne, c’est quand on en fait le tout des choses.
Quelle société n’a pas de pulsions de mort ? Quand on se battait, au XVIe siècle, pour la justification par la foi seule ou pour le Pape, c’était aussi sous la justification des plus hautes valeurs, celles du salut, que l’on s’étripait.
André Aumonier : Quelle différence y a-t-il entre le Pape et un Père jésuite ? Un Père jésuite, ce savant que nous a présenté Janine Chanteur et que nous venons d’écouter.
Je me demande si je ne devrais pas commencer par poser la question : quelle ressemblance y a-t-il entre le Pape et le Père jésuite ? Et peut-être pourrait-on trouver la réponse dans la souffrance. Il faut du courage pour aborder ces problèmes et, par là, rencontrer une souffrance qui leur est souvent associée. Le Père Valadier se rapprochera alors du Saint-Père ; ni à l’un ni à l’autre la souffrance n’a été épargnée.
Mais je me demande, Père, si finalement entre culture de mort et culture de vie vous n’avez pas recherché une autre culture, une culture du contraste. Je suis frappé que vous ayez présenté Jean-Paul II comme un Pape de l’ancien temps qui n’aurait pas compris grand chose à la modernité.
Quand on lit aujourd’hui le « Journal du Concile » du Père Congard, on apprend que le Cardinal Wojtyla était de ceux qui disaient : Le Concile Vatican II n’a pas pour objet de réformer l’Église, mais c’est de savoir comment l’Église va adapter son langage à tous les problèmes de la modernité. Tel était l’enjeu pour Wojtyla.
Dans les positions qu’a prises le Pape, il y a une grande ressemblance avec vos propositions finales. Il me semble que vous avez cultivé le contraste pour asseoir davantage votre propos.
Quand vous faites allusion à Galilée, Jean-Paul II n’a-t-il pas été le premier pape à rétablir la vérité sur Galilée ?
Enfin quand vous parlez d’une culture d’espérance, vous employez un langage très proche de celui de Jean-Paul II.
Père Paul Valadier : Je ne crois pas être opposé à Jean-Paul II sur ce point. Mais sur un sujet pareil, concernant un jugement de civilisation, il y a une liberté de penser dans l’Église qu’il faut absolument maintenir. Ce serait réduire l’Église catholique à une secte et le Pape à un gourou que d’en faire une autorité indiscutable sur tous les points et en toutes les questions qu’il aborde. Comme catholique, je ne peux que m’opposer à cette quasi-hérésie. Il est possible que le discours papal soit plus complexe que ce que j’ai dit, mais s’il en est ainsi, on ne dirimera pas le débat par des arguments autoritaires (qui êtes-vous, vous simple jésuite, pour oser… ?) mais en analysant les textes dans une saine liberté des fils de Dieu.
Maurice Blin : Mon Père, je suis en plein accord avec vous. J’ai trouvé, dans la passion que vous mettiez dans vos réponses la force d’une Compagnie que je connais bien et dont je suis l’un des fils.
Je voudrais simplement faire deux remarques. Je crois que, quand le Pape a utilisé les mots « culture de mort » il a eu tout de même deux fois raison. La première a été soulignée il y a un instant. Le mot culture dit bien, en effet, ce qu’il veut dire. Le mal dans le monde contemporain n’est plus une force que l’homme subit et qui viendrait d’ailleurs, c’est une force qui l’habite et qu’il entretient. Il la provoque et la « cultive ». La formule de « culture de mort » est donc à la fois forte et juste. De plus, elle frappe beaucoup plus les esprits que ne l’aurait fait la dénonciation du nihilisme, notion abstraite et ambigüe dont Nietzche a usé et abusé. Pour le dire simplement, le Pape est un grand communiquant.
J’insisterai sur un second point. Je crois avec vous que toutes les civilisations ont été habitées et par la mort et par la vie. Déjà dans la Bible, Dieu dit à son peuple (Deutéronome 30, 19) : « J’ai mis devant toi la vie et la mort, choisis la vie ! ». Tout est dit et il y a de cela plus de vingt siècles.
Ce choix n’est donc pas d’aujourd’hui. Mais une chose a changé qui fait la nouveauté absolue de la civilisation technicienne, c’est la dimension du mal. Un simple exemple. Je sors d’un débat sur la bioétique, je préfèrerais dire la biotechnique. Il résulte du fait que pour la première fois de son histoire, l’homme est devenu le maître de sa vie et de la vie. Cette situation est radicalement neuve. Elle était inconcevable hier encore.
Je me retrouve pleinement dans la fin de votre propos. Pour répondre à une capacité de mal d’une telle dimension, il faut un bien d’une dimension elle-même exceptionnelle. Là – je n’oublie pas que je m’adresse à un Père jésuite – resurgit le vieux débat d’autrefois sur les parts respectives de l’homme et de Dieu dans l’aventure du Salut. J’ai pour ma part la conviction que l’homme n’a pas en lui les moyens qui lui permettraient de d’assumer seul une responsabilité d’une telle ampleur. Ni la nature ni la raison, ces deux pôles des Lumières, ne suffisent.
L’ambition technicienne dont il s’est enivré depuis la Renaissance a pu le lui faire croire. Or celle-ci débouche aujourd’hui sur celle de dominer non plus seulement la matière mais la vie, c’est-à-dire lui-même. Hier, l’homme la recevait comme un don de Dieu. Demain, il espère en faire sa conquête et son royaume. Echappant, enfin, à la condition de créature, il deviendra à son tour créateur : « Eritis sicut dei » ; le rêve du paradis perdu serait ainsi réalisé. Satan, le grand trompeur aura gagné la partie.
Reste un fait troublant. Le même délire technique qui prétend chasser la mort de la vie par le clonage détient aussi la capacité de l’anéantir avec l’atome. Ainsi, la mort côtoie la vie et marche à son pas. Simplement elle ne se dresse plus en face d’elle comme une rivale ; elle l’habite comme un poison. La culture de vie est donc bien aussi une culture de mort.
La claire distinction du Deutéronome semble s’effacer. En réalité, elle est toujours là. L’ontologie judéo-chrétienne est sans doute à formuler en termes nouveaux. Mais elle n’a rien perdu de sa lumière et de sa force, au contraire.
Jacques Arsac : J’ai écouté toute votre première partie en me disant que toutes les civilisations sont soumises à la tentation originelle : « vous serez comme des dieux » rejetant le fait qu’elles dépendent d’un créateur qui est plus grand qu’elles, décidant du bien et du mal, connaissant le bien et le mal, comme vous l’avez souligné à la fin et comme l’avait déjà dit Filon, « c’est cela qui est déjà la mort ». Ce refus de Dieu est déjà la mort.
Et puis vous avez parlé de cette tendance naturelle de l’homme « tu ne tueras pas, tu ne voleras pas » ; pour moi, je le lis comme la parole de Jérémie ou du Deutéronome « j’écrirai ma loi sur votre cœur ». C’est à Dieu que nous le devons.
Je suis, comme vous, convaincu qu’il y a des puissances de mort, mais qu’elles ne sont pas fatales.
Jean-Luc Granier : Si, comme je le crois, le manichéisme met en évidence la lutte en l’homme entre les pulsions de vie et les pulsions de mort, l’esprit de votre intervention, mon Père, n’est-il pas inspiré par une vue manichéenne de l’existence et par une interprétation manichéenne du message chrétien ?
Jean Chanteur : Mon Père, j’ai été très heureux de vous entendre parce que vous avez répondu à beaucoup de questions que je me pose et ceci a stimulé mon désir de vous lire.
Cela dit, vous avez indiqué qu’on a commencé à identifier l’homme à son péché lors de la rupture anthropocentrique, après le théocentrisme du premier millénaire, mais vous n’avez effectivement pas fait allusion au péché originel duquel Monsieur Arsac vient de parler. Ce péché était pourtant présent depuis toujours dans la Bible et il a pesé sans nuance sur toutes les générations. Je me souviens du capuchon qu’on avait sur la tête dans mon enfance avec ce péché qui me semble bien avoir été l’expression d’une culture de mort ?
Georges-Albert Salvan : Je commencerai par une réflexion personnelle. Est-ce que, dans l’affaire de l’avortement, il n’y a pas une très grande responsabilité de la société ? C’est-à-dire que la société n’a pas aidé les femmes en détresse. C’est une question à creuser : savoir qui est le grand responsable dans cette affaire.
Deuxièmement, je parlerai d’une façon superficielle, comme l’était ma profession de journaliste. Je parlerai de la forme et non pas du fond. Il y a un mot qui m’a « interpellé » comme disent nos prêtres, c’est le mot de « communiquant » appliqué au Pape. Je crois que c’est une très bonne définition ; j’ai passé dix ans au Vatican, le Pape a compris le genre de société dans lequel nous vivons. Il ne faut pas nous faire d’illusions sur notre société : il n’y a plus de liberté d’expression. On en parle tous les jours, mais il y a une pensée unique qui nous est déversée par les médias. En ce qui concerne l’avortement, nous n’avons jamais eu de vrais débats. J’ai suivi cette affaire pendant des années et la parole a été donnée systématiquement aux partisans de l’avortement, je parle surtout de la télévision qui est le vecteur le plus important, et les adversaires de l’avortement ont été régulièrement ridiculisés ou mis sous le boisseau.
Comme nous sommes dans une société qui demande des formules qui la provoquent, je me demande si le Pape n’a pas voulu nous forcer à réfléchir en nous donnant une formule très forte (la culture de mort) et qui nous oblige à poser le problème et à le poser librement ; vous le voyez puisque nous en discutons aujourd’hui.
Benoît-L Hablot : Le début de votre intervention m’a paru un peu marqué, permettez-moi de vous le dire, de ce qu’il est convenu d’appeler, pour être bref, d’un pessimisme chrétien.
Pour avancer ma question, je citerai trois personnes. André Malraux disait : « La culture, c’est ce qui dans la mort est tout de même la vie. » Je citerai votre confrère le cardinal Daniélou qui priait pour que la Foi imprègne les cultures et que les cultures intègrent la Foi. Et puis, troisièmement, Sainte Catherine de Sienne disait, au moment où elle est passée de la vie à la mort ou, plutôt, de la vie à la vie par la mort : « Seigneur, élargissez mon âme ».
Si on élargit notre réflexion aux dimensions du monde, quelle résonance cette question peut-elle avoir dans des pays que nous autres catholiques – c’est-à-dire universels – cherchons à évangéliser avec un autre Message que celui de la mort et qui ont déjà, au plan humain et face à la mort, une réaction de vie ?
Père Paul Valadier : Le manichéisme suppose deux principes antinomiques rivaux qui ne communiquent pas l’un avec l’autre. Il y a d’un côté le bien, ou le principe du bien, ou l’esprit du bien et de l’autre le principe du mal. C’est l’axe du mal qui n’est que mal et du bien qui n’est que bien. J’espère échapper au manichéisme parce que je crois que la réalité des choses c’est que le bien se mêle au mal. C’est d’ailleurs une grande tradition spirituelle que de dire : méfiez-vous des volontés de bien qui peuvent cacher des grands maux.
En ce qui concerne le péché originel, je n’en ai pas parlé, je n’avais pas à en parler. Mais, vous avez raison, il y a eu dans l’Église catholique et il y a toujours dans certains courants théologiques une façon d’instrumentaliser le péché originel qui aboutit à un manque d’intelligence théologique et spirituelle de ce dont il s’agit.
Je ne minimise pas l’importance du péché originel, mais il faut partir de Saint Paul ; c’est dans le salut donné dans le Christ que nous comprenons le péché de l’homme et non pas l’inverse. Ainsi, pour annoncer le salut, ne commençons pas par enfoncer le pécheur, présentons-lui le salut et c’est à la lumière du salut qu’il comprendra son indignité et non pas l’inverse.
Il ne s’agit pas du tout d’éliminer le péché originel mais de savoir comment en parle-t-on et quel usage en fait-on ? On a usé et abusé de cette référence pourtant fondamentale.
Je reviens sur la dernière remarque de Monsieur Blin sur Dieu. Je crois qu’effectivement nos sociétés redécouvrent qu’elles ne peuvent pas s’en tirer toutes seules, et que les Églises ont un grand rôle, pour rappeler l’Espérance et pour rappeler que l’homme ne peut se sauver qu’en s’appuyant sur plus grand que lui.
Toute la question est de poser droitement le rapport de l’homme à Dieu. En christianisme, Dieu n’est pas un rival de l’homme. J’ai parlé de l’alliance. Nous confessons un Dieu-père, un père ne peut pas s’indigner de ce que ses fils existent. Il veut cela ! Donc Dieu n’est pas dans le Christ un rival de l’homme ; il est son allié, il est son Père. Je suis bien persuadé que l’homme ne peut pas se sauver lui-même mais dans l’Incarnation Dieu pousse l’abnégation jusqu’à donner à l’homme des possibilités d’espérer, de construire, etc. Mais c’est Dieu qui nous les donne. L’homme les trouve en lui-même aussi. C’est vrai au titre de la Création et de l’Incarnation. Le Péché originel n’a pas détruit la nature, celle-ci n’est pas corrompue. Mais je suis d’accord avec vous, nous avons besoin d’un plus grand que nous, mais ce plus grand que nous, mystérieusement dans le Christ, Il nous donne le pouvoir d’espérer, d’entreprendre et de créer.
Le Président : Mon Père, je voudrais vous remercier en relevant deux points.
D’abord, et c’est la qualité de votre communication qui l’a initiée, l’intensité de nos échanges a été remarquable. Or notre Académie est faite aussi, surtout même, pour réfléchir ensemble. Quand je considère le nombre et la teneur des réflexions des uns et des autres, les arguments qui ont été développés, je crois que nous aurons tous intérêt à reprendre tout cela. De ce point de vue, la publication de nos brochures constituera un heureux prolongement.
Ensuite, vous nous avez dit, à l’issue de votre présentation par Madame Chanteur, qu’elle était bien renseignée. Je me demande si vous ne l’êtes pas encore plus ou mieux qu’elle. Car nous débattons actuellement, pour l’instant au sein du bureau, des thèmes des prochaines années académiques. Par votre intervention et les questions que celle-ci a suscitées, j’ai l’impression, alors que personne ne le connaît encore puisque nous n’avons pas arrêté le thème de l’année prochaine, que la discussion se poursuit encore à ce sujet au sein du bureau, que vous semblez le connaître : vous l’avez en effet évoqué à plusieurs reprises ! Je ne dévoilerai pas encore ce thème, je laisserai le suspens…, mais je constate quand même que dans votre intervention et par les questions qui ont été posées, vous l’avez parfaitement introduit. Nous aurons donc l’occasion, je l’espère en tous cas, avec vous et avec d’autres, de prolonger cet échange, au cours de notre prochaine année de travaux !