Par Mgr Philippe Brizard, Directeur général de l’Œuvre d’Orient

Transgresser n’est pas nouveau. Transgresser est humain. Sans transgression toujours possible, il n’y aurait pas d’humanité, pas de moralité. Car pour transgresser, il faut des limites et des interdits, tandis que l’animal, lui, ne connaît que des bornes, qu’il ne saurait déborder. La transgression est la preuve de l’existence de la liberté comme puissance des contraires.
Ce qui est nouveau, c’est cette culture de la transgression qui se répand progressivement dans tous les domaines. En prônant et en légitimant la transgression, on ne met pas fin à la moralité, on l’inverse : il faut transgresser. Ce qui nous conduit à une situation paradoxale, en médecine comme dans les mœurs, où il faut à la fois récuser interdits et « tabous » tout en les maintenant actifs pour pouvoir les transgresser.

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André Aumonier : Nous voici arrivés au terme d’une année de recherches sur la transgression. Nous avons reçu les représentants, tous éminents, de la philosophie, du droit constitutionnel, de la sociologie, des sciences (la bioéthique), de droit pénal et peut-être manque-t-il à cette palette de couleurs celle de l’historien. Comment ne pas le relever alors que résonnent encore les échos de la célébration d’anniversaire du Débarquement dimanche dernier, soixante ans après, le 6 juin 2004. Il s’agissait bien sûr pour ces jeunes d’une transgression au sens étymologique du terme. Débarquant dans la mer, ils devaient passer au-delà des falaises où l’ennemi les attendait. Franchir l’obstacle, c’est la transgression positive.
En vérité Monseigneur Brizard, aurait pu être cet historien. Le 12 octobre 1993, alors qu’il était curé de l’église de La Madeleine, il donna une homélie pour le bicentenaire de l’exécution de la Reine Marie-Antoinette. Marie-Antoinette a sans doute transgressé la loi morale, vous faites allusion aux « frasques de la dauphine ». Mais plus le malheur l’écrase plus l’emporte la majesté de la reine et l’abandon de la chrétienne à l’amour de Dieu dans une prière de pardon à ses bourreaux.
Vous faites remarquer que la mort de Louis XVI et celle de Marie-Antoinette est le « signe d’une énorme discorde sur le moteur de l’Histoire qui dure encore : Dieu ou la raison ». Nous le voyons bien à propos de la Constitution européenne où s’opposent la demande impérative de quelques pays qui veulent introduire la référence à Dieu pour le moins en valeur religieuse et d’autres, hélas la France en tête, qui n’en veulent pas.
Ayant salué l’historien que nous aurions pu entendre, je voudrais, Monseigneur, souligner trois traits de votre biographie.
Tout d’abord votre parcours dans le diocèse de Paris. Vous y êtes aumônier de lycée, Janson de Sailly, aumônier général de Stanislas, Secrétaire particulier du Cardinal Lustiger puis vicaire et curé de La Madeleine ensuite curé de Notre-Dame d’Auteuil.
Le deuxième point de ce parcours, c’est à partir de votre nomination le 1er septembre 2001 à la tête de l’Œuvre d’Orient dont vous êtes le directeur général. C’est-à-dire que vous couvrez la partie du monde qui est au centre des conflits mondiaux : l’Irak d’un côté, Israël et la Palestine de l’autre. Vous êtes au cœur des plus graves problèmes qu’aient à résoudre les Nations Unies, problèmes, d’un autre ordre mais tout aussi graves, pour l’Église. L’Œuvre d’Orient est au service des Églises orientales dans vingt et un pays. Elle soutient cinquante-trois congrégations. J’ai souhaité que, dans toute la mesure du possible, vous puissiez nous faire partager certaines de vos angoisses et certains de vos projets comme vous le faites périodiquement grâce à votre lettre d’information.
Prêtre éminent du diocèse de Paris, directeur général de l’Œuvre d’Orient, nous accueillons enfin en vous le philosophe, maîtrise en philosophie du droit, le théologien et le canoniste pour éclairer les propos du Christ dans l’Évangile : « Je ne suis pas venu abolir la loi mais l’accomplir ». Les rapports de la transgression et de la loi sont des rapports de cause à effet. Pas de loi sans une transgression préalable et de même, la loi une fois édictée, nous cherchons à la transgresser plus ou moins involontairement. C’est vrai du code de la route et de tous les autres codes. La transgression dans l’Église est d’une autre nature. Si le péché désigne le manquement aux commandements de l’Église, la recherche en théologie suppose souvent une transgression de ce qui est énoncé jusqu’alors comme une vérité par l’autorité. Alors que, plus tard, cette transgression sera devenue la vérité. L’histoire du Concile est là pour en attester. Affaire de tempéraments : les uns sont des serviteurs zélés de l’ordre établi, d’autres aiment faire bouger les choses. Notre culture latine semble donner raison à ces derniers. Audaces fortuna juvat – hereses opportet esse – Felix culpa.
Je crains d’avoir franchi la ligne blanche, je rends les armes et la parole au théologien.

Mgr Philippe Brizard : Au terme de ce cycle de communications sur la loi et la transgression où d’éminents philosophes, moralistes et juristes nous ont donné à penser, il me revient la tâche étonnante d’essayer de synthétiser tous ces propos et de livrer un point de vue théologique. Ma tâche m’étonne parce que je me sens plus pasteur et praticien agissant sur le terrain que théologien ou philosophe spéculant sur les concepts. Le risque est bien sûr de faire une sorte de concordisme ou des harmonisations forcées entre les différentes lois. Car, au long de ces conférences, nous avons entendu parler de loi morale, puis de loi politique ou juridique, assez peu de loi religieuse. Le danger de concordisme consiste à passer d’un ordre à un autre au prix parfois d’une casuistique qui dépasse la simple interprétation de la loi.
Je voudrais prendre un exemple qui est un épisode de l’évangile. Le questionnement de Jésus sur le plus grand commandement qui donne une idée des différents niveaux de normes et du problème qui se pose à nous. En l’évangile selon saint Luc (10, 25 et s.), on lit : « Et voici qu’un légiste se leva et dit (à Jésus) pour le mettre à l’épreuve : « Maître, que dois-je faire pour recevoir en partage la vie éternelle ? » Jésus lui dit : « Dans la Loi qu’est-il écrit ? Comment lis-tu ? » Il lui répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force, et de toute ta pensée et ton prochain comme toi-même. » Jésus lui dit : « Tu as bien répondu. Fais cela et tu auras la vie. » Il s’agit d’un docteur de la Loi ; la Loi dont il est question est la Torah. L’homme énonce un raccourci de la Loi qui plaît à Jésus. Mais pour justifier sa question et probablement pour montrer le sérieux de sa recherche, ne voila-t-il pas que le légiste pose la question de savoir qui est son prochain. La question est d’ordre moral. C’est l’occasion pour Jésus de raconter cette merveilleuse parabole du bon Samaritain. « Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho… » Jésus prend soin d’abord de décrire le comportement de deux passants, le prêtre et le lévite. Leur comportement nous heurte, mais il a dû recevoir l’approbation des auditeurs. En effet, ces deux personnages ont observé la loi cultuelle selon laquelle ils devaient s’abstenir de toucher à l’homme ensanglanté pour conserver leur pureté rituelle et demeurer aptes au service liturgique. Par contre, l’arrivée du Samaritain a dû en faire sourciller plus d’un. Cet individu n’est pas dans la norme, ni politique, ni religieuse. Il est étranger et schismatique. Et c’est lui qui sait qui est son prochain et qui, par conséquent, accomplit la Loi (Torah), en inversant d’ailleurs la problématique : il n’est plus question de savoir si l’on fait bien du point de vue moral, religieux, rituel ou cultuel, voire politique et juridique. Il y a un homme à sauver. Point, c’est tout. Ce Samaritain peut aussi bien être le Christ ou l’Eglise, celui ou celle qui vient d’ailleurs et qui interprète autrement les normes en fonction d’une norme supérieure, la loi divine qui exprime le dessein de Dieu sur l’humanité.
Par cet exemple, je désire poser un problème théologique difficile : comment interpréter la Loi ? En bonne théologie chrétienne, on doit en principe se référer à l’enseignement de Jésus. Mais cet enseignement est lui-même situé et les écrits du Nouveau Testament le transmettent pour une communauté donnée. Par exemple, dans le sermon sur la montagne selon saint Matthieu, Jésus dit : « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les prophètes. Je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir ! » Au passage, notons ce « Ne pensez pas » qui n’est pas sans rappeler la phrase d’Isaïe : « Mes pensées, dit Dieu, ne sont pas vos pensées ». Visiblement, Jésus dissipe dans son sermon le malentendu qui pourrait surgir entre lui et les Juifs. Il y parvient puisque, lors de son procès, nul ne songera à l’accuser d’avoir transgressé la Loi. Par contre, on accusera saint Paul « d’enseigner aux Juifs à se détourner de la Loi de Moïse et de ne pas observer ses coutumes » (Ac 21, 21). Par là, on tentera de disqualifier la prédication de saint Paul. Alors qui a raison ? Matthieu ? et alors Paul a trahi ; ou Matthieu judaïse en faisant de la surenchère : « On vous a dit…, eh bien ! Moi, je vous dis… », et Paul a raison. La question n’est pas oiseuse ; vous savez fort bien qu’elle s’est posée dès l’époque de la primitive Eglise, ainsi que le rapportent les Actes des Apôtres.
Comment surmonter cette antinomie ? Comment faire et comment interpréter sans tomber dans les défauts de la casuistique ? C’est-à-dire sans perdre de vue la fin de la Loi et sans tenir un discours abstrait anhistorique alors que le débat sur l’éthique, la modernité, la sécularisation et l’universalisme bat son plein ? Il nous faut probablement renouveler notre compréhension théologique et éthique du Christ dans la mesure où la force messianique de l’Evangile subvertit l’histoire et la conduit à sa fin.
Approche biblique
Faisons d’abord un petit tour biblique. Qu’appelle-t-on la Loi ? En hébreu, il existe plusieurs mots pour la désigner : torah (oracle), édout (réponse de Dieu qui siège au-dessus de l’Arche, au pluriel les prescriptions du Dieu de l’Alliance), mishepât (à l’origine arbitrage, le droit), hôq et miçewah sont des ordres. Le point commun et ce qui fait l’unité de la loi, c’est que Dieu en est l’origine. Le droit vient de Dieu par l’intermédiaire de Moïse. De là découlent ensuite les codes, code de l’alliance, code deutéronomique : un seul Dieu, un seul temple, un seul peuple, une seule loi avec le souci d’autrui, proche ou étranger, code de sainteté qui invite Israël à révéler sa sainteté au monde par sa pratique de la torah.
Seul des synoptiques, Matthieu fait de la loi son thème central. De même qu’au Sinaï, Moïse a reçu la Loi, de même le Christ transmet tout ce qui a été transmis par son Père. Il faut se mettre à l’école de Jésus car la Loi de Moïse y trouve sa plénitude. Jésus se présente comme ayant autorité sur la Loi. C’est une nouveauté radicale. Jésus, nouveau Moïse, a reçu l’autorité du Père. Droitement compris, l’enseignement spirituel et moral du Christ ne consiste donc pas à bâtir un nouvel édifice aux côtés des ruines d’un ancien – ce sera l’hérésie de Marcion – mais plutôt à accomplir, à mener à son plein épanouissement l’édification du premier ! La relation entre l’enseignement de la Loi et de l’Evangile doit être pensé sur le mode de la continuité et de l’accomplissement. Et là, viennent des remarques sur l’accomplissement de la Loi par Jésus qui sont importantes et que l’on peut énoncer ainsi.
Tout d’abord, Jésus a accompli la Loi de l’Ancien testament dans le sens où il s’y est lui-même soumis, pleinement et filialement. Selon l’Ecriture, Jésus est même le seul homme qui aurait pu se prévaloir de n’avoir transgressé aucun des commandements de cette Loi ! Jésus est le seul à avoir goûté toutes les promesses attachées à son obéissance.
Ensuite, le Christ dans son œuvre d’expiation, a également confirmé et accompli un pan important de la Loi mosaïque : la loi pénale et sacrificielle. Jésus paye pour des fautes qu’il n’a pas commises. Il se substitue au coupable. Ce faisant, il satisfait toutes les exigences de la loi sacrificielle de l’Ancien Testament.
Enfin, Jésus accomplit la Loi de Moïse dans le sens où il en a révélé toute l’étendue, toute la portée morale et spirituelle. « Vous avez entendu qu’il a été dit aux Anciens : « tu ne commettras pas de meurtre, celui qui commettra un meurtre sera passible de jugement ». Mais moi, je vous dis : quiconque se met en colère contre son frère et lui dit « imbécile » est passible du jugement » (v. 21). Par cette surenchère, Jésus montre la logique dramatique, le mouvement qui va de l’insulte à la colère et de la colère au meurtre de sorte que dans l’insulte, d’une certaine manière, une partie du meurtre est déjà consommée ! En effet, je suis capable de détruire la vie de mon prochain par la violence de la pensée et de la parole qui l’exprime.
La loi de Moïse trouve donc là, dans l’enseignement de Jésus, un développement et un accomplissement sans précédent. Jésus s’oppose à l’interprétation légaliste et formaliste du Décalogue dont les scribes et les pharisiens étaient les champions.
On peut faire un excursus dans saint Jean et aboutir à une conclusion semblable. Je retiens deux expressions. « Faire la vérité » pour les Juifs, c’est agir selon la Torah. Chez Jean, c’est reconnaître Jésus, révélation de Dieu. « Marcher dans la vérité », c’est pour les Juifs être fidèle à la Torah. Chez Jean, c’est marcher sur les pas du Christ. Et garder les commandements n’est pas un fardeau car Dieu, par le don de la foi, permet au chrétien de vaincre le mal et de les pratiquer, ces commandements, aisément. Donc, que ce soit Matthieu ou Jean, la loi trouve son accomplissement en Jésus-Christ. L’Evangile reçu comme Torah, oracle messianique, est le fondement de tout agir chrétien.
Maximalisation de la Loi
Revenons à Matthieu. Le style hyperbolique du discours sur la montagne pourrait porter au découragement. Qui, en effet, pourrait avoir une telle compréhension de la Loi et en observer la plus petite partie ? C’est pourquoi cette révélation de la portée de la Loi de Moïse fait ressortir, avec d’autant plus de clarté, quelle fut, dans l’esprit du divin législateur, la finalité pédagogique de cette Loi : non pas faire naître, chez les fils de l’Alliance, l’ambition de la satisfaire ou la présomption d’en respecter les exigences, mais, au contraire, faire naître en eux la conscience de leur invalidité devant Dieu, de la radicalité de leur impotence,… et, ce faisant, les conduire jusqu’au Christ…, les préparer à recevoir la grâce. La loi, dira saint Paul, est un pédagogue pour nous conduire au Christ. On sait combien l’usage pédagogique de la Loi est important dans le protestantisme.
La grâce est grâce de l’obéissance par laquelle on obtient la liberté chrétienne. Au sens propre, Jésus ne nous a pas libérés de la Loi, mais du péché. Il ne nous invite pas à transgresser la Loi mais il nous donne la liberté de l’observer pour que nous parvenions comme lui à la dignité de fils de Dieu. C’est pourquoi il faut encore souligner la pérennité de la Loi. « Celui qui violera l’un de ces plus petits commandements sera appelé petit dans le Royaume des cieux, mais celui qui les met en pratique, sera appelé grand dans le Royaume des cieux » (vv. 19-20)
Loi et Evangile sont comme les deux mains de Dieu : ce que Dieu ordonne d’une main, il le donne de l’autre. Chacun des préceptes de la Loi, passant sur les lèvres du Christ, devient pour le croyant une glorieuse promesse. Le terme en est, en dépassant la loi du Talion, de faire en sorte que le bien puisse vaincre le mal et que le méchant soit transformé à l’école de Dieu. Pour y arriver, quelle liberté intérieure il faut avoir ! Le droit s’arrête à la loi du talion ; ce qui sera fait au-delà de cette loi, fera l’extraordinaire que Jésus réclame de ses disciples pour qu’ils soient reconnus comme les fils de leur Père qui est aux cieux. Là, nous touchons à la dimension eschatologique de l’agir chrétien qui annonce le temps du Royaume.
Dépassement eschatologique de la Loi
Précisément, la dimension eschatologique du précepte évangélique conduit à se poser des questions sur la manière de l’observer. Nous ne pouvons pas nous contenter de dire qu’il ne sera applicable que dans le Royaume ou même, en l’attendant, que dans la communauté chrétienne. Mais il ne peut pas non plus être interprété comme la loi civile du monde présent, ainsi que l’était la loi du talion. Matthieu n’est pas Tolstoï qui proposait d’ériger le sermon sur la montagne en loi civile et politique. Il est important de souligner que Jésus ne disculpe pas l’acte de violence sociale (gifler, prendre la tunique ou réquisitionner). Il ne les dépénalise pas. Il ne se place pas de ce point de vue mais au point de vue de l’individu lésé. Si tant est que celui-ci veuille se comporter en chrétien, qu’il manifeste sa liberté d’enfant de Dieu par la qualité de sa réaction qui portera le bien à triompher du mal. C’est là qu’une certaine casuistique n’a pas rendu service quand elle a perdu de vue la fin ultime de l’action.
Avant de nous arrêter aux perversions de la casuistique, considérons le cas du martyr. Le XXème siècle en a produit par milliers, je parle des vrais martyrs. Pour être martyr, il ne suffit pas de mourir pour la vérité de la cause que l’on défend, ce qui n’est pas sans valeur. Le martyr chrétien est un témoin dont le témoignage consiste à rendre compte de la vérité de l’amour de Dieu et de son prochain. Son témoignage est vrai parce qu’il aime jusqu’au bout : la preuve, c’est qu’il pardonne même à ses bourreaux. Je me trouvais récemment à Lwiw, en Ukraine à un colloque sur les martyrs, organisé par l’université catholique de cette ville, où j’ai rencontré des parents de martyrs. J’ai dans la tête et le cœur le témoignage de ces femmes, veuves de prêtres gréco-catholiques, qui ont été déportées en Sibérie avec leurs enfants tandis que leurs maris étaient tenus au secret en prison pour avoir refusé de passer à l’Orthodoxie. Ce qui frappait aussi dans ces témoignages de personnes apaisées, c’était leur formidable espérance qui fait, qu’aujourd’hui, l’Eglise ressuscite littéralement. Le martyr est aussi témoin du monde à venir ; l’amour l’a emporté sur la haine et l’inhumanité, poussées à un point inimaginable. Je pourrais dire la même chose de ce qu’ont vécu les gréco-catholiques de Roumanie. Le pape a eu raison de faire rechercher les martyrs qui risquaient bien de tomber dans l’oubli : sans ce travail, l’Eglise d’aujourd’hui se serait privée de ces témoins de la grâce dans des conditions extrêmes et de cette grâce elle-même qui agit avec puissance. Combien est juste le mot de Tertullien : sang de martyrs, semence de chrétiens.
Les martyrs se sont trouvés devant des cas de conscience terribles. Si Pascal n’est pas le mieux placé pour juger paisiblement de la casuistique, il faut quand même bien reconnaître avec lui que, sous prétexte de défendre la liberté de conscience, bien des casuistes finirent par défendre la liberté de remettre à plus tard ou d’édulcorer l’exigeante conversion morale qui caractérise la vie chrétienne. En ratiocinant sur les cas, ils font du légalisme qui oublie le sérieux de la rédemption et la puissance de la grâce. Or, un martyr, par sa mort courageuse qui le conforme au Christ, rend témoignage à l’une et à l’autre.
Portée sociale de la Loi et son achèvement dans le Christ
On pourrait enfin ajouter un mot d’éthique sociale. Le sermon sur la montagne n’aborde pas ce problème. Il pose cependant la question de la portée de son application. La distinction s’impose donc entre l’éthique individuelle du croyant et l’éthique sociale à laquelle le même Evangile l’appelle dans un monde qui, par définition, n’est pas chrétien. Saint Paul aborde le problème en 1 Timothée 2 : « Je vous exhorte à faire des prières et intercessions pour les rois, et pour tous ceux qui occupent une position supérieure, afin que nous menions une vie paisible et tranquille, en toute piété et dignité. Cela est bon et agréable devant Dieu, notre sauveur, qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité ». Le bien dont s’occupe l’Etat est condition de paix sociale indispensable aussi à l’exercice de la foi et au rayonnement de l’Evangile.
Si le sermon sur la montagne en proposant l’accomplissement de la loi doit être reçu comme une promesse, il a une portée surtout personnelle avec des implications forcément sociales. Quoi qu’il en soit, toutes nos considérations aboutissent à ceci : que Jésus, nouveau législateur, donne à la loi une interprétation géniale et un accomplissement total. Qu’en est-il de saint Paul et de son enseignement sur la Loi ?
L’accomplissement de la Loi dans l’amour
Saint Paul parle de la loi (nomos) sans jamais distinguer entre lois morales et lois rituelles. Les destinataires de ses lettres sont supposés suffisamment compétents pour percevoir les variations de signification. Pour Paul, c’est clair, la Loi ne peut sauver. Par son expérience du Christ sur le chemin de Damas, il a compris ce paradoxe : dans son effort pour devenir juste devant Dieu, il se faisait « ennemi de Dieu », refusant la dépendance qui est la vérité de la créature et la gloire du créateur. A cette lumière, Paul relit toute l’histoire de son peuple et comprend le danger qui le menace. D’autre part, en manifestant à l’homme son péché, la Loi est son pédagogue. Elle lui révèle sa vérité et l’ouvre à l’attente du sauveur. La justice dont parle la Loi de Moïse vient aujourd’hui du Christ. Le génie de Paul s’exerce ici qui unit ancien et nouveau testaments et qui ouvre des perspectives impressionnantes. Le Christ inaugure les temps messianiques. La Loi s’intériorise et, dans l’Esprit-saint, chacun pratique toute la loi. C’est la loi du Christ. Il en voit l’accomplissement dans l’amour.
L’interprétation théologique reste délicate. Que veut dire exactement Paul quand il affirme que le Christ est la fin (telos) de la loi ? Comment comprendre l’anéantissement ou l’affranchissement de la loi découlant de la manifestation en acte de l’Evangile ? Comment, surtout, mettre ces assertions en relation avec le rappel, par le même auteur, de la sainteté inconditionnelle et illimitée de la loi ?
Le Christ, relève de la Loi
Vous le savez, Paul a beaucoup médité sur l’abaissement et sur l’anéantissement du Christ, Messie. De même que le Christ fut reconnu tel et agit comme tel en prenant la condition d’esclave, de même Paul, qui portait un nom royal, Saül, change de nom et se traite lui-même d’esclave et constate que c’est quand il est faible qu’il est fort. Autrement dit, l’accomplissement se fait dans l’anéantissement. Ce mouvement a un nom : la kénose. Le Christ lui-même vit cette kénose, cet abaissement qui sera une véritable descente aux enfers. Il va jusqu’à l’anéantissement de la mort. Mais par son obéissance et par son abandon confiant à l’amour du Père, il est relevé d’entre les morts, il obtient ce qu’aucun sacrifice de la loi n’avait obtenu et il est exalté dans la plénitude. En se relevant d’entre les morts, le Christ relève la loi. On est désormais sur un autre registre. Face au Christ ressuscité, la question n’est plus celle de l’observance ou de la non-observance de la loi. La question est de choisir pour ou contre le Christ. Parler de choisir, c’est parler de vocation, c’est entendre l’appel du Christ dans la Rédemption. Cela veut dire que la vocation de Paul ou la vocation de tout autre croyant s’accomplit dans la révocation de toute vocation. Paul le dit dans 1 Corinthiens 7, 29-32 : « le temps se fait court, (exactement, le temps a cargué ses voiles, c’est-à-dire, nous sommes déjà au port du salut, nous sommes déjà arrivés au Royaume de Dieu, le monde à venir est déjà présent). Désormais, que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’en avaient pas, ceux qui pleurent comme s’ils ne pleuraient pas, ceux qui se réjouissent comme s’ils ne se réjouissaient pas, ceux qui achètent comme s’ils ne possédaient pas, ceux qui profitent de ce monde comme s’ils n’en profitaient pas vraiment ». Il nous faut vivre dans le monde « comme si » nous n’en étions pas. La vocation messianique a un caractère d’urgence, elle annule et anéantit la vocation prise en ce sens faible, car la vocation messianique agit en toute vocation comme une charge explosive, qui la subvertit de fond en comble. Le « comme si ne pas », en grec hos mè, de saint Paul introduit une tension messianique et eschatologique entre le faire et le non faire, au cœur même de notre agir-au-monde. Nous devons vivre désormais dans le « comme non pas », faisant passer le monde et ses habitudes à leur fin. Le messianisme n’est pas une autre figure, un autre monde, c’est le passage de la figure de ce monde.
Inexécutabilité messianique de la Loi
D’une certaine manière, l’agir chrétien dont parle saint Paul est un non agir car nous ne sommes plus sous le régime de la Loi mais de l’esprit. L’évangile désactive le croyant par rapport à la Loi (Rm 7, 5-6) et, ce faisant le place en position de faiblesse, c’est-à-dire au lieu même où peut s’activer la puissance de l’Evangile (cf. 2 Co 12,9)
L’Evangile, comme puissance messianique de transformation, a un effet sur la Loi, non pas en ce sens qu’il nierait ou annulerait la Loi mais dans le sens où il la prive de son action. La Loi demeure, mais elle perd sa puissance, son pouvoir. Elle est suspendue, non comme expression de la volonté sainte, bonne et juste de Dieu mais comme puissance anti-messianique, comme pouvoir de non-transformation. « Le messianisme n’est pas la destruction, mais la désactivation de la Loi et son inexécutabilité », si on peut parler ainsi. Sous l’effet de la désactivation messianique, la Loi apparaît à la fois comme suspendue et accomplie. En fait, le Christ relève la Loi et l’accomplit et donne la puissance de l’accomplir. Les réflexions que je viens de faire, je les emprunte à un philosophe italien, Agamben. Elles me paraissent fort suggestives car elles mettent en avant le côté subversif et déstabilisant de l’Evangile face à la Loi et en même temps l’accomplissement. Par le Christ, on atteint ce que promet la Loi.
Mais gardons-nous de toute vue statique des choses. Nous ne pouvons pas nous contenter, tels les docteurs de la Loi, d’une normativité de la loi saturant toute justice. Le Christ apporte, comme dans la parabole du bon Samaritain, mais ce n’est qu’un exemple, une instabilité créatrice et transformante. La Loi juste et bonne demeure le lieu d’une équivoque fondamentale, elle ouvre un espace de transgression responsable. Reprenons notre exemple du début : le légiste est tenté de faire le bien ou cherche comment faire pour bien faire d’un point de vue purement légaliste. Le Christ se situe autrement. Il est puissance de résurrection. Il ne se contente pas d’annoncer le dépassement du mal récusé par la Loi. Il prend sur lui la terrible violence du monde au prix d’une faiblesse subversive faisant advenir la rédemption du passé et ouvrant la brèche du futur. L’histoire ne file pas vers le néant. Le Christ lui en donne le sens théologique. La subversion messianique a donc des implications politiques. En ces temps où dominent l’éthiquement correct et l’idéal d’un nouveau bien-pensant formé au consensus mou d’une société individualiste, l’évangile apparaît bien comme l’instance critique. Il nous expose à la puissance du monde avec la faiblesse de notre situation de disciples du Christ dans un monde divisé contre lui-même et contre Dieu.
Venons-en maintenant au rapport de la Loi divine à la loi nécessaire à la constitution et à l’organisation de la société, société nécessaire à l’homme.
De l’interprétation de la loi
Il n’y a pas de loi qui s’applique de manière immédiate. Je ne fais pas ici allusion aux décrets d’application qui accompagnent toutes les lois de la Vème République, encore qu’il serait intéressant d’en faire une étude exégétique. Je parle plutôt de l’interprétation nécessaire pour que la loi puisse entrer en vigueur ou, plus exactement, pour que la vigueur de la loi s’exerce sur le cas, la situation, la ou les personnes qui lui sont soumises. Les canonistes du Moyen-Age avaient distingué trois modes d’interprétation de la loi : l’interprétation secundum legem ; l’interprétation contra legem et l’interprétation praeter legem. Ces deux derniers modes sont particulièrement intéressants. En effet, on peut se demander si saint Paul ne commence pas par une interprétation contra legem quand il s’en prend au retournement qu’opère la Loi en ne désignant plus que le péché. Mais ne faut-il pas aller plus loin et se demander si, finalement, il ne procède pas à une interprétation preater legem si tant est que l’explication que nous avons donnée de la position paulinienne sur la Loi est juste. Cet au-delà de la Loi ne sera-t-il pas la fin au sens qu’a le mot grec de telos ? Ce n’est pas entièrement satisfaisant puisque la Loi que nous étudions exprime le dessein de Dieu. Aller au-delà de la Loi pour l’interpréter correctement, c’est plutôt aller aux fins dernières, aux biens qu’elle promet. Il est clair que nous ne pouvons les atteindre que par l’action de la grâce du Christ. Mais, on peut faire la même démarche avec saint Matthieu. Sa façon de surenchérir sur les dispositions de la loi est une manière d’en indiquer la finalité et les cas qu’il évoque ne sont pas sans rappeler les cas que l’on trouve dans le Lévitique où il s’agissait déjà d’interpréter la Loi du Sinaï selon les conditions nouvelles de la vie sédentaire après l’installation en terre promise. La casuistique de saint Matthieu ne fait que mieux ressortir que le Christ seul offre la grâce d’accomplir ce que la Loi promet. Il n’y a donc pas de contradiction entre Paul et Matthieu.
La finalité de la Loi et le bien de la personne
Toute cette étude nous amène à penser le monde en fonction du projet de Dieu sur lui et qui est exprimé par la Loi et en fonction de la grâce qui lui est faite en Jésus-Christ, qui le sauve de la perdition. Nous connaissons le souverain bien, mais il se présente comme un horizon jamais atteint et une espérance qui n’est jamais totalement réalisée. Ce qui me frappe, c’est que pour pouvoir agir politiquement, il faut une espérance. L’histoire a nécessairement un sens. Je souligne combien la dimension eschatologique de notre foi est la boussole de notre monde. C’est donc dans ce champ aimanté que le combat se poursuit entre les forces qui veulent se partager le monde. Quand les perspectives de la société se brouillent, la légalité des actes et des comportements l’emporte sur leur légitimité. Je plains le juge réduit à un rôle de simple contrôleur de la légalité avec l’inquiétude de n’être pas très sûr, devant le flot des normes juridiques, que ce qui était vrai hier l’est encore aujourd’hui. Ce dont on se plaignait jadis dans la discordance des ordres juridiques, (vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà), vaut également à l’intérieur d’un même ordre, alors qu’on n’a jamais autant proclamé la souveraineté de la loi. On peut dauber sur les variations de réglementations au cours du temps, je pense, par exemple, au contrôle des changes. Après tout, ces variations rappellent la relativité des choses. Il y a belle lurette que Jean Carbonnier nous faisait réfléchir à la flexibilité du droit. On peut s’inquiéter de voir la loi perdre de sa force et le droit exploser devant l’individualisme des comportements que le législateur tend à toujours davantage satisfaire. La loi suprême semble être la réflexion populaire : après tout, si c’est son choix… Devant de telles dérives, les lois de l’interprétation gardent tout leur intérêt quand elles sont mises au service de la légitimité. La légitimité peut s’apprécier dans le cadre théorique que j’ai silhouetté en fonction du bien souverain. La quête de légitimité donne toutes les audaces jusqu’à s’opposer et à transgresser une loi positive inique. La manière dont Dieu traite la personne dans son plan de salut doit inspirer les plus grands égards à tout ce qui touche à la personne. La loi positive moralement mauvaise n’oblige pas la conscience. Le malheur veut que l’on demande au législateur de fixer des normes qui dispense la conscience de réfléchir. C’est moralement permis, puisque c’est légal. Ce n’est pas la manière catholique de penser. Mais la pensée a évolué. Face à l’expérience dramatique des dictatures du XXème siècle, l’accent s’est déplacé : on est passé de la problématique de la subordination du sujet à l’objet, où la personne est soumise à l’objectivité du vrai et du bien, à l’affirmation de la suprématie de la personne humaine, excluant toute contrainte de la part des pouvoirs publics en matière de conscience et de religion. On ne veut pas dire par-là que tout est permis, mais on doit respecter la personne : elle est libre de se mouvoir selon son choix en vertu du fondement subjectif de la liberté de conscience en général. Les pouvoirs publics doivent respecter la liberté religieuse. D’autre part, la personne a la liberté objective d’adhérer à la foi, c’est ce qui fait son mérite. Cette thèse, bien actualisée par Vatican II et Jean Paul II, donne leur fondement à la tolérance et à la laïcité telle que les conçoivent les catholiques.
Je terminerai par un exemple tiré de mon expérience. Il s’agit de l’affaire de Solidarnosc en Pologne au temps du communisme. D’une certaine manière, le communisme promettait un bonheur immanent. Malheureusement, ce bonheur ne venant pas, il engendrait au contraire un système pervers de lois et de répressions qui niaient toujours davantage ce qu’il promettait. L’astuce de Solidarnosc, probablement grâce à Mgr Tischner, a été de placer les communistes sur le terrain de la vérité. C’a été la subversion de leur système. Ils ne se sont pas rendu compte de la puissance d’une vérité pourtant recherchée dans le dialogue. Et cette puissance vient de son caractère eschatologique. A contrario, quand je vois certains pays et, dans ces pays, certains épiscopats se débattre dans la dispersion, car les Eglises orientales sont multiples et divisées, avec un pouvoir souvent dictatorial, en marchandant pied à pied de modestes exemptions à des lois iniques, je ne peux pas m’empêcher de penser, sans pour autant jeter la pierre, que plus d’enracinement dans la puissance de l’évangile ferait beaucoup plus de bien. D’une manière générale, face aux dictatures, là où l’épiscopat a été fort, l’Eglise a tenu ; là où il a été divisé, l’Eglise a flanché. Comme je l’ai dit tout à l’heure : les martyrs du XXème siècle nous ont appris ou nous ont réappris la puissance de l’Evangile qui dépasse la transgression, fût-elle seulement littérale de la loi.
Notre société passe par une crise où les définitions et les repères se brouillent. Mais n’a-t-il pas toujours été nécessaire de chercher le vrai, le beau, le bien, le juste dans l’ambivalence des réalités humaines et sociales ? Que d’efforts il faut déployer pour faire émerger de nos illusions la vérité. Or la foi chrétienne elle-même n’est pas faite de la possession tranquille de vérités toutes faites. Si l’on veut connaître la puissance de subversion de notre foi en Jésus-Christ, il nous faut accepter de vivre une tension entre l’hic et nunc jamais totalement satisfaisant et la plénitude à venir jamais atteinte ici-bas. C’est pourtant dans cette tension et dans la quête de vérité que nous rendons témoignage. Témoignage rendu à la vérité.

ECHANGE DE VUES

André Aumonier : Je retiens deux grandes parties : ce qu’est la loi dans l’esprit du Christ, dans l’esprit de l’Église, dans l’Évangile. C’est clair, c’est net : la loi, c’est la vérité, c’est être pour ou contre le Christ.
En nous faisant comprendre que pour « accomplir » la loi, le Christ a voulu s’anéantir Lui-même, vous nous avez conduits dans une méditation d’une profondeur remarquable.
Deuxième grande partie : les rapports Loi divine, loi de la société. Là, évidemment, il y avait beaucoup à dire et vous en avez dit beaucoup. Ce qu’il y a de remarquable c’est votre constatation de l’espérance nécessaire à toute politique. Il n’y a pas de politique sans espérance. Je ne sais pas si j’ai bien compris mais au fond certains communistes polonais ont été probablement séduits par le langage de l’Évangile qui leur a redonné l’espérance. J’ai une expérience analogue. J’ai fait au Conseil économique et social un rapport sur la promotion sociale. J’ai donné une page entière de Pie XII qui a rendu enthousiaste la C.G.T. qui n’en connaissait pas l’auteur…

Philippe Laburthe-Tolra : En ce qui concerne les Églises orientales, vous avez eu l’air d’insinuer qu’elles ne sont pas toujours forcément inspirées du Saint-Esprit. Pourtant, quand on voit cela de loin, comme je le fais, ne peut-on envier cette liberté presque totale qu’ont les Libanais, par exemple, de choisir leur Église ? Je pense à ce qu’a fait à leur exemple quelqu’un que j’ai beaucoup aimé et qui vient de disparaître, Bruno Neveu. Est-ce que ces chrétiens ont trouvé quand même par là, à ce moment-là, une espèce de ferveur ou de vérité évangélique dans telle ou telle de ces Églises ? Qu’en pensez-vous ?

Mgr Philippe Brizard : Loin de moi l’idée de dire que ces Églises orientales sont dépourvues de l’Esprit-Saint. Ce n’est pas du tout ce que je voulais dire.
Je voulais simplement relever que, tout ce qui est humain étant ambivalent et ambigu, y compris dans les institutions ecclésiastiques, on y trouve du bien et du moins bien. En outre, il faut se rendre compte qu’accepter d’être le pasteur et le responsable d’une Église dépasse les forces. On est obligé d’accepter d’être dépassé.
Ces Eglises orientales sont bien affaiblies. Faisons un peu d’histoire. Il y a bien des siècles, ces Églises étaient majoritaires, particulièrement en Syrie et en Egypte, lors de l’invasion arabo-musulmane, au VIIe siècle. Les chrétiens d’aujourd’hui sont les lointains descendants de ces populations originairement chrétiennes. Elles ont donc subi l’invasion. Elles ont accueilli la langue et la culture arabe. On peut même dire qu’elles ont porté cette culture. Donc loin de moi de mépriser ces Églises qui sont importantes et qui portent une histoire lourde de sens. Mais, et cela leur donne des excuses, elles ont vécu de telles années de dhimitude – statut de protectorat octroyé aux Chrétiens et aux Juifs par le Coran – qu’elles ont toujours l’habitude de négocier le moindre avantage pour simplement se maintenir. D’où un état d’esprit parfois désarmant. Je vous en donne deux exemples. En Syrie d’abord. Vous le savez, le régime politique y est dictatorial et ressemble à celui de Saddam Hussein et il est laïque. Les événements l’ont affaibli. Selon le nonce apostolique à Damas, le moment semble favorable de relever la tête. Les évêques n’osent pas et préfèrent rencontrer le pouvoir en ordre dispersé. En Irak, la communauté chaldéenne est fort nombreuse, plus de la moitié des Chrétiens. Leur patriarche meurt. Paix à son âme. Le Synode se réunit pour élire son successeur. Les évêques chaldéens ont été incapables de se mettre d’accord. Ces exemples illustrent mon propos sur la faiblesse de ces Eglises.

Janine Chanteur : Au cours de votre exposé si riche, je me suis demandé si, dans le monde moderne, celui dans lequel nous vivons et avec la culture qui est maintenant la nôtre, on pourrait dire, à partir des paroles du Christ sur la Loi : « Je ne suis pas venu détruire la loi mais l’accomplir » que notre devoir est désormais à la fois de dépassement et de conservation. Ce sont des termes qui ont été appliqués à l’histoire surtout en Allemagne qui a parlé de “Aufhebung”, mot intraduisible en français sinon par une périphrase « dépasser en conservant ». Si l’on pouvait reprendre ces termes, peut-être pourraient-ils s’appliquer justement à la vie spirituelle et à la vie morale. Ce dépassement et cette conservation seraient l’œuvre majeure de notre liberté avant même de s’appliquer à l’histoire. Car, dans son déroulement, l’histoire oublie ou bien la conservation, ou bien le dépassement. Si elle oublie la primauté de la vie spirituelle, comme vous nous l’avez bien montré, laquelle est nécessairement en phase avec la vie morale, l’histoire risque de se perdre soit dans l’enfermement des dogmatismes et de l’immobilisme de la conservation, soit dans les mouvements révolutionnaires qui ne conservent plus rien et qui engloutissent la liberté dans la terreur. Peut-on faire cette analogie entre la philosophie de l’histoire et les paroles du Christ ?

Mgr Philippe Brizard : Tout à fait d’accord avec l’Aufhebung. Relèvement ou dépassement. Les normes spirituelles dont j’ai parlé offrent des normes d’actions pratiques pour agir. L’agir humain fait l’histoire. Nous ne pouvons pas, sans nous déshumaniser, avancer sans mémoire. Nous avons même cette particularité, nous Chrétiens, d’avoir à la fois, la mémoire du passé et la mémoire du futur dans laquelle l’Aufhebung prend sa place. Le Cardinal Lustiger serait là qu’il en ferait un grand développement.

Pierre Boisard : On pourrait reprendre une parole récente de Jacques Chirac en Normandie disant qu’il n’y a pas d’avenir sans mémoire.
Je voudrais seulement préciser deux points. Le premier c’est que vous avez parlé des martyrs contemporains et vous avez cité des martyrs des Églises catholiques. Or, ce qui m’a beaucoup frappé dans la pensée de Jean-Paul II, c’est qu’il parle souvent des martyrs des autres Églises, par exemple orthodoxe. C’est une petite remarque.
Le second, c’est sur la recherche de la vérité. Actuellement ce dont nous souffrons beaucoup c’est qu’on ne dit plus la vérité, en particulier dans les médias. On le voit à propos de la justice, on le voit à propos des intermittents. Un conseiller à la Cour des Comptes de mes amis a été chargé par le ministre des affaires culturelles de trouver un moyen de conciliation à propos de ces intermittents du spectacle et il me disait : tout le monde ment ! Et les médias en rajoutent ! Les médias mentent. Et c’est justement dans cette recherche de la vérité qu’on arrivera non pas à transgresser la loi mais à l’accomplir vraiment, me semble-t-il.

Mgr Philippe Brizard : Il y a deux questions. La première : si j’étais à Lwiw ? C’était aussi pour une cérémonie assez étonnante. Dans la cathédrale de Lwiw, le Cardinal Husar, archevêque majeur des gréco-catholiques, a présidé la cérémonie de réception des martyrs, reconnus tels par l’Église orthodoxe, dans l’Église gréco-catholique. Une telle attitude est une main tendue vers l’orthodoxie – Dieu sait combien les rapports avec elle sont difficiles dans cette partie de l’Europe. Elle s’appuie sur une règle canonique selon laquelle toutes les sanctions canoniques tombent avec la mort. Il n’y a pas lieu de considérer ceux qui sont morts pour la foi chrétienne comme des schismatiques. C’est de bonne foi, en outre, qu’ils n’appartiennent pas à l’Église catholique. Le problème reste délicat.
Votre seconde question portant sur la vérité me rappelle les observations de Solidarnosc : « Vous dites que vous détenez la vérité ? Discutons-en. La vérité, vous ne l’avez pas tout entière. Je ne l’ai pas tout entière. Nous avons à la faire advenir entre nous. La vertu du dialogue est indispensable pour faire advenir cette vérité pratique. Ce n’est pas la Vérité avec un grand “V”, ce n’est pas la vérité ontologique, mais c’est la vérité qui permet de suivre un chemin de vérité ».

Henri Lafont : Vous avez parlé de la Loi. Qu’est-ce que la Loi ? Saint Jean dit : aimer Dieu c’est observer ses commandements. Qu’est-ce que c’est que « les commandements » de Dieu ? Est-ce le Décalogue ? Est-ce la loi mosaïque ? Si c’est le Décalogue, cela nous va très bien parce que, finalement, Jésus dans son sermon sur la montagne a développé le Décalogue en montrant qu’il ne se limitait pas véritablement aux actes de barbarie mais que l’on devait l’envisager d’une façon beaucoup plus intelligente. Mais la loi mosaïque, c’est une loi dont nous n’avons pas conservé grand chose nous autres les Chrétiens, C’est le thème du débat entre saint Paul et l’Eglise de Jérusalem. Quand on lit Saint Paul et qu’on entend ce qu’il dit de la Loi c’est assez déconcertant : pour lui, la loi conduit au péché. Est-ce que c’est un appel à une transgression majeure ou est-ce que c’est au contraire nous ramener vers une loi qui est la Loi divine exprimée sur le mont Sinaï et non pas la loi mosaïque qui est une loi transitoire ? Il faudrait comprendre Jésus quand il a dit : « pas un iota de cette loi ne sera changé » Ce n’est probablement pas de la loi mosaïque qu’il parlait.
Vous avez évoqué de façon assez rapide : tolérance et laïcité. Quelle différence y a-t-il entre la tolérance chrétienne et la tolérance laïque ? En quoi la laïcité peut-elle nous aider à progresser dans la tolérance ?

Mgr Philippe Brizard : Nos frères aînés dans la foi, les Juifs, ont des choses à nous dire. La Loi est plus que la simple loi juridique, ou même, la simple loi morale. La Loi, la Torah faudrait-il plutôt dire, et c’est son originalité, est le moyen que Dieu donne à son peuple pour qu’il tienne dans son Alliance. Vous avez dans la Bible des pages fantastiques sur la Loi. Le sommet se trouve en Deutéronome 30 : « Je te donne à choisir entre la vie et la mort… Choisis donc la vie et tu vivras en observant mes décrets et mes commandements ». La Loi, elle est donc pour la vie. Vous n’étiez pas un peuple et vous êtes devenus un peuple parce que je vous ai donné une loi. Loi pour vivre de ma vie divine dans mon Alliance. La notion d’Alliance est très importante ; elle conditionne notre anthropologie et fait la différence avec les Musulmans. Par exemple, nos conceptions chrétiennes sur le rapport de l’homme et de la femme sont complètement conditionnées par l’Alliance. Le mariage est une alliance et une figure de Dieu. Rien de cela dans l’Islam. Le mariage y est le droit de l’homme, du mâle. La femme n’a aucun droit.
Le problème de la Loi, Paul l’a bien compris, c’est qu’elle a fini par ne plus indiquer que ce qu’elle interdit. Or on a toujours envie de passer par-dessus les barrières. On l’a tous fait, plus ou moins gravement (on en est plus ou moins honteux), ce qui permet à Monsieur Aumonier de dire felix culpa ! Vous avez raison.
La Loi se décline en préceptes et commandements en nombre infini dont le résumé est le commandement d’amour. Or la pierre de touche de l’amour est le pardon. Telle est la révolution chrétienne, telle est la révolution du martyr, aujourd’hui. Cette affaire n’a pas été comprise quand le Pape a voulu parler de repentance. Le pardon est une transgression de la loi parce qu’il va au-delà de la loi. Il faut en voir le fonctionnement et comprendre l’originalité chrétienne. J’ai l’habitude de dire, parfois méchamment, qu’il n’y a pas de charité sans justice et il n’y a pas de pardon sans reconnaissance des torts. Je crois que c’est cohérent au point de vue de la structure de la conscience. Est-ce suffisant ? Il faut pouvoir aller jusqu’au pardon malgré l’injustice. Voilà la révolution. J’ai été frappé dans les pays de l’Est par le fait que la chute du communisme n’a pas donné lieu à des procès insensés contre les criminels du régime. Il faut dire que les procès à grand spectacle de l’après-guerre n’ont pas donné une bonne image de la justice judiciaire. Mon prédécesseur, dans la dernière communication, avait montré qu’en France également, l’appareil judiciaire n’a pas bonne presse et je confirme son assertion. Mais on se rend compte aujourd’hui que le pardon n’est pas possible sans que la vérité n’ait été dite. Sinon, on glisse, on surfe sur l’histoire. A contrario, nous voyons bien quelle tentation saisit les pays de l’Est d’oublier l’histoire récente et d’en reprendre le cours là où on l’avait laissée, avant la prise du pouvoir par les communistes. Voyez les peuples en Yougoslavie : ils ont repris leurs querelles comme en 1939. Je crois qu’il y a là un travail de mémoire à faire sur ce qui s’est passé pendant la période communiste. Pardonner n’est pas oublier.

Jean-Luc Granier : Devant les rigueurs, des enfermements de la loi mosaïque et de la loi musulmane, pour reprendre le terme de Madame Chanteur, la mission de l’Œuvre d’Orient que vous présidez, Monseigneur, au service des Chrétiens d’Orient, ne serait-elle pas d’obtenir, par son intercession, si on y fait appel – ou en attendant patiemment qu’on y recoure pour garder une certaine neutralité et ne pas entrer trop directement dans les éléments du conflit actuel – ne serait-elle pas d’obtenir la « désactivation » dont vous parliez tout à l’heure de ces lois traditionnelles ? Ce serait tenter d’ouvrir ainsi « la brèche du futur », grâce à l’ouverture catholique en matière de tolérance, de laïcité, grâce aussi à sa loi d’amour et de pardon ?

Mgr Philippe Brizard : Très bien, merci. Vous me rappelez que je n’ai pas répondu à la question sur la tolérance et sur la laïcité.
Tous ces pays sont des « accrocs » de la loi. Nous aussi d’ailleurs, mais nous ne nous en rendons pas toujours compte. Quitte à passer pour un libéral dans ma façon de concevoir le droit, je pense que « de règles point trop il n’en faut ». Il faut faire confiance aux gens. À force de vouloir tout réglementer, tout prévoir, on fige les choses, on les bétonne, on tue l’initiative dans l’œuf. A ce propos, le principe de précaution est une catastrophe pour le droit et pour la société. Heureusement, là-bas, on n’est pas encore au principe de précaution ! Mais il y existe un impératif de la loi, un absolu de la loi qui est intolérable quand la distinction n’est pas faite entre ce qui est de l’ordre civil et ce qui est de l’ordre religieux. Je crois que le premier laïc que la terre ait porté s’appelle Jésus-Christ. Il était d’abord laïc et non point prêtre en Israël. De plus, pour être sûr qu’il ne sera pas prêtre du fait de son état de premier-né, il fut racheté. Tel est le sens de la Chandeleur : on a présenté Jésus au Temple pour le laïciser, pour qu’il n’ait pas la fonction religieuse du chef de famille.
La laïcité, au sens chrétien du terme, c’est la distinction des ordres. Ils n’ont pas à intervenir l’un dans l’autre. Le pays où existe la plus grande séparation des pouvoirs s’appelle les Etats-Unis d’Amérique. Hormis une allusion dans la Constitution, et pas simplement sur le billet de banque, il n’y a aucune loi touchant aux rapports de l’État avec la religion. C’est le cardinal Jean-Louis Tauran qui a remarqué cette séparation absolue aux Etats-Unis ; je l’ai rappelée dans une conférence que j’ai donnée à l’Institut des hautes études de la défense nationale sur le fait religieux en Europe.
Tolérance et cette laïcité sont des valeurs universelles qui doivent être pratiquées à moins de faire régresser l’humanité. Que puis-je faire au titre de ma mission ? D’abord je dois respecter les lois de l’Etat dans lequel je me trouve sinon je prends le risque de me faire reconduire à la frontière. Cela ne veut pas dire que je ne dois pas défendre la vérité. Je dois dire vrai, mais je ne suis pas obligé de tout dire. Relativement au conflit en Irak, j’ai dit, haut et fort, que l’intervention du Président Bush et des Etats-Unis en Irak était une imbécillité première parce qu’on accusait d’islamisme un pays qui ne l’était sûrement pas parce qu’il était laïc. Je me suis fait reprocher cette prise de position. Je m’appuyais sur les paroles du Pape et sur la diplomatie du Saint-Siège. Mais les mentalités n’évoluent pas comme çà. Prenez la Turquie, où je me suis rendu plusieurs fois. C’est un pays laïc, selon sa Constitution. Mais sa laïcité est un tel anti-christianisme que, finalement, il donne de la bande du côté de l’islamisme. Devant de telles situations, je fais ce que je peux. Je ne suis peut-être pas assez mordant.
Une autre considération à prendre en compte. Dans bien des pays, la règle constitutionnelle tend à permettre à diverses communautés de vivre en bonne intelligence. C’est d’ailleurs une chose que les Occidentaux ont du mal à comprendre : on ne peut pas projeter nos idées de démocratie là-bas. Notre idée de la démocratie avec son libéralisme et son individualisme nous vient de la fin XVIIIème siècle avec les révolutions américaine ou française. Mais là-bas, l’individu ne compte pas. La personne est forcément située dans une communauté et les communautés ont l’habitude de vivre les unes avec les autres comme dans une mosaïque. De temps en temps, des heurts se produisent, mais au long de l’histoire, on voit bien que ces communautés sont habituées à vivre ensemble. Méconnaître cette mosaïque de communautés, c’est prendre un risque énorme qu’a pris le Conseil de Sécurité avec sa dernière résolution : en méconnaissant le droit des communautés ou en situant les affaires religieuses au niveau du patrimoine, on laisse libre cours à toutes les violences parce que la minorité majoritaire (on ne peut pas parler de vraie majorité) l’emporte sur la loi du suffrage universel.

Françoise Seillier : Est-ce qu’il n’y a pas une réflexion très éclairante au début de Familiaris consortio quand le Pape dit qu’il ne faut pas confondre deux réalités très distinctes : la loi de gradualité : on accomplit le bien dans un cheminement pédagogique bien sûr et la gradualité de la loi qui elle n’est pas acceptable ? Je trouve personnellement que c’est très éclairant.

Mgr Philippe Brizard : C’est un cours de théologie fondamentale.

Françoise Seillier : Je pense que cela fait référence au dialogue, dans l’Évangile, quand on oppose au Christ la loi de Moïse : « mais Moïse nous a permis de répudier nos femmes… » et le Christ dit : « c’est à cause de la dureté de votre cœur que Moïse a donné cette permission mais maintenant il n’en est plus ainsi puisque vous avez ma grâce » et d’ailleurs « au commencement il n’en était pas ainsi ».

Nicolas Aumonier : Monseigneur, j’ai beaucoup aimé le moment de votre communication où vous avez rappelé la ruse du Pape : discuter avec les communistes de vérité pratique, ce qui a libéré toute forme de vérité. Une attitude comparable serait-elle possible, dans le domaine de la bioéthique, avec les musulmans ?

Mgr Philippe Brizard : En vous écoutant, je pensais aux deux conférences, celle du Caire et celle de Pékin, sur la population où il y avait eu des interventions du Saint-Siège qui avaient été remarquées et qu’on avait torpillées parce que l’on reprochait au Pape et à ses représentants de parler dans des perspectives qui ressemblaient à celles des Musulmans. On a une conception de la vie et du respect de la vie qui se rapprochent un peu dans le domaine, en particulier, du respect de la vie.

Nicolas Aumonier : A propos de l’expérimentation sur l’embryon humain, à propos de clonage dit thérapeutique, la prise en compte de la position des musulmans n’inspirerait-elle pas à nos gouvernants plus de prudence et de considération que la position chrétienne, souvent source d’inutiles blocages ?

Mgr Philippe Brizard : Derrière la question que vous posez se trouve un phénomène de société. Notre société est en crise d’individualisme : il faut que les lois, même les lois portant sur des questions scientifiques, donnent aux individus le droit d’agir comme ils l’entendent en les dispensant de réfléchir moralement. Cela a donné la loi sur l’avortement. Tout découle de là. Les musulmans, de ce point de vue, sont protégés par leur sens de la communauté et celui de la vie.
D’autre part, notre société s’ingénie à gommer sans cesse les différences, ce qui va générer une énorme violence. Ainsi du mariage, mais aussi du PACS pour faire comme si, du mariage normalement hétérosexuel mais aussi du mariage homosexuel. On tombe dans le ridicule. A force de faire tomber les barrières qui cadraient les affaires, nous déstructurons la société qui retourne au magma primordial. Il ne faut pas oublier que la Création s’est faite par la différence et non pas en niant les différences. Ce principe est absolument général et s’applique aussi aux sujets que vous évoquez