Par Anne Duthilleul, Ingénieur général des Mines, membre du Conseil de l’AES
Hervé l’Huillier : Nous poursuivons aujourd’hui notre cycle sur la question que nous avons choisie pour cette année : Qu’est-ce que la vérité ?
Question essentielle pour l’homme ; question à laquelle on peut accéder par des angles de vues très divers. Et nous avons déjà abordé cette question avec le regard de l’homme de science, du sociologue, du magistrat, du médecin et du journaliste. Aujourd’hui nous sommes invités à envisager la question de la vérité avec le regard du responsable d’entreprise. En l’occurrence d’une responsable d’entreprise de premier plan, qui nous fait un très grand honneur en participant à notre réflexion.
Anne Duthilleul, vous êtes une figure emblématique bien connue de la plupart d’entre nous. Vous êtes celle qui est entrée major à Polytechnique en 1972, la première promotion où les jeunes filles étaient admises, démontrant cette vérité d’évidence et pourtant peu admise à l’époque, que les femmes peuvent faire aussi bien, voire mieux, que les hommes dans les études, notamment les études scientifiques destinées aux plus hautes positions dans le public comme dans le privé. Et cette vérité vous en avez été le témoin tout au long de votre vie professionnelle. Pour tous nos amis, je rappelle très vite les principales étapes de celle-ci :
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De 1978 à 1982, ingénieur au corps des mines, vous êtes à la direction générale des mines et des matières premières, au ministère de l’Industrie, vous occupant des mines et du plan uranium ;
• De 1982 à 1986, vous êtes à la direction du budget du ministère de l’Économie, des Finances et du Budget, chef du bureau recherche, aéronautique, informatique, aide au commerce extérieur ;
• De 1986 à 1988, vous êtes conseiller technique, puis directeur adjoint du cabinet du ministre du budget (Alain Juppé) ;
• De 1988 à 1991, secrétaire général du CNES ;
• De 1992 à 1995, Responsable du département stratégie de la division transport de CEG-Alsthom ;
• De 1995 à 2000, conseiller technique à la Présidence de la République (affaires industrielles, politiques sectorielles, industrie, agriculture, environnement) ;
• De 2000 à 2009, présidente de l’ERAP, et en même temps simultanément ou successivement administrateur d”Eramet, Areva NC ;
• En 2001 vous êtes nommée ingénieur général des Mines ;
• En 2003 vous êtes chargée, intuitu personae, d’une mission sur les grands projets de nickel en Nouvelle-Calédonie ;
• En 2004, vous êtes nommée également au conseil économique et social, représentant les entreprises publiques ;
• En 2005, on vous ajoute la présidence du groupe de personnalités qualifiées chargées d’émettre un avis sur les pôles de compétitivité ;
• En 2006, vous êtes nommée administrateur du CNES et en 2009 administrateur d’Eiffage.
Quand on fait la synthèse, on s’aperçoit qu’il ne manque guère que les sports et la culture. Pour que ce dernier volet ne reste pas en friche, vous avez écrit un livre avec votre mari, polytechnicien comme vous et architecte : On n’arrête pas la liberté, dans lequel vous convoquez un nombre considérable d’autorités philosophiques, littéraires, scientifiques et religieuses, d’Héraclite à René Girard, en passant par saint Thomas d’Aquin, Descartes ou Jean-Paul Sartre ; de Calderon à Malraux, en passant par Dostoïevski et Saint-Exupéry ; de Niels Bohr à Azimov, en passant par Einstein et Louis de Broglie ; de la Bible à Jean-Paul II en passant par Pascal et le père Louis Bouyer.
En dehors de ce livre, nos amis peuvent savoir que vous avez eu cinq enfants et concilié avec bonheur votre vie de famille et votre vie de travail : vous en avez donné un éclairage lors des semaines sociales en 2000.
J’ai cru comprendre aussi que vous êtes passionnée d’astronomie (d’ailleurs, vous parlez beaucoup de Galilée dans votre livre).
En d’autres termes, vous êtes sans doute la responsable d’entreprise à l’expérience multiple ; mais vous êtes aussi l’exemple d’une vie à la recherche de son unité et de sa fécondité, ce en quoi tient la vérité de la personne humaine, qui sort par le haut de ses contradictions.
« Dame contradiction », vous en parlez souvent dans votre livre, et de la vérité comme s’affirmant à la faveur des contradictions, citant maintes fois cette phrase de Niels Bohr : « le contraire d’une vérité profonde peut être une autre vérité profonde ». Vous avez déjà évoqué cette approche dans la question que vous aviez posée lors de la première communication de ce cycle ; certains s’en souviennent sans doute, je pense que vous allez y revenir. Le contraire de la vérité n‘est pas seulement le mensonge : c’est aussi l’erreur ou l’ignorance. Nous avons entendu que la vérité rend libre. Aussi avons-nous hâte de vous entendre.
Anne Duthilleul : Qu’est-ce que la vérité ? Que répondez-vous à Pilate ? Tel est le thème retenu pour le cycle de communications de l’académie cette année et, pour avoir assisté à celles-ci, j’ai pu constater qu’elles mettaient la barre très haut sur le plan philosophique, tout en restant accessibles pour nourrir les réflexions de chacun. Me voilà donc au pied du mur…
Comme vous l’avez vu dans la présentation, je vais me placer du point du vue qui est le mien, qui n’est pas univoque, mais multiple, comme pour la plupart d’entre nous : scientifique, haut-fonctionnaire, cadre ou dirigeante d’entreprise publique ou privée et tout simplement mère de famille ou citoyenne… J’essaierai d’illustrer ces divers points de vue dans la deuxième partie, mais tout d’abord quelques réflexions théoriques !
Je reviens un instant au texte de l’évangile : « Qu’est-ce que la Vérité ? », demande Pilate à Jésus. Les autres évangélistes insistent sur le fait que Jésus ne répond plus rien à partir de ce moment-là. En tout cas St Jean dit que, sans attendre la réponse, Pilate sortit du palais pour s’adresser à ceux qui L’accusaient…
Dans cette ultime question adressée à Jésus, comment ne pas reconnaître la question que se pose tout homme sur cette terre ? « Qu’est-ce que la Vérité sur ma vie ? Sur le monde qui m’entoure ? » Et je partirai pour ma réponse, en terme de méthode, du fait que Jésus n’y a pas répondu. Pourquoi ?
Pour moi, en effet, ce silence est voulu par le Christ comme un signe de notre liberté : d’une part, Il nous laisse chercher nous-mêmes la réponse, et cela dure depuis que l’homme existe, de découvertes en inventions et de théories en expériences, et ainsi de suite… D’autre part, Il veut que nous trouvions nous-mêmes sans être aveuglés par Sa lumière, car s’Il la dévoilait lui-même d’un seul coup, nous ne pourrions pas voir tant elle nous aveuglerait.
Nous sommes donc lancés par cette question dans un double mouvement : celui de la connaissance du monde, par la science notamment, et celui de la connaissance de l’homme et de sa fin ultime, par le fameux « connais-toi toi-même » qui nous permet de comprendre ce qui nous fait agir. Celui de l’intelligence qui appréhende ce qui l’entoure pour l’analyser et s’en nourrir, et celui de la volonté qui nous meut, de l’amour qui nous porte vers le monde et les autres.
Le premier registre, celui de l’intelligence, a été magnifiquement décrit ici par Jean Baechler, sociologue, il y a quelques mois. C’est aussi le registre d’Aristote ou d’un Saint-Thomas d’Aquin tel qu’on l’apprend en philosophie.
Le second, celui de la volonté ou de l’amour, reflète plus un aspect méconnu de saint Thomas d’Aquin, qui dans sa dernière œuvre intitulée « De Malo » complétait son « Volo quia intelligo » : « je veux parce que je connais, je comprends », par son symétrique parfait « Intelligo quia volo » : « je connais parce que je veux, parce que j’aime »… C’est cette complémentarité fondamentale qui constitue la liberté de l’homme.
Mon mari et moi avons travaillé sur ces sujets avec un cousin Dominicain, professeur de philosophie et théologien, en essayant de traiter la question en philosophie pure (non religieuse) et cela nous a conduits au livre intitulé « On n’arrête pas la liberté » qui est la base de notre compréhension de l’homme et du monde, mais aussi la base de notre action, qu’elle soit professionnelle ou personnelle.
Que répondons-nous à la question de Pilate sur le monde d’abord, sur l’homme, donc sur chacun d’entre nous ensuite ?
1 – Sur le registre de la connaissance du monde qui nous entoure, comme scientifique, je voudrais insister sur l’apport de la physique moderne avec Einstein, mais aussi Heisenberg ou Bohr : tout d’abord, le réel ne peut pas être connu directement, mais par deux approches contradictoires. Ainsi la lumière est à la fois corpusculaire et ondulatoire, donc discontinue et continue… Défi à notre rationalité cartésienne !
Plus encore, il subsiste dans toutes les approches scientifiques de la physique une incertitude irréductible, qui peut même se calculer : si on connaît la position d’une particule, on ne peut approcher sa vitesse qu’avec une incertitude donnée, c’est à dire dans un nuage de probabilité, et non exactement, dans la même mesure… Et inversement, si on connaît sa position, sa vitesse n’est pas mesurable sans une marge d’incertitude. Cela coupe court à tout déterminisme mécanique !
Cela veut dire aussi que les connaissances humaines sont empreintes de limites qu’il nous faut reconnaître avec humilité. Plus on progresse, plus on voit ce que l’on ne sait pas ou pas encore, tout en reconnaissant que l’on ne pourra humainement jamais tout savoir.
Le scientifique est donc amené à conduire ses travaux selon deux mouvements contradictoires :
vouloir repousser sans cesse les limites et garder l’espoir des découvertes suivantes pour améliorer les connaissances de l’homme sur le monde ;
et en même temps croire que ces limites ne seront jamais abolies. Pour le Chrétien, elles ne seront abolies que face à Dieu, lorsque nous Le verrons tel qu’Il est. Pour le non-Chrétien, il doit croire qu’il se rapproche des autres éléments du cosmos dans lequel baigne notre immanence, ou au moins qu’il fait progresser l’humanité pour pouvoir mieux agir lui-même, directement, au plan « séculier ».
2 – Sur l’homme lui-même, et donc chacun d’entre nous, qu’est-ce que nous en apprenons ? Cet exemple de la science nous montre que, de toute façon, l’homme est poussé à chercher, qu’il ne s’arrête jamais dans ce mouvement, fondé sur sa liberté fondamentale, de la volonté qui le meut et de l’intelligence qui appréhende la réalité.
Sartre lui-même, décrit comme le philosophe du néant, avait exprimé dans plusieurs œuvres cette liberté irréductible : dans « Les Mouches » c’est Oreste qui dit à Jupiter : « Tu m’as créé libre, maintenant je suis ma liberté ! », ou dans un « Conte de Noël » écrit au Stalag, « Laisse ton enfant naître, une liberté toute neuve… ».
L’homme cherche donc. Mais que cherche-t-il à travers ce mot de Vérité sur lui-même ? Nous disons dans notre livre qu’il cherche son bonheur, ce pour quoi il est fait, par la définition que l’on peut donner du mot « bonheur ». Cela peut être aussi défini comme « sa vérité », mais objective et non seulement subjective, j’insiste sur ce point. C’est la cause ultime, la fin, en même temps que le principe qui fait agir chacun des hommes.
Des exemples peuvent éclairer cette notion : une bateau est fait pour naviguer comme un oiseau pour voler. Et Bernard Moitessier l’avait bien compris, lorsqu’en arrivant premier de son tour du monde il repart sans s’arrêter sur son « Jossuah »…
Une autre façon de faire la preuve objective de ce qui nous convient, c’est de mesurer son efficacité : comme le figuier de la parabole, nous portons du fruit lorsque nous sommes « dans notre élément ». Ou comme le disait très bien le Père Maximilien Kolbe à ses élèves, lorsque notre volonté avec un petit « v » est dirigée dans la même direction que la Volonté avec un grand « V » de Dieu, c’est-à-dire vers notre bien, ce qui nous convient le mieux dans l’absolu, elle est infiniment plus efficace, nous pouvons nous en rendre compte tous les jours.
Et cela peut se mesurer objectivement, à condition de venir en pleine lumière. Nous rebouclons avec le prologue de St Jean, qui a déjà été cité ici. « Le Verbe était la vraie Lumière, qui éclaire tout homme en venant dans ce monde ».
N’est-ce pas l’image que nous avons de la Vérité ?
A ce sujet, je dis souvent à mes enfants que ce qu’ils font de bien supporte de venir à la lumière (donc d’être connu), alors que ce qui reste dans l’ombre, inversement, risque toujours d’être perverti, qu’on le veuille ou non. C’est un test, qui n’empêche pas une certaine réserve ou discrétion vis-à-vis d’eux sur la part intime de leur vie, bien sûr…
3 – Quelles conséquences tirer de ces éléments de réflexion ?
La vérité sur soi-même rend libre, comme la connaissance du monde donne le pouvoir d’agir dessus. C’est dans ce monde que nous avons à exercer notre intelligence et notre volonté, par notre liberté, dans la vérité et l’amour. Cela nous rappelle quelque chose ! Ce n’est pas par hasard que l’encyclique de Benoît XVI sur l’Eglise dans le monde s’intitule « L’Amour dans la Vérité » : elle décrit ce qu’est l’homme à développer tout entier, comme un tout, et pas seulement en partie, même si l’on ne peut le voir que par parties, comme nous le savons…
Pour ma part, très concrètement, je voudrais citer quelques domaines de la vie auxquels nous pouvons appliquer ces réflexions.
Premier domaine, celui de la science, qui nous permet de mieux comprendre le monde et la réalité, pour agir en connaissance de cause dans le sens de l’épanouissement de tout homme. Elle approche de plus en plus de la réalité par des aspects contradictoires, mais complémentaires, et, en même temps, la science est toujours à remettre sur l’ouvrage, toujours imparfaite, car due à l’homme dont la vision est fracturée, divisée, comme nous l’avons vu à plusieurs reprises ici…
Cette vision imparfaite, pleine d’incertitudes, ne doit pas cependant nous arrêter : Dieu lui-même a voulu cette discrétion, j’en suis persuadée, pour ne pas nous éblouir par la splendeur de sa création et de son dessein de salut. Cela nous écraserait de tout voir d’un coup, si nous n’avions pas d’abord cherché et en quelque sorte aiguisé notre vue sur ce qui nous échappe encore. Si l’on n’apprend pas à contempler un tableau, on ne voit rien de ce qui distingue un artiste lors de la première visite d’une exposition. Nous nous préparons ainsi toute notre vie à la vision ultime, c’est un devoir, chacun dans son domaine, bien sûr…
Deuxième domaine, celui de l’entreprise, des projets auxquels nous participons, car nous sommes amenés à agir dans le monde, sur la réalité qui nous entoure, bien que nous la comprenions imparfaitement, c’est aussi un devoir de faire advenir le Royaume de Dieu. Il compte sur nous ! Or, à tout instant, nous nous heurtons à des contradictions, pas seulement entre les personnes, mais entre les objectifs poursuivis, toujours ou souvent multiples, comme les contraintes multiples elles aussi dans tout projet complexe.
Comment faire ? La liberté que nous avons en nous est la capacité de créer des réponses diverses qui répondront plus ou moins bien aux besoins (« Quod possit in diversa », selon saint Thomas d’Aquin). A nous d’inventer, au-delà des difficultés, le projet qui rassemble. Mon mari fait cela tous les jours en tant qu’architecte ! Il ne s’agit pas de choisir entre deux possibilités, mais de créer ce qui n’existe pas encore, pour concevoir un projet répondant aux contraintes, ajusté, donc « juste ».
De même, j’ai été souvent amenée à inventer des solutions dans des négociations sur des projets industriels, entre les contraintes des différents partenaires, les parties prenantes, comme on dit maintenant, ou bien entre les contraintes financières et les objectifs techniques ou les moyens humains à préserver… Ce ne sont pas des compromis, mais de véritables solutions nouvelles qui émergent des discussions et du travail d’élaboration.
Par exemple, devant la nécessité d’être plus compétitif et le niveau des frais fixes, y compris du personnel dans une usine, il y plusieurs façons de procéder : couper dans tous les coûts, y compris en licenciant du personnel, ou augmenter le chiffre d’affaires permettant d’amortir les mêmes coûts, pour gagner en coût unitaire et « alimenter » son usine en prenant de nouveaux contrats. Face à une personne peu ou mal employée, on peut aussi adopter deux attitudes : celle de la sanction immédiate ou celle de l’aide pour trouver le lieu, la formation ou la façon de mieux en tirer parti selon ses capacités. Et alors, son épanouissement fait gagner aussi l’entreprise en efficacité, c’est clair !
C’est le rôle des cadres et des dirigeants d’inventer à tout moment la manière de rendre plus adapté le travail de chacun, libérant ainsi ses capacités, sa volonté, et de montrer le cap, permettant de comprendre l’objectif et d’y adhérer d’autant mieux. Sachant ce qu’est l’homme, liberté placée entre son intelligence et sa volonté, c’est la seule voie possible !
Enfin la vérité est de plus en plus exigée comme un critère de comportement responsable des entreprises : « dire ce qu’on fait et faire ce qu’on dit », tel est un des volets de la responsabilité sociale. Il ne s’agit pas que de transparence, parfois invoquée pour aller vers une quasi inquisition dans le souci de tout dire ou faire dire, mais de la conformité de l’action au discours. Et surtout le refus du mensonge – qui rend fou et se retourne toujours in fine contre ses auteurs – dans les relations humaines et sociales. « Etre vrai » est donc un impératif des entreprises comme de leurs dirigeants et salariés.
Troisième domaine, celui de l’Etat, qui doit jouer son rôle, mais ne doit pas non plus tout faire lui-même, au risque de stériliser les initiatives privées. Il doit donner un cadre protégeant les plus faibles et incitant les plus imaginatifs à se lancer et à créer. En tant que citoyen, a fortiori comme fonctionnaire, nous avons notre mot à dire et notre pierre à apporter. Pour cela le maître-mot, bien peu utilisé, serait la « confiance » instaurant une relation d’égal à égal et non celle du « pot de fer contre le pot de terre »… Cela passe par une confiance dans la rigueur et la constance de l’Etat, pour appliquer ses propres règles et ne pas les changer au gré des humeurs.
Dans les entreprises publiques aussi l’intelligence et la volonté, comme j’ai essayé de le prouver pendant des années, ça peut marcher. C’est ce que vient de redire le Président de la République à propos de la politique industrielle en demandant aux administrateurs de l’Etat de jouer un rôle dans la définition de la stratégie, et pas seulement au plan financier…
A la Direction du budget, où j’étais il y a plus de vingt ans déjà, les dossiers étaient pesés sur le plan de l’intelligence de façon très remarquable. Il ne s’agissait pas de décisions abruptes, mais raisonnées, et on avait tout intérêt à venir expliquer son dossier de façon détaillée, car « plus on connaît, plus on aime », comme disait St Thomas d’Aquin. Je l’ai vécu. Je ne sais pas (doux euphémisme) si cela fonctionne encore comme cela, car même de l’intérieur de l’administration, on a un peu de mal à obtenir une réponse, a fortiori un rendez-vous pour s’expliquer…
De même, j’avais constaté, il y a quinze ans, que l’administration était paralysée littéralement par la peur du contre-ordre ! Du coup aucune décision n’était appliquée sans une longue attente, au cas où… De tels comportements sont longs à modifier, et il faut s’y attacher réellement de façon persévérante pour obtenir des résultats.
Quatrième domaine, celui de l’éducation des enfants, car il y a peu de distance de ce sujet à ma dernière remarque !
La peur ou le jugement péremptoire, qui enferment dans une attitude négative, sont à l’opposé de la liberté. Pour un enfant, rien de pire que d’être sans guide, sans repère objectif, avec la peur constante de se tromper ou de déplaire – de façon subjective – selon l’humeur de ses parents… Ou encore d’être qualifié définitivement de menteur, de tricheur, de voleur ou de paresseux ! Un tel enfant se verra – de façon déterministe – devoir agir comme on le décrit et s’habituera à agir ainsi pour ne pas décevoir !!!
Naturellement, ce serait sans compter sur sa propre liberté qui le pousse toujours à inventer, donc à sortir aussi des ornières où il a pu tomber… Et dont nous tirons un grand optimisme sur la capacité d’apprendre, de se dépasser, de chercher et de créer de chaque enfant.
L’éducation consiste dans cette optique à « faire sortir » (au sens propre de e-ducere) de l’enfant cette force de liberté, au fur et à mesure qu’il en est capable en vérité, sans vouloir brûler les étapes et sans l’exposer à des risques ou à des choix trop lourds pour lui. Ainsi à deux ans, il est déjà apte à franchir les barrières de son lit, mais aussi à y rester quand il ressent le besoin de dormir… Mais à six mois, sans barreau, il risque de tomber en se retournant…
Connaître les étapes du développement de l’enfant et savoir les repérer chez chacun est indispensable pour adapter le rythme de l’éducation à l’enfant. Il s’agit toujours de connaître pour agir à bon escient en fonction de la liberté fondamentale de l’homme… Les « écoles de parents » créées dans cette optique récemment ne sont pas assez nombreuses.
Ensuite, il faut mentionner le tissage des relations entre les personnes : l’homme ne vit pas seul, il vit aussi d’échanges de paroles et de gestes. On dit que des enfants auxquels volontairement on ne parlerait pas, pour voir quel serait leur langage naturel spontané, seraient tous morts avant d’atteindre l’âge du langage… C’est aussi aux parents de veiller à ce que les enfants deviennent frères et sœurs. Aussi bizarre que cela peut paraître, cela s’apprend aussi avec des mots qui expliquent et des attitudes qui peuvent s’imiter. Car cela correspond à une vérité sur l’homme que l’enfant découvre peu à peu et que l’on peut aider en ce sens.
Enfin, pour les grands enfants et adolescents qui cherchent leur vocation, ce n’est qu’à un appui – parfois discret – à leur intelligence et à leurs goûts que les parents sont appelés. Mais pour cela il faut avoir pris l’habitude de discuter des idées, de faire s’exprimer et s’expliquer les enfants à tout âge pour que cela soit fructueux.
A défaut d’un tel dialogue parfois, on peut toujours « semer et arroser », dans l’espoir que la remarque qui nous semble adaptée objectivement pour eux (et pas pour notre satisfaction de parents) germe dans leur esprit. Surtout ne jamais s’en priver et ne pas renoncer à son espoir de voir l’enfant s’épanouir !
C’est un tel bonheur de les voir s’envoler vers leur propre bonheur, même à travers des difficultés ou contradictions apparentes, inhérentes à notre condition humaine…
* * *
Ainsi toute notre vie est une réponse à Pilate : resterons-nous dans l’obscurité et la peur ou viendrons-nous résolument à la lumière en affrontant la Vérité que nous découvrons peu à peu et en nous conformant à ce qu’elle nous révèle sur le monde et sur nous-mêmes, en toute liberté ?
Etre incité à mieux connaître la réalité pour mieux agir dessus et toujours chercher à créer la « vie nouvelle » qui nous attend, au-delà des contradictions de ce monde, tel est le sens de sa question pour moi… Puisse ce cycle de communications y contribuer pour chacun n’entre nous !
Échange de vues
Le Président : Votre témoignage et votre grande expérience vont nous permettre, dans nos échanges et réactions, de bénéficier de tout ce que vous avez vécu.
Avant de les introduire, je ne veux pas me priver de vous dire combien j’ai été particulièrement sensible au fait que vous ayez souligné que pour agir dans de bonnes conditions il faut la connaissance, la formation et l’éducation. Il me plaît en effet de rappeler que nous sommes une Académie d’Études Sociales certes, mais également d’Education. Nos travaux académiques doivent s’inscrire dans cette perspective et je voulais vous remercier d’avoir souligné l’importance de cette dimension.
En mettant l’accent sur la formation, vous justifiez l’une de nos raisons d’être.
Henri Lafont : Je suis heureux de vous féliciter d’abord pour cette démonstration vraiment remarquable de l’utilité de la connaissance pour obtenir l’accès à la liberté.
Et de vous asticoter sur un point, mais ce n’est pas une critique.
Quand vous nous avez introduit l’histoire de Jésus et de son jugement par Pilate, vous avez dit : « Jésus n’a pas répondu à Pilate ». Et vous avez ajouté : « devant Pilate d’après Saint Jean, Pilate est parti avant d’obtenir la réponse, donc nous ne connaissons pas cette réponse ».
D’après les autres évangélistes, Jésus n’a pas répondu. Et on bute sur le fait qu’en réalité Jésus avait répondu depuis longtemps. Il avait dit : « Je suis la Vérité »
Donc cela m’aurait intéressé (mais ce n’est pas un reproche) que vous commentiez cette première vérité que Pilate n’a pas voulu entendre et dans quelle mesure elle pourrait nous aider dans la recherche de la vérité.
Anne Duthilleul : Bien sûr, Jésus avait répondu par avance, comme vous le soulignez, en disant « Je suis la Vérité ».
Mais en disant cela, nous ne sommes pas plus avancés. Nous sommes toujours renvoyés à essayer de comprendre ce que Jésus a voulu dire : en quoi était-il la Vérité ?
C’est pour cela que j’ai cité le Prologue de Saint Jean. Dans lequel on ne parle pas de la vérité mais de la lumière. Saint Jean rend témoignage à la lumière et la lumière, c’est celle du Christ, ensuite il parle de la vérité.
Donc le lien que je faisais avec la vérité, c’est que c’est « ce qui est dans la lumière », ce qui est beau, bon, juste, se présente dans la lumière.
Ce que j’ai surtout voulu dire c’est que finalement s’il n’y a pas une recherche de notre part, il n’y aura pas de rencontre de la vérité.
J’ai une anecdote de première main puisque c‘est notre cousin Dominicain qui nous l’avait rapportée pour l’avoir vécue. Il a eu un ami non croyant qui lui avait dit : « Si je vois un miracle, je croirais en Dieu. » Il est allé à Lourdes et pendant une cérémonie, un malade paralytique s’est levé et a dit « Je marche, je suis guéri ! Les médecins peuvent venir constater la guérison ».
Le dominicain s’est retourné vers son ami, qui était parti. Il l’a retrouvé sur le quai de la gare et il lui a dit : « Mais tu as vu quand même, il s’est passé un miracle et tu as dit que si tu en voyais, tu croirais ». Il a répondu : « Non, je n’ai rien vu ».
Donc ce n’est pas parce que la vérité se présente à nous qu’on va la reconnaître et la connaître.
C’est cela que j’ai trouvé peut-être de complémentaire à ce qu’on a déjà vu : la démarche qui doit être la nôtre pour reconnaître petit à petit la vérité en s’éclairant bien sûr avec les connaissances que nous pouvons acquérir, tous les moyens de l’intelligence pour l’appréhender mieux.
Jean Méo : Mon intervention ne se situera pas au même niveau que Mme Duthilleul.
Ce n’est pas tellement une question mais peut-être pourrez-vous réagir à ce que je vais dire.
Le jugement de Benoît XVI sur la science m’a beaucoup marqué depuis quelques années. Car dans ses écrits, c’est la première fois que je rencontre un responsable du plus haut possible de notre religion dire : « La science, il faut la pratiquer, il faut la développer. Il ne faut pas avoir peur de la science parce que la science apprend à connaître . Simplement, il faut savoir qu’elle ne livrera pas toute la vérité et qu’il y a une dimension de l’homme qui est la foi qui va au-delà de la science. »
Je crois que par rapport à l’Histoire de l’Église même encore récente – je ne vous parle pas simplement du procès de Galilée – il y avait une peur de la science et que le Pape actuel dise : « au contraire il faut encourager la science et la développer pour ensuite éventuellement la dépasser ». Je trouve cette orientation très intéressante.
Il y a une autre phrase de la même veine de Benoît XVI : « L’essentiel de la religion est la relation de l’homme, au delà de lui-même, avec l’inconnu, que la foi nomme Dieu. »
Je ne sais pas si vous avez un commentaire à faire, en particulier sur la première remarque. Cela m’avait frappé.
Anne Duthilleul : Il est certain – c’est pour cela que je l’ai cité – que je trouve ses propos très intéressants sur la raison et le fait d’utiliser l’intelligence, en particulier pour les Chrétiens bien sûr, pour progresser dans la compréhension de la connaissance du monde et de l’homme lui-même. Il y a différents domaines scientifiques auxquels cela peut s’appliquer.
C’est très important que soit reconnue la place de cette démarche, y compris pour l’Église parce que cela fait partie de l’homme. Et c’est pour cela que j’ai insisté sur un aspect dont on a un peu moins parlé parce qu’on a parlé de l’aspect social de l’enseignement de l’Église : don, charité… qui caricature un peu la dernière encyclique.
Je trouve que ce qui était surtout intéressant, c’est cette vision de l’homme global et l’idée qu’il faut s’attacher à toutes les parties de l’homme, si je puis dire, et le voir comme un tout et ne pas seulement s’attacher au volet économique ou social.
Cela fait partie du bon usage de l’intelligence.
Jean Méo : Et Benoît XVI accepte dans ces textes que la science s’applique à la lecture de l’Évangile, à l’étude critique des Évangiles.
Il faut accepter, en tant que Chrétien, les résultats incontestables de la recherche scientifique sur la date de l’évangile, ceux qui sont inspirés de l’araméen, par un langage sémitique, etc.
Cela peut aller très loin dans l’acceptation de la demande de la connaissance.
Anne Duthilleul : Il est indispensable d’aller toujours plus loin dans cette voie et de ne jamais s’arrêter. On affûte notre vision, mais de toute façon, elle ne sera jamais totale.
Le Président : Pour compléter et renforcer ce que Jean Méo dit (« je me suis senti interpellé comme scientifique »), j’ajouterai que Jean-Paul II disait aussi : « vous, scientifiques, ce que vous devez faire, c’est de creuser votre discipline, votre science… ». Comme scientifique, je m’étais déjà senti très concerné, interpellé, par “Foi et Raison” qui a précédé ce que vous avez dit à propos de Benoit XVI.
Hervé l’Huillier : Je voulais vous poser une question qui est relative à l’exercice de la vérité dans l’entreprise, parce que la vérité, c’est très difficile, c’est un combat dans l’entreprise.
Souvent la vérité ne s’articule pas bien avec l’autorité.
Tout le monde a des lectures différentes du monde. Il y a des lectures qui arrangent les uns beaucoup plus que les autres et si on déstabilise les uns on peut avoir des problèmes pour le bon fonctionnement de l’entreprise.
C’est amusant de voir que dans des entreprises comme les nôtres, lorsqu’on essaie de faire une démarche de vérité on la fait une fois que les projets ont été achevés ou après un certain temps. On appelle ça d’ailleurs un “post-mortem”. Donc c’est une façon de dire que finalement les choses s’éclairent à la lumière du couchant, lorsque les hommes ne sont plus là ou plus en responsabilité.
Affronter la vérité, chercher la vérité dans une entreprise, c’est un vrai combat ! Je ne sais pas comment vous, dans votre expérience, vous l’avez vécu, dans les postes que vous avez eus : chacun sa vérité, c’est ce qu’on voit tous les jours.
Anne Duthilleul : “À chacun sa vérité”, c’est le risque. Mais c’est justement le devoir du dirigeant d’essayer de réunir et de rassembler autour d’un même projet.
Comme vous le dites, il peut y avoir diverses interprétations des mêmes propos, des mêmes objectifs. C’est en parlant et en expliquant qu’on les surmonte… Il faut vraiment faire un effort de mise en lumière, de paroles et d’explications pour faire comprendre et faire adhérer aux objectifs.
En amont, il y a d’abord une nécessité dans tous les projets qui est parfois facilitée par les systèmes d’information, c’est de tracer tous leurs effets. C’est tout à fait indispensable pour pouvoir faire après l’analyse post-mortem. Il faut au moins que les informations aient été classées, gardées et cela, c’est de l’organisation. Et, de vraiment garder la trace de tout ce qui a été fait pour pouvoir en rendre compte, me paraît très important.
L’idée, c’est que cela doit parvenir à la lumière donc pouvoir être rapporté devant quiconque le demanderait. Le principe de pouvoir répondre de ce qu’on a fait. ; “responsabilité”, c’est ce que cela veut dire.
Donc il faut en prendre les moyens, la méthode. Tout cela s’organise dans une entreprise.
Après, en aval, il est vrai que ce n’est pas aussi simple pour un objectif qui a été compris, expliqué et que l’on espère partagé, de le décliner en actions convergentes.
Je vous citais l’exemple de deux attitudes possibles. En tant qu’objectif stratégique on a fixé 20 % de réduction des coûts en trois ans. Et un premier directeur d’usine se disait alors : je vais prendre 20 % de contrats en plus, comme cela je « nourrirai » mon usine et les coûts moyensseront réduits. Le deuxième disait : je n’ai pas le temps de répondre aux devis des clients parce que j’ai déjà un carnet de commandes, je fais mon plan de charges et c’est tout. C’est un peu schématique évidemment.
C’est deux attitudes complètement opposées l’une à l’autre. Celle du second directeur : dégraisser les effectifs, réduire les prix d’achats donc réduire les marges des fournisseurs pour un bénéfice qui sera limité voire négatif, ce n’est globalement pas la bonne approche.
Cela veut dire qu’il peut y avoir des vérités mais pour autant, on les juge à leur efficacité. Donc, quelle est celle qui réussit ? L’un de nos orateurs précédents disait : la vérité, c’est ce qui marche. Premier test de la vérité, c’est ce qui marche dans l’approfondissement progressif des connaissances. Il faut toujours mettre les choses en lumière pour savoir avant de juger.
Cela m’amène d’ailleurs à faire un petit commentaire sur la question de Jean Méo.
J’ai été personnellement très touchée par la conférence de Jean Baechler parce qu’il classait les types de connaissance, rationnelle d’abord et puis irrationnelle, il a présenté très clairement un choix où chacun se positionne soit de croire à une transcendance, soit de croire à une immanence, soit de ne pas croire en Dieu et de rester sur le plan séculier.
J’ai trouvé que c‘était un éclairage extrêmement simple et qui peut tranquilliser les non-croyants. Parce ceux-ci nous soupçonnent, quand on commence à aborder les questions de morale, d’éthique, etc. de vouloir les convertir.
Et j’ai eu l’occasion d’expliquer, à certains d’entre eux, cette classification en disant : vous, vous avez choisi la voie n° 3, la voie séculière, donc vous ne vous rattachez pas à une foi mais je respecte votre voie. Et puis finalement, vous verrez si vous trouvez que le comportement de quelqu’un qui a choisi une autre voie est attractif. Mais je ne veux pas contester le choix que vous avez fait, vous, d’être ou de ne pas être croyant.
C’est quelque chose que j’ai beaucoup ressenti au Conseil économique et social parce qu’on a fait un rapport sur l’éducation civique à l’école. Le grand sujet c’était la laïcité et comment se garder surtout de toute ressemblance avec ce qui pouvait être religieux. Et j’ai essayé de convaincre que ce n’était pas cela le problème. Il n’y avait pas à avoir peur de ce qui était religieux si cela concordait entre la morale naturelle et laïque. Les hommes sont faits comme cela, qu’ils soient religieux ou pas. Donc qu’on se retrouve sur les principes à adopter sur l’éducation civique n’est pas une surprise pour un croyant, c’est peut-être un peu plus difficile à admettre pour un non-croyant.
Cette classification permet de rassurer, chacun a son choix que l’on respecte.
Jean-Luc Bour : J’imagine qu’en entreprise, vous avez dû vous retrouver écartelée entre des vérités, entre des personnes qui avaient des points de vue différents.
Souvent dans l’entreprise, le dirigeant réussit à rassembler les personnes en remontant à un niveau d’objectif plus global pour lequel il y a consensus puis en réétudiant ensemble comment le décliner de manière cohérente.
Par contre quand ce sont des gens qui ne sont pas de la même entreprise, qui n’ont pas forcément du tout les mêmes objectifs car ce sont des gens extérieurs, il se peut que l’on arrive à des divorces.
Avec votre expérience expliquez vous que ces divorces là entre entreprises arrivent toujours parce qu’il y a eu des choses cachées ou est-ce que quelquefois la raison était qu’on n’était pas allé assez loin pour voir si on avait bien matière à partager ?
Anne Duthilleul : Je cois qu’il y a deux possibilités, deux situations.
Il y a le cas où objectivement, les intérêts des uns et des autres sont divergents, chacun peut en effet avoir des intérêts différents des autres. C’est le cas d’entreprises concurrentes qui n’ont aucune raison de s’entendre, de se réunir même pour un projet. Donc on constate que les avis sont divergents.
C’est le cas aussi du Budget avec des ministères dépensiers par exemple, les avis peuvent être divergents et là, lorsque l’on se trouve dans le cas d’un arbitrage budgétaire on essaie de trouver une solution en essayant de dépasser le cadre annuel.
Les arbitrages ne donnent pas satisfaction à 100 % mais cela permet au moins d’être intelligent et cohérent, pour qu‘il n’y ait pas une frustration absolue d’un côté, un perdant et un gagnant, si je puis dire.
Il peut donc y avoir des situations où les intérêts sont tout à fait opposés. Ce n’est pas une question de vérité. C’est juste que l’on constate que les avis sont différents et que les intérêts sont opposés.
Ou alors, il peut arriver que ce soit une mauvaise explication. J’ai eu le cas dans des négociations un peu compliquées où il fallait imaginer une solution pour faire reprendre une participation publique, dans un projet, par un autre opérateur public aussi mais qui n’avait pas d’argent. C’est un petit peu compliqué à faire parce que le partenaire principal essayait de changer son partenaire minoritaire. Le partenaire privé aurait bien voulu que quelqu’un l’achète avec de l’argent sonnant et trébuchant. Cela aurait été plus simple pour lui. C’est comme cela qu’il raisonnait. Donc la première négociation a très mal commencé. Heureusement la première discussion se passait en anglais. Mon interlocuteur a dit « vous êtes malhonnêtes ». Je me suis dit que si cela commençait comme cela on n’irait pas très loin, donc j’ai fait semblant de ne pas comprendre ce terme et j’ai continué à expliquer pourquoi et comment on allait faire. J’avais imaginé ce qu’on pouvait faire et cela allait permettre l’objectif final, c’est-à-dire un partenaire public minoritaire dans le projet et le projet pourrait continuer comme cela même s’il n’y avait pas d’échange d’argent.
C’est une explication et le fait de ne pas s’arrêter à un blocage un peu rapide et superficiel qui a permis d’avancer, de convaincre.
Nicolas Aumonier : Je souhaiterais poser une question à la mère de famille et une autre à Madame le haut-fonctionnaire.
Nous sommes une Académie d’Education, et nous serons tous, j’imagine, très intéressés de savoir comment vous pensez qu’il convient que le père et la mère de famille apprennent aux enfants à être frères et sœurs.
Ma seconde question porte sur quelques aspects de la notion de vérité pour l’État qui, impécunieux, tient rarement parole en matière de fiscalité, parce qu’il découvre au fil des ans qu’il a intérêt à changer les règles du jeu avec effet rétroactif. J’imagine que vous avez pu vous trouver mêlée à des conflits de cette nature. Quelles pistes proposez-vous pour améliorer les choses ?
Anne Duthilleul : Je vais traiter d’abord la deuxième question parce que ce sera plus rapide. Malheureusement, je n’ai pas la panacée et je n’ai pas trouvé la solution pour toutes les circonstances.
Mais on peut quand même discuter, on peut raisonner et surtout essayer toujours de revenir à un objectif qui peut être partagé. Donc si on peut “accrocher” sur un objectif après les moyens suivent c’est-à-dire que l’État peut prendre une attitude positive et ne pas perdre de vue cet objectif.
Je suis chargée depuis sept ans d’une mission pour favoriser les projets d’usines de nickel en Nouvelle-Calédonie. Depuis sept ans, j’ai fait prendre par l’État des positions et depuis, je leur dit : vous avez pris ces positions, continuez. Il faut une continuité.
Alors il est vrai que souvent cela n’arrive pas parce que les chefs de bureau restent trois ans et puis s’en vont. Mais malgré tout, quand on a clairement posé un objectif on peut le tenir avec des partenaires fiables aussi.
C’est peut-être un peu l’exception par rapport au sort général et c’est pour cela que j’ai insisté sur une attitude de confiance parce que cela m’a beaucoup frappée sous les gouvernements précédents que les règles étaient faites toujours dans l’esprit que de toutes façons les contribuables allaient frauder et donc il fallait mettre des quantités de barrières, de garde-fous, de contrôles a priori parce qu’on ne dit pas : notre objectif est connu donc il sera partagé par les contribuables. Non, on disait : ils vont chercher à s’échapper.
Alors, c’est vrai que cela existe :il y a ce qu’on appelle les optimisations fiscales, des évasions fiscales, mais il y a aussi tous ceux qui sont de bonne volonté. Et il y en a beaucoup qui se voient infliger des circulaires extrêmement complexes devant lesquelles ils n’arrivent pas à se sortir.
J’ai été aussi chargée d’un rapport sur la simplification administrative. J’ai lu la circulaires sur les noms de famille. Alors je vous recommande cette lecture, parce que toutes les mairies ont reçu une circulaire de 50 ou 80 pages, je ne sais plus. Le sommaire fait déjà 12 pages. Tous les cas qui sont prévus, mais il n’y a pas, à la première page, “cas général, voir page tant”, non tout est en vrac. Il y a : la mère qui veut donner ses deux noms avec des tirets… Il y a le père qui veut donner son nom à son enfant, il y a ceux qui sont mariés, pas mariés… Tout est prévu.
Le cas général qui couvre 90 % des cas, est à la page 15. Les malheureux secrétaires de mairie, il faut qu’ils se débrouillent avec cela. Il faut bien dire qu’ils ne sont pas aidés dans leur travail quotidien.
Ce que je disais sur l’inertie de l’État qui attend le contre-ordre, je l’ai constaté et j’ai vu qu’il fallait à peu près deux ans pour que les décisions soient suivies d’effets, pour mettre en route la machine. Pour quelqu’un qui attend une décision, c’est long.
Donc pour l’État, je n’ai pas la panacée, mais le cas n’est pas complètement perdu. Il faut continuer à s’y attacher si on peut, aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur.
Sur l’éducation : comment apprend-on aux enfants à devenir frères et sœurs ? Je dirai comme Saint-Exupéry en leur faisant faire des choses ensemble. Saint-Exupéry dit très bien « Si tu veux que les hommes te détestent, jette leur du pain et si tu veux qu’ils deviennent frères donne leur une tour à construire ».
Donc la première chose, c’est montrer aux enfants qu’ils peuvent jouer ensemble d’abord pour partager des projets. C’est une joie d’avoir des enfants : à la venue du deuxième, le premier allait chercher le biberon dans le frigidaire en courant. Il participait à l’arrivée du second. Quand notre cinquième est arrivé, le quatrième avait préparé toutes les petites voitures, alignées sur le berceau et puis il s’était assis dans le berceau pour pouvoir jouer aux petites voitures avec lui. C’était un peu délicat parce qu’il a fallu lui expliquer qu’il dormait beaucoup et qu’il ne pouvait pas encore jouer. Mais cela commence par des choses comme cela, puis cela s’explique, cela se vit.
Donc il faut surtout éviter de crisper les choses en disant des choses négatives. Il ne faut pas le traiter de violent ou de jaloux, surtout pas ! Il faut toujours détourner l’attention sur ce qui est positif. Cultiver cela, je le dis parce que, peut-être, dans une famille nombreuse on a tendance à laisser faire les choses toutes seules. Il faut les aider pour cela aussi.
Jean-Paul Lannegrace : Je vais revenir à l’entreprise avec une confidence d’un de vos camarades d’entreprise.
La voici : « Je sais bien qu’on ne peut entraîner des hommes en s’appuyant sur leurs bons sentiments ».
Anne Duthilleul : Je suis perplexe devant cette remarque parce que tout dépend de ce qu’on appelle “les bons sentiments”. On est motivé à gagner de l’argent, à avoir une reconnaissance qui flatte un peu, c’est très bien. Cela fait partie des besoins de l’homme.
Mais pour autant, s’appuyer sur des mensonges, s’appuyer sur les défauts, cela se retourne toujours contre ceux qui ont voulu les utiliser. Je pense (c’est peut-être mon idéalisme) que si, du coup, le plus de monde possible s’appuyait sur les bons sentiments ou du moins de bons penchants pour donner les bonnes énergies, ce serait bien.
Mais cela veut dire aussi faire des choses qu’on ne fait pas. Par exemple, pour les femmes qui travaillent, valoriser leur capacité d’organisation de leur vie familiale et professionnelle en même temps. Pour les hommes et les femmes qui sont élus locaux, reconnaître cette richesse. L’entreprise ne valorise pas cette richesse. Au contraire, on dit : une femme jeune va avoir des enfants, on ne préférerait pas. Alors que cela peut apporter à l’entreprise un effet positif d’organisation tout à fait excellent.
Le Président : Si je puis me permettre, j’aimerais revenir sur le dernier point que vous venez d’évoquer. On parle beaucoup aujourd’hui de la ‘validation des acquis de l’expérience’. Nous sommes très sollicités, nous autres universitaires (et c’est une bonne chose), pour reconnaître que par la pratique des personnes ont acquis une expérience qui peut être validée par un diplôme.
Je me demande si une vraie réflexion ne devrait pas être menée sur l’expérience des mères de famille ou, pour ne pas paraître limiter le sujet, des parents au foyer qui ont une réelle expérience qui aujourd’hui n’est pas validée, n’est pas reconnue. Il y aurait peut-être, y compris pour la ré-intégration dans l’entreprise, quelque chose à faire sur cette validation de l’expérience des parents. Ils semblent avoir une organisation et une expérience assez conséquentes…
Jean-Paul Guitton : Je reviens sur votre idéalisme ou sur votre angélisme. Il y a une phrase qui se répète volontiers : « mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose ! », avec une version adoucie, que l’on prête à un Président que vous avez servi : « les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent ».
Mais puisqu’on a évoqué les problèmes d’éducation et de formation, je repense à la formule de Daniel Gourisse, qui était directeur de l’École Centrale et Président de la Conférence des Grandes Écoles. Il expliquait que l’une des grandes difficultés de la vie courante était la suivante : dans les écoles on apprend à résoudre des problèmes bien posés à solution unique, alors que dans la vie, c’est tout le contraire, on a affaire à des problèmes en général mal posés et à solutions multiples.
Où est la vérité là-dedans ?
Anne Duthilleul : Sur l’expérience des parents, pour le Président, je suis tout à fait d’accord parce que c’est pour cela que j’ai rapproché l’éducation de l’entreprise parce que je pense que le rôle du cadre dans l’entreprise c’est aussi un peu d’aider à l’éducation et l’épanouissement du salarié. Il y a quelque chose de commun et puis, plus largement, l’expérience des parents à l’extérieur de l’entreprise pourrait être valorisée plus systématiquement.
Sur le « mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose », vous connaissez l’histoire du Curé d’Ars qui en confession avait une vieille grand-mère qui passait son temps à calomnier son prochain. Donc elle dit : « Je m’accuse, mon Père, d’avoir calomnier un tel, un tel, plus souvent que je ne le devrais ». Le curé d’Ars lui dit : « Comme pénitence, vous allez prendre une poule et vous allez la plumer en répandant les plumes tout autour du village.
Et puis vous reviendrez me voir en confession dans quinze jours. Et ne recommencez pas ».
Elle revient en confession et dit : « J’ai fait la pénitence que vous m’avez donnée, mais j’ai recommencé à calomnier mon prochain ». Et le curé lui dit : « Dans ce cas votre pénitence d’aujourd’hui, c’est d’aller ramasser toutes les plumes que vous avez répandues à la première pénitence ». Elle lui dit : « Mais ce n’est pas possible ! » et le curé de lui dire : « Vous voyez, tout ce que vous avez répandu en calomnies, c’est impossible après de le rattraper ».
Voilà donc la leçon : ne mentez pas !
La remarque de Daniel Gourisse me paraît très bonne. C’est vrai que les problèmes de la vie ne sont souvent pas posés du tout. C’est-à-dire que quand on est amené en tant que responsable d’entreprise ou responsable public à régler des problèmes, il faut les poser soi-même souvent. Mon mari pourrait dire que quand il a un projet d’architecture souvent les clients ne savant pas très bien ce qu’ils veulent. Il faut à la fois faire le programme et le projet.
Donc c’est courant, mais les problèmes – bien ou mal posés – ont souvent des solutions multiples, et c’est normal aussi puisque cela fait partie de l’inventivité, de la créativité de l’être humain que d’inventer des solutions et d’approcher petit à petit celle qui sera la meilleure, la plus adaptée, la plus juste, qui répondra vraiment à la question posée même si elle a été mal posée au départ.
Le Président : On dit aussi qu’un problème bien posé est à moitié résolu. Est-ce que l’effort ne constituerait pas d’abord à bien poser le problème ?
Anne Duthilleul : C’est le temps d’intelligence qui ne se fait pas tout seul. Il y a du travail derrière tout cela. Il faut réfléchir soi-même, mais il faut aussi recueillir les avis des uns et des autres, on peut travailler à plusieurs, il y a différentes méthodes, mais cela ne se fait pas tout seul, c’est vrai.
Père Jean-Christophe Chauvin : Une remarque : à vous entendre et à entendre aussi les différentes interventions, il apparaît que pour faire avancer les choses, il faut expliquer. On met là en avant le rôle de la raison. Mais en même temps, ceux qui sont dans la réalité disent “ça ne marche pas” et le mensonge, ça marche aussi beaucoup…
Ce constat suscite en moi la réflexion suivante. Effectivement, l’intelligence ne suffit pas parce qu’il n’y a pas seulement la méconnaissance qui introduit le mal mais aussi souvent la volonté qui est abîmée, qui est viciée. Il ne suffit pas de comprendre et d’expliquer pour que les gens ne pêchent plus et que tout soit parfait dans le meilleur des mondes.
Mais il est vrai d’un autre côté que pour convertir les hommes au bien, au vrai et au bon, il n’y a pas d’autre moyen universel que la raison. Cependant la manière de le faire, de le faire avec charité, compréhension compte beaucoup, pour rejoindre ce qu’il y a chez tout homme d’amour de la vérité et du bien.
On a évoqué à un certain moment que, même dans l’Église, certains ont peur de la vérité. Ce n’est pas le cas de nos derniers papes Benoît XVI et Jean-Paul
II qui sont de grands intellectuels, (même si l’un était plus pragmatique que l’autre). Ils nous disent qu’il ne faut pas avoir peur de la vérité. Pourtant,au moment de Galilée on a eu peur, on s’est dit : les gens ne vont pas comprendre, Galilée ébranle trop de certitudes sur lesquelles la société est construites.
On ne peut donc pas se passer d’expliquer. Le rôle de la raison est fondamentale. Cependant, la lumière peut déstabiliser momentanément… Il faut essayer de la faire venir avec douceur et charité. On rejoint là les deux piliers de la dernière encyclique de Benoît XVI.
Anne Duthilleul :Je dirai, pour résumer ce que vous avez dit, il est vrai que c’est difficile, et il faut dire que la vérité ne suffit pas. D’ailleurs, on ne l’atteint pas parfaitement, on ne l’atteint pas par un coup de baguette magique. Cela représente du travail, du travail d’explication, de recherche, de réflexion et de discussion mais je crois aussi qu’il ne faut jamais perdre de vue l’objectif.
L’objectif, c’est que chaque homme puisse essayer d’être heureux et donc chercher ce qui va l’épanouir, ce qui va le rendre heureux.
Il y a aussi une façon de présenter les choses comme attractives, qui peuvent donner envie de chercher dans une voie plutôt que dans une autre parce que ce que l’on constate en général c’est que les gens sont heureux d’être en paix avec eux-mêmes. On les forme à reconnaître la dignité de leurs capacités de l’épanouissement qu’ils recherchent finalement.
Donc, ce qu’il faut ajouter, je pense, comme vous le disiez c’est peut-être la charité, c’est peut-être un peu de séduction. Il faut que le bien soit attractif.
Donc cela passe aussi par le beau. C’est vrai que le beau c’est une façon d’exprimer quelque chose qui nous dépasse et avec lequel on est en résonance. Cela rend heureux aussi. Donc il y a des moyens indirects qui permettent de faire sortir, de soi, du mal. Parce que le mal, qu’est-ce que c’est ? C’est quelqu’un qui est enfermé en lui-même et qui n’essaie plus de voir, ni d’aller vers ce qu’il y a à l’extérieur. Satan enferme : son égoïsme, l’enfer, c’est cela, de ne pas vouloir sortir de ce cercle vicieux.
Donc cela peut être aussi par une sorte de séduction, pas seulement de l’intelligence, qu’on peut arriver à faire s’ouvrir certaines personnes.
Mais c’est difficile ! C’est pour cela que j’ai parlé de travail parce que notre connaissance, même si on la met au service de nos activités ou au service de notre propre cheminement, elle est toujours imparfaite. Elle n’arrive pas d’un coup à la vérité.
Nicolas Aumonier : Deux questions au moins semblent focaliser une grande partie des débats politiques actuels : la question des retraites et celle de l’endettement de l’Etat. Auriez-vous des pistes de réflexion à nous proposer ?
Anne Duthilleul : Sur ces sujets, on ne va pas tout explorer, d’abord, et ensuite, il faut peut-être revenir à leur source.
L’endettement de l’État, c’est quoi ? C’est dû à des dépenses de l’État qui sont bien loin de se stabiliser qui continuent à augmenter en volume et en valeur.
On a beau dire et on a beau faire, les ministres du budget sont toujours très contents de leurs résultats mais ne maîtrisent toujours pas de ce que l’on dépense. Voyez les statistiques depuis un certain nombre d’années.
Donc il y a au moins ce poste-là qui a dérivé, qui n’a pas été contrôlé. Que ce soit sur les dépenses de sécurité sociale ou les dépenses de l’État lui-même.
Ensuite il est vrai qu’à cause de la crise, on a moins des recettes, donc cela rend encore plus difficile de résoudre le problème depuis quelques années, mais il ne faut pas oublier le premier temps de l’exercice.
Sur le problème des retraites, on a tendance à caricaturer le sujet. Je ne suis pas du tout partie prenante dans ce sujet, mais il me semble qu’il y a une analyse qui a été très bien faite par le Conseil d’Orientation des Retraites qui disait qu’il y avait plusieurs composantes pour résoudre ce problème et qui l’avaient fait constater par d’autres. C’est-à-dire au moins quatre composantes pour réduire le problème des retraites, dont une n’est pas suffisamment mise en avant, en tant qu’ancienne présidente d’entreprises publiques, cela m’intéresse, c’est le fonds de réserve des retraites. Ce fond de réserve des retraites, s’il est bien géré et même alimenté, peut financer à partir de 2020 ou 2030 déjà le tiers, voire la moitié, du déficit des charges de retraites. C’est très important parce que c’est un fond dans lequel l’État a déjà placé de l’argent, des placements monétaires ou des participations, et qui rapporte, qui fait boule de neige et qui fait la capitalisation de l’État finalement. À partir d’un certain moment, on va tirer dessus pour compléter le financement par les cotisations de retraite versées par les salariés et qui finalement vont se réduire par rapport aux retraités qui deviennent plus nombreux.
Il y a des composantes qui ne touchent ni à la durée du travail ni au taux de cotisation ni aux sujets qui fâchent mais qu’on a tendance à oublier parce qu’ils sont de la responsabilité de l”État. Sur tous les sujets, on peut travailler et proposer une évolution.
Séance du 11 mars 2010