Par Anne Coffinier, Directrice Générale de la Fondation pour l’École

Anne Coffinier nous fait part de ses analyses sur la nature des défis éducatifs à relever aujourd’hui, sur les propositions gouvernementales actuellement débattues, et des propositions de la Fondation pour l’école pour réformer notre système éducatif français. Elle expose pourquoi la Fondation pour l’école place au cœur de sa stratégie la défense de la liberté scolaire et le développement des écoles entièrement libres.

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Jean-Marie Schmitz : C’est une grande joie pour moi de vous dire quelques mots de notre conférencière, car j’ai pour elle amitié et admiration.
Malgré son jeune âge – un rapide calcul m’a fait constater qu’elle était née quelques mois à peine avant ma fille aînée ! – elle a déjà fait beaucoup de choses depuis sa naissance à Bordeaux et une jeunesse passée à Manosque dont elle a gardé une pointe d’accent qui fleure bon l’olivier et le pistou.
Des études brillantes laissent penser qu’elle n’a pas été trop défavorisée sur le plan de la culture et de la vivacité intellectuelle : l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm où elle est reçue à 20 ans, puis l’E.N.A., qu’elle intègre à 25 ans et dont elle sort en choisissant le Ministère des affaires étrangères.

Ce n’est pas tout à fait un hasard, puisqu’en dehors de l’Afrique des grands lacs dont la charge lui est confiée, cela lui permet de retrouver un jeune diplomate repéré lors d’un stage en Jordanie qu’elle va épouser… et la fait aujourd’hui résider à Edimbourg où il est Consul général de France.
Avec l’aide du Bon Dieu, il lui donne trois enfants… et demi et la possibilité d’obtenir des mises en disponibilité qui lui permettent de réaliser son grand projet : apporter sa pierre à la réforme d’un système éducatif qui, en France, s’enfonce progressivement dans la médiocrité et l’inefficacité par défaut d’autonomie des établissements, de liberté des enseignants et de choix réel pour les parents puisque « le privé n’est en France que le délégataire du service public ».

Son passage dans la fonction publique a convaincu Anne que le « Mammouth » n’était pas réformable de l’intérieur du fait de son gigantisme, de sa centralisation et du poids des syndicats qui y sévissent. Et que c’était donc de l’extérieur qu’il fallait engager cette réforme, en favorisant la création d’écoles vraiment libres.

En même temps qu’elle prend de nouvelles fonctions au Ministère où elle est chargée des affaires institutionnelles à la direction de la coopération européenne, Anne décide de lancer l’association « Créer son école » en 2004.

Son objet est d’apporter à ceux, parents et enseignants qui veulent créer une école, un soutien juridique et logistique, et de leur rendre accessible le savoir faire des créateurs et directeurs d’école qui ont, avant eux, tenté l’aventure.

Mais pour avoir une bonne école, il faut de bons professeurs. En 2007, Anne crée donc avec Marie de Préville « l’Institut libre de formation des maîtres » pour les professeurs des écoles primaires.

La même année, avec un sens de l’opportunité remarquable, une audace et une force de conviction qui ne le sont pas moins, elle crée la Fondation pour l’école, lève les 800 000 € indispensables au lancement de la procédure de reconnaissance d’utilité publique et engage celle-ci au moment du changement de Président de la République. De telles périodes de transition offrent des opportunités aux personnes déterminées et connaissant bien les rouages administratifs et Anne a su convaincre celles qui lui seront utiles. Résultat, le 18 mars 2008, la Fondation est reconnue d’utilité publique par le Premier ministre, après avis favorable des Ministères de l’Éducation Nationale, et de l’Intérieur, ainsi que du Conseil d’ État.

Anne vient de mettre en œuvre l’une de ses formules : « On obtient ce que l’on veut dans la mesure où l’on croit à ce que l’on fait. »

Ce statut s’est, depuis, encore amélioré puisque la Fondation a été reconnue comme « abritante » en 2011, ce qui lui a permis d’abriter une fondation Pro Liberis dédiée à l’intégration dans des écoles indépendantes d’enfants issus de familles n’ayant pas assez de moyens pour payer l’intégralité de leur scolarité ou encore la Fondation Espérance banlieues, qui soutient la création d’écoles indépendantes pour des enfants de banlieues sensibles en situation d’urgence éducative. Ainsi, la fondation et ses fondations sous égide peuvent mobiliser les moyens financiers nécessaires au développement des écoles indépendantes ouvertes à tous et d’engager le projet hautement symbolique d’une école entièrement libre à Montfermeil en Seine-Saint-Denis.

Je terminerai cette introduction en évoquant un aspect plus personnel, sans qu’il soit bien sûr secret, de notre conférencière.

Alors qu’elle était étudiante, Anne s’est détournée, « avec rage » dit-elle d’une Église frappée en France par une « crise intellectuelle, philosophique, liturgique, esthétique ».

Et puis un jour, en décidant de retourner dans une église pour le repos de l’âme de son père elle assiste à une messe tridentine dont la beauté la bouleverse.

« Je me suis retrouvée à genoux, en larmes, je venais de découvrir un trésor ».

« La beauté sauvera le monde » disait Dostoïevski, elle a en tous cas sauvé la foi de notre oratrice à laquelle je passe la parole.

Anne Coffinier : Permettez-moi avant toute chose de vous remercier pour votre aimable invitation à m’exprimer devant votre assemblée composée de tant de personnalités remarquables. C’est pour moi un honneur.

J’essaierai de réfléchir ce soir avec vous sur la question suivante : Quelle école concevoir pour une société plus humaine ?

Nous verrons ensemble comment des intentions en apparence généreuses ont conduit à une réalité scolaire fort éloignée de l’objectif d’humanisation de la société, et ont transformé l’école – en un certain sens – en un outil de déshumanisation. Le terme est fort mais nous pensons qu’il est hélas adapté à la nature actuelle de l’école en France.

Nous essaierons de définir ensuite les fondements d’une école digne de l’homme et d’envisager quelles réformes dans l’esprit ou l’organisation institutionnelle de l’école il conviendrait de réaliser pour relever le système scolaire français.

Quelques précisions sémantiques avant de commencer : par école, j’entends ici l’enseignement primaire et secondaire général, à l’exclusion du supérieur et je vise le système scolaire français dans son ensemble, en incluant dans la plupart des cas l’Enseignement catholique lorsqu’il est sous contrat.

I – On ne peut pas dire qu’aujourd’hui l’école concoure positivement à rendre plus humaine la société

I-1 L’école publique place les objectifs socio-politiques avant les objectifs personnels.

Dès sa conception, l’école publique a été investie par ses concepteurs d’un rôle politique, celui de transformer la société en prenant en main la formation spirituelle et morale des futurs citoyens. Il s’agissait de « construire une société sans Roi et sans Dieu », comme disait Jules Ferry. Il s’agissait aussi de préparer la Revanche (comme l’illustre l’existence des bataillons scolaires entre1882 et1992), ce qui faisait de l’école une institution anticléricale, militariste et nationaliste, un instrument politique aux mains du pouvoir, au service de l’Etat. Bref, de neutralité de l’école publique il n’était pas question à l’époque fondatrice de la « République des Jules ». Contre l’école des pères (à savoir les écoles catholiques), il y avait l’école de l’Etat. Le souci d’instruire, c’est-à-dire d’élever le niveau de connaissances de la population, n’a pas été à la source de la création de l’école publique. Nombre de Révolutionnaires puis de Républicains s’étaient même ouvertement déclarés hostiles à l’éducation du peuple, comme Voltaire qui affirmait qu’ « Il est à propos que le Peuple soit guidé et non pas instruit ».

Aujourd’hui, l’instrumentalisation idéologique est toujours d’actualité.

Nous nous sommes habitués à ce que l’État – via l’école publique à prétention monopolistique et le monopole de collation des grades qu’il s’est octroyé depuis Napoléon – prenne en main la formation morale et politique de la jeunesse. Parce que les lois sont votées en assemblée nationale, cette prise en charge des idées politiques par les fonctionnaires de l’Education nationale serait admissible. Il nous semble qu’il ne saurait en être ainsi et que les parents doivent réaffirmer énergiquement leurs droits éducatifs face à cette manipulation étatique de la conscience de leurs enfants. La loi doit interdire ce qui nuit à la société mais elle n’a jamais légitimité à empiéter sur ce qui relève de la liberté des citoyens, à commenter par la liberté de conscience, d’opinion, de religion, d’idées politiques etc… La Déclaration des droits de l’homme le dit bien, en reconnaissant à tout citoyen un droit de résistance à l’oppression. La loi doit aussi s’abstenir de se mêler de la vie privée. Elle perd toute légitimité quand elle viole les droits des citoyens. Ainsi, il est parfaitement inadmissible que perdure plus longtemps le dispositif qui permet aux jeunes filles de recevoir sur simple demande la pilule du lendemain dans le cadre des établissements secondaires, sans que l’infirmière ne soit tenue d’informer les parents ni avant ni après la prise de cet abortif. Il est clair qu’un tel dispositif est parfaitement incompatible avec le primat des droits et devoirs éducatifs des parents. Il manifeste clairement que l’Etat s’estime en droit de juger de ce qui est bon pour les enfants à la place des parents, et ce, sans que l’on soit dans un cas de défaillance avérée des parents (parents déchus de leurs droits par le juge, décédés, mentalement dérangés…).

L’État se fait généralement plus prudent dans ses déclarations qu’à l’époque des hussards noirs de la République. Il ne prétend plus ouvertement arracher la foi dans le cœur des enfants ; il fait même bruyamment profession de neutralité, de respect de toutes les opinions, de refus des discriminations de tout ordre. Mais au-delà de ce changement de style, l’instrumentation politique par l’école publique persiste. Elle a pour partie évolué dans ses buts : il s’agit toujours de sevrer les enfants de tout attachement religieux ou familial. Cependant, ce n’est plus pour en faire des patriotes prêts à mourir sur la ligne bleue des Vosges mais plutôt pour les gagner à une conception post-nationale et post-chrétienne de la vie, les préparer à être des citoyens du monde dont l’horizon doit être la planète, non plus leur pays ni même la civilisation européenne ou occidentale. On ne favorise plus les enracinements dans un terroir, un pays, une histoire, une foi, une culture. Les termes de « servir la France » ou d’amour de la patrie », omniprésents au début de l’école de la République sont désormais totalement inaudibles dans le cadre de l’Education nationale.

L’État se donne pour mission, à travers l’école, de casser les mécanismes de reproduction sociale pour faire advenir une société égalitaire : F. Hollande a ainsi dit, dans son discours au pied de la statue de Jules Ferry, le jour de son investiture que « la naissance, la fortune, le hasard établissent des hiérarchies que l’école a pour mission, sinon pour le devoir, de corriger, voire d’abattre. » L’école est le lieu privilégié de la mise en ouvre de l’utopie égalitariste qui, de l’avis des spécialistes de sciences politiques, constitue une des dernières marques de fabrique de la gauche française. Cette préoccupation a remplacé celle qui consistait à faire émerger de nouvelles élites et donc à aider particulièrement les meilleurs éléments d’origine sociale pauvre (bourses, présentation au certificat d’études). Faire émerger de la masse anonyme un Albert Camus n’intéresse plus l’Education nationale. Ce qui la motive, c’est d’uniformiser le niveau d’éducation de chaque classe d’âge pour que le fils de boucher d’origine marocaine ait les mêmes chances de réussite scolaire et professionnelle que le fils de notaire de vieille famille versaillaise. Cette préoccupation se traduit en pratique par un nivellement par le bas de l’instruction délivrée par l’école publique à l’ensemble de la jeunesse, et la baisse de niveau des diplômes publics de référence.

Par ailleurs, l’école s’est mise – sans prendre beaucoup de recul – au service de la technique ; elle s’efforce d’adapter l’homme aux conditions de travail actuelles marquées par le règne de la technique, au lieu de lui apprendre à régner sur la technique qui n’est qu’un instrument non une finalité. Il n’est plus très évident dans l’approche adoptée par l’institution scolaire que l’homme soit la fin et la technique les moyens. Il semblerait plutôt que l’homme conçu par l’Education nationale doive limiter et organiser son développement au service exclusif de la productivité d’un tout social et technique qui le dépasse, sans nécessairement interroger la légitimité de ce tout. Bref, l’école prépare le futur adulte à n’être qu’un rouage soumis s’insérant avec efficacité dans l’ordre du capitalisme mondial.

C’est le « bien » de la société qui est toujours préféré par l’école actuelle à celui de la personne. L’éducation de la personne n’est qu’un moyen au service d’une fin supérieure, le bien de la société, de sorte que s’il y a une humanisation de la société par l’avènement de cette société nouvelle, ce sera au prix de l’instrumentalisation de l’homme pris dans son individualité. L’enfant est éduqué par rapport aux besoins supposés de la société idéale de demain, auxquels il devra s’adapter. De là à créer des Alphas, Gamma… à la façon d’Aldous Huxley dans le Meilleur des mondes (1931), bornés et hyperspécialisés pour concourir plus efficacement au bonheur de tous, il n’y qu’un pas.

Cette conception n’est pas celle de la tradition chrétienne ou même humaniste qui fait de l’homme une fin en soi et de la société un outil au service de son accomplissement. Il s’agit là d’une approche intrinsèquement totalitaire qui tend mécaniquement à justifier la prise en main de la personne de l’enfant par l’Etat au nom d’un bien hypothétique à venir : la construction d’une société future supposée meilleure. Cette approche holiste ne favorise pas la formation de la conscience morale du futur adulte.

Cette évolution inquiétante des finalités implicites de l’école n’est pas dénoncée avec une fermeté suffisante par l’Eglise de France, laquelle reste, il nous semble, exclusivement préoccupée par la sauvegarde de l’Enseignement catholique et en particulier de son financement public et de son statut. Les problèmes affectant l’ensemble des enfants scolarisés, issus du publics comme du privé, ne sont pas assez pris en compte et traités par l’Eglise de France, et a fortiori encore moins par l’Enseignement catholique . Il nous semble que cette situation gagnerait à changer rapidement, en prenant exemple sur Rome.

1-2 Hier comme aujourd’hui, ces instrumentalisations politiques de l’école passent par le rejet de la famille comme lieu des fidélités suspectes, vecteur de traditions et d’enracinements.

L’école actuelle se propose d’émanciper l’enfant, d’en séculariser sa mentalité, de le libérer de l’obscurantisme religieux, de l’arracher aux déterminismes familiaux, identitaires et religieux. Avec le Président de la République et le Ministre de l’éducation actuels, ces objectifs sont présentés sans fard : Vincent Peillon affirmait dans une interview donnée à l’Express le 2 septembre dernier que « le but de la morale laïque est de permettre à chaque élève de s’émanciper, car le point de départ de la laïcité, c’est le respect absolu de la liberté de conscience. Pour donner la liberté du choix, il faut être capable d’arracher l’élève à tous les déterminismes ; familial, ethnique, social, intellectuel, pour après faire un choix. »

Une école qui déstabilise la cellule de base de la société, à savoir la famille, peut-elle prétendre sérieusement participer à son humanisation, servir l’intérêt général pour prendre un vocabulaire républicain, ou concourir au bien commun ?

1-3 L’école cherche à produire une humanité nouvelle, non pas en formant la pensée des enfants mais à travers un conditionnement comportemental.

L’institution scolaire est investie par le politique de la mission de faire « un homme nouveau ». Vieille prétention totalitaire qui fait table rase de la nature, de l’histoire pour choisir l’utopie. Pour cela, il s’agit moins de former les enfants à un art de raisonner différent que d’initier les enfants à un art de vivre. C’est « une école de l’homme total » selon la formule de Louis Legrand. L’école doit être « un lieu de vie » préparant à la construction d’une société solidaire où prédomine le « faire » et le « faire ensemble » au détriment du dire ou du penser. L’école étatique cherche à être un milieu de développement pour les jeunes, rentrant en concurrence frontale à la famille. L’Etat s’arroge une emprise sur les consciences, le langage, les mœurs, au mépris des responsabilités de la famille et de la société civile en général. Elle ne saurait contribuer à l’humanisation de l’homme, comprise comme l’émergence de personnes libres capables de recul critique.

1-4 L’école actuelle est le vecteur de la « grande déculturation » qui conspire contre l’humanité de l’homme.

Non contente de réformer la société plutôt que de former des personnes, l’école actuelle se caractérise aussi par ses effets sur la culture des nouvelles générations. Elle ne s’estime plus chargée de la mission essentielle de transmettre aux nouvelles générations le patrimoine scientifique et culturel accumulé par les générations précédentes ; elle se détourne de sa traditionnelle fonction conservatrice, si bien analysée par Hannah Arendt. Elle est l’instrument de la rupture entre générations, du changement de civilisation.

Parce qu’elle se veut laïque, elle évite d’aborder dans les cours fondamentaux tout sujet à dimension ontologique ou métaphysique, ce qui conduit mécaniquement à la quasi disparition des humanités, ces matières qui font réfléchir sur ce qu’est l’homme. Ainsi le français est-il enseigné de manière formaliste, sans s’intéresser au sens des grands textes, à ce qu’ils ont à nous enseigner sur notre humanité. Par son obsession laïque, l’école s’oblige à se tenir éloignée de toute recherche de sens, de tout désir de sagesse. Elle cantonne le champ des connaissances mobilisées dans l’enceinte scolaire au domaine de l’insipide. Textes absurdes, sans profondeur humaine. En revanche, comme nous l’avons vu précédemment, elle n’hésite pas à peser sur les consciences et la représentation du monde de ses élèves à travers des sensibilisations et des opérations extra académiques mais organisées dans le cadre de l’école : campagne de banalisation des différentes orientations sexuelles, campagne de promotion de la contraception et de l’avortement, interventions de structures très militantes dont le discours et la méthode n’ont rien à voir avec l’approche scientifique qui doit pourtant caractériser l’école. On arrive donc à ce paradoxe de cours formels qui refusent d’aborder les questions de sens et d’interventions informelles multiples (film, campagne publicitaire, témoignages…) qui cherchent à « formater » les consciences dans un sens précis.

Parce qu’elle est relativiste à l’image de la société contemporaine, et qu’elle ne croit pas en l’existence d’une vérité et d’un ordre juste, l’école ne valorise plus la logique, le raisonnement classique que l’on croyait capable d’atteindre à la vérité des choses. A présent, tout se vaut ; tout est opinion subjective. Il n’y a plus matière à débat passionné puisque l’opinion de chacun est respectable et supposée équivalente à n’importe quelle autre. C’est le règne du « c’est mon choix ! », qui stérilise toute quête véritable, tout débat. Et pour autant, hier comme aujourd’hui, certaines opinions sont taboues et ne sont pas tolérées. Elles sont presque inversées par rapport à il y a 40 ans.

L’école dévalue jusqu’à l’idée même de nature. Cela se traduit de multiples façons : elle recourt peu aux définitions. Ce qui compte, c’est l’opinion de l’élève. Elle n’enseigne plus les classifications, que ce soit celles des êtres vivants ou des types de mots. Elle rechigne devant toute ce qui permet de discriminer, de classer, d’ordonner, de comparer, de hiérarchiser, d’analyser. Ainsi, la grammaire (en particulier l’analyse grammaticale et logique) ou l’étymologie (accélérée par la quasi disparition des langues anciennes) ne sont plus enseignées systématiquement.

L’école relaie avec complaisance des théories qui placent l’enfant dans un flou déstabilisant et émoussent son désir d’apprendre : relativisme intellectuel, religieux, culturel, subjectivisme, constructivisme qui compromettent la possibilité même qu’a l’école de transmettre quoi que ce soit. Pourquoi transmettre si le contenu transmis n’a aucune objectivité, aucune vérité ? Pourquoi apprendre si mon opinion vaut celle du professeur ? Pourquoi l’écouter ou lui obéir ?

Pourtant, l’école s’interdit de former le jugement et le goût et renonce à former les élèves à la recherche du vrai, du bien, du beau… Elle cesse de former le jugement, l’art de discerner ; elle renonce aux textes édifiants proposant des modèles et mettant en scène des personnages suscitant l’admiration (histoire, français). Au lieu de cela, elle introduit les enfants très tôt dans des réalités noires, marquées par la philosophie du doute, proposant des anti-héros, et se proposant de retourner la plupart des mythes fondateurs.

Parce qu’elle est égalitariste et, depuis Bourdieu, obsédée par l’idée de casser les mécanismes de reproduction sociale que l’école est supposée favoriser, elle élimine les matières académiques qu’elle soupçonne d’avantager les milieux bourgeois, à savoir en priorité les humanités. Mais ne parvenant pas à faire disparaître ainsi les inégalités des résultats académiques, elle en est venue à en masquer l’existence en supprimant les matières discriminant très visiblement les élèves en raison de leur niveau. Les notes sont de plus en plus mal vues par l’Education nationale et les pédagogues en cour ; l’école raréfie les exercices et devoirs sur table au profit des jeux et des projets collectifs ; les classements d’élèves sont mal vus ; les examens sont supprimés ou trafiqués pour produire des résultats conformes aux espérances égalitaristes de la société : on se dirige vers un quasi droit au diplôme.

Pour Jean-Louis Harouel, dans Culture et Contre-cultures (1994, PUF), ces mutations sont responsables d’une véritable déculturation de la jeunesse par l’école. La jeunesse est privée de la culture propre à notre civilisation, qui permet de comprendre les œuvres et les générations passés. Il en résulte selon lui un « quasi génocide culturel ».

1-5 A l’idéologie vient s’ajouter dans le cadre scolaire, les effets néfastes de la technique, et en particulier de l’écran.

Le monde du numérique est irrésistiblement fascinant pour les élèves. Jouer aux jeux vidéos, surfer sur internet, visionner un film, discuter avec des personnes situées à l’autre bout de la terre… tout cela est évidemment captivant pour l’enfant. C’est émotionnellement bien plus fort que de lire un roman ; c’est tellement plus facile ; cela ne nécessite aucun effort d’apprentissage ou de décodage, tant cela donne « l’illusion parfaite de la vie ». J.L.Harouel décrit bien le phénomène en parlant de la fascination de l’image filmée. Cela est encore infiniment plus vrai à l’époque du numérique omniprésent.

Le règne du numérique a entraîné des effets pervers déjà bien analysés par les spécialistes : fatigue neurologique nuisible à l’attention scolaire ; impatience face à tout enseignement linéaire, réfléchi, les rendant quasi incapables à l’apprentissage scolaire ; règne de l’immédiateté ; besoin de changement, de distraction, de mouvement en permanence ; désaccoutumance à l’effort et aux règles du langage humain

Au lieu de s’opposer à cette évolution si contraire aux nécessités de l’instruction, l’école collabore avec bonne grâce à la déculturation de l’enfant par la technique et en particulier par la soumission au règne de l’écran.

Soucieuse d’être « ouverte au monde », prête à servir la technique plutôt que d’apprendre à la domestiquer pour la mettre au service de l’homme, dès lors qu’il apparaît que la société du XXIe a besoin de techniciens pour prospérer, l’institution scolaire introduit de plus en plus massivement les ordinateurs dans la vie de l’élève. Dans les années 1990, les professeurs posaient déjà des questions sur des films ou émissions passées à la télévision poussant les enfants à regarder la télévision et compliquant la vie des familles soucieuses de résister à cet accaparement du temps libre, de l’imagination et de l’intériorité des enfants par la télévision. Aujourd’hui, l’école n’hésite pas à projeter des films en classe plutôt qu’à lire ou faire lire des textes argumentés ou faire faire par les élèves eux-mêmes des activités éducatives (représentations théâtrales, expériences de sciences naturelles, travaux manuels liés aux leçons…). La passivité intellectuelle est ainsi encouragée au détriment d’une attitude plus active requérant de l’élève qu’il réfléchisse et organise les connaissances par lui-même. Aujourd’hui, l’école exige souvent que l’enfant fasse des recherches sur internet et qu’il ait accès à un ordinateur. Au lieu de protéger l’enfant de la surenchère visuelle et numérique, elle rend quasi impraticable la régulation par la famille du temps d’écran de l’enfant et compromet sans pitié les efforts que les parents déploient pour pousser les enfants à lire et à s’initier patiemment à la haute culture.

Ce problème se double d’un autre problème qui est celui de la perte de qualité des œuvres étudiées en classe. Sous prétexte de modernité, les ouvrages étudiés sont de piètre qualité littéraire, morale et humaine d’autant qu’ils sont souvent traduits- et mal- de l’américain et renvoient les enfants à leur univers d’enfant, ou à un univers de fiction marqué par l’omniprésence de mondes fantastiques ou surnaturels où règnent des forces maléfiques (sorcières, mondes parallèles…). Ces univers n’aident pas les enfants à développer un solide sens du réel et à former leur jugement. Associés à l’importance des jeux vidéo et l’empire de la fantasy anglo-saxonne, ils conduisent nombre d’enfant à mélanger réalité et fiction, ce qui peut avoir des conséquences parfois dramatiques (violence, manque de mobilisation dans sa propre vie…).

L’école donne de moins en moins l’opportunité aux enfants de découvrir les grandes œuvres classiques du répertoire culturel français et européen. Ce renoncement de l’institution scolaire au classicisme de ses canons contribue à discriminer les enfants issus de familles culturellement défavorisées car seuls les enfants de familles cultivées accèderont à la culture classique par leur famille tandis que ceux qui ne peuvent compter que sur les écoles pour découvrir la littérature et les arts seront privés de tout bagage classique. En n’assumant plus son rôle de conservation culturelle de la culture classique, l’école accroît les inégalités culturelles et académiques entre enfants. Elle se rend aussi responsable de la montée en puissance de clivages intergénérationnels et interculturels ainsi que de la disparition de toute culture commune susceptible d’assurer l’unité culturelle et morale de la Nation.

1-6 L’école privée sous contrat souffre largement des mêmes défauts. Fière de ses valeurs humaines, elle délaisse dangereusement ses responsabilités académiques et morales.

Parce qu’elle suit les mêmes programmes, prépare les mêmes diplômes définis unilatéralement par l’Etat avec les mêmes manuels, en s’appuyant sur des professeurs formés et recrutés de manière quasi identique à ceux de l’Education nationale, parce qu’elle accepte de se soumettre à l’inspection pédagogique des mêmes inspecteurs, l’école privée sous contrat (l’Enseignement catholique) ressemble aujourd’hui à s’y méprendre à l’école publique. On peut se demander pourquoi l’Enseignement catholique français se prête de si bonne grâce à cette mise au pas, à cette assimilation de facto à l’école publique. A quoi bon avoir obtenu dans la rue en 1984 la survie d’un enseignement libre distinct de l’Éducation nationale si c’est pour imiter ensuite dans la pratique l’école publique ? Pourquoi les écoles catholiques ont-elles accepté de se penser comme un tout de plus en plus technocratisé (l’Enseignement catholique) en contradiction évidente avec le principe de subsidiarité qui fait de chaque établissement librement fondé le lieu naturel des prises de décisions ? Pourquoi les écoles catholiques ont-elles cessé de donner une formation humaine, spirituelle et académique spécifique à leurs professeurs, préférant céder à l’Etat (aux IUFM) la formation de leur corps professoral ? Pourquoi l’Enseignement catholique n’a –t-il pas encouragé les éditeurs scolaires catholiques à publier des manuels à la hauteur de la vision de l’homme portée par l’Eglise, pourquoi a-t-il laissé les écoles utiliser des manuels fondamentalement anticatholiques par bien des aspects (marxisme économique, malthusianisme démographique, anti-catholicisme historique, vision irénique ou falsifiée de l’Islam en Europe…) ? Pourquoi les écoles catholiques sous contrat ont-elles renoncé à défendre l’anthropologie chrétienne et la doctrine sociale de l’Église ? Pourquoi n’ont-elles pas protesté plus vigoureusement contre le maintien du monopole étatique de la collation des grades qui étouffe à l’évidence les écoles privées.
Pourquoi l’Église de France ne se prononce-t-elle pas clairement au sujet des sujets d’intérêt général concernant tous les élèves du public comme du privé tels les programmes, les examens, les campagnes éducatives développées dans les établissements ? Pourquoi hésite-t-elle à s’investir dans le champ académique et se cantonne-t-elle volontairement à la sphère spirituelle alors que l’école est le lieu où s’articule foi et raison ? On pourrait poursuivre la liste des interrogations, mais notre objectif est simplement de montrer l’importance de l’alignement consenti par l’Enseignement catholique sur le modèle éducatif public.

Bien sûr, dans une école catholique sous contrat, on trouvera un encadrement plus serré, une meilleure qualité de la relation parents-école, une attention plus soutenue des parents aux études de leurs enfants dans la mesure où ils ont fait un choix payant, une moindre pratique de la grève et de l’absentéisme par les professeurs, une exigence de résultats académique parfois plus forte (mais qui se traduit dans les écoles les plus prestigieuses surtout par le renvoi des élèves les plus faibles, plutôt que par le déploiement d’une pédagogie ou de programmes d’études spécifiques)… Toutes ces caractéristiques sont appréciées par les parents et satisfont manifestement la plupart d’entre eux. Mais elles ne suffisent pas à répondre à la vocation d’une école catholique. Elles ne sont pas à la hauteur de la mission éducative de l’Eglise, et des défis qui attendent les futurs adultes ; elles ne sont pas dignes de la richesse de la tradition éducative catholique, de l’ars docendi des jésuites, des oratoriens, des frères des écoles chrétiennes etc…

Au sein de l’Enseignement catholique, l’on trouve souvent des personnes pour croire que leur école pourra malgré cela se distinguer fortement de l’école publique. Comment ? Par un « supplément d’âme » apporté par la pratique des valeurs évangéliques, par l’attention porté à chaque élève, par le désir affiché de mettre l’homme au cœur de leur projet éducatif. Et c’est vrai, l’attention portée à l’élève est plus forte que dans le public. Concrètement, cela se traduit souvent dans le projet pédagogique écrit par l’appel à la bienveillance, à la confiance, à la tolérance, à l’ouverture, à l’attention aux plus faibles, à d’accueil de l’autre… Belles valeurs mais qui risquent de tourner au règne des bons sentiments, faute d’être fondées sur une doctrine claire de l’homme et de sa finalité. Ecrasement de la radicalité exigeante de l’évangile, au profit d’une vision droitdelhommiste au final peu exaltante et peu exigeante.

Et parce qu’il ne faut pas mettre mal à l’aise l’autre, on met sous le boisseau tout ce qui pourrait choquer celui qui ne croit pas en Christ, celui qui n’est pas issue d’une famille conforme au modèle catholique… On écrase le caractère propre de l’école catholique pour se faire accueillant à tous. Ce faisant, on aboutit ici comme dans l’école publique à la déculturation et à l’abandon de la civilisation chrétienne. Cette erreur logique – affadir le plat servi à tous sous prétexte que les clients ont des goûts variés – est lourde de conséquences pour les chrétiens qui sont appelés à être le sel de la terre, des signes de contradiction dans le monde. Cette dérive mièvre ne peut de surcroît qu’avoir une faible portée évangélisatrice. Seule la Vérité dans la charité peut durablement former et marquer les âmes des enfants scolarisés.

II – Comment pourrait-on échapper à cette déshumanisation de l’enfant par l’école ? Sur quels principes fonder une école dugne de l’homme ?

II-1 Les écoles indépendantes représentent une forme contemporaine en fort développement de tentative de résistance à la déshumanisation de l’enfant par l’école.

Si les écoles indépendantes connaissent un essor dans le monde, et notamment en France, c’est parce que de plus en plus de parents, de professeurs, de communautés religieuses, de spécialistes de l’éducation comprennent que l’éducation est un tout, que l’enfant à besoin d’une proposition éducative cohérente, que l’enfant a besoin d’être humanisé par l’école, et que les parents ne sauraient remplir leur mission éducative convenablement s’ils placent leurs enfants dans des institutions défaillantes ou contraires à l’éducation familiales. Ces écoles ne sont pas affectées du même besoin de reconnaissance étatique dont souffre les écoles de l’Enseignement catholique, lesquelles manifestent le surprenant besoin de voir leur rôle et leur légitimité reconnus voire fondés par l’État. Les écoles indépendantes elles savent tirer leur légitimité d’une autre source que d’une « bénédiction étatique ». La liberté scolaire ne procède pas d’une tolérance de l’Etat, elle procède des droits de l’homme, de la loi naturelle. Les parents sont les premiers éducateurs et responsables des enfants qu’ils ont mis au monde. Il leur revient de prendre leurs responsabilités éducatives. A l’État et à l’Église de les y aider, mais à titre subsidiaire.

Aujourd’hui il y a 49 000 enfants scolarisés dans les écoles indépendantes, soit 556 groupes scolaires indépendants en France. A la dernière rentrée, 35 nouvelles écoles ont été ouvertes ce qui est significatif, d’autant qu’on assiste au même moment à des fermetures d’écoles publiques et privées sons contrat.

Cela ne peut qu’interpeller ? Pourquoi de plus en plus de parents se donnent-ils la peine de se lancer dans l’aventure que représente une fondation d’école ? Pourquoi de plus en plus de professeurs et de directeurs sont-ils intéressés par ces écoles alors qu’elles sont peu connues et tellement pauvres (à l’instar des écoles libres à la veille de la loi Debré de 1959) ? Pourquoi ce mouvement de fondation émane-t-il aussi bien de personnes catholiques que non catholiques, de professeurs issus de l’enseignement public que de l’enseignement privé ? Pourquoi une telle éclosion d’écoles libres alors que l’argent fait cruellement défaut et que rien n’est fait pour faciliter leur développement ?

La société française a évolué : les parents n’acceptent plus l’échec scolaire des enfants. Si le système éducatif public ne leur réussit pas, peut-être réussirait-il dans une école organisée différemment et portant un regard différent sur leur enfant ? Cette évolution est nouvelle.
Les parents actuels pensent que tout enfant peut réussir s’il est placé dans le cadre adéquat. C’est ainsi qu’ils sont de plus en plus nombreux à oser confier leurs enfants à des écoles indépendantes, voire, pour les plus motivés, à participer eux-mêmes à la fondation d’une école. C’est le cas notamment des parents d’enfants diagnostiqués surdoués ou atteints de dys. (dyslexie, dyspraxie etc…).

Le délitement de l’école publique (et bien souvent des écoles privées sous contrat si proches dans leurs pratiques de l’Éducation nationale) poussent les parents à s’interroger sur la question scolaire. Combien de fois les parents sont-ils choqués ou du moins faiblement convaincus par les pratiques de l’école ? L’école n’est plus une institution qui fonctionne sans que les parents aient à s’en préoccuper. Tel professeur demande des devoirs irréalisables sans l’aide des parents ; tel autre est toujours absent ; le troisième donne à lire des ouvrages que les parents jugent fortement déplaisants ; tel autre ne rend jamais les copies des devoirs qu’il organise… Bref, l’école ne va plus de soi. Les parents ne peuvent plus accorder une confiance aveugle et de principe à l’institution scolaire. Ils ne voient peu à peu contraints à prendre une position critique face à tels ou tels pans de l’institution scolaire. Ils ressentent que ce n’est pas sans conséquences sur le respect et la confiance que leurs propres enfants peuvent accorder à leurs professeurs et leur école, mais comment faire ? Cette résistance ponctuelle finit par lasser les parents qui se décident peu à peu à rejoindre une école fondée sur une vision plus conforme à leurs propres attentes.
En pratique, les écoles indépendantes fondées par des catholiques séduisent les nouveaux parents par le caractère plus structuré, plus « carré » de leur enseignement. Tout d’abord, elles forment de manière plus systématique et rigoureuse la raison et le langage : enseignement de la grammaire qui structure l’esprit, développement de la mémoire, entraînement à la logique, structuration et organisation des savoirs acquis de manière méthodique, développement de l’expression écrite…En cela, elles se différencient assez nettement des écoles ordinaires qui ont renoncé à enseigner les matières classiques (orthographe, grammaire, conjugaison) de manière organisée, et spécifique, allant du simple au compliqué, pour préférer les approches transversales et thématiques des domaines de connaissances.

II-2 Par ailleurs, les écoles indépendantes renouent avec un souci de la transmission du patrimoine culturel français, en privilégiant les chefs d’œuvre plébiscités par plusieurs générations. Ce choix permet aux enfants de comprendre la civilisation française, et facilite le dialogue et la connivence intergénérationnelle en leur donnant des références communes à leurs ascendants. En outre, on optant pour des classiques, elles font le choix d’œuvre susceptibles d’inspirer les enfants, de former leur caractère, de leur donner le goût du vrai, du bien, du beau. Les écoles indépendantes catholiques prennent en compte le besoin d’exemplarité des enfants qui cherchent des modèles à imiter. La matière étudiée doit être sans cesse l’occasion de faire grandir l’enfant, de l’édifier, de lui donner les connaissances et le goût qui lui permettront à son tour d’apporter sa contribution au monde. A rebours, les écoles indépendantes considèrent les textes trop pessimistes ou ambigus, ou absurdes comme inadaptés à l’univers scolaire et aux besoins éducatifs des enfants. On ne peut pas en dire autant de nombre de professeurs des écoles publiques ou privées sous contrat qui ne craignent pas de déstabiliser et mettre mal à l’aise leurs élèves. Ainsi, choisir une école catholique indépendante, c’est choisir de confronter son enfant aux chefs d’œuvre de l’humanité et c’est choisir de les placer dans un univers esthético-moral respectueux de leur niveau de maturité et de leur besoin de sécurité et de tact. Cela permet aux parents de retrouver confiance en l’école, ce qui contribue à renforcer l’estime et la docilité des enfants à l’égard de leurs professeurs.

II-3 Loin de toute utopie politique ou pédagogique, les écoles indépendantes respectent en outre la réalité de la nature humaine.

Elles tiennent davantage compte des besoins physiologiques et des réalités neurologiques de l’enfant (rythme d’études privilégiant les matières cognitives fondamentales le matin et réservant aux après-midi les matières nécessitant moins de concentration et mobilisant plus le corps ou la sensibilité), développement de la mémoire, méthode syllabique, recours à la répétition pour sécuriser les élèves).

Elles respectent la nature complexe de l’enfant, ni ange ni bête, utilisant des ressorts bien connus pour l’aider à donner sa pleine mesure (système de bons points, de punitions, de distinctions honorifiques, d’études surveillées, de contrôles, d’examens réguliers, de notations régulières, de cahiers de notes aux parents, classement et mise à l’honneur des meilleurs…)

Elles tiennent davantage compte de la spécificité des besoins de chacun des sexes (écoles non mixtes, ou écoles séparant les sexes pour certains exercices ou matières comme pour la littérature ou la biologie reproductive).
Elles ne respectent et tirent les conséquences des différences d’aptitude entre les enfants. C’est sur ce principe que reposait la méritocratie républicaine, marque de fabrique de l’école des hussards noirs. Refuser la sélection et la différenciation des parcours, c’est nier les différences de capacité scolaire entre les différents élèves, c’est vivre dans l’utopie égalitariste. Les écoles indépendantes n’hésitent pas à grouper les élèves par niveaux, à donner des exercices de révision aux plus faibles tandis que les plus forts ont des exercices d’approfondissement. Elles ne sacralisent pas l’équivalence âge/classe et n’hésitent pas à faire sauter une classe quand l’enfant est prêt, ou l’envoyer faire une année à l’étranger.

Elles cherchent à répondre aux appétits métaphysiques des plus petits, en aidant à découvrir le sens du monde, de la vie. Ce faisant elles répondent à une quête de sens inscrite dans le cœur de tous les enfants. Parce qu’elles prennent au sérieux leur curiosité métaphysique, elles intéressent l’enfant qui voit dans l’école un lieu potentiel de sagesse.

Elles développent l’esprit critique, c’est-à-dire qu’elles donnent à l’enfant les éléments nécessaires pour juger par lui-même (formation du raisonnement logique, enseignement des critères de jugement, apprentissage de la rhétorique et de l’art du discours). Elles apprennent à l’enfant à mettre en perspective (historique, philosophique), à prendre du recul, à raisonner plutôt qu’à réagir de manière émotionnelle et affective. Tout doit être fondé en raison, justifié, expliqué. L’opinion non justifiée n’intéresse pas. En formant son jugement, elles préparent efficacement le futur adulte à sa liberté d’homme et de citoyen.

En poussant l’enfant à travailler, en le poussant à faire des efforts, elle permet aux enfants d’aller à la fine pointe d’eux-mêmes et de refuser le confort moelleux de l’autosatisfaction. Le désir de perfectionnement n’est-t-il pas la condition sine qua non de tout processus d’humanisation de l’homme par lui-même.

Par leur liberté statutaire, elles donnent aux enfants l’exemple et le goût de la liberté, de la prise de responsabilité (sens de l’engagement). A rebours, les fonctionnaires de l’Éducation nationale ne prédisposent pas leurs élèves à une culture de l’entreprise, de l’initiative, de la prise de risque.

Parce que les instituteurs sont librement présents dans une école conforme à leurs aspirations, ils peuvent être pleinement eux-mêmes en enseignant, ils témoignent personnellement de leur adhésion à la Vérité qu’ils professent. Comme le disait Paul VI en 1974, devant le Conseil des laïcs, « Les hommes d’aujourd’hui ont plus besoin de témoins que de maîtres. Et lorsqu’ils suivent des maîtres, c’est parce que leurs maîtres sont devenus des témoins . »

La dichotomie entre les convictions du maître et son enseignement sont insoutenables et pour le maître et pour les élèves. La société devient plus humaine quand elle permet aux hommes de s’unifier, quand elle n’exige pas d’eux de faire semblant d’adhérer à telle ou telle position, quand elle les dispense de subir une séparation entre l’action et le for interne.

Une société plus humaine passe aussi par le respect des différences, le souci de faire fructifier les talents propres à chacun, d’aider chacun à discerner et répondre à sa vocation propre. Le pluralisme pédagogique qui caractérise les écoles indépendantes, avec la variété de style éducatif et pédagogique, respecte davantage les êtres réels que sont les élèves, dans la spécificité de leurs dons et de leurs aspirations, qu’une école monolithique dans son principe qui prétend faire marcher tout le monde au même pas.

III – S’il fallait poser les principes sur lesquels établir une école permettant l’avènement d’une société plus humaine, il semble qu’il faudrait mettre au cœur de nos préoccupations le respect des responsabilités éducatives de la famille.

III-1 Voyons tout d’abord la question de l’organisation institutionnelle.

Nul doute qu’il est temps de signer l’acte de mort de l’Education nationale en tant que structure à prétention hégémonique et monopolistique, marquée par le technocratisme, le gigantisme, les procédures uniformisatrices. Il ne s’agit pas de chercher à prendre une quelconque revanche après plus d’un siècle de guerre scolaire. Il s’agit juste d’appliquer des principes politiques et juridiques qui devraient être partagés par tout homme attaché aux libertés publiques : il ne revient pas à l’Etat de former les esprits et les consciences à la place des familles ; il revient à l’Etat de veiller à ce que les enfants reçoivent une formation de niveau élevée, et qu’aucun ne soit privé d’accès à une école conforme aux choix de sa famille et à la réalité de ses besoins. Ainsi, l’Etat doit créer des écoles pour les besoins que la société civile ne voudrait ou ne saurait pas satisfaire mais il n’a pas vocation à imposer une approche unique de l’éducation à la totalité de ses citoyens. Ainsi, l’Eglise – dans sa variété- doit créer et soutenir sans timidité les écoles libres conformes à sa vision de l’humanité, sans plus rechercher en dehors d’elle-même de légitimité. Elle est « mater et magistra » en tant que dépositaire de la foi et a le devoir de proposer la foi à tous ceux qui le veulent. C’est parce que le système sera refondé sur le principe du libre choix qu’elle pourra proposer son approche éducative sans avoir à rechercher de compromis permanent pour se faire tolérer. Ne bénéficierons de ses services que ceux qui les ont librement choisis. Dans le contexte actuel, l’Eglise ne pourra être qu’un prestataire éducatif parmi d’autres dans un contexte de libre concurrence. Pourquoi craindrait-elle cette concurrence dès lors que l’égalité d’accès à tous les établissements ouverts dans le respect de la loi sera financée par l’Etat (chèque éducation) ?

Il conviendrait donc de fonder le nouveau système éducatif sur le plein respect de la subsidiarité, l’établissement devant être l’échelon normal de décision, et la société civile (à commencer par les parents) les premiers décideurs. Cette réforme nécessite donc en termes pratiques la mise en place d’un financement par élèves pour par établissement mais au prorata du nombre d’élèves l’ayant librement choisi.

Le système scolaire doit en outre être fondé sur le respect du libre choix de l’école par les parents, parce que les parents ont un droit inaliénable et sacré à décider de l’éducation et de l’instruction de leur enfant. Une autre raison en est que la mise en concurrence entre différents modèles éducatifs, différents styles d’école, concourt logiquement à la qualité de l’ensemble de l’offre scolaire par effet d’émulation mais aussi parce qu’elle enrichit la palette de choix à disposition des familles. Cette réforme permet ainsi de prendre acte de la variété des talents et des aspirations des enfants ainsi que de la diversité des attentes éducatives légitimes des familles. Si les familles ne lisent pas toutes le même journal, ou ne partagent pas toutes les mêmes idées politiques, sociales, économiques, religieuses ou culturelles, pourquoi faudrait-il s’étonner de ce qu’elles ne souhaitent pas davantage choisir toutes le même modèle d’école ? Il ne s’agit pas pour elles d’une préoccupation communautariste antisociale motivée par le désir de rester entre soi. Il s’agit plutôt de confier leurs enfants à des écoles en lesquelles elles se reconnaissent pour obtenir ainsi l’indispensable cohérence entre l’éducation donnée en famille et les valeurs véhiculées nolens volens par l’institution scolaire. Ainsi, il va s’en dire qu’il faudrait supprimer la carte scolaire, et ne pas se contenter de l’assouplir.

Pour que les enfants soient à pied d’égalité face à l’école, une autre réforme doit être introduite, celle du chèque éducation ou du crédit d’impôt. En effet, comment y aurait –il égalité des chances si seuls les enfants de famille aisées peuvent en pratique s’offrir le luxe de choisir leur école, et d’aller dans une école payante ? La justice réclame que l’État rétablisse l’égalité entre les enfants et donne à tous les moyens de choisir librement son école. Tant que l’État organise la gratuité d’un seul type d’école, il organise une discrimination massive entre enfants. Reprocher aux écoles privées d’être payantes et donc réservées à une élite est une absurdité logique. Si les écoles privées sont payantes c’est parce que l’État a spolié l’Église des biens qui généraient des revenus lui permettant d’enseigner gratuitement (nationalisation des biens du clergé, expulsion des congrégations…). Si les écoles sont payantes, c’est parce que l’État impose des dépenses aux écoles et des impôts aux familles sans rien leur donner en contrepartie. Ainsi un parent qui a choisi une école indépendante doit payer à travers l’impôt pour la scolarisation gratuite des enfants de l’école publique, la scolarisation subventionnée par l’État des enfants du sous contrat, les cours à domicile payants mais bénéficiant d’un crédit d’impôt de 50¨% des enfants du public et du privé sous contrat qui y recourent de plus en plus massivement. Mais pour la scolarisation de son propre enfant, il ne reçoit pas un centime de l’État alors que son choix fait économiser de surcroît à l’État une dépense moyenne de 7000 euros par enfant et par an.

Le système scolaire réformé doit encourager à la diversification maximale des parcours d’études pour permettre aux enfants de suivre une formation conforme à la réalité de leurs aptitudes et aspirations. Ainsi il convient d’en finir avec le dogme du collège unique, de développer l’enseignement professionnel et d’inciter à la plus grande variété pédagogique et éducative pour que les enfants trouvent dans l’offre scolaire existante une réponse à la diversité de leurs besoins propres. Certains enfants par exemple ont besoin de l’internat à un certain stade de leur développement tandis que d’autres trouveront à épanouir leurs capacités dans le cadre d’un préceptorat composé d’un petit nombre d’enfants autour d’un maître dans un contexte très familial. Pourquoi les condamner à l’échec tous deux en les inscrivant par idéologie dans le même type d’établissement ?

D’une manière plus générale, le système éducatif refondé doit retourner à la réalité de homme, et en finir avec utopies égalitaristes. Cela passe par une approche méritocratique poussant les élèves à donner leur meilleur d’eux-mêmes : les examens de passage entre niveaux ou cycles doivent être rétablis ; les notes doivent être utilisées quand c’est utile pour apprendre aux élèves à s’évaluer eux-mêmes et à diriger leurs efforts. Des processus de sélection doivent être mis en place sans fausse honte pour s’assurer que chaque enfant est orienté vers une formation qu’il est capable de suivre effectivement. De même, l’autorité de l’adulte doit être assumée et la discipline respectée sans fausse honte là-encore. Elles sont nécessaires à l’étude et, si elles sont mises en œuvre intelligemment, n’ont rien d’humiliant pour les enfants.

Enfin, il serait judicieux également que la France tourne le dos à sa passion des diplômes et son adoration des filières dites intellectuelles et se décide à encourager les filières professionnelles et les réussites extra-scolaires. La valeur de l’homme ne se juge pas qu’à travers les diplômes et les concours scolaires mais à travers ses œuvres. Nous avons à cet égard beaucoup à apprendre des Etats-Unis et de leur valorisation décomplexée des autodidactes et des self made men. Inversement, il serait bon que les enfants acquièrent, notamment à travers l’exemple que leur donnent les adultes, l’idée qu’on doit se former et se perfectionner tout au long de sa vie, qu’il n’y a pas d’âge pour étudier ou changer de métier. La formation initiale n’est qu’une petite partie de la formation d’un homme, et l’institution scolaire n’est qu’un des lieux possibles d’apprentissage. La banalisation de la VAE (Validation des acquis de l’expérience ) est déjà un pas encourageant dans ce sens.

III-2 la refondation doit porter aussi sur le contenu de l’enseignement

Avant tout, définissons les domaines ne devant pas relever de l’école en situation de monopole. Dans les écoles publiques, l’État doit renoncer à toute ingérence dans les domaines relatifs à la conscience, aux mœurs, aux convictions politiques. Bref, il doit faire montre enfin, et pour la première fois, d’une réelle neutralité. Ainsi, il doit s’interdire de faire intervenir dans l’enceinte scolaire des organismes partisans. Dans les écoles qui ne sont pas dirigées par l’Etat, ces domaines peuvent être abordés mais uniquement sur des bases clairement expliquées aux parents en amont et plébiscitées par ces derniers, dans le cadre d’une transparence totale à l’égard des parents comme de l’État, de la société civile et des éventuels corps d’inspection. En effet, l’ethos d’une école libre peut être beaucoup plus déterminé, « engagé » que celui d’une école publique qui utilise le monopole de la collation des grades et la gratuité pour attirer un maximum de familles à elle.

Les écoles doivent être encouragées à aborder les questions fondamentales, celles qui ont trait au sens même de la vie et au mystère de l’homme. Les programmes des domaines littéraires doivent s’en ressentir directement. Les écoles doivent être libres dans ce domaine qui ne souffre guère de vérité d’Etat et de délit d’opinion. Un constant souci de scientificité doit animer les écoles, et donc les pousser à prendre en compte l’état de la recherche. La dichotomie actuelle entre les savoirs enseignés dans les écoles et les savoirs accumulés dans les universités publiques ou par les chercheurs et auteurs reconnus par leurs pairs doit cesser. Elle est signe d’une sclérose de l’institution scolaire qui se désintéresse des contenus de son enseignement et de son devoir de vérité.

Bref, comme l’a écrit Benoît XVI dans son discours destiné à la Sapienzia, l’école doit être résolument mise au service de la recherche de vérité et de sagesse. Faute de quoi, elle est vouée à l’insignifiance et à l’ennui.
Toutes choses étant égales par ailleurs, une simple réforme des programmes ne suffirait pas à régénérer à elle seule notre système éducatif. Cependant, c’est un élément fondamental de la nécessaire rénovation de l’école. Il s’agit notamment de rendre aux humanités classiques et aux grandes œuvres toute leur place dans les programmes, pour aider l’homme à devenir plus pleinement un homme au contact des modèles des temps passés, comme le montre Henri Bergson dans son analyse de l’appel du héros.

Il est enfin urgent de rendre à l’enfant ses racines à travers l’enseignement chronologique de l’histoire, l’enseignement précis de la géographie, la transmission de la culture des générations précédentes… Il ne pourra s’ouvrir au monde, à l’altérité qu’en sachant qui il est et d’où il vient. C’est en étant un héritier et un passeur de culture que l’homme affirme pleinement son humanité, non en prétendant tirer tout de lui-même et de son époque dans le parfait dédain des autres.

III-3 Sur les techniques d’enseignement
Toutes les techniques d’enseignement sont admissibles dès lors qu’elles respectent l’humanité de l’homme, ne traitent pas l’homme comme un objet ou un moyen mais bien comme une fin en soi, et qu’elles donnent de bons résultats sur les enfants au profit desquels elles sont appliquées.

Ainsi, il est légitime et pertinent de développer des écoles de pédagogies différentes voire contradictoires entre elles.

Échange de vues

Rémi Sentis : Vous avez très bien parlé de l’instrumentalisation idéologique de l’école.

En définitive il y a l’élément particulier que sont les programmes scolaires. On a vu, il y a quelques années, l’éducation civique être instrumentalisée.

Il y a maintenant toute la théorie du gender qui a été introduite de façon assez curieuse dans les manuels de biologie, où cela n’a rien à voir, c’est effectivement un problème d’ordre philosophique.

Il y a aussi les professeurs d’histoire, il est à peu près certain que la désinformation qui les concerne va continuer à s’amplifier.

Ma question est sur toute cette instrumentation idéologique qui passe par les manuels scolaires : comment faire pour élaborer des manuels scolaires qui arrivent à contourner ces programmes officiels ? Même si il ya une difficulté éditoriale financière aussi…

Comment voyez-vous cette instrumentalisation des manuels scolaires ?

Anne Coffinier : En matière de manuels scolaires, le droit laisse une grande liberté puisque la publication de manuels scolaires est libre ; elle n’est par exemple pas soumise à une procédure d’approbation préalable de la part de l’Éducation nationale. Si les manuels dominant le marché du livre scolaire se ressemblent tous, c’est parce qu’ils proviennent d’un nombre très limité de grands éditeurs scolaires et parce qu’ils sont choisis par consensus par les professeurs de chaque établissement, pratique qui conduit à choisir le plus souvent les ouvrages les plus richement illustrés et les plus conformes aux idées médiatiquement dominantes. Cependant, un début de résistance a commencé à se développer. Des manuels plus originaux apparaissent sur le marché depuis cinq ans environ.

Citons par exemple la « Librairie des écoles » qui publie depuis quelques années des manuels scolaires très corrects, au moins pour le primaire et le début du collège. On note aussi un effort de traduction et d’importation de méthodes qui ont fait leurs preuves à l’étranger. Notamment en mathématiques, avec la méthode de Singapour. C’est une méthode qui a été choisie par nombre de pays (comme l’Afrique du Sud, l’Arabie Saoudite, la Jordanie, le Chili, le Panama, l’Allemagne, l’Inde, l’Indonésie, les Philippines et Taïwan) après avoir passé en revue l’ensemble des méthodes possibles. Ces méthodes-là sont maintenant utilisées dans les écoles indépendantes et dans d’autres écoles comme par exemple la fameuse Institution Stanislas à Paris.

Cette réaction n’est pas partie de l’Enseignement catholique, lequel n’a pas cru bon de soutenir ces quarante dernières années par ses commandes les maisons d’édition catholiques. L’Enseignement catholique n’a pas davantage incité ses professeurs à choisir des manuels développés dans un souci de respect de la foi catholique. L’initiative en matière de renouveau du manuel scolaire est essentiellement venue de laïcs chrétiens et de certaines congrégations religieuses.

On peut citer d’autres manuels de grande qualité, commel le manuel d’histoire/cours moyen qui a été publié en 2012 par l’œuvre scolaire Saint-Nicolas, une association de laïcs chrétiens. En SVT, un manuel a été publié par Les éditions Tradition monastique en 2011 pour le lycée. En 2010, les Dominicaines du Saint-Esprit ont repris et actualisé une fameuse grammaire classique dont la nouvelle édition a été assurée là encore par les éditions Tradition monastique. On assiste donc actuellement à un effort notable pour proposer des manuels scolaires alternatifs aux manuels dominants.

Le problème réside aujourd’hui surtout dans le fait qu’il ne suffit pas de doter les enfants de bons manuels ; il faut encore aider les élèves à faire face à la réalité souvent déstabilisante des examens actuels, dont l’esprit n’est en bien des points pas conforme à celui des manuels utilisés. Il faut arriver à la fois à donner une formation riche et droite aux élèves tout en les préparant à la réalité des examens qui sont moins exigeants académiquement que ce que les enfants apprennent dans les écoles indépendantes, moins rigoureux dans leur expression et souvent idéologiquement orientés. Il convient donc – avec la délicatesse et la rigueur intellectuelle requises – d’apprendre aux enfants à s’adapter à des attentes différentes, sans pour autant les pousser à brader leur conscience ou les inciter à faire peu de cas de la fidélité à la vérité. Une voie étroite !

Les matières telles les SVT, la philosophie, le français ou l’histoire demeurent des matières difficiles à gérer dans le cadre des examens d’État. C’est la raison pour laquelle, surtout à l’étranger mais aussi un peu en France désormais, de plus en plus d’institutions prestigieuses résolvent le problème en ne présentant pas leurs élèves aux examens nationaux mais à des examens étrangers (comme les certificats de Cambridge) ou internationaux (comme le baccalauréat international).

Rémi Sentis : Ceci dit le baccalauréat français étant tellement bradé que, peut-être, les enfants arriveront plus facilement à jouer du double jeu.

Jean-Luc Bour : Je vous remercie pour votre exposé. Cela me ramène effectivement vingt ans en arrière à l’école du Pecq qui était une des premières écoles privées à se lancer dans l’aventure non commerciale mais éducative des enfants.

Je crois que dans les débats qu’on a eus à la fin de la semaine c’est un peu la même chose. Et vous l’avez dit au début, on assiste dans la société à un refus de l’altérité.

Or l’altérité par la différence comme le sait tout ingénieur en physique, c’est cela qui amène la richesse.

Au contraire, on flatte le refus de la différence et on sait que cela conduit au clonage, d’une manière ou d’une autre.

Je crois que, dans l’école, on a ces deux problèmes-là, le refus de l’altérité, le refus que les choses soient différentes.

Vous avez parlé de la fin de modèles de représentation, que même pour certains élèves il y a des modèles inaccessibles, même pour les premiers de classe, mais pour celui qui est le cinquième de classe pour celui qui est le dixième, il va essayer de l’atteindre et de le dépasser.

Il y a une chose importante dans l’école c’est, justement comme en politique, des modèles qui essaient de faire remonter toute la classe.

Je crois qu’il le faudrait au moins dans les petites classes, je ne parle pas de l’enseignement supérieur des classes hyper sélectives parce qu’il faut et cela fait partie de la vie que celui qui est en meilleure santé (santé veut dire capacité scolaire) puisse entraîner les autres.

En tant qu’industriel, on se rend compte que la capacité scolaire et les problèmes à décortiquer étaient quelque chose mais pas forcément la totalité de ce dont on peut avoir besoin dans l’entreprise.

Oui, mais c’est plus confortable de prendre quelqu’un qui a un bon diplôme parce que c’est une sorte d’assurance. S’il est mauvais, je ne pouvais pas le savoir puisqu’il avait un bon diplôme, alors que c’est une prise de risque de prendre quelqu’un qui n’en a pas et d’avoir évalué par son jugement quel dynamisme il recelait.

Anne Coffinier : Il y a plusieurs points très intéressants dans votre intervention.

D’abord cette idée qu’il faut aider à relever le niveau de toute une classe au lieu de se contenter du succès des plus scolaires. J’en suis bien consciente. Il y a des pédagogies qui ne sont pas propres à l’enseignement libre et qui permettent à tout le monde de progresser. On peut en mentionner deux par exemple :

- La première, c’est de fonctionner par groupes de niveau, ces niveaux étant évolutifs. Cela existe dans de nombreux pays dans l’école publique comme privée, mais cela représente un tabou en France pour des raisons idéologiques puisque les différences de niveaux entre les élèves sont niées : toute personne du même âge est supposée avoir le même niveau que n’importe quelle autre. En Grande-Bretagne, où je vis depuis quelques années, il y a des groupes de niveau. En fin de trimestre, le groupe de niveau de chaque enfant, dans chaque matière concernée, peut être modifié au regard de ses efforts et ses résultats. L’enseignement dispensé et la quantité de travail sont adaptés à chaque groupe de niveau.

- Dans certaines pédagogies, comme c’était le cas chez les Jésuites, le choix est fait de donner des responsabilités aux meilleurs ou aux plus mûrs à l’égard des moins bons. Comme dans le scoutisme, ou à l’École des Roches, à l’époque d’André Charlier en particulier. Donner des responsabilités à certains enfant – notamment à ceux qui sont à la fois fainéants et brillants – permet de stimuler autant ceux qui sont aidés que ceux auxquels on a osé faire confiance.

Ce sont déjà deux éléments de réponse pour tirer tout le monde vers le haut sans pénaliser les meilleurs. Il faut en effet se garder de solutions qui ne permettrait pas à des élites de ses dégager. Nous avons besoin d’élites, même si cette préoccupation constitue là encore un tabou en France.
Souvenons-nous que même le système soviétique en son temps – relayé d’ailleurs par le système russe actuel avec ses lycées classiques ou établissements spécialisés – se préoccupait gravement de l’identification et de la formation des élites. Dans une société libérale, c’est une préoccupation qu’a fortiori nous devons avoir. L’école doit tenir compte de la variété des aptitudes et aspirations des élèves ainsi que de la réalité des besoins de la société, des exigences du bien commun.

En France, le discours politique est focalisé sur la prise en charge et l’intégration des élèves en difficulté, que l’influence de Pierre Bourdieu fait assimiler – de manière tout à fait fausse d’ailleurs- aux enfants issus de familles dites « défavorisées ». Je note que cette obsession des plus faibles ne conduit aucunement à la réussite de ces derniers : on reconnaît unanimement que l’école joue aujourd’hui un rôle d’aggravation des inégalités sociales au contraire de son traditionnel rôle d’ascenseur social.
Cette approche ne conduit pas davantage au renouvellement effectif des élites. Tout au plus conduit-elle à la déchéance de nombre de fils issus de famille dites favorisées ou de classe dominante pour reprendre le vocabulaire marxiste de P. Bourdieu. Etait-ce le but : déshériter les héritiers par l’école de la République sans élever pour autant les enfants issus de milieux plus simples ? C’est ce qui s’appelle en tout cas le nivellement par le bas. C’est la manière facile de mettre en œuvre par l’école un projet politique égalitariste.

Ensuite vous souligniez que la capacité scolaire n’était pas le tout de la formation professionnelle et je suis bien d’accord avec vous.
C’est d’ailleurs un grand drame du système d’embauche français : les recruteurs donnent la préférence aux diplômés non pas parce qu’ils sont meilleurs mais pour se mettre à l’abri de critiques futures, pour prendre des garanties. Le recruteur pourra se justifier : « écoutez, il a reçu tous les sacrements ; s’il est mauvais, ce n’est pas ma faute… ». Je pense néanmoins que l’internationalisation croissante des entreprises va nous conduire petit à petit à nous débarrasser de cette passion française pour les diplômes et à prendre davantage en compte l’expérience et les compétences prouvées. On va vers une prise en compte de capacité d’expression, de la valeur morale, de la rigueur intellectuelle, des capacités de leadership, du sens de l’initiative, de la fiabilité, du sens de la parole, toutes ces capacités que la seule détention d’un diplôme si prestigieux soit-il ne garantit pas.
Donc, là aussi, les choses évoluent plutôt bien : l’internationalisation pousse à la démythification des diplômes en France.

Vous m’avez également interrogée sur la rénovation de l’école libre.
Souvent on nous dit : « vous êtes pleins d’énergie, c’est fantastique ! Que ne vous occupez-vous pas de l’enseignement public » ou alors, selon qui parle, « pourquoi voulez-vous vous occuper seulement d’un nombre ridicule (1 %) d’enfants au lieu de vous engager pour le renouveau de l’enseignement privé sous contrat ? »

C’est toute la différence qu’il y a entre la stratégie et la tactique. Cela fait tout simplement trente à quarante ans que les gens essaient de réformer notre système éducatif du haut et de l’intérieur que ce soit l’école publique (80% des enfants) ou l’école privée sous contrat (19% des enfants). Toutes les réformes ont notoirement échoué. S’il est évident qu’il serait parfaitement irrationnel de se désintéresser du sort de 99% des enfants pour se focaliser sur le un pour cent concerné par les écoles indépendantes, il n’en est pas moins évident qu’il ne faut pas reproduire les erreurs du passé si l’on veut sauver notre système scolaire tout entier. Cela veut dire qu’il faut cesser de focaliser son action sur le seul enseignement public et qu’il ne faut plus procéder de haut en bas, à coup de lois et décrets ministériels pour relever le niveau des écoles et améliorer concrètement l’instruction et l’éducation des enfants, in concreto, sur le terrain. Il faut procéder à rebours. Expérimenter des solutions dans des structures libres et de petites tailles, libres de s’adapter facilement aux besoins réels des élèves. Il faut miser sur les professeurs, sur les écoles et non sur la technocratie de l’Éducation nationale. Bref, il faut appliquer le principe classique de subsidiarité et rompre avec l’approche administrative de la question scolaire. Les expériences étrangères les plus réussies reposent sur ce type d’approche (cf. études de l’OCDE).

Notre tactique pour obtenir le rénovation de l’école du plus grande nombre d’élèves est d’aiguillonner de l’extérieur le système scolaire dominant, de susciter des exemples alternatifs qui poussent le système à évoluer. Par cet effet d’entraînement, les écoles indépendantes sont vraiment d’intérêt général. Simplement, l’Éducation nationale comme l’Enseignement privé sous contrat ont un rythme de mammouth tandis que les écoles indépendantes, elles, ont la légèreté et la maniabilité des chevau- légers !

Henri Lafont : Vous avez dit beaucoup de choses passionnantes et avez suscité beaucoup de questions. Je vais en choisir trois.

Je retiens d’abord une expression que vous avez utilisée entre autres, vous avez dit « nos écoles ». Alors, ce serait intéressant de savoir ce que vous entendez par « vos » écoles. Quelle est le caractère commun à ces écoles, en dehors d’être indépendantes de l’Éducation nationale autant qu’elles peuvent l’être ?

La deuxième question : comment réagit l’Éducation nationale, sur le terrain, à la création de vos écoles ; est-ce qu’il y a des rivalités, spécialement dans les milieux ruraux ?

Troisième question, quelles sont vos relations avec la pastorale de l’Enseignement catholique ?

Mais lors de votre exposé, on sent que tout ce que vous préconisez dans vos écoles est tellement particulier, tellement différent, – et vous avez raison – de ce que fait l’école publique républicaine, qu’on aimerait en savoir plus en observant que vous souhaitez éviter l’écueil d’une société un peu fermée, enkystée.

Qu’est-ce qui fait votre unité ? Qu’est-ce qui vous permet de dire « nos écoles » ? Je veux dire quels sont les principes généraux, les fondements, indépendamment d’une certaine orientation pédagogique ?

Anne Coffinier : Quand je dis « nos écoles », c’est fondamentalement un abus de langage parce que la Fondation pour l’école ne fédère pas les écoles, ne contrôle pas les écoles, ne crée pas les écoles en tant que telles. Nous sommes simplement au service des écoles indépendantes qui nous demandent notre aide. Nous intervenons dans une logique de subsidiarité à leur égard. Nous ne cherchons nullement à les pousser à imiter un modèle quelconque ou à se rassembler en réseau alternatif à celui de l’Éducation nationale.

Pour ce qui est du point commun des écoles indépendantes, il est difficile à définir dans la mesure où les écoles indépendantes se caractérisent précisément par leur liberté et leur diversité et le fait qu’elles s’adaptent au caractère concret des besoins des enfants et aux attentes spécifiques des parents qui les créent. Les motivations des créateurs sont très variées.
Il peut par exemple s’agir de parents qui fondent une école, parce qu’ ils habitent en zone rurale, que l’État vient de fermer l’école unique du village dans une perspective de rationalisation budgétaire, ce qui ne leur donne d’autres choix que de quitter la zone rurale qu’ils habitent ou… de fonder une école pour leurs enfants. Autre type de motivation : la recherche d’une école confessionnelle qui n’ait pas peur de proposer une formation intégrale de la personne selon une vision spirituelle unifiée et cohérente. Cela peut aussi être des parents cherchant à trouver une offre pédagogique correspondant à des besoins spécifiques : écoles pour enfants dyslexiques, ou précoces, ou engagés dans une activité artistique ou sportive de haut niveau…

Au delà de l’extraordinaire variété de motivations, il y a des points communs.

Toute école indépendante dépend dans son existence même et son développement du niveau de satisfaction des parents. Privée de tout financement public, elle dépend des parents (frais de scolarité) et de ses bienfaiteurs. Cela peut être dangereux si l’école se laisse aller au clientélisme et cherche à complaire aux parents à tout prix, mais c’est en pratique le plus souvent très positif en ce sens que cela conduit à une élimination mécanique des mauvaises écoles. En effet, si une école ne convainc pas les parents de sa qualité, elle est abandonnée par ces derniers qui vont inscrire leurs enfants ailleurs. Bref, la mauvaise école doit changer rapidement ou périr, ce qui est un avantage majeur sur les autres écoles.
La deuxième question, comment réagit l’Éducation nationale sur le terrain à la création de vos écoles ; est-ce qu’il y a des rivalités spécialement dans les milieux ruraux ?

Les écoles indépendantes représentent moins d’un pourcent des écoles. Elles ne constituent donc pas un point d’attention particulier de l’Education nationale qui a bien d’autres problèmes à régler.

En revanche, par leur liberté et leur originalité, elles intéressent de plus en plus de personnes, y compris au sein de l’Education nationale : des professeurs soucieux d’exercer leur métier dans un cadre plus souple et plus responsabilisant, des inspecteurs généraux qui suivent la réalité des écoles indépendantes et collaborent avec nous ou avec les écoles indépendantes, dans le plus grand secret naturellement… En revanche, certaines officines qui vivent des subsides étatiques – comme la Ligue de l’enseignement ou la Miviludes … – n’hésitent pas à s’en prendre aux écoles indépendantes dont la liberté et le succès les exaspèrent.

Dans les zones rurales, les écoles indépendantes suscitent de plus en plus d’intérêt. Les maires s’intéressent à ces écoles associatives, nées ou portées par la volonté des parents et peu chères. C’est en particulier le cas lorsqu’ils sont confrontés aux décisions étatiques de fermer d’autorité l’école du village pour limiter les coûts budgétaires. Ils savent aussi qu’une bonne école, avec un profil original, constitue un atout majeur pour leur commune. Certains maires en viennent à prendre une part active dans la création des écoles indépendantes, aidant à trouver des locaux par exemple. Cette tendance s’affirme nettement depuis ces dernières années.
Dans les banlieues sensibles, les écoles indépendantes intéressent aussi de plus en plus d’élus locaux soucieux d’agir énergiquement pour la formation de la jeunesse, dans un contexte difficile.

Si, je prends le cas, par exemple, de la Seine-Saint-Denis, il est terrible de constater qu’il y a en nombre l’équivalent d’un collège complet d’élèves qui sont constamment renvoyés des établissements publics et qui partagent leur temps entre la rue et les établissements (entre deux renvois).
Vous avez aussi des enfants qui sont déscolarisés, qui sont virés, il n’y a pas d’autre terme, dès la maternelle, parce qu’ils ont agressé la maîtresse, ou mis en danger grave leurs camarades.

Ce sont là des réalités nouvelles auxquelles les maires des zones sensibles ont à faire face. La Fondation pour l’école a voulu apporter sa contribution à la résolution de ce problème. Elle a contribué à créer une expérience pilote à Montfermeil en Seine-Saint-Denis qui s’appelle « le cours Alexandre Dumas ». Pour soutenir ce type d’initiatives, elle a même développé une fondation abritée spécifiquement dédiée au soutien d’écoles indépendantes en zones sensibles : c’est la Fondation Espérance banlieues. Le Cours Alexandre-Dumas est un établissement non-confessionnel, mais c’est un établissement qui repose sur l’engagement déterminé d’éducateurs qui créent une école libre pour proposer un enseignement adapté à la situation, à la fois très exigeants sur les principes éducatifs, sur la discipline, sur le respect sur des valeurs, et en même temps très salésien dans son esprit, avec beaucoup d’interactions entre les adultes et les enfants, beaucoup de jeux, d’apprentissage progressif des responsabilités.
Notre fondation suit donc cet établissement pilote ouvert en septembre 2012 pour voir dans quelle mesure, il pourrait être répliqué dans d’autres banlieues.

S’agissant de nos relations avec la pastorale catholique, j’imagine que vous posez la question pour celles des écoles indépendantes qui se réclament du catholicisme et qui sont fondées par des catholiques.

Une précision sémantique tout d’abord : les écoles indépendantes ne sont strico sensu dites catholiques que dans les cas où elles ont été formellement reconnues comme telles par l’ordinaire du lieu, ce qui est assez rare. Dans la plupart des cas, elles sont catholiques de facto. En réalité, point n’est vraiment besoin d’un label catholique. Lorsqu’une école va naître ou qu’elle est jeune, à quoi bon demander à l’évêque de la déclarer officiellement catholique. Autant lui laisser le temps de s’affirmer et de développer son identité propre avant, le cas échéant, de demander à l’autorité ecclésiastique de se prononcer formellement sur sa catholicité. C’est plus simple et cela correspond à la nécessaire prudence. Ensuite, si l’évêque est convaincu par l’école, il organise les relations pastorales avec un paroisse ou une communauté et nomme un aumônier pour l’école. C’est un processus qui se fait alors tout naturellement, sans crispation.

Votre dernière question portait sur le risque de kyste, de ghetto.
A l’évidence, lorsque vous posez un choix différent du choix majoritaire plébiscité et financé par l’État, vous posez un acte de dissidence qui peut être assimilé facilement à une ghettoïsation. N’est-ce pas le cas de toutes les dissidences ? Est-ce que le cercle de la Rose blanche était un ghetto enkysté en pleine Allemagne nazie ?

C’est clair que les écoles indépendantes se pensent comme des dissidents, mais pas comme des dissidents en ghetto, en repli sur soi, mais plutôt comme le levain dans la pâte. En tant que fondation, notre but est justement de s’appuyer sur les expériences originales des écoles indépendantes pour pousser à la réforme le système éducatif dans son ensemble. Nous pesons que la solution viendra par une stimulation extérieure, par des expérimentations de terrain, et non pas par une décision hiérarchique tombant de la rue de Grenelle sur les dizaines de milliers d’établissements existants. Un de nos rôles à la Fondation est d’aider les écoles à ne pas se sentir comme des sociétés parfaites, mais à se penser comme de modestes innovations, comme de modestes figures où l’on essaie de conserver, de transmettre, de préserver, d’expérimenter des pratiques éducatives et pédagogiques qui fonctionnent.

Donc, notre fondation essaie de pousser les écoles indépendantes à la fois à l’humilité et au partage. C’est en cela que nous remplissons une mission d’utilité publique, il me semble.

C’est la raison pour laquelle nous pouvons légitimement aider des écoles très diverses.

Philippe Laburthe : Je voudrais souligner que dans toutes les sociétés à initiation, il y a la même démystification de tout ce qui est sacré. Dans toutes les sociétés que je connais en Afrique, les gens deviennent sceptiques à cette initiation. C’est très caractéristique, quand on a affaire à un initié, il ne croit rien de ce qu’on lui dit.

C’est pour dire que, malgré tout, dans l’Antiquité et même avec Platon par exemple, on était pour l’arrachement des enfants aux parents et, malgré tout, il s’est créé des écoles merveilleuses, le Lycée d’Aristote, etc.
Pour en revenir à la situation présente, je ne la trouve pas si mauvaise dans la mesure où les gens se passionnent pour l’Histoire. C’est quand même très remarquable, qu’ils éprouvent une sorte de déficit de ce côté-là et que les livres historiques actuellement ont tant de succès.

Donc tout ce que vous avez dit est très réconfortant, mais on peut dire qu’il y a aussi une réaction de la société globale.

Blandine Berger : Je fais partie de la communauté Saint-François-Xavier. Je suis professeur dans nos établissements avec, bien sûr, des services que notre Communauté peut apporter.

Je voulais savoir comment vous faites pour les professeurs étant donné qu’ils ne sont pas pris en charge (financièrement) par l’État. Et s’ils ont un éventuel projet de carrière ?

Par ailleurs, comment ces professeurs sont-ils en phase lors de leur arrivée dans l’établissement et ensuite, quand il faut évoluer et s’adapter ? Je pense à la SVT par exemple, qui demande beaucoup de vigilance éthique et un vrai discernement. Pour évoluer, un travail en commun est nécessaire.

Anne Coffinier : Les professeurs sont clairement la vraie richesse de toute école. Fondamentalement, une école, c’est un maître, deux maîtres, trois maîtres. C’est une maison habitée et inspirée par des professeurs.
C’est pour cela que, dans notre institut de formation des maîtres (www.ilfm-formation.com), à la centaine de professeurs des écoles primaires que nous formons chaque année, nous essayons de donner ce goût, ce sens de la responsabilité. C’est-à-dire que, quelle que soit l’institution à laquelle ils appartiennent, ils doivent avant tout servir la vérité et, avant tout, faire selon leur conscience, ne pas rentrer dans une logique de fonctionnarisation de leur propre personne. Ils doivent avoir une haute idée de la noblesse du métier de professeur et refuser toute forme de déresponsabilisation. Pour cela, ils doivent apprendre à lutter contre leur pendant naturel pour l’obéissance au système. Cela c’est la première chose.

Il importe aussi de rémunérer correctement les professeurs. Notons que les écoles indépendantes sont régies, depuis 2007, par une convention collective qui impose des minimums salariaux par exemple. Ainsi, en début de carrière, les salaires des professeurs des écoles indépendantes sont très semblables de ceux du public ou privé sous contrat. En revanche, les salaires du hors contrat connaissent une progression à l’ancienneté bien moindre que dans le privé sous contrat ou le public, du moins dans le secteur indépendant non lucratif.

Comment faire pour faire évoluer les professeurs ? Je crois qu’il faut vraiment prendre le modèle de ce que font nombre de systèmes nordiques, en particulier la Finlande. Dans ce pays, il n’y a aucune inspection des écoles par l’équivalent de nos Inspections académiques. Il n’y a pas du tout de jugement extérieur ; par contre, les professeurs on une culture de la formation continue et n’hésitent pas à se former régulièrement. De même, ils travaillent collectivement entre professeurs avec beaucoup plus de naturel qu’en France.

Ils ne sont pas dans une logique où le professeur est tout seul devant sa classe, à fermer la porte et à dénier aux autres le droit de savoir ce qu’il fait dans sa classe.

Dans la plupart des écoles scandinaves, au contraire, ou dans les Charter schools américaines, on entre très facilement dans la classe, qu’on soit le directeur ou même parent. On voit comment cela se passe, on apporte des idées d’amélioration, etc.

Donc, cette nécessité de se former tout au long de leur vie doit être inculquée aux professeurs lors de leur formation initiale. C’est aussi une question d’humilité des professeurs. On n’est pas professeur sans se remettre en question. Ce n’est pas possible. Il faut sans arrêt travailler ses cours et son approche pédagogique et remettre le métier sur l’ouvrage.
Cet état d’esprit, nous essayons de le transmettre à nos étudiants de l’ILFM.

Mais ce n’est pas facile, parce que la nature humaine fait que la plupart des jeunes professeurs manquent de confiance en eux et préfèrent donc éviter les observations extérieures sur leur pratique pédagogique ? En quelques années à peine, ils prennent confiance en eux, et ne sont bien souvent plus assez souple et humble pour se remettre en question et accepter de se former de nouveau.

Donc, on passe d’un problème à l’autre et c’est très difficile. En général, il faut avoir un professeur dans l’établissement qui montre l’exemple, un professeur chevronné qui, prend la peine de se former. Alors, là évidemment, cela pousse les autres à faire de même.

Mais, je crois que c’est un enjeu majeur et c’est un enjeu… spirituel. Est-ce que dans sa vie, on essaie de s’améliorer sans cesse ou bien on dit à un moment “je suis parfait, je vais rester comme cela” ?

Séance du 15 novembre 2012