Par le Xavier Lemoine, Maire de Montfermeil
Jean-Paul Guitton : Dans le cadre de notre année académique « pour une société plus humaine », nous avons le plaisir d’accueillir quelqu’un qui nous arrive du fameux « 9-3 », le département de Seine-Saint-Denis, et plus précisément de la mairie de Montfermeil, où il a succédé il y a déjà plus de dix ans à Pierre Bernard, qui était lui-même venu ici-même témoigner de sa foi dans l’action politique.
Pour présenter Xavier Lemoine je vais faire comme dans les curriculum vitae, c’est-à-dire partir de maintenant et remonter le temps. Le maire de Montfermeil est un homme de 52 ans, marié et père de 7 enfants. Il a été réélu dès le 1er tour en 2008 avec plus de 60 % des voix. Il préside la Communauté d’agglomérations de Clichy-sous-Bois/Montfermeil. Il a été le directeur de la brève campagne de Christine Boutin pour la présidentielle de 2012.
Il était arrivé en 1987 à Montfermeil, tout d’abord dans le sillage de Pierre Bernard dont il a été longtemps directeur de cabinet et un moment assistant parlementaire. Il a en particulier suivi, dans un cadre intercommunal, les questions relatives à l’immigration et à la politique de la ville, avec l’exercice pratique de la restructuration économique, urbaine et sociale du quartier des Bosquets (9 000 habitants sur les 27 000 que compte la commune).
Xavier Lemoine a le rare privilège d’avoir suivi l’essentiel de sa formation supérieure à l’âge d’homme c’est-à-dire après une expérience professionnelle et de la vie. Il a en effet, juste avant de venir à Montfermeil, suivi le cycle d’enseignement supérieur aux techniques et management de la communication de l’IRCOM (il garde un souvenir ému du chanoine Houard qui lui a beaucoup appris), complété par divers cycles de perfectionnement.
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Mais le plus important sinon dans sa vie du moins dans sa formation humaine et morale, Xavier Lemoine le doit à sa première vie, une vie de marin qui lui a fait découvrir de nombreuses régions, de nombreux peuples et qu’il a quittée presqu’à regret, quand les escales se sont faites moins nombreuses et plus courtes. Car la mer, c’est bien, mais les contacts enrichissants c’est quand même plutôt à terre qu’on les noue.
Il avait commencé à seize ans comme novice et timonier auprès des compagnies maritimes Fabre puis Chargeurs Réunis, pour devenir ensuite officier chef de quart, ce qui veut dire tenir, très jeune, des postes de responsabilités et d’initiatives dans la marche générale du navire tant en mer qu’en escale, navigation, sécurité, conduite des opérations commerciales. Signalons également l’année de service national effectuée comme Quartier Maître de 1ère classe sur le Pétrolier Ravitailleur « La Durance ».
Comme il était curieux et ouvert, il a mis à profit cette vie pour découvrir d’autres populations, d’autres cultures ; et comme rien n’est tout à fait dû au hasard, nous comprenons que Xavier Lemoine était bien disposé à s’intéresser par la suite aux questions relatives à l’immigration, à la démographie, et donc, fort de son expérience combinée de marin et de maire de banlieue, à nous entretenir ce soir des enjeux démographiques et culturels de notre société.
Xavier Lemoine : Merci pour la présentation que vous avez bien voulu faire. Je rajouterai juste une chose pour le point d’humour ; je suis un pur produit de l’échec scolaire républicain puisque, effectivement, à l’âge de 16 ans, seule la Marine Marchande a voulu de moi après avoir été traîné de force au lycée pendant deux années particulièrement pénibles pour moi, mais je crois avoir su les rendre également pénibles à ceux qui étaient censés m’accueillir dans les classes qui m’étaient assignées.
Maintenant, donc, je suis Maire de Montfermeil et pour les personnes qui seraient tentées de me le demander, je vous confirme qu’il y a bien un fil rouge ou une continuité entre cette expérience de la Marine Marchande et cette expérience de Maire. En effet à cela je réponds : « J’ai été chez eux, ils sont chez moi, c’est le même dialogue qui continu ». A Montfermeil nous accueillons plus de 40 nationalités différentes, un tiers de la population est étrangère et un autre tiers d’origine étrangère. Il y a donc de quoi continuer ce dialogue que j’avais entrepris à travers les mers.
Nous nous sommes mis d’accord sur le titre de cette causerie, de cette communication. Il s’agit de la question des « quartiers difficiles » ou des « banlieues » en considérant deux prismes :
les enjeux démographiques ou quantitatifs
les enjeux culturels ou qualitatifs
Aujourd’hui nous devons regarder ce que nous avons à affronter et regarder les effets démographiques que nous avons nous-mêmes mis en place progressivement, décennie après décennie, et qui produisent tous leurs effets en ce moment de manière extrêmement rapide, massive, puissante.
On ne peut occulter cet aspect là des choses. Au delà des quelques précisions chiffrées qui vont suivre se rapportant à la Seine-Saint-Denis. Je vous recommande les travaux de la démographe Michelle Triballat « Les yeux grands fermés » et de Christopher Caldwell « Une révolution silencieuse sous nos yeux ».
Si je me plais à commencer par cela c’est pour souligner que la situation de notre territoire national est très contrastée au regard de la manière dont les populations étrangères ont été accueillies et réparties. Aussi, puis-je concevoir qu’habitant Paris, en ayant choisi tout de même son arrondissement, ou des banlieues plus à l’Ouest de la capitale une certaine réalité vécue en Seine-Saint-Denis puisse vous être totalement étrangère.
Les territoires les plus emblématiques sont situés dans le Nord, notamment Roubaix, la Région Île-de-France et plus particulièrement la Seine-Saint-Denis, quelques villes importantes d’agglomération Lyonnaise et de manière plus diffuse et systématique en Provence Alpes Côtes d’Azur. Il faut également noter l’émergence, désormais dans toutes les villes de provinces, de quartiers dont la composition socio-culturelle évolue très rapidement et qui adoptent des comportements (linguistiques, vestimentaires, alimentaires, culturels) de plus en plus en marge, voir en rupture, avec l’environnement immédiat.
Au delà de cette répartition et de cette concentration très inégale sur notre territoire, il serait vain d’imaginer, en fonction d’un lieu de résidence qui apparaîtrait peu concerné par ces réalités, être à l’abri de ces questions et préoccupations. D’une part les bascules démographiques s’opèrent très rapidement et ces questions sont déjà très présentes dans les lycées, à l’université et dans le monde du travail.
Après cette évocation quantitative, nous verrons quelles sont les logiques culturelles qui sont à l’œuvre et comment progressivement, lorsque le rapport de force s’établit, les demandes diverses et variées se font de plus en plus pressantes. Sur le plan politique et électoral, ces rapports de force démographiques sont à l’œuvre. Observables, sur quelques villes particulièrement concernées par l’accueil de population d’origine étrangère, depuis une décennie déjà, récemment tous les observateurs politiques ont noté l’émergence de ce phénomène au plan national, et ce dans des proportions massives, lors des dernières élections présidentielles et législatives.
Commençons si vous me le permettez par ces aspects démographiques et je m’appuierai exclusivement sur l’exemple de la Seine-Saint-Denis.
Ce Département compte 1 500 000 personnes recensées. Si je précise « recensées » c’est juste pour indiquer que les services préfectoraux estiment à 200/250 000 le nombre de personnes en situation irrégulière. Cette précision à son utilité lorsque tout à l’heure nous parlerons de taux de natalité car ces 200/250 000 personnes en plus de leur présence y participent également.
Cette population de 1 500 000 se répartie en trois tiers :
500 000 personnes de nationalité étrangère, titulaires d’un titre de séjour
500 000 autres personnes, françaises, sans aucune ascendance française. C’est l’application mécanique du droit du sol et des naturalisations. Ces personnes sont souvent encore très enracinées dans leur culture d’origine. Le phénomène de diaspora aide à la consolidation, sur place, de la culture d’origine.
500 000 autres personnes, françaises, ayant des ascendances françaises.
Plutôt que d’utiliser cette expression bien trop connotée de « français de souche » j’emprunte l’expression de Michelle Tribalat : « français au carré » indiquant par là que les deux parents de ces personnes sont français.
Comparativement aux deux autres tiers évoqués, c’est une population plus vielle et plus encline à déménager du Département. A ce propos de la répartition spatiale des populations en région parisienne, il est intéressant de noter que les différents territoires ont tendance à se « spécialiser » non pas sur des critères socio-économiques mais sur des critères socio-culturels. Les travaux de l’INSEE et de l’ONZUS (Observatoire National des Zones Urbaines Sensibles) en attestent.
Lorsque l’on regarde le taux de natalité des deux premiers tiers, il est du double de celui du dernier tiers. La ville de Montfermeil se trouve démographiquement structurée de la même manière que le Département de Seine-Saint-Denis. Aussi si nous regardons la liste électorale, en tenant compte des ressortissants de l’Union Européenne qui ont le droit de vote aux élections locales, nous constatons encore une petite majorité d’électeurs issue du « troisième tiers » dit « Français au carré ». En revanche, si nous regardons dans nos écoles maternelles et primaires les enfants de ce « troisième tiers » y sont minoritaires.
On voit déjà à l’œuvre sur nos villes ces bascules démographiques.
• Petite illustration locale pour vous montrer que les rapports de force démographiques et donc politiques sont bien intégrés. J’ai sur ma ville un sérieux contentieux d’urbanisme et d’ordre public avec l’un des lieux de culte musulman présent sur le territoire. Je vous passe les détails du différent mais vous rapporte le propos du président de l’association cultuelle :
« Monsieur le Maire, écoutez. En 2014 vous repasserez peut être mais en 2020 nous serons majoritaires. Ce sera nous ». C’est clair.
Je tiens néanmoins à préciser que, s’il est utile, pour camper le décor et discerner les enjeux auxquels nous sommes confrontés, d’avoir recours à des catégories statistiques, la réalité sociale, économique, culturelle de notre département comme de la ville de Montfermeil est incroyablement riche de nuances, de diversités, de subtilités. Aussi le propos vise t-il à tracer des lignes de force, à repérer de grandes tendances mais ne peut en aucun cas constituer un jugement de valeur, en quoi que cela soit, à l’encontre des Femmes et des Hommes concernés.
Pour également être clair dans le propos si je me réfère à la notion de culture, c’est pour distinguer les populations qui relèvent d’une civilisation et d’une culture qui ont été fécondées, façonnées, irriguées par la vision Judéo-Chrétienne de l’Homme et de la vie en société et de celles dont la civilisation et la culture découlent de l’application de la loi islamique.
Je vous propose de quitter les aspects démographiques, sans néanmoins oublier que ce sont ces phénomènes qui permettent les rapports de force et les basculements, pour aborder davantage les questions culturelles.
Si je devais à ce sujet vous indiquer un auteur de référence c’est sans hésiter Malika Sorel, qui sur les mécanismes culturels, d’insertion, d’intégration, est la meilleure intellectuelle à en avoir disséqué tous les rouages. Ces travaux sont remarquables et j’ai pour elle une très grande admiration.
Il me faudra à un moment ou à un autre parler de la laïcité et tenter de s’entendre sur ce terme. En effet, ce mot revient très souvent dans le discours politique mais je crains que plus personne ne mette la même définition à ce mot. Plus que des divergences, nous sommes sur des notions antagonistes. Il y a urgence, au regard des enjeux de notre époque, à clarifier cette notion de laïcité.
Aussi, je vous recommande la lecture du remarquable texte de Mgr Luc Ravel, actuel Évêque aux armées :
Réflexion « In intensa profusione cogitationum ». Sur les rapports entre les religions au sein d’un état de droit. Tel en est le titre.
Très, et bien trop, rapidement sur ce sujet. Tout d’abord le mot laïcité n’est pas un gros mot. Mieux c’est le grand cadeau du Christianisme à l’humanité en ce que la laïcité consacre l’existence et la distinction de l’Ordre temporel et de l’Ordre spirituel.
• Le laïcisme, dans lequel nous sommes tombés, n’est en fait qu’un athéisme déguisé qui après avoir séparé les deux ordres veut, dans un premier temps, cantonner l’Ordre spirituel exclusivement dans la sphère privée avant de devoir, dans un second temps, l’en extirper par la contrainte tant les prétentions de l’Ordre temporel, délivrées de toute transcendance, sont inconciliables avec ce qui reste de morale privée.
• La confusion des deux ordres, propre à l’Islam, fait de cette religion tout à la fois une Foi et une Loi, système tout à fait impropre au respect de la liberté des personnes et pose de redoutables problèmes en cas de cohabitation.
• La saine distinction chrétienne entre les deux Ordres qui, par là, en définie les prérogatives et finalités respectives, consacre leur autonomie et hiérarchie.
Les effets du laïcisme nous ne les voyons que trop sous nos yeux. Les effets de la confusion des deux Ordres tels que l’Islam l’organise, je vous invite à consulter sur Internet le site « Licite/Illicite » « Hallal/Haram » pour prendre la mesure de l’emprise de l’Islam sur les moindres faits et gestes dans tous les aspects de la vie quotidienne des musulmans.
Pour également prendre conscience des questions posées par la cohabitation de populations musulmanes dans une société qui ne l’est pas, la lecture du livre de Gilles Kepel tiré d’une grande enquête réalisée par une équipe de chercheurs, en immersion pendant dix huit mois, sur Clichy-Sous- Bois/Montfermeil, est tout à fait instructive. A partir d’entretiens particulièrement approfondis, les réponses données, donnent une « cartographie » saisissante de l’état d’esprit, de la psychologie de la population.
Je partage pleinement les constats faits par l’équipe de Gilles Kepel même si je diverge sur les conclusions tirées. La matière première qu’il apporte à notre connaissance et réflexion est tout à fait instructive. Pour les personnes qui ne seraient pas familiarisées avec les banlieues, elles y trouveraient des illustrations et de quoi se familiariser et s’en faire une idée assez précise.
Pour être encore plus concret, je vais partir de la journée-type d’un enfant dans nos banlieues. Comment vit-il ? Quel est son rapport à la société française et à sa culture ?
Lorsqu’il se lève… Il faut savoir que dans chaque appartement et chaque maison, que l’on soit dans un quartier dit « populaire » ou d’habitat collectif ou encore en zone pavillonnaire, il y a quasi un écran plat télé dans chacune des pièces, télévision qui diffuse quasi constamment des programmes du pays d’origine. (Mais la qualité de notre propre paysage audiovisuel est-elle de nature à attirer ces téléspectateurs ?..)
Dès le lever, par le moyen de la télé et de l’usage par les parents de la langue d’origine, c’est une immersion dans la culture d’origine. L’enfant arrive à l’école et là deux solutions :
Le professeur tient sa classe et l’élève bénéficiera alors du vocabulaire nécessaire au cours.
Le professeur ne tient pas sa classe et l’élève ne bénéficiera que du vocabulaire, vite répétitif, nécessaire au maintien de l’ordre.
Sur la cour de récréation, c’est un sabir merveilleux, un mélange exotique de tous les dialectes et langues. C’est rigolo et folklorique, mais ce n’est pas très instructif sur le plan des fondamentaux et de l’apprentissage de la culture d’accueil.
Et ensuite l’enfant rentre chez lui. C’est pour renouer par sa famille, avec la télévision et internet avec la langue et la culture du pays d’origine. Que se passe t-il le mercredi et le samedi ?
Les écoles adossées aux lieux de culte, les associations organisées par les autorités consulaires des différents pays représentés sur la commune (environ 40 nationalités différentes), les initiatives communautaires de certains parents qui s’auto-organisent permet à des centaines de jeunes d’être gardés dans la langue et la culture d’origine au détriment de la fréquentation des structures municipales (centres de loisirs, activités culturelles et sportives) lieu de brassage, d’apprentissage de la différence, de l’altérité et lieu de contact avec la langue et la culture française.
Aussi dans la vie de ces enfants le contact avec la langue et la culture française est hélas suffisamment rare pour générer des troubles sérieux de l’apprentissage avec des répercussions immédiates sur les résultats scolaires. Nous disposons comme un certain nombre d’autres villes d’un dispositif de « réussite éducative » qui est chargé de détecter le plus précocement possible les enfants en décrochage scolaire. Seize enfants bénéficient des services d’orthophonistes. Or que nous disent-il ? : « Monsieur le Maire, sur ces seize enfants, deux véritablement nécessitent notre art car ils ont de vraies difficultés qui relèvent de notre compétence. Les autres, c’est uniquement qu’ils n’ont aucun contact avec la langue française, avec le vocabulaire français. Ils nous sont confiés mais ne relèvent absolument pas de notre art ».
Alors, incapacité à lire, à écrire, à parler vient du fait qu’il n’y a qu’à l’école qu’ils entendent parler français. Partout ailleurs, là où ils sont, c’est la langue du pays qui est exclusivement utilisée ce qui établi une coupure, une fermeture totale avec l’environnement linguistique et culturel français.
Cette situation est d’autant plus prégnante que les pays d’origine ne sont pas francophones par ailleurs.
Voilà a peu près la journée type d’un enfant. Certes, pas de tous les enfants, mais de suffisamment pour que ce soit préoccupant et pas sans impact sur la vie scolaire et social de tous.
Et comment voulez-vous, dans la mesure où la télévision, les sites internet, la littérature proviennent du pays d’origine, essayer de les intéresser, de les acculturer progressivement aux réalités culturelles, historiques, sociales de notre société française. Certes, cette dernière est en de nombreux points totalement contestable mais pour autant c’est la culture du pays d’accueil. Et malgré les aspects contestables sur lesquels il convient d’agir avec clarté et détermination c’est bien notre culture, notre histoire qu’il convient de défendre, d’améliorer le cas échéant, de faire connaître afin de ne pas laisser ce repli communautaire s’installer et structurer la vie sociale.
Prenons bien garde à l’occasion des discussions et décisions qui risquent d’être prises sur les questions sociétales du « mariage pour tous », du « gender » et autres sujets que cela ne constitue pas un puissant alibi, prétexte, ou raison supplémentaire pour nombre de familles et de communautés de se prémunir davantage encore de ce qui est considéré, par elles, comme une abomination et une décadence vis à vis desquelles il y aurait nécessité à se protéger à se préserver renforçant ainsi le repli communautaire et la détestation de la culture du pays d’accueil.
De tout cela et d’autres considérations encore, j’en conclue que l’enjeu dans nos banlieues n’est ni d’ordre social, ni d’ordre économique, ni d’ordre urbain.
Dire que l’enjeu n’est ni social, ni économique, ni urbain ce n’est en aucun cas nier qu’il y ait de graves difficultés sur ces trois plans là.
Dire que l’enjeu n’est ni social, ni économique, ni urbain ce n’est en aucun cas nier la nécessité de mettre en œuvre des politiques de rattrapage.
Quels sont les véritables enjeux ?
Mais si l’on prend les causes pour les conséquences et les conséquences pour les causes on fait fausse route. Nous n’avons cessé au travers de la politique dite « de la ville » de mettre massivement des crédits spécifiques en disant :
Il y a un décrochage urbain, regardez comme c’est délabré… mettons de l’argent, regardez ces décrochages économiques en terme d’emplois, ces difficultés sociales… mettons de l’argent… il faut rattraper les écarts.
Et je crois fondamentalement que depuis trente ans que la politique de la ville existe nous avons fait fausse route puisque nous avons couru après les conséquences en les prenant pour les causes.
Or pour moi les causes sont avant tout d’ordre culturel à minima voire cultuel. Cultuels pour des situations qu’il convient, certes, de ne pas surestimer sans non plus les sous-estimer. Évoquer la question cultuel c’est faire référence au Salafisme et au Tablir vision exclusivement politique de l’Islam sur lequel l’État reste vigilant, en tout cas informé, à défaut de pouvoir agir plus directement. Gilles Kepel dans son ouvrage indique bien la réalité de nos deux villes de Clichy-Sous-Bois et de Montfermeil, même si cette réalité n’est pas représentative, encore, de ce qui se passe ailleurs en France.
Aussi si l’on ne réexamine pas l’ensemble de nos politiques publiques à l’aune de ces enjeux culturels, nous pourrons continuer à mettre des milliards en direction de nos quartiers sans que la situation n’évolue.
En effet les politiques publiques sont de moins en moins attendues et reçues de population qui s’organisent de plus en plus de manière autonome sur le plan social, culturel, économique, sur des logiques communautaires et de diaspora et non plus sur des parcours individuels d’intégration ou d’assimilation.
Donc c’est le premier point, notre première erreur.
Un autre élément est à prendre en compte et qui me semble t-il a été un formidable virus intellectuel qui nous a empêché, en qualité de pays d’accueil, de manifester la moindre exigence vis à vis des populations accueillies. C’est l’exacerbation du droit à la différence qui, en fait, équivaut à instaurer un relativisme total où tout se vaut et s’équivaut, tout à droit de cité et rien n’est supérieur ou inférieur à autre chose.
Et la société française a répondu non pas par le racisme – l’accusation du Français raciste a fait long feu – en revanche, je pense que la société française a répondu par le droit à l’indifférence.
Je m’explique : si ta casquette à l’envers, ton jean qui tombe sur tes fesses, tes baskets non lacées et ton accent verlan ont autant de valeur que mon costume cravate, puisque c’est la règle d’aujourd’hui, je l’accepte ; mais je l’accepte si bien, que le choix que tu as fait, tu l’assumes jusqu’au bout, y compris dans ta demande de logement, y compris dans ta demande d’emploi…
Et on a permis ainsi à la société française de se saucissonner en styles de vie, tous étant sur le même pied d’égalité mais en ayant plus grand chose de commun voir même des choses radicalement différentes qui ne peuvent plus converger ou se rejoindre.
Ayant saucissonné cette société française, on demande à chacun de rester dans sa logique : ta logique est respectable, la mienne est tout aussi respectable. Chacun poussant sa logique au bout sans plus de souci de complémentarité et d’unité.
On arrive finalement à cette segmentation de la société française qui ne communique plus et après on estime rentrer dans le processus de racisme qui n’a rien à voir, j’en suis convaincu.
Concrètement, sur une ville comme Montfermeil, qu’avons nous essayé de mettre en place pour quand même, – une fois ceci dit, identifié – essayer d’avoir une prise sur les événements.
Cela fait dix ans que je suis maire et pour le moment, j’ai trois priorités dans l’action municipale et dans la politique de la ville que nous mettons en place. Depuis dix ans, chaque année, je me pose la même question avec mes collaborateurs, qu’ils soient élus ou fonctionnaires, en disant : y a-t-il un nouveau phénomène qui émerge, qui mériterait que l’on s’en occupe et qui puisse entrer dans nos priorités ?
Depuis dix ans, ce sont toujours les trois mêmes priorités que nous avons.
La première de ces priorités, cela paraît tout bête et je vais sans doute enfoncer une porte ouverte, c’est tout simplement l’apprentissage de la langue française, puisque nous avons des populations qui sont là depuis cinq, dix, vingt, vingt-cinq ans, je vous demande de me croire, et dont les parents ne parlent toujours pas le français.
Mais ce n’est pas une gêne pour eux puisque l’autarcie dans laquelle les communautés arrivent à fonctionner, y compris sur le plan économique, ne les incite pas à appréhender notre langue française.
Est-ce juste l’apprentissage du B A BA et donc l’aspect utilitariste du français ? Bien sûr que non, c’est bien au-delà. Au travers de cet apprentissage, utilitariste et nécessaire pour se débrouiller dans la vie, nous essayons de faire sentir, percevoir, comprendre, aimer, respecter si possible les us et coutumes de notre pays et comment, notre société est fondamentalement organisée et comment par exemple nous vivons l’égale dignité entre l’homme et la femme, ce qui n’est pas évident pour tout le monde. Les questions de laïcité également sont diversement vécues par certains, etc.
Donc je fais très attention à cela qui va bien au-delà du français, c’est vraiment essayer de faire percevoir, comprendre comment nous vivons dans notre société.
Donc c’était la première priorité.
Je vous ai parlé tout à l’heure du dispositif de la « réussite éducative ».
Nous avons un certain nombre de jeunes qui sont en difficulté scolaire. Pour 70% d’entre eux, on s’aperçoit que les parents ne possèdent pas le français.
Ne possédant pas le français, ils ne peuvent entrer en communication avec l’institution scolaire, et donc, c’est le gamin qui fait l’intermédiaire entre les parents et le prof et il raconte ce qu’il veut, il écrit ce qu’il veut sur son carnet. Dès que la maman sait lire, sait téléphoner, n’a plus peur de s’adresser au directeur ou au professeur, ce n’est plus le môme qui fait l’intermédiaire, qui dit à quelle heure il faut se lever parce que sa mère lui rappelle et qu’elle sait : comment se fait-il que tu sois déjà là, ton cours se terminait à telle heure ? A ce moment-là, la maman est repositionnée dans son rôle d’éducatrice et n’est plus à suivre ce que dit le gamin. Et on dit souvent que si à 8 ans le gamin fait l’intermédiaire entre le professeur et les parents, à 12 ans il fait l’intermédiaire entre le juge pour enfants et les parents.
Dès lors que l’on a mis des cours de français y compris à l’intérieur des écoles, y compris à l’intérieur des collèges et que les mamans s’approprient cette relation avec l’institution scolaire, on voit dans 90% des cas, les notes changer, le comportement changer et les choses se régler assez facilement, il n’y a pas besoin d’y mettre des dispositifs coûteux ; mais c’est quand même pas loin de presque 600 000€ que nous mettons, annuellement, pour une ville de 27 000 habitants, sur tous les dispositifs de soutien scolaire.
En toute chose il y a lieu de distinguer les causes et les conséquences. Si nous avons une responsabilité immédiate à agir en direction de telle ou telle conséquence, notre travail resterait gravement incomplet si nous ne nous efforcions pas de déterminer les causes de tel ou tel dysfonctionnement et d’agir sur ces causes.
De cet apprentissage du français et de ce contact, de cette découverte des réalités sociales et culturelles de notre pays nous constatons de très beaux parcours personnels et familiaux où la maman retrouve une place centrale dans la vie familiale et est en mesure de gagner de l’autonomie et de s’ouvrir à des nouveaux centres d’intérêts, à de nouvelles occupations et responsabilités au sein de la famille et à l’extérieur.
Deuxième priorité c’est l’aide à la parentalité. Je sais que ce terme-là n’est pas très beau.
Il y a des systèmes éducatifs qui ont toute leur pertinence dans les pays d’origine mais qui transposés dans notre pays produisent des catastrophes de parfaite bonne foi.
Je prends l’exemple de l’Afrique sub-saharienne. Tout adulte, qu’il connaisse ou non les enfants qui sont autour de lui, se sent investi de l’autorité parentale.
Tout jeune qui dysfonctionne autour de lui, qu’il le connaisse ou pas, qu’il connaisse ou non ses parents, tout adulte se sent donc investi de cette autorité parentale et lui fait ressentir, s’il y a besoin.
C’est ainsi que cela marche au village. Et quand vous arrivez au huitième étage d’une barre ou d’un immeuble, ce devrait être le voisin du dessus ou le voisin du dessous, de droite, de gauche qui va également participer à l’éducation de votre enfant ? C’est effectivement en bas de l’escalier que cela risque de se passer, mais c’est le dealer qui va s’en occuper, ce n’est pas le grand-père ou la grand-mère d’à côté, le couple du dessus ou du dessous. Donc il faut expliquer à ces familles qu’elles ont à avoir une relation quasi exclusive, une responsabilité quasi exclusive dans l’éducation de leurs enfants et qu’elles ne peuvent pas , comme elles ont pu, dans leur pays, compter sur la communauté adulte dépositaire de facto de cette autorité parentale. Elles ne peuvent pas imaginer qu’en laissant le gamin traîner dans la rue, il va forcément être repris s’il fait une bêtise, par les passants.
Si vous n’expliquez pas cela, vous arrivez à des catastrophes de bonne foi. Il faut resituer les parents au regard de la manière dont notre société est organisée. Je ne dis pas que le système sub-saharien n’est pas bien. Je dis même qu’il est très bien là-bas, mais ce n’est pas notre modèle, alors il ne fonctionne pas ici.
Pour le Maghreb, c’est autre chose. C’est l’enfant-roi, précisons, le garçon roi. Les filles sont autrement encadrées. C’est la maman qui couvre tout. Et quand le papa découvre quelque chose, il sait qu’il ne découvre que 10% des bêtises de son fils, donc il cogne dix fois trop fort pour la bêtise en question, mais il sait qu’il en a 9 autres derrière qui suivent et il lui fait un prix de gros. Donc le lendemain le gamin a des bleus, un signalement est fait et l’assistante sociale va voir le père immédiatement et c’est la suprême humiliation pour ce père qui se trouve castré dans son rôle d’éducation.
C’est comme cela que vous voyez des enfants très jeunes partir dans des trafics divers et variés avec l’assentiment passif des parents qui l’un ayant tout couvert, l’autre, ayant été humilié, se sont retirés de cette problématique-là.
Troisième priorité, le titre peut paraître pompeux : « Connaissance et fréquentation des grandes œuvres culturelles françaises ». Profitant du fait d’être à seulement 15 km de Paris nous nous efforçons pour les écoliers, collégiens et leurs parents d’organiser un maximum de sorties, dûment préparées, en des lieux porteurs de culture et d’histoire. Ce peut être le Louvre, le Château de Versailles, le Sacré Cœur, Notre Dame de Paris, ou l’Opéra de Paris,… mais il s’agit de faire connaître ce que notre pays a produit de plus exemplaire comme œuvres culturelles au sens large du terme.
Voila donc les trois priorités que nous mettons en œuvre depuis 10 ans maintenant. Il y a eu bien entendu d’autres actions de menées en accompagnement de ces orientations de fond. Nous avons agi sur tout ce qui concourrai à la sécurité et sur Montfermeil il y a eu 300 Millions d’Euro d’investis dans le renouvellement urbain, ce qui n’est pas rien.
Tout cela conjugué, ce qui a été entrepris depuis dix ans commence à porter des fruits en terme d’ambiance et de vivre ensemble. Les résultats sont peut être ténus, fragiles et précaires, nous restons très prudents et vigilants mais enfin il y a des changements notables dans l’ambiance générale de la ville.
Au delà de ces grandes orientations politiques, je vais évoquer avec vous ce qui a été imaginé pour ressouder la ville de Montfermeil après les émeutes de 2005.
Le quartier des Bosquets représentait à l’époque 3% du territoire communal (15 ha sur 550 ha) mais 1/3 de la population totale et 50% des moins de 20 ans de la ville. Entre les barres de 10 étages et les quartiers pavillonnaires, il y avait au minimum un mur de verre avant les émeutes.
Et après les émeutes de 2005, je peux vous dire que le verre s’est plutôt transformé en béton plutôt épais, style mur de Berlin. C’est dramatique pour un Maire de voir que sa ville ne fonctionne plus comme une ville. Ce sont des quartiers qui font sécession et qui s’auto-organisent au détriment de la vie commune.
Alors nous avons réfléchi à la manière de faire, et c’est d’ailleurs assez intéressant de s’apercevoir que la question se posait dans les mêmes termes pour la ville de Clichy-Sous-Bois à savoir une image extérieure considérablement dégradée et une cohésion interne mise à mal. Or c’est par la culture que l’une et l’autre ville, en des modalités extrêmement différentes, ont pu restaurer et leur image et le vivre ensemble.
Nous, nous l’avons fait à travers l’illustration concrète de ce que je dis souvent dans mes discours : « De la connaissance vient la reconnaissance » et reconnaissance dans les deux sens du terme, c’est-à-dire : je te reconnais une existence, une indenté, une originalité, une particularité ; deuxième sens : je te suis reconnaissant de ce que tu m’apportes par ta différence.
Nous avons donc organisé un défilé de mode. Qu’est-ce que cela veut dire ?
C’est la représentation du corps en public qui est en question. Entre les tenants du string et les tenants de la burqa, il y a des différences d’appréciation évidentes et donc ce n’est pas mal d’avoir mis à peu près tout le monde d’accord sur ce sujet délicat.
Et comment se déroule-t-il ? Il se déroule autour de la double acceptation de la reconnaissance.
Première partie du défilé – et on ne fait pas l’un ou l’autre ou l’autre ou l’un, c’est les deux, – les différentes communautés présentes sont invitées à défiler en habit traditionnel. Et quand je dis « habit traditionnel », ce n’est pas du folklore, ce n’est pas du carnaval, ce n’est pas une kermesse, etc. En habit traditionnel, cela veut dire : qu’est-ce que ma culture a produit de plus beau en termes d’habits ? Je te reconnais dans tes origines, dans ce que tu es, dans ta culture. On ne va pas la nier, la gommer.
Mais, deuxième partie du défilé, ce sont des créations originales de vêtement sur un thème donné par la municipalité. La première année cela a été « A la manière de… », nous avons pris 10 grands couturiers français. A charge pour ces personnes d’aller chercher, de plonger dans les collections de ces grands couturiers français et avec leur génie propre, leur sensibilité propre, présenter une création originale.
Une autre année, nous avons pris des noms de rues, notamment celles du quartier des Bosquets : rue Picasso, rue Degas, rue Utrillo, rue Monet, etc.
Donc, à charge d’aller chercher dans ces œuvres picturales majeures l’inspiration nécessaire à une nouvelle création.
Ensuite, nous avons changé de quartier, c’était des noms de fleurs.
Autre thème ensuite : les Quatre Saisons sur la musique de Vivaldi, ce qui a d’ailleurs pu donner une ouverture sur la musique classique, des concerts, etc.
Ensuite, nous avons choisi les monuments de Paris. Il y avait 12 monuments dont le Panthéon, la Tour Eiffel, l’Opéra de Paris mais également le Sacré-Cœur et Notre Dame de Paris. A charge ensuite à partir de l’époque, de l’usage, de la forme ou de personnages ayant illustré ces lieux de trouver la source d’inspiration.
Cette année, c’est la musique. C’est à partir de 10 morceaux de musique XVIIIᵉ, XXᵉ qu’il va falloir créer.
Et je peux dire, quand vous avez 1500 personnes de toutes origines dans le gymnase, et j’ose dire le mot que l’on « communie autour du beau » ; on ne se croise pas dans la rue le lendemain de la même manière, chacun a pu être reconnu dans ce qu’il était. Chacun a pu aussi faire preuve, qu’au regard du pays qui l’accueillait, il avait su prendre, assimiler, au sens fort du terme, des parties de son patrimoine culturel et de le restituer avec sa sensibilité, son originalité, etc.
Et, pour moi en tant que maire, c’est l’événement le plus important de ma commune. En tout cas, c’est là que j’ai l’impression d’être le plus utile pour le « vivre ensemble ».
Pour compléter mon propos et le clore, je vous propose de sortir de ces strictes considérations locales et je vais tout de suite prendre un hélicoptère pour faire un point fixe mais à une altitude beaucoup plus importante.
Je vous ai peut être un peu trop parlé de la ville de Montfermeil, mais en même temps j’ai pris la précaution de dire : attention, ces mouvements démographiques sont à une échelle sur le territoire nationale qui est loin d’être négligeable. Comment, nationalement, peut on essayer de contrer notamment les prétentions de plus en plus grandes de l’islam ? Je constate, hélas, que les hommes politiques en place sont au mieux totalement ignorants de ce que j’appelle « les ressorts fondamentaux de l’Islam » quant ils n’en sont pas les complices.
Un minimum de choses est à savoir.
Il faut comprendre que la civilisation occidentale est la civilisation du « Je ».
Ce « Je » implique la notion de « personne », de dignité de la personne, de liberté et de responsabilité.
Rien de tout cela en islam. Les notions de personne, de dignité de la personne, de liberté individuelle et de responsabilité n’existent pas.
A défaut donc de « personne » c’est la notion d’individu qui prime, individu qui tire son identité et sa dignité de son appartenance à la communauté, l’ « Oumma », qui lui assure alors accueil et protection. Nous sommes alors non plus dans la civilisation du « Je » mais du « Nous ». Cela permet de prendre conscience du poids de la communauté dans la vie quotidienne de chaque musulman. Être exclu de cette communauté est équivalent au minimum, à une mort sociale et affective et donc exercer par soi même sa propre réflexion et en déterminer ses propres actions est un exercice qui suppose une force de caractère hors du commun.
Lorsqu’une personne musulmane s’adresse à vous, quelle est la part du « Je » ou du « Nous » qui vous parle. Je prends un exemple très simple : une même personne, si elle me croise au cœur de la cité ne me dira pas bonjour de la même manière que si elle me croise à un endroit où elle n’est pas sous le regard et donc sous le contrôle des autres.
La communauté, en effet, offre un accueil, une chaleur, un confort, une convivialité, une reconnaissance collective, une protection qui nécessite en contrepartie un abandon substantiel de sa liberté et cela structure psychologiquement des comportements individuels et collectifs tout à fait différents.
Ensuite, notre société dans ses relations avec l’islam ne peut occulter trois questions fondamentales en raison de la manière dont elles structurent et nos vies personnelles et notre vie collective. Ces trois questions sont :
− La laïcité
− L’égale dignité de l’homme et de la femme (même si le mariage pour tous et la théorie du genre vont perturber ce socle civilisationnel)
− La liberté de conscience.
Si à ces trois questions posées, nous n’exigeons pas de réponses claires, se sont les soubassements de notre société qui sont en jeu et l’on s’illusionne alors. A titre personnel, je ne crois pas à un islam de France. Il n’y a pas un islam intégré et un islam intégriste. L’islam, selon les circonstances, peut se révéler plus ou moins conciliant, plus ou moins intransigeant. De multiples paramètres interviennent c’est sur, mais entre un islam intégré et intégriste ce n’est qu’une question de degré et non de nature.
• La laïcité
Sommes-nous en régime de laïcité nous-mêmes ?
Je ne crois pas. Pour moi la laïcité c’est la distinction entre les deux ordres, c’est « Rendez à César ce qui est à César ET à Dieu ce qui est à Dieu ».
Dans le « ET » on distingue bien les deux ordres : l’ordre spirituel, l’ordre temporel, le domaine de la raison, le domaine de la foi, mais il y a le « ET » qui demande à ce que les deux discutent. La foi qui accepte d’être passé au crible de la raison mais la raison qui accepte aussi d’être un peu propulsée, dilatée et ouverte à la transcendance.
Nous sommes actuellement sous un régime de laïciste, de séparation qui est une forme d’athéisme déguisé. C’est tout à fait inconcevable pour un musulman et notre société les choque par cette séparation. Eux, sont dans la confusion. Je dirai que le laïcisme français par cette séparation renforce la conviction des musulmans qu’il faut bien agréger et mélanger le spirituel et le temporel.
Je pense qu’un retour à ce juste positionnement qu’est réellement la laïcité telle qu’apportée par le christianisme arrangerait un peu les choses. La laïcité n’est pas une invention de 1905, cette notion a été pervertie et récupérée.
La laïcité, entendue dans son sens originelle, n’est donc pas un gros mot. Sortir du laïcisme qui représente un scandale pour l’islam permettrai alors en réhabilitant cette saine laïcité de pouvoir ouvrir un espace de dialogue avec les musulmans de bonne volonté.
Donc, si la laïcité était correctement repositionnée, nous ne serions plus dans cette exacerbation de deux conceptions qui ne peuvent que se renforcer mutuellement.
• L’égale dignité entre l’homme et la femme
Avant même d’aborder cette réalité qui dans l’islam assigne à la femme un statut particulier bien distinct il convient de considérer que l’humanité se distingue en trois parties :
La « meilleure des communautés » celle des croyants de l’islam
Les juifs et les chrétiens qui peuvent être tolérés et qui doivent au travers du statut de dhimmi s’acquitter d’un impôt spécial pour leur protection et se voient limités dans bien des libertés et possibilités.
Les incroyants, infidèles, mécréants qui ne méritent que la mort à moins de se convertir.
Quand vous avez des jeunes qui sont élevés dans cette mentalité-là, cela laisse forcément des traces et lorsqu’ils arrivent dans le monde du travail cela fait drôle, de surcroît lorsque les ordres viennent d’une femme. Les situations ainsi générées sont rapidement conflictuelles.
Pour ce qui est, dans notre civilisation, de l’égale dignité, je précise bien égale dignité et non égalité versus théorie du genre, entre l’homme et la femme, il découle du texte biblique : « homme et femme Il les créa ». Rien de tel dans les textes sacrés de l’islam qui consacrent la foncière inégalité et infériorité de la femme.
Mais nous devons nous interroger sur ce que l’occident a fait de cette « égale dignité », du respect de la femme au sens large (pornographie, avortement,…)
• Troisième élément, c’est la liberté de conscience qui chez nous permet à tout individu de croire ou ne pas croire, pratiquer ou ne pas pratiquer, avoir ou non une religion, en changer s’il y a lieu. Rien de tel en islam où le statut de non musulman est très précaire et où il est interdit pour un musulman d’apostasier sans encourir au pire la peine capitale, la prison ou de sérieuses amendes selon les lois et les pratiques des différents pays musulmans à ce jour. Même en France, l’apostasie pour un musulman est synonyme de mort sociale qui peut nécessiter d’exfiltrer la personne de son milieu d’origine afin de le protéger de la violence de la communauté.
Aussi ces trois questions, rapidement évoquées, structurent-elles de manières très différentes, selon les réponses données, les sociétés où elles s’incarnent. Nous ne sommes pas ici face à de simples différences. Nous sommes sur des divergences fondamentales que l’on ne peut, sans risque, laisser prospérer. Laisser s’exacerber ces divergences dans notre société civile c’est prendre le risque, à un moment donné, de s’exposer à de très graves conflits.
Sommes-nous donc, à ce jour, suffisamment outillés pour faire face à ces défis ? Je ne le crois pas et vais poser rapidement un triple constat.
Notre pays est en situation – d’apostasie – d’amnésie – d’anémie.
• De l’apostasie
Le précédent gouvernement, du temps de Nicolas Sarkozy, avait eu la bonne idée d’ouvrir le débat sur l’identité de la France, pressentant sans doute que ce sujet était important pour les Français et méritait d’être réaffirmé « Urbi et Orbi » en quelque sorte. C’est en effet une vraie question, une question fondamentale.
Hélas la méthode retenue a été très maladroite et tournait au pugilat politique. Il a fallu mettre rapidement un terme aux débats. Sensés apporter la concorde nous allions vers la discorde.
J’ai été dans ce cadre auditionné par une mission parlementaire et ai indiqué qu’il y avait deux manières de concevoir l’identité de la France :
− Soit il s’agit de la revendication de 65 millions d’identités individuelles mêlées de revendications catégorielles dont on voudrait extraire le plus petit ou le plus grand dénominateur commun. C’est ce qui a commencé à être fait. Chacun y allait de son couplet, c’était le pugilat. Les Gaulois ont donné le spectacle !
− Soit l’on considère que l’identité d’un pays, comme d’une personne d’ailleurs, c’est sa fidélité à sa vocation. Et plus on est fidèle à sa vocation – et les pays comme les personnes ont une vocation – et plus on est dans son identité, dans ce qui a été prévu et souhaité de bien pour nous. Nous sortons du domaine des revendications individuelles pour être dans la compréhension et l’accueil de ce que nous sommes, de ce pour quoi nous sommes faits et créés.
Il y a me semble t-il depuis Saint Rémi jusqu’à Benoît XVI en passant par nombre de Saints, de Mystiques, de Pontifes, d’Écrivains suffisamment d’indications, d’évocations, d’exhortation pour se faire une idée précise de ce qu’est la France et de son rôle dans le concert des nations. Retrouver sa vocation c’est retrouver son identité.
Nous sommes à ce jour en véritable situation d’apostasie ce qui permet très tranquillement à Tariq Ramadan d’indiquer que la France en particulier l’Europe en général ayant perdu tout sens de la transcendance c’était désormais à l’islam de réenchanter ces pays et de leurs redonner une âme.
Le discours est habile et ne manque pas pour le moment d’une certaine efficacité.
• De l’amnésie
Pire que l’oublie de soi, la haine de soi. Or nous nous sommes ingéniés à non seulement déconstruire la chronologie et l’intelligibilité de notre récit national, à en occulter et travestir de surcroît des pans entiers mais en plus à devoir être animé d’un éternel esprit de honte et de repentance. Vraiment pas de quoi communiquer aux populations accueillies la fierté d’être Français.
• De l’anémie
Avant même de penser que l’anémie concerne la crise économique actuelle, je considère que c’est l’anémie démographique qui est la cause première et profonde de toutes les autres anémies.
Pour reprendre cette phrase de Jean Bodin : « Il n’y a de richesse que d’Hommes ». Lorsqu’il n’y a plus d’Hommes la richesse est alors créée fictivement, artificiellement, en empruntant. Cela ne dure qu’un temps et après l’on se retrouve dans la situation qui est la nôtre aujourd’hui.
Tout est à refaire. Haut les cœurs.
Échange de vues
Jean-Marie Schmitz : J’aurais deux questions, l’une sur un plan général, l’autre concernant plus directement Montfermeil.
La situation que vous venez de nous dépeindre est saisissante. Les constats que vous faites, en tant que maire, confirment les travaux de Michèle Tribalat et ceux de Malika Sorel. Avez vous le sentiment que la révélation de ces faits, tant par un homme de terrain que par des intellectuelles soit de nature à déclencher un début de prise de conscience chez un certain nombre de nos responsables politiques ?
– À Montfermeil, vous avez pris l’initiative de favoriser la création d’une école tout à fait originale. Pourriez-vous nous en dire un mot car, si elle réussit, nous aurons là une des clés de la résolution des problèmes que vous avez évoqués ?
Xavier Lemoine : Depuis que je suis Maire, je n’ai cessé à tous les niveaux de la vie politique (Élysée, Matignon, Ministères, Hautes Fonction publique) de la vie économique, sociale, intellectuelle, médiatique, … d’attirer leur attention sur ce qui est vécu dans nos quartiers.
Pour l’illustrer, je vais prendre non pas une anecdote mais quelque chose de vrai.
Juste après les émeutes de 2005, les maires directement concernés par ces événements ont été débriefés par l’Élysée, Matignon et le Ministère de l’Intérieur.
A ces trois rendez-vous, en présence ou du Secrétaire Général de l’Élysée ou du Directeur de Cabinet, je suis venu avec un seul document : La lettre de Charles de Foucault à René Bazin en réponse à sa question, « les musulmans peuvent-ils être Français ? »
C’est une lettre en trois parties, la première et la troisième sont un peu connotées et un peu en dehors de notre propos et de notre réflexion. Celle du milieu est la plus prophétique et je dirai la plus prémonitoire au regard de ce qu’il s’est passé en Algérie et de ce qu’il se passe actuellement dans nos banlieues et des enjeux auxquels nous sommes confrontés.
Et je leur dit « Messieurs tout est dedans, le reste c’est de la littérature ».
Premièrement, personne ne m’a ri au nez. Deuxièmement, ils ont tous pris le temps, devant moi, de lire cette lettre, de Charles de Foucault.
Troisièmement, de me dire « Monsieur le maire, c’est vous qui avez raison » mais trente seconde après « mais comment le dire ? »
Cette lettre, je l’ai diffusée à des dizaines et des dizaines de personnes, et personne ne m’a ri au nez. Ceci, pour mémoire.
Avec mes collèges de gauche, – puisque je suis aussi vice-président du Conseil National des Villes et donc je voyage énormément en France dans les quartiers problématiques de la ville, – on a les mêmes constats en termes d’observation.
Par exemple lors d’un colloque, j’étais avec une journaliste de France-Culture et un collègue Maire d’une grande ville de gauche emblématique du nord parisien. Nous en discutions et le Maire de me dire « moi, ce qui me révolte, ce sont ces jeunes Beurs qui viennent sur le marché le samedi, et pour peu qu’il ait du porc d’exposé crachent sur les étals ». Il y a eu, sur ce sujet, une pleine page dans le journal le parisien quelques mois après. Et la journaliste de lui dire « je t’invite dans ma prochaine émission » et le Maire de répondre « Tu ne crois pas que je vais dire ça dans ton micro ! »
Une fois la posture politique reprise, cela leur fait dire l’inverse de ce qu’ils constatent et mon collègue Maire de rajouter « Je suis très inquiet parce que lorsqu’ils auront le pouvoir, ce sera leur loi, ce ne sera plus la nôtre ».
Donc il y a une relative prise de conscience, mais on n’est pas outillé.
Pour moi, le plus gros verrou, c’est le verrou de la laïcité « laïciste ». Si l’on réhabilite ce dialogue entre la foi et la raison (finalement, c’est cela, la laïcité), à ce moment-là on se dote d’outils intellectuels qui peuvent permettre de réfuter un certain nombre de comportements ou de prétentions.
Rémi Sentis : Vous avez évoqué l’attitude des musulmans et plus généralement des populations d’origine étrangère qui sont très opposés aux projets de lois sociétales actuelles.
Alors comment expliquez-vous qu’ils manifestent leur désaccord essentiellement en privé mais très peu de façon publique ou de façon timide ?
Xavier Lemoine : C’est très simple. L’islam est tout à la fois une loi et une foi. Donc c’est politique et religion mêlés.
Rappelons nous que 90% des musulmans ont voté à gauche tant aux présidentielles qu’aux législatives. En effet, c’est la vision politique, je devrais dire l’intérêt politique de l’islam, qui a prévalu et non un choix guidé par des considérations éthiques. Quel équipe politique au pouvoir sera à même de satisfaire au mieux nos intérêts quantitatifs par une moindre maîtrise des flux migratoires et nos intérêts qualitatifs par une large satisfaction de nos diverses et croissantes revendications ? C’est assurément la gauche et ce en dépit de la proposition 31. Le critère politique a totalement supplanté le critère éthique disant : « On s’en moque de la loi, cela concerne pas le Coran. Gérez vous-même votre décadence, nous, on est pas concerné »
Bernard Vivier : Vous avez souligné trois points importants : la liberté de conscience, le statut de la femme et le dialogue sur la laïcité.
Pouvez-vous, sur ce dernier point que vous qualifiez de vitale, nous dire ce qui se passe à Montfermeil, pour les chrétiens. Que disent, que font (ou ne font pas) les chrétiens de Montfermeil : les prêtres, les religieux, les associations, les mouvements chrétiens, les laïcs ? Quelles actions développent-ils pour attester, convaincre et ne pas laisser aux seules institutions le terrain de l’action ?
Xavier Lemoine : Benoît XVI a totalement, notamment par le discours de Ratisbonne, refondé ou réformé le dialogue islamo-chrétien.
La tendance, avant ce discours-là et avant Benoît XVI, était au dialogue superficiel.
On examinait de préférence ce qui pouvait être considéré comme des convergences mais on n’allait pas là où cela fâchait. Alors que Benoît XVI pose d’abord les questions qui fâchent, non pas pour se fâcher mais pour approfondir la différence et ne pas faire croire que ces divergences sont minimes et que ce qui pourrait nous rassembler est suffisant pour faire tenir les affaires ensemble.
Et donc, l’Église de France, en tout cas le diocèse et la paroisse étaient plutôt sur ce schéma qui était plutôt à mon avis pas très constructif.
Lorsque mon nouveau curé est arrivé et que je lui ai dit : « comment comptez-vous faire ? Est-ce que vous allez reprendre ces dialogues ? » Il m’a dit « non, je ne ferai rien du tout cela. Ma mission, c’est d’affermir la Foi de mes frères ». Et je crois qu’il a tout à fait raison de redonner un ancrage, un poids, une assise, « Je dirai aux chrétiens qu’ils soient forts dans leur Foi pour qu’après, au contact d’autre communauté, ils ne soient pas tentés par des syncrétismes ou des raccourcis qui seraient délétères ». Je pense qu’il a raison.
Le dialogue islamo-chrétien, c’est à un autre niveau qu’il doit se faire. Cela ne veut pas dire que les chrétiens n’ont pas à vivre une cohabitation quotidienne avec les musulmans. C’est, forts de leur Foi, qu’ils doivent vivre cette cohabitation quotidienne.
Mais le dialogue intellectuelle, théologique, n’est pas à notre niveau. Mais le témoignage de la Foi, oui.
Séance du 24 janvier 2013