Par Bénédicte DENOYEL, Responsable d’équipe à la Maison médicale Jeanne Garnier
Malgré les évolutions législatives des 15 dernières années concernant la fin de vie, 86% des français seraient pour la légalisation de l’euthanasie. Le rapport Sicard et le Comité consultatif national d’éthique, après des travaux approfondis, n’ont pas proposé une telle mesure, mais des modifications marginales de la loi Leonetti. Le « panel citoyen », quant à lui, ouvre la porte au suicide médicalement assisté ainsi qu’à l’exception d’euthanasie. En unité de soins palliatifs nous ne sommes qu’exceptionnellement confrontés à une demande persistante d’euthanasie. Comment expliquer un tel décalage ? Comment accompagner au mieux les personnes en fin de vie ?
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Nicolas Aumonier : Notre académie a souhaité solliciter votre intervention dans notre cycle de réflexion sur « La mort, un temps à vivre ».
Qui, mieux que vous, responsable d’une équipe à l’éminente Maison médicale Jeanne Garnier, pourrait nous faire réfléchir sur les questions si délicates et complexes de l’accompagnement de la fin de la vie ?
C’est dire que nous vous accueillons ce soir avec gratitude et avec la grande estime que nous inspirent votre engagement et votre compétence.
Lorsque nous avons eu le plaisir de vous rencontrer, vous nous avez confié que, mariée très jeune, vous aviez choisi, à l’issue de vos études médicales, de privilégier la carrière de votre mari et l’attention à vos six enfants aux dépends du développement de la carrière, brillante, nous le devinons, qui vous était ouverte.
Vous avez ainsi opté pendant un long temps pour la médecine du travail, qui vous permettait, tout en étant réellement au service de votre prochain, de gérer au mieux cet équilibre entre responsabilités et vie de famille.
Vous nous avez confié que ces années ont été riches d’expérience humaine et vous ont rendue proche de beaucoup de souffrances. Elles ont sans nul doute préparé votre engagement ultérieur dans les soins de la fin de vie, voie dans laquelle vous vous êtes résolument engagée lorsque vos enfants sont parvenus à maturité.
Vous avez alors repris la voie des études en obtenant un des tout premiers diplômes universitaires en Soins Palliatifs rejoignant ensuite, il y a une quinzaine d’années la Maison médicale Jeanne Garnier.
Comme s’il avait fallu une introduction à notre entretien, nous vous avions rencontrée en décembre dernier juste au lendemain de la parution des conclusions du « jury citoyen » chargé d’ouvrir la voie à de nouvelles « avancées » législatives en matière de fin de vie. Notre entretien ne s’était pas borné à cette actualité pesante et tout imprégnée d’idéologies, puisque nous avions pu aborder avec vous les grandes questions que l’esprit et le cœur nous inspirent sur la fin de vie. Nous avons été impressionnés par la clarté et la délicatesse de vos réponses face aux situations que vous vivez chaque jour et dont vous nous dites qu’elles sont toutes singulières. Vos réponses laissent transparaître votre compétence médicale et votre humanité. Elles sont aussi nourries d’une foi solide, source d’une espérance vive en une vie qui ne finit pas.
Bénédicte Denoyel : Après la question du mariage pour tous, la question de la dépénalisation de l’euthanasie est aujourd’hui en France d’une grande acuité. Le débat public autour de cette question est essentiellement alimenté par des sondages et par des réactions émotionnelles à des situations individuelles dramatiques fortement médiatisées, parfois déformées (drames de Vincent Humbert, Hervé Pierra, Chantal Sébire, Vincent Lambert …). Il existe par ailleurs dans ce débat un grand flou sémantique : les termes de dignité, sédation terminale, euthanasie, suicide assisté, n’ont pas la même définition pour les différents intervenants, ce qui ne contribue pas à clarifier les choses.
Après avoir rapidement parcouru l’évolution législative et les différents avis qui ont été rendus dernièrement, je vous dirai ce que nous faisons à Jeanne Garnier, maison médicalisée qui accueille à peu près 1100 patients en fin de vie chaque année. Nous évoquerons, pour finir les grandes questions éthiques concernant la fin de vie. J’essaierai d’émailler mon propos d’histoires de patients parce que, finalement, la seule chose vraiment intéressante est ce que nous vivons avec eux, ce qu’ils nous disent…
Lois et avis
Entre les patients et les soignants existe une relation de soins. Le soin est en quelque sorte une intrusion dans le corps d’autrui. Ce droit d’accès aux corps d’autrui est quelque chose de tout à fait inouï, qui implique donc des devoirs. Le premier devoir des soignants est d’être infiniment respectueux du corps d’autrui, dans une relation qui n’est pas symétrique. Les devoirs du médecin sont récapitulés dans le code de déontologie et le code de la santé publique. Ces codes ont beaucoup évolué : Dans les années 50-60, il fallait prolonger la vie à n’importe quel prix. Dans les années 70 est apparue la notion d’acharnement thérapeutique : respecter la personne n’est pas forcément prolonger sa vie dans n’importe quelles conditions. Le rapport Sicard explique que, face à une médecine de plus en plus technicienne et aux pouvoirs de plus en plus étendus, a répondu un droit du malade à l’information et à l’expression de sa volonté, formulé au travers de différentes lois. Le contexte législatif a donc beaucoup évolué ces 15 dernières années
Concernant la fin de vie, nous avons ainsi eu successivement la première loi Kouchner du 9 juin 1999 qui garantit l’accès aux soins palliatifs : « toute personne dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement ». Malheureusement, même s’il y a eu des progrès, 15 ans plus tard cela relève toujours du vœu pieux puisqu’on estime qu’une personne sur deux nécessitant des soins palliatifs n’y a pas droit. Les soins palliatifs sont très peu développés dans les EHPAD (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) et très peu développés au domicile.
Puis la seconde loi Kouchner du 4 mars 2002 qui garantit l’accès à l’information : « toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui lui sont proposées, leur utilité… et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ». Cette loi instaure également la demande de consentement éclairé : « aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ». La volonté exprimée par le patient prime donc sur sa santé. Il n’y a que deux exceptions à cette règle : l’urgence et le patient « incapable ». La deuxième loi Kouchner introduit enfin la notion de personne de confiance.
Dernièrement la loi Leonetti, relative aux droits des malades et à la fin de vie, du 22 avril 2005, prohibe l’obstination déraisonnable, accepte ce que l’on appelle le double effet : « si le médecin constate qu’il ne peut soulager la souffrance d’une personne en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable qu’en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger sa vie, il doit en informer le malade, la famille, ou, à défaut, ses proches. » Elle accorde aux malades le droit de refuser tout traitement et instaure les directives anticipées, valables trois ans et modifiables à tout instant. Mr Leonetti résume sa loi ainsi : « respecter la vie, accepter la mort ».
Suite à l’affaire Sébire, cette loi a été évaluée par une mission parlementaire présidée par Mr Leonetti lui-même, en novembre 2008. Cette mission a estimé qu’il n’y avait pas besoin de modification législative mais qu’il était nécessaire de faire davantage connaitre la loi car la mission d’évaluation révélait qu’elle était mal connue, y compris des médecins, et mal appliquée.
Le candidat François Hollande a relancé le débat en suggérant dans sa proposition numéro 21 que toute personne en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable « puisse, dans certaines conditions, bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ». Une fois élu, il a demandé au professeur Sicard un rapport sur la fin de vie en France.
Le rapport Sicard « penser solidairement la fin de vie » a été remis le 18 décembre 2012. Il dresse un tableau clairement négatif de la fin de vie en France et propose des pistes d’amélioration. Il insiste, surtout, sur la nécessité d’appliquer résolument les lois existantes plutôt que d’en créer une nouvelle (mais ce n’est pas l’avis de notre Président !).
Le comité d’éthique (CCNE), saisi à son tour par le Président de la République, a remis son avis 121 en juin 2013. Il propose lui aussi des pistes d’amélioration : amélioration de la formation des soignants, nécessité de rendre accessible à tous les soins palliatifs, respect des directives anticipées, et, plus contestable, droit de la personne en fin de vie à une sédation profonde jusqu’à son décès. Mais il a, majoritairement, conclu au rejet de la dépénalisation de l’euthanasie et du suicide assisté, tout en suggérant la tenue de « conférences citoyennes ».
le panel, supposé représentatif, de 18 citoyens, s’est donc réuni et a proposé, en décembre 2013 rien moins que : un droit créance à la sédation, la légalisation du suicide médicalement assisté et la création d’une exception d’euthanasie, sans consentement du patient, décidée par une commission qui aurait 8 jours pour donner son avis… Mais quand on voit la confusion complète existant dans l’avis du panel, dans l’emploi des différents termes, on se demande à qui un tel avis, sur des sujets aussi délicats, pourrait bien servir…
Le Président a, enfin, lors de sa dernière conférence de presse du 14 janvier, repris purement et simplement sa proposition 21, dans les mêmes termes (« terminer sa vie dans la dignité » a été remplacé par « terminer sa vie en dignité »), laissant ainsi ouvertes des interprétations contradictoires sur ses intentions.
Cette évolution législative, et ces différents avis, n’ont pas suffi à rassurer les Français et un sondage d’octobre 2012 montre que 86 % de la population française serait favorable à une légalisation de l’euthanasie. Ce chiffre élevé nous interpelle fortement, nous soignants. Pourquoi donc 86 % des Français sont-ils pour la légalisation de l’euthanasie ? Par crainte de souffrir, de mal mourir ? Parce qu’ils ont été témoins de fins de vie inadmissibles et qu’ils ont la hantise de basculer eux-mêmes dans une situation de fin de vie insupportable ? Par perte de confiance dans les soignants et crainte de ne pas être écoutés, entendus, soulagés jusqu’au bout ? Par peur d’être victime d’acharnement thérapeutique, de ne pas avoir de place dans une unité de soins palliatifs ? L’une ou l’autre de ces raisons, ou toutes à la fois, font apparaître l’euthanasie, pour nombre de nos concitoyens, comme un recours « par défaut ». On préfère une mort « préventive » plutôt que d’avoir à affronter la vraie mort…
Ce chiffre élevé est en décalage complet avec notre quotidien : rares sont les demandes d’euthanasie de nos patients en USP. Une étude récente réalisée à Jeanne Garnier, montre que sur 2157 patients hospitalisés en 2010-2011, seuls 61, c’est-à-dire 3 %, ont formulé une demande d’euthanasie. Et cette demande d’euthanasie n’a persisté plus de 48 heures que pour 6 patients (0,3%).
Que fait-on dans une unité de soins palliatifs ?
On accueille le malade et on l’écoute, rien de plus normal. On s’assied et on prend du temps pour écouter car une souffrance partagée est une souffrance allégée. On permet au patient de déposer son « fardeau » entre nos mains. On écoute ses peurs, sa souffrance, ses attentes et… son extrême ambivalence le plus souvent (envie de mourir rapidement, mais aussi envie de vivre, ainsi cette patiente qui nous exprimait récemment qu’elle souhaitait que sa vie se termine rapidement tout en nous demandant de lui prescrire une alimentation parentérale). De cette écoute naissent des sentiments de compassion ou d’empathie, ces sentiments déclenchent notre action et mettent en route nos compétences.
On informe le malade, on essaie de susciter ses questions et d’y répondre le plus honnêtement possible. On constate d’ailleurs que la demande de vérité évolue en cours de maladie : elle est forte chez les bien-portants ou quand la maladie est peu évoluée (c’est le moment où les malades font eux-mêmes de nombreuses recherches sur internet), mais elle se transforme souvent en fin de vie en une demande de parole d’espoir, voire de traitements parfois déraisonnables. On dit donc la vérité mais à l’aune de la charité en pensant au psaume 84 : « amour et vérité se rencontrent ». La vérité, oui, mais pas sans la charité. On est légalement tenu d’informer le malade et d’obtenir son consentement éclairé mais parfois le patient ne souhaite pas être informé et partie prenante des décisions le concernant car ces décisions de fin de vie sont anxiogènes, Il ne souhaite que s’en remettre au médecin, censé prendre la bonne décision.
Nous traitons la douleur : toute douleur peut être soulagée, et j’espère ne choquer personne en disant cela, par une gamme de solutions allant des plus simples aux plus complexes.
Les solutions les plus simples sont médicamenteuses : les morphiniques regroupent une dizaine de médicaments qui, certes, ont des effets secondaires, notamment chez les personnes âgées, mais sont réellement très efficaces contre les douleurs nociceptives (liées à l’atteinte d’un tissu). Leur maniement est subtil : certains patients sont soulagés avec quelques milligrammes de morphine, d’autres avec quelques grammes : rapport de 1 à 1000 donc ! Ils sont en général bien supportés. Nous utilisons les antiépileptiques et les antidépresseurs contre les douleurs neuropathiques (liées à l’atteinte d’un nerf).
Ensuite les techniques d’anesthésie ou de radiologie interventionnelle, avec la mise en place de cathéter péridurale ou intrathécale (même système que les anesthésies péridurales pour les accouchements)
Pour finir les techniques neuro-chirurgicales : la cordotomie. C’est une chirurgie sous microscope qui consiste à sectionner le faisceau spinothalamique qui correspond aux voies de la douleur au niveau de la moelle épinière. Le malade conserve sa motricité et sa sensibilité (sauf la sensibilité au chaud-froid) mais n’a plus mal.
En dernier recours la sédation, qui consiste à faire dormir le malade, et dont je parlerai plus tard.
Nous essayons de soulager les souffrances psychiques, ce qui est déjà un peu plus compliqué. Là aussi les solutions sont médicamenteuses, mais pas uniquement médicamenteuses : nous utilisons, bien sûr, les médicaments anxiolytiques, éventuellement les neuroleptiques, et les antidépresseurs contre les symptômes d’angoisse ou de dépression. Je voudrais néanmoins vous rassurer : tous nos patients ne décèdent pas sous morphine-midazolam ! Monsieur Kouchner, qui a visité la maison il y a une quinzaine d’années, était convaincu que nous avions un protocole morphine-midazolam, identique pour tous les patients en toute fin de vie, et bien non, nous n’avons pas ce genre de protocole !
Il existe aussi une souffrance plus profonde, que nous appelons » souffrance globale », qui est souvent liée à la perte d’autonomie et à la perte de sens, avec la notion d’indignité sous-jacente chez certains… La dépendance est source de grande souffrance. Je me souviens ainsi de cet ancien dirigeant d’entreprise qui me disait avec beaucoup d’amertume : « j’ai, toute ma vie, dirigé des centaines d’ hommes, vous ne croyez tout de même pas qu’une petite équipe de 15 femmes va maintenant me diriger ? ». La société ne nous aide vraiment pas en portant la jeunesse et l’indépendance au rang de vertus. Cette souffrance n’a évidemment pas de réponse médicamenteuse et dépasse complètement le cadre de la médecine… Le rôle de l’entourage est ici tout à fait primordial : il est important de considérer son proche davantage comme un vivant que comme un mourant. J’ai été très frappée, au cours d’une garde, par ce fils qui lisait, au milieu de la nuit, à haute voix et de façon très naturelle et sereine, un livre à son père agonisant. Plutôt que se transformer en pleureuses grecques, il faut essayer d’apporter une certaine force de vie, témoigner à son proche qu’il est toujours utile, ne serait-ce qu’en rassemblant la famille à son chevet, en retissant ainsi des liens parfois un peu distendus ou malmenés par l’existence. Ne pas oublier que notre proche se voit dans notre regard : quelle image lui renvoyons-nous de lui-même ? Sommes-nous un miroir qui lui renvoie une image positive ? Il faut aussi accepter que certaines questions n’aient pas de réponse, elles font partie du mystère de la Croix : « On ne demande pas » pourquoi ? » au Seigneur » disait un vieil ami prêtre.
Le temps… tout un programme… L’annonce du diagnostic d’une maladie grave marque une cassure dans la trajectoire de vie du malade et le début d’une incertitude dans tous les domaines : quel sera le résultat des traitements ? Y aura-t-il guérison ou rémission ? Quel est le pronostic ? Dans une société ou le temps s’est accéléré, fragmenté et est surtout maitrisé, le fait que nous n’ayons pas la maîtrise du temps en fin de vie est source de souffrance pour le patient, pour la famille, et pour les soignants.
Nous avons parfois l’impression que le patient » prend son temps « , mais, dans certains cas, l’aggravation conduisant au décès est très rapide, surprenant famille et soignants. La gestion du temps est souvent assez mystérieuse. Je vais vous raconter l’histoire de Monsieur H. Monsieur H est arrivé dans le service au printemps dernier, il avait quelques semaines d’espérance de vie. Il était accompagné par sa fille unique. Celle-ci vivait à Singapour mais elle était revenue à Paris pour accoucher de jumeaux et accompagner son père jusqu’à son décès. Elle faisait cela plus par devoir que par amour, car en fait elle en voulait énormément à son père pour différents motifs que je ne vous détaillerai pas ici. Elle avait donc décidé qu’elle n’amènerait pas ses jumeaux à Jeanne Garnier et elle attendait le décès de son père pour repartir à Singapour rejoindre son mari avec ses bébés. Mais Monsieur H, lui, bien sûr, attendait qu’on lui amène les jumeaux, ses premiers petits-enfants, pour décéder. La situation semblait donc singulièrement bloquée et je me demandais comment tout cela allait se terminer. J’ai vu plusieurs fois la fille de Monsieur H en entretien, essayant de lui expliquer qu’elle allait devoir vivre des décennies avec ce qui se jouait là. Elle a mis trois mois à se décider à pardonner à son père et à lui amener ses jumeaux. Monsieur H est décédé quelques jours plus tard, dans la paix.
Le soulagement de la souffrance spirituelle fait également partie de nos missions.
Il y a beaucoup de pudeur sur ces questions là de la part des malades mais aussi des soignants. Plus personne ne parle de la vie éternelle sauf Benoît XVI dans son encyclique Spes Salvi. L’éternité est comme un mot mis entre parenthèses, et nous ne nous attachons bien souvent qu’à nos petites espérances humaines, sans songer à l’éternité, à la vie éternelle. En pratique nous essayons surtout de ne pas être un contre-témoignage et d’offrir à nos malades une certaine qualité de présence. Nous essayons de vivre l’instant présent avec le patient et que ce présent ait une certaine densité. L’aumônerie, que nous sollicitons fréquemment, est bien sûr très utile dans cet accompagnement.
Questions éthiques
Ce temps passé en unité de soins palliatifs est ponctué de nombreuses questions éthiques dont les principales sont les questions de limitation ou arrêt des thérapies actives, et les questions de sédation.
LATA (limitation ou arrêt des thérapies actives)
Le vieillissement de la population avec son lot de polypathologies, la fréquence croissante des maladies neuro-dégénératives, la fréquence des maladies chroniques conduisent un nombre important de personnes à vivre des existences extrêmement médicalisées, parfois dans des conditions d’inconfort majeur. Les progrès de la réanimation ont, eux, entraîné des survies au prix de très lourdes séquelles. Ces situations nouvelles, créées par les progrès de la médecine, ont conduit à se poser la question de l’acharnement thérapeutique ou de l’obstination déraisonnable. Jusqu’où soigner ? La question se pose différemment si le patient est capable de donner son avis ou s’il ne l’est pas.
Premier cas de figure : le patient est capable de donner son avis. Comme je l’ai déjà indiqué, après avoir été pendant des décennies tenu de tout faire pour maintenir le patient en vie, le médecin est maintenant tenu de ne pas se rendre coupable d’obstination déraisonnable : « les actes médicaux ne doivent pas être poursuivi par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autres effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris », dit la loi Leonetti dans son article 1 : les traitements peuvent être « inutiles ou disproportionnés » du point de vue du médecin ou du point de vue du patient, et les deux points de vue ne coïncident pas forcément ! Par exemple, en oncologie, les chimiothérapies dites « palliatives » sont le plus souvent réclamées par les patients mais considérées comme de l’obstination déraisonnable par les oncologues.
Personne ne définit l’obstination déraisonnable… Où s’arrête le soin légitime et où commence l’acharnement thérapeutique ? Existe-t-il une frontière claire entre les deux, ou plutôt un no man’s land ? Après s’être battu parfois si longtemps contre elle, à partir de quand est-il légitime d’accepter la mort ? La question est tout sauf simple ! Nous accueillons régulièrement des femmes atteintes de cancer du sein qui évolue parfois depuis plusieurs dizaines d’années, il leur est souvent très difficile d’arriver chez nous tant elles ont eu l’habitude de se battre contre leur maladie. La demande de limitations ou d’arrêt de traitement peut venir du patient, qui estime que « ça suffit » ou du médecin, qui juge qu’il faut changer de stratégie thérapeutique. C’est le patient, bien sûr, qui est le moins mal placé pour savoir ce qui est obstination déraisonnable ou non dans les traitements le concernant. Certains malades sont maintenus en vie par une machine (ventilation assistée par exemple) mais la machine-alliée peut devenir, au fil du temps, la machine-ennemie, le malade déclare « ce n’est plus une vie » et il demande son arrêt… Il ne faut jamais oublier que la machine maintient en vie mais ce sont les relations qui maintiennent dans la vie. Depuis la loi Leonetti, le malade a donc le droit de refuser tout traitement, y compris une alimentation ou une hydratation artificielle considérées par la loi comme un traitement et non un soin de base. Le médecin est tenu de l’informer des conséquences de son choix, et… de trouver les bons arguments pour le convaincre, lorsqu’il pense qu’il fait un mauvais choix. Notons que le patient n’a pas le droit d’exiger un traitement si celui-ci n’est pas pertinent par rapport aux données scientifiques, par contre il peut refuser un traitement pertinent (il y a par exemple 500 refus de dialyse/an en France). Un conflit de volonté peut survenir entre le patient et le médecin : le médecin sait ce qui est bon pour le patient, selon le principe de bienfaisance, mais le patient, lui aussi, sait ce qui est bon pour lui, selon le principe d’autonomie. Le plus souvent, il y a alliance de deux volontés vers une même visée, avec parfois des ajustements nécessaires de l’un ou de l’autre.
L’article 5 de la loi Leonetti précise que « lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger ne peut être réalisé sans avoir respecté une procédure collégiale ». À Jeanne Garnier, depuis plusieurs années, nous avons remplacé la procédure collégiale (collège de médecins) par une délibération collective et interdisciplinaire, c’est d’ailleurs ce que propose le comité d’éthique dans son avis 121. Ce n’est pas parce que l’on est plusieurs que la décision est forcément bonne, mais on réfléchit quand même mieux à plusieurs que seul. C’est le médecin qui prend l’initiative de réunir l’ensemble de l’équipe soignante auquel s’associe un confrère d’un autre service. Il y a ensuite élaboration de la décision par l’équipe, après avoir pris en compte les avis non médicaux : les directives anticipées du patient (s’il en a rédigées), l’avis de la personne de confiance du patient ou, à défaut, de la famille et des proches. Le médecin prend la décision finale, après avoir tenu compte des souhaits et avis des uns et des autres. Chacun s’exprime. Continuer à faire vivre (respecter la vie ?) ou autoriser à ce que la vie s’arrête d’elle-même (accepter la mort ?) est une décision grave que le médecin n’a pas le droit de prendre seul. Il doit s’efforcer d’obtenir le consensus le plus large possible au sein de l’équipe. La situation n’est pas toujours simple comme le montre l’histoire de Vincent Lambert. Pour le médecin, il est plus facile de ne pas mettre en route un traitement de suppléance vitale que de l’arrêter.
Dans tous les cas, l’arrêt ou la limitation de traitement ne doit pas être confondu avec la suspension des soins : les soins et la prise en charge palliative du patient continuent « afin de sauvegarder la dignité du mourant et d’assurer la qualité de sa fin de vie », précise la loi Leonetti.
La sédation
La sédation est « la recherche, par des moyens médicamenteux, d’une diminution de la vigilance pouvant aller jusqu’à la perte de conscience, dans le but de diminuer ou de faire disparaître la perception d’une situation vécue comme insupportable par le patient, alors que tous les moyens disponibles et adaptés à cette situation ont pu lui être proposés et mis en œuvre sans permettre d’obtenir le soulagement escompté par le patient ». En résumé il s’agit de faire dormir le malade lorsque « c’est insupportable ». Cela peut aller de la simple somnolence au sommeil profond. Elle peut être la meilleure des choses lorsqu’elle est réalisée de façon éthique, comme la pire des choses lorsqu’elle est réalisée de façon non éthique et s’apparente alors à une euthanasie. La sédation ne doit être ni banalisée, ni sous utilisée. Elle peut être intermittente ou continue, réalisée en urgence ou non. Lors d’une détresse aiguë en fin de vie, hémorragie massive ou détresse respiratoire asphyxique, faire dormir le malade est une urgence. Si cela est possible, ces situations aiguës sont anticipées avec le patient qui est informé de la possibilité de sédation (modalités et risques) et qui peut donner son consentement éclairé. Il n’y a pas de questions éthiques dans ces cas là. Mais la notion de « situation vécue comme insupportable par le patient » peut recouvrir des détresses très variées qui nous renvoient à notre impuissance et à nos limites. Si le patient demande une sédation, c’est bien parce que nous ne sommes pas arrivés à le soulager et à lui offrir une qualité de vie acceptable. Nous n’utilisons jamais le terme de « sédation terminale », utilisé dans le rapport Sicard, qui est ambiguë au point de s’entendre comme un geste volontaire mettant un terme à la vie du patient. C’est le patient qui est en phase terminale, mais pas la sédation ! Nous utilisons le terme de sédation intermittente ou continue. La sédation continue, jusqu’au décès, n’est éthiquement acceptable que si le patient a une espérance de vie très courte, c’est-à-dire de quelques heures ou quelques jours. Elle doit être bien distinguée d’une pratique euthanasique par son intentionnalité, sa réversibilité et sa proportionnalité.
Sur le plan technique, nous utilisons, pour faire dormir le malade, un médicament employé par les anesthésistes, le midazolam (HYPNOVEL). Ce médicament fait partie de la famille des benzodiazepines (xanax, lexomil, temesta, lysanxia etc.) à durée d’action courte. Il agit de façon quasi instantanée lorsqu’il est administré par voie intraveineuse. Une injection ponctuelle permet de faire dormir le patient pendant quelques heures, environ quatre heures. Une injection à la seringue électrique permet de faire dormir le patient le temps souhaité, si l’on arrête la seringue le patient se réveille. Il nous arrive ainsi de faire dormir le patient sur un nombre d’heures défini avec lui et qu’il soit réveillé, par exemple dans l’après-midi, lorsqu’il a des visites.
Ce sont surtout les patients atteints de SLA (sclérose latérale amyotrophique) qui nous font des demandes de sédation. Cette maladie neurologique dégénérative se caractérise par l’apparition d’une paralysie progressive, s’installant en quelques mois ou quelques années, aboutissant à une tétraplégie (ce que l’on appelait autrefois la « maladie de Charcot »). L’annonce du diagnostic correspond à l’annonce d’une prise en charge palliative car il n’y a pas de traitement réellement efficace. Lorsque la maladie est très évoluée, le patient présente des troubles de déglutition et d’élocution, il ne peut plus communiquer que par clignement de paupières : nous énumérons les lettres, voyelles et consonnes, et le patient cligne de la paupière sur la bonne lettre. Vous imaginez la lenteur de la communication ! Il existe un système génial pour communiquer sans ces tableaux de lettres, c’est un ordinateur à pointage visuel : le patient peut écrire sur son ordinateur en pointant du regard les lettres de l’alphabet qui sont affichées sur la partie basse de l’écran. Cet ordinateur à pointage visuel coute la bagatelle de 10 000 euros… peu de patients peuvent s’offrir cela. (J’ai connu un patient musicien dont les amis, musiciens, avaient organisé des concerts au profit de l’achat d’un tel ordinateur pour lui.)
Je vais vous raconter l’histoire de monsieur B :
Monsieur B, atteint de SLA, nous a été adressé mi-novembre 2009 par le service de neurologie de la Pitié pour un séjour de répit, c’est-à-dire un séjour de trois semaines au bout duquel il doit rentrer chez lui. Il ne supporte plus sa dépendance croissante et vient de faire une tentative de suicide à son domicile au whisky-valium. A l’arrivée dans le service, il arrive encore à bouger la main gauche et à se servir de son ordinateur. Il peut marcher avec deux aides. Il présente des troubles de l’articulation mais on le comprend relativement bien malgré sa voix nasonnée. Il est marié, son épouse a 5 ans de plus que lui. Il me dit : « je me suis transformé de chevalier servant en chevalier mourant »… Il a deux filles étudiantes. Il est énarque, très cultivé, germanophile. Il travaillait au ministère de la culture. Il est protestant, profondément religieux. Il aime beaucoup Jean-Sébastien Bach et écoute en boucle ses cantates. Il est très bien renseigné (trop bien ?) sur sa maladie via internet. Il fait un jour un malaise, lors de ce premier séjour, alors qu’il est en train de consulter sur son ordinateur les cas concernant des patients SLA en fin de vie, relatés dans le rapport de mission Leonetti de 2008. Il pose beaucoup de questions sur l’alimentation et l’hydratation, il me demande combien de temps on peut vivre sans être alimenté et me dit : « je veux mourir comme un vieux sage hindou, en cessant de m’alimenter, avant de ne plus pouvoir parler ». Monsieur B a rédigé des directives anticipées qui sont dans son dossier : lorsqu’il ne sera plus capable de s’alimenter, il ne souhaite pas de gastrostomie (sonde permettant d’apporter les nutriments directement dans l’estomac), et lorsqu’il ne sera plus capable de respirer de façon autonome, il ne souhaite pas de ventilation non invasive. Il ne veut pas être transféré en réanimation si une détresse respiratoire aigüe survenait. Tout cela est noté, signé et placé dans son dossier. Ce premier séjour se passe bien, il permet notamment à sa femme de se reposer et de reprendre des forces pour la suite… C’est la fameuse période de la grippe H1N1 et je lui propose de le vacciner contre cette grippe, il refuse en me disant : « laissons la nature faire les choses, si je l’attrape et en décède, ce ne sera pas plus mal »… Je n’insiste pas, n’étant pas moi-même totalement convaincue par ce vaccin. On est juste avant Noël, il rentre chez lui, espère passer Noël tranquillement en famille et aimerait, ensuite, que « ça aille très vite ». Malheureusement – ou heureusement ? – cela a encore duré une année complète…
Monsieur B a fait un deuxième séjour de répit à Jeanne Garnier en avril 2010. Il ne peut plus se déplacer, il utilise un amplificateur de voix pour se faire comprendre, il commence à faire des fausses routes et s’alimente à minima, il pèse 38 kg pour 1m76… Il pose beaucoup de questions sur la façon dont on arrivera à prendre en charge sa dépendance lorsqu’il rentrera chez lui et nous profitons de ce séjour pour mettre en place des auxiliaires de vie au domicile (l’HAD est très souvent refusée pour ces patients SLA car il n’y a pas suffisamment de soins techniques…). Il m’interroge sur l’alimentation et l’hydratation artificielles : avantages-inconvénients. Il se renseigne sur la sédation, et me dit : « si vous me faites dormir, je deviendrai un objet de soins. Je ne veux pas de ça, le corps est le temple de l’Esprit et c’est pour cela que j’aimerais mourir le plus naturellement possible ». Il rentre chez lui début mai. L’été passe.
Monsieur B entre pour la troisième fois dans le service fin septembre 2010. En arrivant il dit : « je ne sais pas si c’est un séjour de répit ou si je vais mourir pendant ce séjour… ». Il est grabataire. Le seul mouvement possible est le clignement de paupière. Il ne mange plus rien, est d’une maigreur impressionnante, il boit de l’eau pétillante à la paille et du coca. Il communique avec les tableaux de lettres, trouve cela d’une lenteur désespérante et dicte : « ça m’énerve prodigieusement et ma femme aussi »… Il dicte les premières lettres, en clignant de la paupière, et en général on devine la fin du mot. Il continue à écouter beaucoup de Bach, la cantate 27 surtout. Notre maison Jeanne Garnier est gérée par une association qui porte le nom des Dames du Calvaire, début octobre il me dicte : « les Dames du Calvaires portent bien leur nom, c’est un vrai calvaire. J’aimerais laisser une image de sérénité à ma femme et mes filles, parfois je m’effondre devant elles ». Il souffre de crampes et, lui qui a toujours refusé les médicaments antalgiques, craignant d’être « sonné », accepte une petite dose de fond de morphine à la seringue électrique sur 24 h. Le lendemain il déclare : « je me suis un peu réconcilié avec ma carcasse ! ». Il me demande de modifier ses directives anticipées en rajoutant qu’il ne veut pas d’hydratation artificielle lorsqu’il ne pourra plus boire. On souhaite son anniversaire fin octobre, 50 ans… et il s’étonne d’être toujours en vie. Les nuits deviennent difficiles, nous décidons, avec son accord, de mettre une seringue électrique de midazolam : 2,5 mg sur 8 h, de 22 h à 6 h du matin pour assurer de bonnes nuits : il s’agit donc d’une sédation intermittente, sur la nuit. Les nuits suivantes sont bonnes. Mais le 9 novembre, après une très mauvaise nuit, il me fait une demande de sédation : il veut dormir profondément jusqu’à son décès. Je lui dis que cette mauvaise nuit est accidentelle (présence de soignants intérimaires cette nuit là), il me dicte : « cette mauvaise nuit est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, mais c’est une goutte qui s’ajoute à d’autres gouttes pour former un océan d’amertume ». Je lui propose alors une sédation temporaire, sur trois jours, qu’il refuse. Nous sommes un jeudi, l’avant- veille d’un week-end, je lui dis que je ne peux pas décider cela toute seule et que nous avons besoin de réfléchir en équipe (délibération collégiale), que nous lui donnerons une réponse au début de semaine suivante. Lui qui est toujours resté très courtois arrive à me dicter : « ma vie et ma mort ne dépendent pas de vos plannings de médecins, mes directives, vous vous asseyez dessus… De toutes façons les médecins sont tout puissants ! ». Le lendemain, après délibération collective en équipe, en présence d’un médecin d’un autre service, nous décidons que sa demande de sédation pour souffrance psychique vécue comme insupportable est légitime mais qu’il n’est pas raisonnable de la démarrer la veille d’un week-end (moins de soignants) et que nous devons prendre le temps d’interroger la contre-équipe. J’en informe Monsieur B qui est satisfait : « je suis rassuré d’apprendre que cet enfer ne sera pas éternel ». Le 13 novembre la contre-équipe est interrogée sur le sujet, elle aboutit aux mêmes conclusions : Monsieur B n’a plus que quelques jours de vie devant lui, ses extrémités sont glacées, sa tension est imprenable depuis plusieurs jours, son pouls n’est plus perçu. Face à cette souffrance réfractaire il ne semble pas exister de solution plus satisfaisante que celle d’une sédation jusqu’au décès. L’équipe de nuit a elle aussi été interrogée et donne le même avis. Nous réinterrogeons à plusieurs reprises le patient, seul ou en présence de sa femme, et malgré tous nos efforts de soins adaptés Monsieur B maintient sa demande de sédation. Nous l’endormons le 16 novembre et il décèdera le 21 novembre.
Ces sédations continues jusqu’au décès sont exceptionnelles dans la maison, elles sont toujours vécues comme un échec par les soignants. Elles font parfois exploser l’équipe soignante…
Autre exemple : madame A est une patiente SLA que j’ai accompagnée il y a quelques années. Elle est membre de l’ADMD et, chaque fois que j’entre dans sa chambre, elle me montre du regard sa carte de membre, placée bien en évidence sur sa table de nuit ! C’est presqu’une sorte de jeu, de connivence entre nous. Elle sait que je n’approuve pas les positions de l’ADMD car nous en avions parlé lorsqu’elle pouvait encore le faire. Un jour elle me dicte : « je n’irai pas plus loin, faites quelque chose ». Pensant qu’elle a encore quelques semaines d’espérance de vie, je lui propose de la faire dormir pendant trois jours, ce qu’elle accepte. Je suis présente dans sa chambre lorsqu’elle se réveille trois jours plus tard, trois jours pendant lesquels nous avons continué à l’hydrater et à faire les soins et traitements habituels. La première chose qu’elle me demande est de lui lire les lettres qu’elle a reçues pendant ces trois jours ! J’en conclue qu’elle est finalement encore un peu attachée à la vie, elle n’a d’ailleurs jamais refait de demande de sédation ou d’euthanasie, et est décédée deux semaines plus tard. Sans doute lui suffisait-il de savoir que nous étions capables de la faire dormir et que nous le ferions si cela s’avérait nécessaire.
L’ouverture au suicide assistée ou à l’assistance au suicide ? (Ce n’est pas une question éthique mais une interrogation posée par François Hollande.)
Elle pose de nombreuses questions : il y a deux cents vingt mille tentatives de suicides de jeunes ou de personnes âgées, chaque année en France. Comment faudra-t-il réagir lorsque nous serons appelés au chevet d’un patient qui aura fait une tentative de suicide ? Comment concilier politique de prévention du suicide et droit créance autorisant le suicide assisté ? Pourquoi imposerait-on aux médecins de participer à cette culture de mort alors qu’ils n’ont absolument pas fait leurs 10 années d’études dans cette optique ? Ce sont là quelques-unes des questions les plus évidentes…
En conclusion
Arrivent à Jeanne Garnier les patients dont les fins de vie s’annoncent difficiles. Les situations que je vous ai décrites ne correspondent pas aux plus habituelles. La fin de vie d’une personne peut être, heureusement, très paisible et très peu médicalisée : le malade s’alimente de moins en moins, ne peut progressivement plus se déplacer et reste alité, il dort de plus en plus et finit par s’éteindre dans son sommeil. Tout cela peut se passer à son domicile si l’entourage est suffisamment présent et pas trop anxieux. Les médicaments que nous prescrivons à Jeanne Garnier peuvent d’ailleurs presque tous être utilisés au domicile.
Le CCNE établit avec justesse une distinction entre la dignité de chacun et les situations d’indignité : toute personne possède une éminente dignité, bien sûr, par contre il existe encore de nombreuses situations d’indignité contre lesquelles il faut lutter (insuffisance de personnel soignant dans les EHPAD par exemple).
Deux difficultés demeurent : les patients, mais plus encore les familles ne supportent plus de ne pas avoir la maitrise du temps. Elles veulent pouvoir anticiper, s’organiser, gérer le décès de leur proche comme le reste de leurs activités. Les familles supportent très mal le temps de l’agonie et n’en voient pas le sens. Ce temps est très difficile à vivre pour les familles. Le patient, lui, n’est plus vraiment là et ne souffre plus pendant ce temps de l’agonie où l’on constate des signes de décérébration : coma, abolition des réflexes du tronc cérébral. Il n’est donc, le plus souvent, pas utile d’administrer un médicament, midazolam, morphine ou autre, à ce moment là. Mais la famille, elle, souffre. Lors de l’agonie, une prière à la miséricorde divine est probablement plus efficace qu’un médicament quel qu’il soit.
« Je ne sais pas à quelle sauce nous allons être mangés » … Mais je pense que l’on s’oriente vers une loi sur la sédation, ou l’intégration de la sédation dans la loi Leonetti. Il y a eu des recommandations de bonne pratique concernant la sédation, ces recommandations ont été validées par la HAS et elles sont parfaitement éthiques. Je souhaite personnellement que l’on en reste à ces recommandations de bonne pratique professionnelle. Un droit créance du patient à une sédation en fin de vie poserait plus de questions qu’il n’apporterait de réponses.
Échange de vues
Bernard Martinage : Nous interrogeant depuis longtemps sur le « bien vieillir et mourir », nous avons créé en 1978, un Centre de Rencontre, d’Étude, de Formation et d’Action Gérontologiques avec quelques médecins et autres soignants : infirmiers, agents de service hospitalier, kinésithérapeutes, des bénévoles, un psychologue, un sociologue et même un urbaniste et un dominicain ami, concernés par l’environnement de la personne âgée ; un ami cardiologue s’est joint à nous, ce qui nous a permis d’exister au sein du C.H.R.U. de Nantes.
Dès le départ, nous avons affirmé dans nos statuts notre spiritualité chrétienne attachés à la Doctrine sociale de l’Église. Cela nous portait à un comportement humble, tout en nous permettant d’affirmer le pourquoi de nos actes et réflexions par notre foi en Dieu…
Aujourd’hui, nous nous posons la question, à la suite des mots retenus par le professeur Sicard qui, bien qu’ayant été soigneusement pesés, font que s’ils ne sont pas les mêmes que ceux de monsieur Leonetti ou de la proposition 21, la réalité qu’ils recouvrent est bel et bien identique : aide à mourir – euthanasie – et faut-il parler du suicide médicalement assisté qui ne recèle aucune ambigüité (n’était qu’on ne sait trop à quelle sauce il sera servi) !
Que deviennent alors, dans ces propositions (comme dans celles du groupuscule indument appelé “panel représentatif de la société française”), les soins palliatifs ?
Bénédicte Denoyel : Dans le rapport Sicard, il y a quand même des phrases avec lesquelles on ne peut pas être tellement d’accord.
On m’avait demandé à Jeanne Garnier de résumer le rapport Sicard et de le commenter un peu.
J’avais écrit : « La sédation profonde terminale, telle qu’elle est envisagée dans le rapport Sicard, ne semble ni relever d’une démarche éthique rigoureuse, ni être dans l’esprit des recommandations de la SFAP (société française d’accompagnement et de soins palliatifs) ainsi qu’en témoignent les phrases suivantes de Didier Sicard : « Il n’est pas illégitime de souhaiter, au terme d’une décision collégiale, que la mort soit avancée par le traitement de la douleur. » Ou : « Si l’on suspend l’hydratation et la nutrition, et que pour rendre cet arrêt moins insupportable la décision est prise d’une sédation profonde, quelle est la place de ce geste si ce n’est de permettre d’accélérer la mort ? » Et encore : « Lorsque la personne en fin de vie demande expressément à interrompre tout traitement il serait cruel de la laisser mourir ou de la laisser vivre sans lui apporter la possibilité d’un geste, accompli par un médecin, accélérant la survenue de la mort… cette grave décision prise par un médecin engagé en conscience, toujours éclairé par une discussion collégiale, peut correspondre, aux yeux de la commission, aux circonstances d’une sédation profonde ». En résumé, Il s’agirait d’une sédation profonde terminale dans le but d’avancer un décès ? En tout cas, c’est ce que je comprends dans ces phrases. D’une façon plus générale, il y a beaucoup d’ambiguïté autour de la sédation profonde terminale dont on ne sait plus vraiment ce qu’elle est…
J’ai interrogé Didier Sicard à la fin d’une intervention qu’il donnait à l’Institut Curie. J’ai repris ses phrases devant lui et je lui ai demandé ce qu’il avait en tête quand il écrivait cela. Et il m’a dit qu’il avait en tête les situations de réanimation néonatale.
C’est vrai que les situations de réanimation néonatale et les arrêts de traitement en réanimation néonatale sont particulièrement douloureux et c’est à cela que Didier Sicard pensait en écrivant ces phrases. En tout cas c’est ce qu’il m’a dit lui-même.
Nicolas Aumonier : Je souhaitais vous poser une question de « gros sous » et donc une question politique.
Vous avez dit tout à l’heure que, au risque de choquer disiez-vous, vous pensiez que « toute douleur peut être soulagée ».
Et vous avez nommé avec une gradation croissante la morphine, les anti-épileptiques, une anesthésie ou une radiologie interventionnelle, et puis vous avez parlé d’une chirurgie du faisceau spinothalamique. Et, quand tout cela ne fait rien ou pas suffisamment, alors se pose la question de la sédation intermittente ou continue.
Est-ce que, à votre avis, c’est systématiquement que l’on se lance dans une telle exploration de toutes les méthodes ou bien est-ce que pour gagner un peu d’argent vous proposez la sédation continue pour ne pas dire terminale à un certain nombre de patients dont on estime collégialement que… pour éviter d’avoir à faire cette exploration qui est certainement coûteuse ?
Bénédicte Denoyel : Je ne crois pas que la cordotomie soit une intervention très coûteuse parce qu’elle n’est pas très compliquée en fait.
C’est une intervention qui se fait sous anesthésie locale. Elle se fait par voie dorsale haute ou par voie cervicale. Il y a quelques médecins à Paris qui savent pratiquer cette intervention. Mais je ne crois pas que ce soit une intervention très coûteuse.
Mais, de toutes façons, dans l’immense majorité des cas on arrive très bien à soulager la douleur par l’utilisation des morphiniques. Il est tout à fait exceptionnel qu’on n’y arrive pas.
Nous avons 2 ou 3 patients par année qu’on n’arrive pas à soulager avec les morphiniques et qu’on est obligé de transférer dans un service de radiologie interventionnelle pour leur faire poser un cathéter, ou dans un service de neuro-chirurgie pour pratiquer une cordotomie.
Là, actuellement, nous avons un patient dans notre service pour lequel on envisage une cordotomie parce qu’on est sur des doses très élevées de morphine, sur des doses qui entraînent des effets secondaires très importants alors qu’il est insuffisamment soulagé.
Nous n’avons pas tellement le choix. Si on augmente les doses de morphine, les effets secondaires sont tels que le patient est bradypneique, il ne respire plus correctement et il y a un risque vital pour lui. Si on diminue les doses de morphine, il est insuffisamment soulagé.
Nous avons fait venir l’un des chirurgiens qui pratiquent cette intervention. Il est venu voir le patient et lui expliquer ce qu’il pouvait faire, et on attend la réponse du patient.
Nicolas Aumonier : J’ai une deuxième question concernant ce que vous venez d’évoquer à l’instant, finalement, le double effet. Quand on lit la loi Leonetti on voit que la pratique du double effet, c’est-à-dire on fait quelque chose même s’il doit y avoir de la casse, est admise par la loi.
Est-ce que dans votre pratique vous avez déjà rencontré des cas de double effet ?
Bénédicte Denoyel : Non, jamais. C’est-à-dire, je ne me suis jamais dit sciemment… Non franchement jamais.
Je n’ai jamais augmenté un médicament en me disant on l’augmente, on l’augmente, tant pis si le patient décède. Cela ne m’est jamais arrivé de penser ainsi au double effet.
Prenez l’exemple du midazolam, on sait que dans des cas tout à fait exceptionnels le midazolam peut entraîner un arrêt cardiaque. On le sait, c’est un risque que l’on prend. Est-ce que c’est un double effet ? C’est un risque minime, cela ne m’est jamais arrivé.
Et l’on n’en prévient d’ailleurs pas toujours le patient. Le patient a déjà tellement d’évènements à surmonter, si en plus on lui dit : on va vous administrer un médicament mais il y a un risque d’arrêt cardiaque…
Henri Lafont : Je vous remercie, madame, de tout ce que vous avez dit et m’avez appris, parce que j’étais cardiologue par conséquent j’avais peu de cas…
Mais cependant dans la vie je rencontre une contradiction entre ce que disent les médecins de soins palliatifs et ce qui se passe autour de moi. C’est-à-dire que je vois beaucoup de gens qui souffrent malgré un traitement actif ; des personnes qui ne sont pas en soins palliatifs, justement.
Ce qui fait que je veux bien vous croire, mais est-ce qu’il n’y a pas une nécessité de former les médecins qui ne sont pas spécialistes de soins palliatifs à l’usage de la morphine ? Parce que je me suis laissé dire que la morphine est efficace mais il faut savoir l’utiliser. Son usage répond à des règles très précises.
Bénédicte Denoyel : Ce que vous dites est consternant parce que quand je dis que toute douleur peut être soulagée, c’est la vérité. C’est vraiment ce que je pense et tous mes confrères, en tout cas à Jeanne Garnier, pensent la même chose que moi. Le maniement de la morphine, c’est quelque chose qui est subtil, comme je vous l’ai expliqué, puisque on a parfois des patients qui sont surdosés avec 3 mg de morphine et la chambre à côté on a un patient qui a besoin de 2,5 g de morphine pour être soulagé… Il faut faire attention à ce que l’on fait mais ce n’est quand même pas très compliqué. C’est réalisable par tout médecin. Nous accueillons régulièrement des médecins en formation à Jeanne Garnier, des médecins qui passent une journée ou une semaine en stage dans nos services.
Jean-Paul Guitton : Si on vous croit, madame, et je vous crois volontiers, c’est-à-dire si toute douleur physique peut être soignée ou supprimée, la proposition 21 et tout ce qui peut y ressembler est inutile : car elle concerne les cas où il y subsiste des douleurs insupportables, n’est-ce pas ?
Bénédicte Denoyel : Le problème n’est pas la douleur physique, soulager cette douleur est la partie la plus facile de mon métier.
Ce que les gens ne supportent plus c’est la dépendance, et puis le fait de ne pas avoir la maîtrise du temps.
Henri Bléhaut : Si la sédation terminale devient un droit, cela va faire partie de l’arsenal thérapeutique. Dans ce cas, les médecins qui ne la proposeront pas risquent de se retrouver en faute professionnelle de n’avoir pas proposé un soin qui fait partie de l’arsenal thérapeutique.
Je voulais vous demander votre sentiment sur ce point car cela peut être, pour les médecins chargés d’accompagner les mourants, quelque chose d’absolument catastrophique.
Bénédicte Denoyel : Je suis tout à fait d’accord mais justement cela dépend de comment cela va être proposé.
Après le rapport Sicard, fin février 2013, il y a eu une nouvelle proposition de loi, faite par monsieur Leonetti, qui introduisait la sédation dans la loi Leonetti mais qui l’introduisait de façon qui ne m’a pas du tout inquiétée parce que ce qu’il proposait c’était d´introduire dans la loi les recommandations de bonne pratique concernant la sédation.
Il y a des recommandations de bonne pratique de la sédation, faites par la SFAP (société française d’accompagnement et de soins palliatifs) : quelles sont les bonnes indications ? Comment faut-il la faire ? Si on respecte ces recommandations de bonne pratique, il ne faut pas avoir peur de la sédation. Mais c’est vraiment une solution de dernier recours.
Ce n’est pas du tout drôle de sédater un patient et ensuite de continuer à s’occuper de lui. C’est très difficile pour tout le monde.
Henri Bléhaut : Je ne parlais pas de sédation continue, je parlais réellement de sédation terminale.
Bénédicte Denoyel : Ce qui serait dramatique c’est si la sédation devenait un droit du patient, si le patient pouvait exiger une sédation. Là, je ne sais pas très bien ce que nous ferions.
Père Gérard Guitton : Quand je vous entends parler du double effet, il me semble me rappeler, que le Pape Pie XII, il y a plus de cinquante ans parlait déjà du double effet à une époque où les moyens médicaux étaient assez différents.
Bénédicte Denoyel : Je sais que le Pape Pie XII en avait déjà parlé et que c’est la même chose.
Père Gérard Guitton : C’était dans son discours aux sages-femmes en 1956 ou 1957, peu avant sa mort.
Françoise Seillier : Est-ce que vous ne pensez pas que nous sommes dans une situation où contrairement au proverbe « l’exception confirme la règle », désormais « l’exception infirme la règle ».
Vous avez dit que la société ne vous aidait pas, je laisse cet aspect de côté ; en revanche concernant l’Église, est-ce que vous auriez une demande à formuler par exemple dans le domaine de la catéchèse ou même de l’ensemble de la pastorale.
Bénédicte Denoyel : Oui, tout à fait.
Je trouve vraiment qu’on ne nous parle pas assez de la vie éternelle. Je pense n’avoir jamais entendu une homélie sur la vie éternelle, même pendant des funérailles.
Père Jean-Christophe Chauvin : Je lisais récemment quelques paroles du Père Jérôme, de Sept-Fons. Il disait, il y a cinquante ans – j’allais dire comme un prophète – : « Il faut se rappeler qu’on ne naît que pour aller au Ciel ». Et il ajoutait : « On ne rappelle plus suffisamment la vie éternelle ».
J’ai beaucoup apprécié dans votre intervention le moment où vous avez dit que l’agonie est difficile parce que, justement, il manque cette espérance en la vie éternelle pour la famille.
Et Didier Sicard qui est protestant, nous rappelait quand il était là, que l’extrême-onction avait son utilité pour le malade et pour la famille. Les fois où j’ai eu l’occasion de donner le sacrement des malades, ce fut toujours un grand moment. C’est toujours une source d’apaisement pour le malade et la famille.
Jean-Luc Bour : Je ne connais pas du tout les débats de fin de vie. La sédation, je n’en avais jamais entendu parler.
Je voudrais revenir sur ce que vous avez dit : il y a une sélection à l’entrée.
Et je voudrais savoir s’il y avait des cas où des patients sont sortis de l’institution Jeanne Garnier pour revenir dans une maison médicalisée, c’est-à-dire des malades qui ont fait le chemin dans l’autre sens : la souffrance ayant été maitrisée, la maladie s’étant arrêtée peut-être pour une raison psychologique, ce n’était plus un mourant, c’était redevenu un vivant comme vous l’avez si bien dit.
Bénédicte Denoyel : On a un peu plus de 12% de nos patients qui ressortent de Jeanne-Garnier.
Dans ces 12 %, on a des patients SLA (la sclérose latérale amyotrophique, la maladie de Charcot dont on parlait tout à l’heure). Ils viennent pour un séjour de trois semaines seulement, pour que la famille puisse se reposer, reprendre des forces.
On a aussi un certain nombre de personnes très âgées, qui ont un cancer qui évolue donc très lentement, qui arrivent chez nous après des chimiothérapies très intensives et, pour ainsi dire, le cancer est un peu arrêté. Elles métabolisent les effets secondaires des chimiothérapies. Leur état général s’améliore. Et il nous arrive régulièrement de renvoyer des personnes âgées en maison de retraite ou dans leur famille. Heureusement pour elles… et pour nous aussi.
Jean-Paul Guitton : Est-ce que vous seriez d’accord avec le professeur Sicard pour dire qu’en France on n’est pas très bon, parce que l’on oppose les soins palliatifs aux soins curatifs. Il faudrait au contraire de ce que l’on fait, par exemple, à Jeanne-Garnier, les commencer au diagnostique, comme cela se pratique, semble-t-il en Allemagne ou en Suisse ?
Bénédicte Denoyel : Cela se fait à Curie aussi. Il y a une équipe transversale d’accompagnement et de soins palliatifs qui intervient très tôt dans la maladie.
C’est vrai que c’est une situation complètement absurde où il y a d’abord des soins curatifs, et puis il y a cette césure et on arrive en soins palliatifs.
Jean-Paul Guitton : C’est une question de culture : en France, il paraît extrêmement difficile de changer de pratique.
Bénédicte Denoyel : Je suis tout à fait d’accord avec vous.
Nicolas Aumonier : Sur l’hydratation, vous avez très peu parlé des questions d’alimentation et d’hydratation ?
Bénédicte Denoyel : Selon la loi, l’alimentation artificielle et l’hydratation artificielle sont considérées comme des traitements.
Jean-Paul Guitton : Des soins ou des traitements ? N’y a-t-il pas une lacune dans la loi Leonetti, en ce qu’elle ne distingue pas soins et traitements ?
Tout malade a le droit d’être ventilé, hydraté et alimenté. Si on ne le fait pas on est coupable. Et nourrir ou ventiler, ce n’est pas un traitement, c’est un soin.
Bénédicte Denoyel : Oui, d’accord, c’est un soin pour l’alimentation et l’hydratation orales, mais c’est un traitement lorsque c’est prescrit par un médecin, avec des techniques particulières d’alimentation et d’hydratation artificielles.
Mais il faut savoir quand même que, dans certaines situations, il est contre-productif d’hydrater un patient.
Henri Lafont : Si hydrater ou alimenter un patient est considéré comme un traitement, le malade peut le refuser. Mais si il est comateux il ne donne pas son avis : vous avez sûrement entendu parler de cet homme, Hervé Pierra, qui avait été réanimé par son père, pompier, pendant le trajet à l’hôpital après sa défenestration. Et le drame a été amplifié à partir du moment où le père a exigé qu’on arrête les soins. Et on a arrêté à la fois la nutrition et l’hydratation et le patient a terminé sa vie en convulsant.
Par conséquent il ne suffit pas d’arrêter ces traitements pour que le malade aille bien et que la situation se stabilise. Dans cette situation, il est difficile de comprendre pourquoi on n’a pas donné une sédation.
Bénédicte Denoyel : C’est une faute médicale, tout simplement. Je pense que tout le monde est d’accord là-dessus.
L’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation avaient été fait parce qu’on estimait qu’on était dans l’acharnement thérapeutique. Ce patient était victime d’acharnement thérapeutique. Mais, par contre, ne pas sédater ce patient-là, c’était une faute médicale.
Quand je dis que l’hydratation est parfois contre-productive, je pense aux
patients atteints de cancer, en toute fin de vie, qui font des réserves d’eau (œdèmes, ascite) et qui, si on leur rajoute de l’eau par une perfusion, s’encombrent. C’est aussi une faute thérapeutique. On a régulièrement des patients qui arrivent comme cela.
Séance du 23 janvier 2014