Par Jacques Bichot, Professeur des universités, spécialiste des questions liées aux retraites et à leur financement

En France, la paupérisation des familles est réelle. Selon un rapport publié par l’INSEE en 2014, le niveau de vie d’un couple d’actifs sans enfant se situait en moyenne à 30050 euros par an contre 22520 euros pour un couple d’actifs avec trois enfants. Lorsque la femme est « professionnellement inactive », ce dernier tombe même à 15630 euros. « Professionnellement inactive », une terminologie qui en dit long sur l’idée que l’on se fait du rôle des femmes au foyer et par extension des familles dans la société française. Qui sait en effet que ce même INSEE évalue le temps de travail domestique d’une femme comme à peu près équivalent en nombre d’heures à celui d’un travail professionnel ? Une logique de fond qui a conduit la France à considérer l’ensemble des aides financières aux familles comme une aumône qui leur est faite et non comme une juste contrepartie de l’éducation de leurs enfants.
La paupérisation des familles tient avant tout à cette conception erronée de leur rôle dans la société française. Le meilleur exemple de cette erreur est le mode de fonctionnement de notre système de retraite par répartition. Né après la seconde guerre mondiale, ce système part du principe que ce sont les actifs qui paient les pensions des personnes à la retraite. Dans un tel système, non seulement avoir des enfants constitue un facteur de paupérisation durant la période où on les élève, mais il appauvrit également les pères et mères de famille retraités qui touchent des pensions plus faibles : la carrière professionnelle féminine est souvent incomplète et l’investissement fait par les familles dans la jeunesse est compté pour rien. A l’époque, seules quelques voix s’élevèrent pour souligner l’escroquerie ainsi réalisée, notamment celle du grand démographe Alfred Sauvy. Il rappela à bon escient que ces cotisations vieillesse ne pouvaient être préparées à long terme que par la mise au monde et l’éducation des enfants…
La politique familiale pour être cohérente avec la réalité économique doit reconnaître que l’investissement des parents a vocation à procurer des droits à pension. Pourtant, aujourd’hui, comme le dit l’économiste Michel Godet, la formule individuellement gagnante en matière de retraite est celle du « double income, no kid », soit celle de deux actifs sans enfant alors que c’est élever des enfants qui prépare les retraites futures. Une contradiction choquante entre ce qui fonctionne au niveau individuel et ce qui sert de fait au niveau de la nation à préparer l’ensemble des pensions. Si la logique des choses était respectée les prestations familiales devraient être plus conséquentes ou la « production des familles » (l’entretien et l’éducation des enfants) devrait ouvrir droit à des pensions de retraite majorées. Bref, une véritable révolution copernicienne.