par Isabelle Lévy, écrivaine, conférencière et formatrice.
Bernard Lacan : Le titre de votre communication était initialement « La place de Dieu à l’hôpital ». En y repensant je m’étais dit que nous étions bien audacieux. Qui sommes-nous pour assigner une place à Dieu ou en déterminer les limites ! Mieux vaut aller directement au vrai sujet qui nous réunit « la place des religions à l’hôpital »
Place des religions à l’hôpital !
Nous n’avons, pour le plus grand nombre d’entre nous (et nous nous en réjouissons), qu’un contact épisodique avec l’hôpital, dont nous nous empressons d’évacuer le souvenir et nous n’avons donc qu’une connaissance très superficielle des situations qui s’y développent au nom des religions. Cela étant, nous comprenons bien que l’hôpital, où les quelques joies dues aux naissances sont de loin couvertes par tant d’angoisses, de souffrances est par nature un lieu où, dans l’inquiétude ou la détresse, l’homme interpelle son Dieu.
Dans ce microcosme qui est un raccourci de notre société, un concentré des cultures et des religions issus de mondes qui s’ignorent, le fait religieux s’exprime dans la demande de ces hommes et ces femmes victimes d’accidents, de maladie, à l’aube de la fin de vie, avec une force que nous avons peine à imaginer.
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J’ai été pris aux tripes dès les premières pages de votre livre « Menaces religieuses sur l’hôpital ». Vous y décrivez les situations surréalistes dans lesquelles les convictions religieuses (ou ce qui en tient lieu) s’installent dans la vie de l’hôpital au prétexte d’une conception de la laïcité qui n’est parfois que celle de l’individualisme, de l’égoïsme ou de la stupidité.
Ce que vous décrivez de la réalité des conflits quotidiens à l’hôpital du fait des religions ou des extrémismes qui en jouent dépasse l’imagination. Autant dire que votre intervention ne sera pas de l’ordre de la théorie, mais de l’ordre du vécu !
Témoin privilégiée de ce qui se vit dans l’hôpital, vous avez mis votre expérience, au service de la formation du personnel hospitalier pour l’aider à trouver et à gérer les espaces de vie dans lesquels chacun puisse se rendre disponible à son Dieu par sa pensée et ses actes. Vaste tâche que celle de respecter les croyances et la dignité de chacun en les inscrivant dans la lumière de la mission de l’hôpital qui est d’abord et avant de tout de soigner et de guérir.
Au fil des années, vous avez appris à connaître par le concret, les religions les plus diverses, leur rites, leurs interdits. Il y a peu de personnes qui aient acquis une telle connaissance quasi encyclopédique. Ce que vous relatez, et qui fait la force et la valeur de votre témoignage c’est que vous cherchez d’abord à comprendre et non à dénoncer. Votre analyse des situations est d’abord nourrie de bienveillance, de respect authentique de la dignité de chacun – patient ou soignant – et non de condamnation.
Nous aimerions bien sûr que vous nous rendiez plus proches de ce que vivent et demandent les patients, mais aussi de ce que vivent les soignants face aux obstacles que les interdits religieux où ce qui en tient lieu, posent à l’accomplissement de leur mission de santé. Nous aimerions surtout avoir votre sentiment sur les espaces qu’une gestion laïque de l’hôpital peut laisser à chacun pour sa relation à son Dieu.
On sent bien, à vous lire, que les conflits à l’hôpital ne seront pas réglés par un simple rappel aveugle de la primauté d’une laïcité sans empathie et qu’il faut travailler en profondeur pour apaiser, comprendre et faire le tri entre ce qui est vrai et ce qui est stupide. Soigner les patients ? Oui, mais ne faut-il pas aussi soigner l’hôpital ?
L’hôpital n’est probablement pas un lieu d’intérêt porteur pour les hommes politiques. Il y a pour eux d’autres causes dont la défense est plus gratifiante. De ce fait, vos propositions de progrès ne rencontrent pas l’écho politique qu’elles méritent. Nous les accueillerons avec le plus vif intérêt.
Isabelle Lévy : Avant de parler des conflits qui peuvent émerger dans les hôpitaux aujourd’hui, il est bon de rappeler en préambule les règles régissant le respect de la laïcité dans les établissements publics hospitaliers car elles sont souvent inconnues des patients, des visiteurs, des bénévoles, des familles, comme des personnels et pas toujours appliquées par tous les directeurs. Pourtant, tous ont des droits et des devoirs à respecter, cela indépendamment de leur nationalité ou de leurs croyances. Bien entendu, nous aborderons la pratique religieuse à l’hôpital car c’est le lieu de toutes les croyances. Il serait inexact de penser que la primauté est laissée uniquement aux religions monothéistes. En effet, elles sont multiples. Je vous laisse juge… A l’hôpital public, se côtoient les religions polythéistes (hindouisme, par exemple) ou animistes, mais aussi des sikhs, des bouddhistes… sans oublier les croyances traditionnelles, voire superstitieuses, parfois sectaires. L’accueil de toutes ces croyances doit se faire par chacun, croyant ou non, avec bienveillance et empathie. C’est le devoir de tous les personnels des établissements publics hospitaliers, quelque soit sa profession, quel que soit son statut. Nul ne doit mettre ses propres croyances en avant, exprimer ses opinions à propos d’un rituel, d’un objet de culte, et même d’un gri-gri. Si le patient pense que ce porte-bonheur, qu’il vienne de nos campagnes françaises ou du fin fond de l’Afrique, va le protéger, on lui permet de le garder auprès de lui, s’il n’est dangereux ni pour lui-même, ni pour autrui. De quel droit nous ferions qu’il en soit autrement. Aucune croyance n’est supérieure à une autre. Toutes doivent être respectées dans les établissements de soins. Il en est de même des pratiques (habitudes alimentaires, rituels…). L’hôpital public accueille une multitude de patients relevant de nationalités très différentes, plus d’une centaine sans aucun doute. Une véritable tour de Babel en somme. Aussi, lorsqu’on est membre du personnel – peu importe la profession, le poste, le grade… dans la hiérarchie – on se doit d’être extrêmement ouvert à la diversité culturelle et cultuelle de l’humanité. Sans préjugé, ni jugement.
La laïcité, on en parle beaucoup, mais que cela signifie-t-il en pratique ? La laïcité implique la liberté de conscience pour tous les citoyens, que l’on soit de nationalité française ou pas, que l’on réside en France ou qu’on y soit simplement de passage pour tourisme ou études. Le respect de la laïcité exige une neutralité religieuse absolue de l’ensemble des personnels sur leur lieu de travail, qu’ils soient des fonctionnaires de l’Etat ou des salariés du secteur privé travaillant pour des établissements publics. Par contre, la pratique religieuse des patients hospitalisés est autorisée dans certaines limites. Pourquoi ? Pour permettre les soins dans le respect des protocoles et des mesures de sécurité et d’hygiène. Et puis l’hôpital est avant tout un lieu de soin et non un lieu de culte même si on se doit d’y respecter toutes les croyances et tous les rites. D’ailleurs, les établissements publics proposant un hébergement comptent des équipes d’aumônerie. Le plus souvent, chacun croit qu’elles ne peuvent être que des confessions catholiques. Il n’en est rien. Elles se doivent d’être à l’image de la patientèle reçue dans chaque établissement, c’est-à-dire qu’elles doivent être composées de représentants de toutes les religions pratiquées par les patients hospitalisés. Il en est ainsi depuis Napoléon. Si l’ensemble de la patientèle reçue dans l’établissement est catholique, l’équipe d’aumônerie sera exclusivement catholique. Par contre, si la patientèle compte des catholiques mais aussi des protestants, des musulmans et des juifs, l’équipe d’aumônerie doit être composée d’un aumônier catholique mais aussi d’un aumônier protestant, d’un aumônier musulman et d’un aumônier juif. Par exemple, à l’hôpital Pitié – Salpêtrière, l’équipe d’aumônerie compte les quatre religions que j’ai précédemment citées mais aussi un représentant pour le bouddhisme et trois pour l’orthodoxie : l’un roumain, l’un russe et le dernier copte français. Si besoin, les établissements peuvent faire ponctuellement appel à des représentants d’autres religions si besoin comme l’hindouisme. Par soucis d’égalité, à chaque représentant d’un culte est donné le même titre : aumônier. D’où l’importance de préciser la religion représentée par chacun d’entre eux. Néanmoins, le personnel comme les patients pensent à tors qu’un aumônier est obligatoirement catholique. Cela est bien regrettable surtout qu’il en est ainsi, en France, depuis plus d’un siècle.
Si à l’hôpital on retrouve des équipes d’aumônerie pluriconfessionnelles, il en est ainsi pour celles des bénévoles. Toutes les religions recommandent de rendre visite aux malades et pas seulement à l’approche des fêtes. Aussi on compte des bénévoles catholiques mais aussi protestants, juifs, musulmans… Quant au lieu de culte, si beaucoup d’établissements publics hospitaliers comptent une chapelle dans leurs murs car le plus souvent construits sur des terrains d’anciens hospices tenus par des congrégations catholiques. Néanmoins, de nos jours, tous doivent proposer un lieu multicultuel, ouvert 24h / 24, 7 jours sur 7, invitant au recueillement et à la prière. Des offices religieux peuvent s’y tenir : messe catholique, office protestant… chaque semaine ou à titre exceptionnel, à l’occasion d’une fête religieuse ou d’un évènement familial (décès, par exemple). Dans la mesure du possible, les repas des patients pourront être composés en respectant les interdits alimentaires religieux dans la mesure du possible et selon l’état de santé du patient.
Sans doute vous interrogez-vous, à juste titre, pourquoi une place a été faite à la religion dans les établissements publics proposant un hébergement, donc subventionnés par l’État français, État laïque depuis le 9 décembre 1905.
Depuis la Révolution Française, tous les citoyens jouissent de la liberté de conscience. Ainsi, chacun a le droit d’être croyant ou athée, d’être croyant sans être pratiquant ou de pratiquer comme il l’entend, de douter ou de se convertir à une autre religion. Personne ne peut obliger quiconque à pratiquer une religion, même son propre enfant. Chacun reste libre religieusement dès l’âge de raison. Ainsi, des parents ne peuvent pas contraindre leurs propres enfants à pratiquer une religion, du moins par la force, si ceux-ci désirent s’en éloigner provisoirement ou non. Ainsi des parents ont été condamnés par les tribunaux pour avoir contraints par des violences physiques leurs propres enfants, pourtant majeurs, à pratiquer leur religion (le jeûne du Ramadan, en l’occurrence). En France, chacun dispose de cette liberté de conscience, quelle que soit l’appartenance ou la non-appartenance religieuse, qu’il soit de nationalité française ou autre.
Mais pourquoi une telle place est faite à la religion dans les établissements publics proposant un hébergement : les hôpitaux, les maisons de retraite, les internats, les prisons et les armées ? Pour préserver cette liberté de conscience pour tous où qu’il soit. Ainsi toute personne hébergée dans un établissement public empêchée par son état de patient hospitalisé, de résident d’une maison de retraite, d’interne, de prisonnier ou de militaire retenue dans sa caserne ne peut être privée de son droit de pratique religieuse comme toute autre citoyen libre de ses déplacements. En effet, chacun peut pendant sa journée ou après son travail pratiquer sa religion, se rendre à un lieu de culte, rencontrer le représentant de sa religion… Il doit en être ainsi pour chacun où qu’il soit, indépendamment de son état de dépendance. Pour se faire, l’État organise les cultes dans ses établissements proposant un hébergement comme le confirme la loi du 9 décembre 1905 pour tous ceux qui s’y trouvent hébergés. Rappelons-le : la stricte neutralité religieuse (et politique) de l’ensemble des personnels de ces mêmes établissements est exigée pour préserver cette réelle liberté de conscience des usagers. Soulignons un peu important : ce service s’adresse à ceux qui le désirent, le sollicite. Il ne doit jamais être imposé à quiconque, que ce soit la visite d’un aumônier ou d’un bénévole relevant d’une équipe confessionnelle, du fait d’un personnel ou d’un proche. Le personnel se doit de préserver la liberté religieuse de chaque usager et d’agir si besoin pour se faire pour la faire respecter. Donc ce service des cultes est mis à la disposition de ceux qui le désirent et ne doit être opposé à quiconque : enfants, adultes, personnes âgées, accompagnement ponctuel ou de longue durée, pour une maladie grave, une fin de vie, voire une naissance. Et pourquoi pas sans raison. Des patients profitent de leur séjour en milieu hospitalier pour faire le point sur leur spiritualité tel ce monsieur qui a rencontré les représentants de plusieurs religions pour faire un choix ou pour s’instruire, qui sait ? Les chemins de la foi sont parfois bien surprenants.
Quels sont les rôles des aumôniers ? Accompagner les patients et leurs proches qui le désirent dans leur pratique religieuse, les épauler spirituellement et être des personnes ressources pour tous les personnels (médecins, soignants, administratifs) pour les renseigner sur les croyances, les rituels, les pratiques alimentaires, les positions vis-à-vis de la contraception, de la prise en charge de la douleur, des greffes d’organes… Bien entendu, les aumôniers peuvent venir à la rencontre des patients (s’ils en sont d’accord, évidemment) pour échanger avec eux sur une décision à prendre à propos d’une intervention chirurgicale, d’une amputation, d’un interruption thérapeutique de grossesse, d’un traitement dont la composition contiendrait un élément interdit (par exemple, la plupart des colles chirurgicales ou des gélules contiennent des éléments d’origine animale). Le plus souvent, les patients les sollicitent par eux-mêmes pour avoir leur autorisation de transgresser un interdit religieux, point absolument nécessaire pour améliorer leur prise en charge, voire leur état de santé. Il est important de souligner que l’intervention des aumôniers des hôpitaux doit toujours être en concordance avec les soins proposés, jamais en discordance. En somme, l’intervention des aumôniers des hôpitaux ne doit jamais s’opposer aux soins.
Si les aumôniers ont la liberté de porter des signes religieux (croix, kippa, voile islamique…), l’ensemble des personnels doivent afficher une stricte neutralité religieuse quelque soit leur profession (médecin, directeur, soignant, administratif, technicien…), leur statut (titulaire, en cours de titularisation, étudiant, bénévole…), leur pratique religieuse (croyant ou non, pratiquant ou non). Aussi aucun port de signes religieux n’est toléré pour le personnel sur leur lieu de travail et cela en toute circonstance (self, formation continue…) mais aussi pendant les temps de pause et de repas. Neutralité religieuse dans les bijoux (plusieurs spécialités médicales les interdisent toutes pour des questions d’hygiène), dans la tenue vestimentaire mais aussi dans les propos, les expressions, les comportements, les gestes professionnels… Pas d’aménagement horaire ou de profil de poste possible sous prétexte de pratique religieuse. Etc. En somme, le personnel se doit de laisser sa religion au vestiaire. Ainsi on laisse au vestiaire croix, étoile, Bouddha ; les « si Dieu le veut », « inch’Allah » ; les références à Jésus, Jéhovah ou Mahomet ; les versets bibliques ou coraniques… Ce n’est pas toujours aussi aisé en toutes occasions mais c’est exigé par le statut du fonctionnaire et rappelé dans de nombreux textes légaux.
Une exception : la clause de conscience. Le médecin a le droit de refuser la réalisation d’un acte médical pourtant autorisé par la loi mais qu’il estimerait contraire à ses convictions personnelles, professionnelles ou éthiques. Sauf urgence vitale, le médecin n’est pas tenu de pratiquer l’acte demandé. S’il se dégage de sa mission, il doit en avertir clairement le patient, dès la première consultation, et lui donner tous moyens et conseils pour qu’il puisse obtenir une prise en charge adaptée. Par exemple : une interruption volontaire de grossesse. Le médecin peut refuser de pratiquer une IVG non pas pour des raisons religieuses mais « contraire à ses convictions personnelles, professionnelles ou éthiques ». Il ne peut se retirer si la vie de la mère est en danger.
Bien entendu, les personnels hospitaliers ont le droit d’avoir une religion et la pratiquer comme bon leur semble en dehors de leurs horaires de travail et lorsqu’ils se trouvent à l’extérieur de l’établissement. Ainsi, un directeur d’hôpital du Sud de la France a croisé une de ses infirmières lors d’une procession du 15 août dans le village. Il l’a mise à pied sous prétexte qu’elle pratiquait sa religion. Il a été débouté, elle était en repos ce jour-là. Et ses jours de repos, cette infirmière a le droit de participer à des processions et de pratiquer librement sa religion.
Le personnel a la possibilité de demander des jours de congés pour fêtes religieuses, chrétiennes ou autres. Ils leur seront accordés si la continuité du service public est assurée par leurs collègues, avec une déduction du même nombre de jours de repos sur leur quota annuel. Les patients ne doivent pas souffrir d’un manque de personnels, en nombre déjà si restreints comme le rappel régulièrement les médias.
Lors des sessions de formation que j’anime ou de mes conférences, je suis souvent interpellée à propos des personnels musulmans respectant le jeûne du Ramadan. Ces derniers peuvent le suivre, y compris sur leur lieu de travail mais la qualité de leurs prestations comme leur disponibilité ne doit jamais en ressentir les effets. Aucun aménagement horaire possible (sauf si cela répond à des nécessités de service), ni de poste. Cela n’est pas sans problème, voire friction. Lors de la coupure de jeûne : ils désirent faire une pause alors que des soins ou des visites médicales sont en cours. A la fin du jeûne du Ramadan, la plupart (pour ne pas dire tous) désirent s’absenter le jour de l’Aïd pour le célébrer en famille, ce qui est fort compréhensible. Mais cette absence ne peut pas toujours être accordée à tous lorsqu’ils sont très nombreux, et parfois même en nombre majoritaire dans les équipes. Je le rappelle : le service public ne doit jamais pâtir de la pratique religieuse des personnels. Aussi, c’est à chacun son tour, une année sur deux le plus souvent. Evidemment, cela n’est pas sans crispation au niveau des relations humaines.
Si les personnels ont l’obligation de neutralité religieuse sur leur lieu de travail, il n’en est pas de même pour les patients, et cela quelles que soient les religions, quelles que soient les croyances. Ainsi le patient a le droit d’adopter la tenue vestimentaire qu’il désire – jogging, boubou, sari, djellaba, etc. – mais celle-ci doit s’adapter aux soins. Cela signifie que si je dois me défaire de quelques vêtements pour pratiquer une prise de sang ou un examen radiologique, plus encore pour une intervention chirurgicale, cela n’est pas négociable. Je dois les enlever. Sinon, dans ma chambre ou dans les lieux communs, en dehors des temps de soins, je peux être habillé comme je l’entends. Evidemment, des patients – hommes et femmes – refusent d’ôter leurs vêtements par pudeur. Je dirais plutôt par excès de pudeur : lorsqu’on est malade, lorsqu’on doit accoucher, lorsqu’on doit se faire opérer des hémorroïdes… on sait bien qu’on doit se défaire de ses vêtements pour se faire soigner. Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de patients qui espèrent être soignés à travers leurs vêtements. Les prises de sang à travers les voiles sont demandées régulièrement depuis plusieurs années. Les refus d’ôter son voile pour un soin sur le crâne ou son gant pour un panaris au pouce… Il est important de souligner que tout cela est apparu depuis dix – quinze ans. Cela n’a aucun lien avec une exigence musulmane mais une interprétation erronée de quelques uns. Chacun se doit de respecter les protocoles comme les règles d’exercice professionnel, les protocoles… Le nombre de personnes qui repartent sans soins des urgences est important parce que par pudeur elles refusent de se défaire d’un vêtement ou d’être pris en charge par du personnel de sexe opposé. La question est cruciale lorsqu’une vie est en danger : un enfant à naître, une personne atteinte d’une péritonite, etc. Bien entendu, on négocie. Mais c’est une perte de temps et celle-ci ne permet pas toujours de convaincre. De plus, on est en sous-effectif dans les hôpitaux et c’est autant de temps de moins passer auprès de patients qui attendent leurs soins. Les textes sont clairs : la tenue vestimentaire est libre mais doit s’adapter aux soins médicaux et d’hygiène.
Le patient peut porter des signes religieux mais sa tenue vestimentaire doit être légale. En France, que je sois une religieuse catholique ou une femme musulmane, j’ai le droit de porter un voile sur la tête ou sur le corps à l’hôpital comme dans la rue. Mais nulle femme n’a le droit de se dissimuler le visage derrière un voile. Et peu importe la couleur ou ses dimensions. Cela est strictement interdit par la loi du 11 octobre 2010. « La République se vit à visage découvert », tel est le slogan des affiches éditées par le Ministère de l’Intérieur. Cette loi n’est absolument pas respectée ni fait respecter sur le territoire français. Dans de nombreux hôpitaux où j’exerce, le fait m’est régulièrement rappelé.
Comment faire respecter l’identito-vigilance ? À l’hôpital, tout un chacun se doit de présenter systématiquement ses papiers : sa carte d’identité (ou de séjour) accompagnée de sa carte vitale (ou de CMU). L’hôpital ne joue pas le rôle de la Police mais le personnel a l’obligation de vérifier l’identité des patients pour s’assurer que le dossier médical sorti correspond bien au patient consultant. Nombre de personnes utilisent des faux papiers parce qu’ils n’ont pas la Sécurité Sociale. Ils ne se rendent pas compte des risques qu’ils prennent : on a une fois recherché des hormones de grossesse pour un patient ayant une identité masculine ; une personne a failli être mis sous insuline alors qu’elle n’était pas diabétique (mais le patient qui lui avait confié sa carte vitale l’était)… D’où l’importance de l’identito-vigilance et de vérifier la ressemblance physique du patient avec les photographies de documents officiels. Il est important de préciser que l’islam n’exige pas qu’une femme garde le visage voilé. Dans le Coran, il est écrit qu’une femme peut sortir présenter son visage et la paume de ses mains. Les tenues voilant le corps de la femme comme son visage proviennent de pays comme l’Arabie Saoudite ou l’Afghanistan, elles sont d’origines culturelles et non religieuses.
Les repas des patients doivent respecter les aversions, les allergies, voire les interdits alimentaires d’origine religieuse. Ils devront être en accord avec les examens complémentaires en cours, l’état de santé, la pathologie, etc. Le plus souvent, les équivalents alimentaires proposés permettent de répondre à un large choix mais il est impossible de répondre à toutes les demandes. L’hôpital n’a pas l’obligation de proposer des repas casher ou halal. C’est souvent le cas dans les hôpitaux parisiens, au vu de la composition de la population mais d’autres établissements de villes moins importantes ne le font pas. Je ne pas spécialement pour parce qu’on ne peut les proposer uniquement à des patients en bonne santé physique (en maternité ou en psychiatrie, le plus souvent). Je ne plaisante pas. Impossible de le proposer à une personne cardiaque, diabétique, à la sortie d’un bloc opératoire, qui a des présentant des problèmes de déglutition, etc. En plus, ces repas reviennent bien plus chers qu’un repas préparé par l’hôpital. Il faut compter 5 € pour un repas préparé par l’hôpital, 12 € pour un repas acheté à l’extérieur. Et il comprend strictement le plat principal, jamais l’entrée, le pain, le dessert et la boisson. Lorsqu’on multiplie la différence par le nombre de jours d’hospitalisation, le coût peut être très coûteux. Il ne peut aucunement être facturé au patient, ni être pris en charge par la mutuelle. À noter, l’apport de repas par la famille ou livrés par des sociétés extérieurs est strictement interdit sans accord préalable écrit par le médecin ou la diététicienne du service.
Quant à la liberté d’expression du patient, qu’en est-il ? Il est libre d’exprimer ses opinions religieuses par le choix de sa tenue vestimentaire, le port de signes religieux et de bijoux. Par contre, il ne peut exiger pour des questions de religion ou de pudeur d’être pris en charge uniquement par du personnel du même sexe. En dehors des cas d’urgence, le patient peut choisir librement son praticien : « Le droit du malade au libre choix de son praticien et de son établissement de santé est un principe fondamental de la législation sanitaire » Ce libre choix doit être exercé par le malade et non par un parent, un proche ou la personne de confiance. Cela ne peut aller à l’encontre du tour de garde des médecins ou de l’organisation des consultations, ni perturber la dispensation des soins, compromettre les exigences sanitaires, voire créer des désordres persistants. Le libre choix du praticien ne permet pas au patient de s’opposer à ce qu’un membre de l’équipe de soins procède à un acte de diagnostic ou de soins pour des motifs tirés de la religion connue ou supposée de ce dernier. Il appartient aux directeurs des établissements de santé de faire respecter strictement ces diverses dispositions. En cas de désordres persistants, ils prennent, avec l’accord des médecins chefs de service concernés, les mesures appropriées : sortie de l’intéressé ou transfert vers un autre établissement pour motifs disciplinaires, accès interdit à l’entourage de l’établissement.
En somme, je n’ai pas le droit de choisir mon médecin aux urgences générales, gynéco ou autres. Je dois accepter d’être pris en charge par le médecin de garde. Dans les services d’hospitalisation ou en consultations, je peux choisir mon médecin sans jamais perturber la planification des personnels. De même, si je peux choisir mon médecin, je ne peux pas pour autant choisir l’ensemble des personnels pluridisciplinaires qui me prendront en charge pendant mon séjour hospitalier 24h sur 24. Si je peux choisir le médecin qui va suivre mon dossier, le reste de l’équipe sera le plus souvent mixte. Je peux à chaque fois préciser : « Je préfère être pris en charge par une personne de mon sexe ». Ma demande sera honorée selon la composition des équipes du service si cela ne bouleverse ni l’organisation des soins, ni le planning des personnels. Dans le cas inverse, je dois accepter que le soin soit effectué par une personne du sexe opposé dans le respect de la pudeur. Dans les médias, on parle plus volontiers du refus des femmes d’être prises en charge par les hommes, rarement l’inverse. Pourtant, il y a autant de refus de la part des hommes d’être pris en charge par des femmes que l’inverse ! Aussi bien par des médecins ou des soignants. Bien sûr, certains sujets ne sont pas aisément abordés avec des personnels du sexe opposé, tout ce qui concerne la sphère intime ou la zone génitale, etc. Cela peut se comprendre. Lorsqu’on peut répondre à la demande, on le fait volontiers et peu importe le pourquoi de la consultation. Et ce n’est pas parce qu’on exige, que l’on crie, que l’on peut répondre à toutes les demandes. Quand on peut, le personnel répond volontiers à la demande. Toutefois faut-il que le personnel présent soit du bon sexe et de la bonne discipline professionnelle !
Le patient a le droit de prier, et peu importe sa religion. Aucune n’est privilégiée ou contestée. Il a le droit de prier, de méditer, de se recueillir, quand il veut – jamais au détriment de ses soins et de ses examens – mais pas n’importe où. Un patient a le droit de prier dans sa chambre, même si c’est une chambre à deux lits et dans le lieu multicultuel mis à la disposition des usagers par l’établissement.
Tous doivent en disposer d’une et non seulement d’une chapelle réservée strictement aux catholiques. Ce point légal n’est pas toujours respecté, c’est peut de le dire. Ce lieu ouvert à toutes les religions doit être accueillant, invitant au recueillement, à la méditation, à la prière. Les aumôniers peuvent y célébrer des offices. Des objets de culte et des livres de prière sont mis à la disposition de chacun dans des placards. Les chaises peuvent s’empiler pour permettre à des musulmans, des bouddhistes ou des hindous de prier au sol. Il doit permettre des agencements répondant au plus large éventail d’exigences. Il accueille des grandes familles athées qui veulent se recueillir suite à un décès, des individuels qui recherchent un temps de recueillement,
Quant à la prière dans la chambre, y compris dans une chambre double, que peut-on ajouter ? La prière doit respecter le repos des autres patients et ne pas déranger les proches. Des objets de culte peuvent être déposés sur la table de nuit… Le patient peut prier librement, silencieusement, à toute heure, sans déranger son voisin, ni les soins.
Le patient a le droit de recevoir la visite d’un ministre du culte ou d’un aumônier pour prier, recevoir des sacrements pour les catholiques par exemple, avoir des conseils éventuellement sur sa prise en charge… Ces deux représentants des cultes n’ont pas l’obligation de respecter les horaires de visite mais ils doivent s’effacer le temps d’un soin qui doit être exécuté.
Le prosélytisme est interdit de la part de tous : personnels, patients, usagers, bénévoles, aumôniers… Ces derniers n’ont pas le droit de taper à toutes les portes des chambres pour proposer leurs services, ils doivent répondre aux demandes préalables des patients. Depuis 1997, le livret d’accueil du patient hospitalisé doit préciser les coordonnées de tous les aumôniers pour que les patients et leurs proches puissent les joindre en direct s’ils le désirent sans passer par un intermédiaire quelconque. Cette liste est aussi souvent affichée dans les couloirs du service pour une meilleure information des familles. Si la famille est très pratiquante et le patient absolument pas, le religieux rencontrera la famille mais ne pénétrera pas dans la chambre du patient. Rappelons que la chambre du patient est un lieu privé. Comme dans votre domicile, vous recevez qui vous voulez. Inévitablement, vous ne pouvez pas refuser les médecins ou les soignants.
Je pense avoir démontré l’importance de la présence d’une équipe d’aumônerie multiconfessionnelle dans les établissements publics de soins. Présence légale, soulignons le. Présence utile, plus encore. Quelques exemples. Je me souviens d’une femme catholique, mère de plusieurs enfants, atteinte d’un cancer des ovaires. Elle hésitait à accepter des séances de radiothérapie qui pouvaient la traiter mais qui assurément allaient la rendre stérile. Elle a demandé à s’entretenir avec l’aumônier catholique de l’hôpital, un prêtre en l’occurrence (ce n’est pas toujours le cas). Leurs échanges lui ont permis d’accepter les soins tout en allégeant sa conscience.
Permettez-moi d’évoquer le cas d’un monsieur musulman, la quarantaine, hospitalisé de longue date, atteint de plusieurs pathologies graves qu’il le contraignait de vivre désormais avec deux poches, une poche pour les urines, une poche pour les matières fécales. Cette situation le désespérait tant qu’il refusait d’apprendre à les gérer, point essentiel pour entrevoir un retour à domicile. Malgré le soutien exemplaire de son épouse, l’amour de ses enfants, il ne pouvait se résoudre à vivre ainsi. Croyant, la simple vue du contenu de ses poches le rendait impur. Impossible pour lui de prendre en mains un Coran, de prier, e rentrer dans une mosquée, d’envisager son pèlerinage à La Mecque. En somme, il lui était désormais interdit de vivre comme un bon musulman. Quant à l’infirmière, elle voulait absolument lui apprendre à gérer ses poches, le plus rapidement possible, pour lui permettre de rentrer chez lui au plus tôt. Cette professionnelle me confie la situation en impasse. Et je lui dis « Lui avez-vous proposé d’en parler à un imam ? » « Ah non, on lui a présenté le psychologue, le psychiatre, il ne change pas d’avis. » « Seul un imam peut aider ce patient face à une question de pratique de sa religion. Un psy ne trouvera pas la réponse adaptée. » « Un imam, pourquoi pas, on n’y a pas pensé ». Ce monsieur a préféré en parler avec son imam de ville et non pas l’aumônier musulman de l’hôpital. Pas très à l’aise pour parler d’urines et de matières fécales, le patient laisse à l’infirmière le soin de lui expliquer la situation. Pendant qu’elle s’exécute, l’imam ponctue ses propos de « Pas de problème, pas de problème… » « Oui, mais nous on a quand même un problème, ça fait 15 jours qu’il aurait dû être sortir, et il ne peut pas sortir parce qu’il ne veut pas apprendre à gérer ses poches. Et en plus il est dépressif. » « Oui, mais pour moi c’est pas un problème. Maintenant, à toi, raconte-moi. » Le patient lui explique à son tour la situation et de nouveau l’imam ponctue son propos de « Pas de problème, pas de problème… » Et là, l’infirmière explose : « Si, nous avons un problème et c’est pour cela que nous avons fait appel à vous ! » « Ce n’est pas un problème, je vais vous expliquer. Dieu a fait que tes urines et tes matières fécales sont normalement cachées avec la peau. Là, Dieu t’envoie ce fardeau pour éprouver ta foi. Mais ce n’est pas parce que tu es malade que tu ne dois plus prier, toucher un Coran, ne pas aller à La Mecque ou à la mosquée. » « Mais je suis impur, puisque je vois de mes yeux ces urines et ces matières fécales et le fait de les voir me rend impur. » (Ce qui est en effet juste pour un musulman.) La réponse de l’imam : « Il suffit de les cacher. » « Les cacher, c’est tout ? » « Oui, tu caches tes deux poches d’urines et de matières fécales avec un drap, une serviette, un vêtement, peu importe… et tes yeux restent purs. Et ensuite tu peux prier, toucher ton Coran, aller à la moquée, etc. » « C’est tout ? » « Oui, c’est tout. » Croyez-moi, à ce moment-là précis, le monsieur n’avait qu’une envie, c’est d’apprendre à gérer ses poches et rentrer chez lui. Voilà une affaire qui durait depuis quinze jours, un patient dépressif, une famille inquiète… En quelques minutes, l’imam a réglé son problème. Surtout, ce monsieur a retrouvé la joie de vivre au sein de famille, c’est le plus important. Ce même conseil donné par un personnel soignant n’aurait pas été suivi par le patient car il n’a pas l’expertise d’un représentant religieux. Désormais, les aumôniers ont besoin de suivre une formation diplômant, y compris ceux qui exercent depuis trente ans comme aumônier.
Quant aux bénévoles, intervenant dans le cadre d’équipe à tendance confessionnelle, tous doivent être enregistrées au niveau de la direction de l’établissement, pour des questions d’assurance, pour qu’un badge leur soit remis, un service alloué… Les règles à respecter leur seront transmises ainsi qu’une formation continue. Intervenir dans le milieu hospitalier exige un minimum de connaissances à connaître et de règles à observer.
Le rôle des directeurs et des cadres de ces établissements est de faire respecter toutes les règles que je vous ai énoncé précédemment.
En somme, les règles du respect de la laïcité à l’hôpital public sont bien établies, aussi bien côté personnels, aumôniers, bénévoles, patients et familles. Pourtant, elles ne sont malheureusement pas toujours connues, voire respectées. Si la neutralité religieuse des personnels est exigée (personnels de l’Etat ou salariés de droit privé travaillant pour une administration), les patients ont le droit de pratiquer leur religion sans toutefois aller à l’encontre de l’organisation des soins, de la planification des personnels, respecter les préconisations des équipes médicales et infirmières tout comme les règles d’hygiène et de sécurité, sans oublier la tranquillité des autres patients et de leurs proches.
Échange de vues
Catherine Berdonneau : Je voudrais d’abord vous remercier pour cet exposé extrêmement documenté, j’ai eu à vivre le mois dernier l’hospitalisation d’un de mes deux fils dans le coma, j’ai demandé la visite de l’aumônier et j’ai prévenu l’équipe que je faisais cette demande, parce que je me souvenais, il y a quelques années, étant moi-même hospitalisée, d’avoir demandé la visite de l’aumônier qui s’est présenté à un moment où il y avait dans ma chambre une psychologue, qui a eu un air absolument sidéré de voir entrer l’aumônier et à qui j’ai été obligée de dire : « Monsieur l’aumônier est là sur ma demande. » Pouvez-vous me dire, si je n’avais pas prévenu l’équipe, si, puisque mon fils était inconscient, l’équipe était en droit de s’opposer à la visite de l’aumônier ?
Isabelle Lévy : L’équipe n’est pas en droit de s’opposer à la visite de l’aumônier dans une chambre d’un patient inconscient sauf si elle avait préalablement connaissance de son opposition à tout accompagnement spirituel. Au vu de la situation exposé, votre fils est rentré inconscient à l’hôpital, l’équipe vous a fait confiance de respecter la volonté du patient.
Lorsque des proches font appel à un représentant religieux, aumônier de l’établissement hospitalier ou ministre de culte en ville, il est toujours préférable d’en informer l’équipe, histoire qu’elle le dirige vers vous, qu’elle s’organise pour que les soins puissent être effectués avant pour ne pas déranger l’entretien… L’équipe n’a aucune raison de s’y opposer sauf en psychiatrie. Un entretien avec un représentant d’un culte pourrait entraîner un délire mystique. Opposition, cela ne veut pas dire qu’elle s’oppose mais que le moment n’est peut être pas le mieux choisi. Parfois, la rencontre de l’aumônier avec le médecin est privilégiée pour l’informer de l’état du patient, des précautions à prendre… Même chose dans un service de maladies infectieuses. Seul l’intérêt du patient doit dicter les décisions de chacun.
Jean-Pierre Brulon : Je voudrais avoir votre sentiment sur une pratique qui existe dans certaines aumôneries hospitalières pour enfants, donc en milieu pédiatrique, ce que l’on appelle les « visites d’amitié », à savoir qui sont faites par certaines équipes, sans aucune demande de la famille, sans aucune demande du patient, qui est parfois dans un état qui ne lui permet pas de parler, comme de très petits enfants, et donc certains services sont hostiles à ces visites d’amitié, – qui ne relèvent pas du prosélytisme, face à des enfants qui sont parfois esseulés, parce qu’ils sont en France dans le cadre de protocoles d’échanges avec certains pays étrangers, on reçoit beaucoup d’enfants du continent africain, et on pratique de très belles opérations à ce titre, – et cette hostilité est présente dans certains établissements.
Isabelle Lévy : Tout bénévole se doit de se présenter à la direction de l’établissement pour se faire connaître, même s’il appartient à une association. Le directeur-adjoint qui vous recevra cherchera à connaître votre projet. S’il lui semble qu’il correspond à la politique de l’établissement, il vous présentera à un ou plusieurs cadres de l’établissement. Avec eux, vous déterminerez vos heures de visite, les règles à observer, les enfants visités… L’équipe en sera informée. Nul ne pourra alors s’opposer à votre présence sauf si au fil des visites vos actions sont contraires à l’intérêt des enfants.
Jean-Pierre Brulon : En fait, il s’agit de personnes qui dépendent d’équipes d’aumônerie, qui sont référencées, qui sont connues de l’établissement, qui sont là au quotidien, qui peuvent aller dans les services à la demande, mais qui vont aussi dans d’autres services spontanément, par amitié, pour passer un quart d’heure, ou un peu plus, avec un enfant seul, qui ne voit pas sa famille parce qu’elle est éloignée, et ce sont des propositions gratuites, sans prosélytisme, qui suscitent une certaine hostilité dans certains services d’hôpitaux, notamment parisiens.
Isabelle Lévy : Les règles relatives au respect de la laïcité dans les établissements publics de santé devraient être connues de l’ensemble des personnels. Elles ne sont pas enseignées dans les facultés de médecine, brièvement ou pas dans les instituts de formation en soins infirmiers, ni dans les écoles de sages-femmes, assistantes sociales… Donc quasiment aucune information dans le cadre de la formation initiale. J’interviens depuis 22 ans autour de cette thématique dans le cadre de la formation continue mais le suivi de ces sessions ou de ces conférences n’est pas obligatoire. De plus, le manque de personnels dans le service ne permet pas à tous de suivre toujours ces enseignements.
Et puis la laïcité, chacun la définie comme il l’entend alors que les règles sont les mêmes pour tous. Mais quand elles ne sont pas connues, que faire ? Les parents de ces enfants ne sont pas là pour faire connaître leur volonté ou non d’aumôniers ou non auprès de leurs progénitures. Aussi le personnel fait blocage. Si cette position s’explique par l’état de santé précaire des enfants, ils sont en droit de le faire. Si non, je vous recommande de vous présenter au cadre du service pour que l’on vous réserve le meilleur accueil.
Comme vous vous en doutez, dans les hôpitaux comme ailleurs, il y a des personnels très croyants, des personnels athées et plus encore anti-religieux. Dans des établissements, les titres de mes formations ou de mes conférences sont repris pour ne pas que les mots « religion » ou « croyance » n’apparaissent. Plusieurs fois, parce que j’ai osé parler de « la place de la religion à l’hôpital », je me suis fais insulter ! L’établissement public d’un pays laïc, pas de place pour la religion. S’il en était ainsi, des hospitalisés ou des retraités seraient interdits de pratiquer une religion pendant des années sous prétexte d’être hébergés dans un établissement public. Interdits de religion car empêchés par leur état ! Ceci serait bien injuste. Heureusement, la législation française confère à tous la liberté de conscience, que l’on soit en santé ou pas.
Valérie Brulon : J’ai été pendant cinq ans à l’aumônerie de l’hôpital Trousseau, je vais rebondir sur ce que vous dites, puisque justement une fois j’ai eu un petit souci, c’était dans un service où nous étions tolérées, on pouvait faire le tour du service, en passant toujours par le poste infirmier, effectivement j’ai pas mal rencontré de personnels un peu hostiles à l’aumônerie, et quand on leur posait la question : y avait-il des familles à visiter ? Certains personnels répondaient négativement et nous étions obligées de retourner à notre bureau et malheureusement, il y a des parents que nous n’avons pas pu voir ou que nous avons vus qu’au dernier moment, ce qui est dramatique. Dans un des services où nous étions tolérées, je faisais mon tour, comme d’habitude, je ne rentrais jamais dans une chambre fermée, mais quand une chambre était ouverte je passais ma tête, je disais bonjour et je me présentais. Une fois donc, j’entends : « Qui est cette blonde qui se balade dans les couloirs ? », j’ai pensé qu’il s’agissait de moi, donc je suis redescendue à l’aumônerie, j’ai vu ma responsable, qui m’a dit de remonter dans le service et d’aller voir la personne et de me présenter à elle. C’était une animatrice, je la rencontre et lui dis « Excusez-moi, il me semble que tout à l’heure… » Elle m’a coupée : « Vous faites partie de l’aumônerie, vous n’êtes pas la bienvenue dans ce service, vous n’avez pas le droit d’être là, vous dérangez les personnes, des familles se sont plaintes. » Pendant un certain temps nous ne sommes plus allées dans ce service. Nous avons demandé un rendez-vous avec le cadre, au bout de trois semaines nous avons été convoquées, et il a tout simplement dit « Vous être la bienvenue, mais sachez que cette personne quitte son travail vers 16 h 30, donc si cela ne vous ennuie pas de passer quand elle n’est plus là… », à partir de ce moment-là, je ne montais dans ce service qu’à 17 h, une fois qu’elle était partie.
Isabelle Lévy : Ceci est inadmissible.
Valérie Brulon : Franchement, nous avons quand même rencontré pas mal d’opposition, évidemment il y avait des infirmières très bienveillantes, qui nous connaissaient bien, et quand je passais, tout de suite on avait un petit résumé. Nous avons suivi des familles musulmanes ; il m’est arrivé également de les accompagner jusqu’à la chambre mortuaire, mais l’on avançait sur des œufs. Mais j’ai toujours eu cette volonté de continuer, et c’est vrai qu’avec le personnel soignant c’est beaucoup plus compliqué.
Isabelle Lévy : « Passez à 17 h », n’est pas la meilleure des réponses que la cadre aurait du vous donner. Elle aurait dû rencontrer les personnels qui agissaient ainsi et leurs rappeler les règles à observer. Si toutefois ils s’opposaient de nouveau à la visite des aumôniers auprès de patients qui attendent leur visite, elle devait sans hésiter en faire part à la direction des ressources humaines pour un éventuel passage en conseil de discipline. Un avertissement ou une mise à pied est possible pour de tels actes allant à l’encontre du droit du patient et des familles de pratiquer la religion qu’il désire et de rencontrer un référent religieux dans un établissement public proposant un hébergement.
Il est bien que vous accompagner des familles musulmanes mais il serait mieux que la direction de l’établissement embauche un aumônier musulman comme le droit l’exige.
Valérie Brulon : Justement, nous avions effectivement à l’aumônerie le numéro de l’imam, mais à chaque fois qu’on l’appelait, il ne répondait pas, ou il ne venait pas…
Isabelle Lévy : La même situation s’est présentée à Paul-Brousse. Un jour, un cadre de santé d’un service de gérontologie, me demande « Isabelle, j’ai une précision à te demander à propos du judaïsme. La présence d’un rabbin est-elle nécessaire pour un accompagnement en fin de vie ? » « Nécessaire, non. N’importe quel homme peut assurer cet accompagnement s’il connaît le rituel. Mais si le patient ou la famille préfère qu’un rabbin l’effectue avec eux, c’est évidemment autorisé. Pourquoi me demandes-tu cela ? » « Parce que nous avons des personnes âgées dans les trois services de gérontologie, des juifs entre autres, certains demandent à rencontrer un rabbin quand ils sont en fin de vie, alors j’appelle l’aumônier israélite, je laisse des messages sur son répondeur, jamais il ne vient. » « C’est certain, si tu l’appelles du vendredi soir au samedi soir, il ne viendra pas, shabbat oblige. De plus, aucune cérémonie funéraire ne peut se tenir ce même jour, ni nul ne peut approcher un défunt. Evidemment, il n’y a aucun interdit de cet ordre pour une personne en fin de vie. Aucune interdiction les autres jours sauf lors de certaines fêtes. » Et il me dit « Mais il ne vient jamais, quelque soit le jour ! » Cela étant inadmissible, je suis allée voir directement le DRH, en disant « L’aumônier israélite ne fait pas son travail, il ne répond pas aux appels de visite. » « Qu’est-ce que je peux y faire ? », « C’est un de vos personnel comme les autres ! Il a une fiche de paye et un traitement à la fin de chaque mois ! Aussi, écrivez sans tarder au Consistoire israélite de France, un bureau y gère les aumôneries des hôpitaux et des prisons et des armées. Vous lui demanderez qu’il soit remplacé par un autre plus respectueux de ses semblables ». La lettre a été envoyée. Deux jours après, le DRH a reçu un appel d’un monsieur du Consistoire israélite présentant toutes ses excuses et a nommé sur le champ un remplaçant bien plus efficace, présent, etc. Que l’on ne veuille plus assurer un travail est recevable. Accepter une tache qu’on ne rempli pas est inadmissible, qu’elle soit à titre bénévole ou non. Dans ce cas, il ne faut pas hésiter à en faire part à la direction pour qu’elle intervienne pour un changement de référent.
Jean-Dominique Callies : Je voulais revenir un peu sur les signes extérieurs et sur le problème du personnel qui doit absolument être neutre, donc ne rien afficher. Cela pose plusieurs questions. Par exemple celui de la Croix-Rouge, ou du Croissant-Rouge, qui intervient avec un signe extérieur explicite, et puis cela pose également la question du personnel notamment en milieu rural, où tout le monde connaît tout le monde, c’est n’est pas l’anonymat des grandes villes. Dans ce contexte, quid des établissements, notamment des EHPAD, fondés par des religieuses, de religieux, et dont certains sont encore en activité, lorsqu’ils viennent dans ces établissements comme aides-soignants, ou comme infirmiers ou infirmières ? Ils ne s’habillent pas dans leur tenue de tous les jours, ils s’habillent en personnel hospitalier, mais ils sont connus comme étant notoirement des personnes qui ont une croyance. Et il n’est pas rare, notamment dans les EHPAD, que des résidents demandent explicitement la venue d’un aumônier, d’un prêtre ou d’un rabbin, surtout en fin de vie. La question se pose très fréquemment, et on s’aperçoit que souvent, les personnes quand elles sont en fin de vie sont très fortement apaisées par la présence d’un aumônier. Or le personnel est tenu à une neutralité absolue, et vous avez très bien souligné que lorsque l’encadrement est laïc pur et dur, et s’oppose, cela pose des problèmes pour le personnel qui est reconnu comme étant de confession juive, ou catholique ou protestante. Ces personnels ne peuvent rien dire sauf à risquer de se faire sanctionner par d’autres personnes des équipes : « c’est du prosélytisme, elle est intervenue… » Alors qu’en fait c’est une demande explicite des patients. Malheureusement il n’y a pas assez d’aumônier, et donc dans un cas comme celui-là, comment fait-on ? J’ai une troisième question, elle concerne un propos que vous avez tenu assez rapidement sur la spécificité de la médecine psychiatrique. Et dans un certain nombre de cas, des personnes expriment leur foi. Elles se trouvent contrées par des psychiatres qui pensent que c’est de l’ordre du délire mystique, qui cataloguent d’une façon assez rapide. Comment cela se passe-t-il après en terme de recours, à savoir, … s’il n’y a pas eu erreur… c’est un question.
Isabelle Lévy : Les aumôniers ont le droit de porter des signes religieux lors de l’exercice de leurs fonctions. Un jour, je me suis rendue à l’hôpital Saint-Louis accompagnée d’un moine bouddhiste. C’est certain, avec sa robe couleur safran, on s’est fait repérer. Mais il était en droit de porter cette tenue. Le reste des personnels est tenu à une stricte neutralité religieuse, c’est ainsi. Si cela leur pose problème, rien ne les oblige d’exercer dans un établissement public.
Si on est personnel Croix-Rouge ou Croissant-Rouge, cela ne pose pas de problème parce que c’est l’emblème de votre établissement. J’interviens parfois dans des établissements de la Croix-Rouge, cette entité est totalement laïque et non catholique. La neutralité de leurs personnels est exigée dès la formation initiale.
Lorsqu’un patient ou une famille est en demande d’un accompagnement spirituel et que cela lui est refusé, le personnel a le devoir d’intervenir pour que leur requête soit respectée, que ce personnel soit croyant ou non. Faut-il encore qu’il le sache. D’où l’importance de la formation continue. Par contre, le personnel n’a pas la liberté de prier avec les patients et leurs familles. Il doit leur proposer de rencontrer un représentant religieux.
C’est leur devoir professionnel. Il est dommageable que rarement les patients ou les familles écrivent au directeur des lieux pour lui faire part de leurs griefs. Pourquoi ? Peur de représailles, le plus souvent.
Si la liberté de pratique religieuse est limitée par les équipes de psychiatrie, c’est dans l’intérêt du patient.
Bernard Lacan : Finalement on a un système, avec une loi qui prévoit un peu tous les cas, et ce que j’aimerais savoir, c’est votre sentiment concernant l’évolution globale de la situation au cours des dernières années. Va-t-on vers le meilleur ou pas, en effet vous m’avez dit : « si je devais réécrire mon livre Menaces religieuses sur l’hôpital, je rajouterai quelques chapitres. » ?
Isabelle Lévy : En effet, en 2004, j’ai publié La religion à l’hôpital, il était moins important en atteinte à la législation. En 2011, Menaces religieuses sur l’hôpital, les faits relatés font frémir. Si aujourd’hui je devais le réécrire, je rajouterai 100 ou 300 pages. La situation se dégrade parce qu’il y a de plus en plus d’intégristes dans toutes les religions, il y a de plus en plus de gens marqués par les attentats et qui s’opposent à toutes les religions par crainte de leur détournement, il y en a plus encore qui pensent que la laïcité interdit toute pratique religieuse en tous lieux, ce qui est absolument erroné.
Actuellement on dispose d’une circulaire du 2 février 2005 reprenant toutes les règles à respecter dans les hôpitaux en matière de laïcité. Cette circulaire est parue dans un silence total des médias alors que l’année précédente, en mars 2004, on a rebattu les oreilles de la loi interdisant le port des signes religieux à l’école publique pendant des mois. Aussi la population n’est pas informée de son existence et des règles à observer. Le personnel n’est pas formé… Bref, personne ne sait ou presque qu’elle régie la laïcité dans les établissements publics de santé. Aussi, en février 2016 est paru le guide du fait religieux et de la laïcité dans les établissements de santé rédigé par l’Observatoire de la laïcité. Mais ce guide n’apporte aucune nouveauté marquante. Il ne fait que rappeler le contenu de cette circulaire de 2005 agrémenté de quelques exemples. Aujourd’hui, il nous faudrait une loi. Pourquoi une loi ? Parce que les médias s’en feraient l’écho, elle serait discutée par nos députés et nos sénateurs, et surtout pourrait prévoir des sanctions lorsque les règles ne seront pas respectées du fait de personnels, d’aumôniers, des patients, des familles comme des directeurs de ces établissements. De nos jours, là où nous en sommes, je peux vous assurer qu’il y a urgence. Les exactions à la laïcité font légion, comme les violences verbales et physiques envers les personnels.
L’enseignement et le respect de la laïcité sont nécessaires comme l’enseignement des religions. Cela éviterait de nombreuses exactions et préjugés.
Isabelle Callies : J’ai une première question sur le personnel, dont vous avez dit qu’il devait être neutre, mais parfois l’exercice est habité quand même par la foi, même s’il n’y a pas les signes, il arrive que les patients puissent poser des questions plus personnelles au personnel, est-ce que celui-ci dans ce cas-là peut répondre ? Ma deuxième question, c’est par rapport au cas très particulier que vous avez nommé, l’acte médical qu’est l’IMG. Vous avez parlé de l’IMG dans le cas de la vie de la mère en danger ; mais pour un autre cas particulier d’IMG, l’interruption médicale de grossesse qui peut avoir lieu à 8 mois de grossesse d’un enfant trisomique, est-ce que dans ce cas-là il peut y avoir quand même le respect de la conscience du médecin, est-ce que dans les faits cela s’applique ?
Isabelle Lévy : Lorsqu’il n’y a pas d’urgence vitale, que le soin peut être programmé pour le lendemain, on confiera la patiente à une autre équipe. Par contre, il est vrai que parfois le patient pose des questions sur la pratique religieuse du personnel, de quelle religion êtes-vous, êtes-vous pratiquant, que pensez-vous de telle chose ou telle autre ? Est-ce que le personnel doit répondre ? Non. Parfois, il répond mais si le patient est réellement en demande et désire un temps d’échange plus long, cela n’est pas de son ressort, ni la compétence. Il doit le donc le diriger vers l’aumônier. Telle est la seule attitude à observer pour le personnel d’un établissement public.
Séance du 1er février 2018