Olivier REY, mathématicien, philosophe et écrivain
Avant-propos par la présidente, Marie-Joëlle Guillaume.
Le thème d’étude de cette année nous renvoie aux grandes peurs d’aujourd’hui, mais aussi à une perte de sens. Il y a la réalité de l’hiver démographique qui a commencé. Beaucoup s’émeuvent – encore timidement – de la baisse de la natalité, mais sans aller jusqu’à en rechercher les causes, sans s’interroger sur le sens. Peut-être parce qu’ils ne veulent pas voir ? Dans un numéro de l’hebdomadaire Famille chrétienne, un dessin d’Ixène montrait une natalité française en baisse, avec une série de petites pancartes où sont inscrits les mots : insécurité, individualisme, chômage, record d’avortements, climat, pauvreté, guerre, etc. Et, au milieu du dessin, deux personnages à l’air docte devant des micros, dont l’un dit : « À ce stade, nous ne disposons pas d’explications pertinentes à l’érosion du désir d’enfant » .
Pour notre part, nous allons essayer de trouver des explications pertinentes au cours de cette année, mais aussi d’orienter nos travaux, dans la deuxième partie de l’année, vers des perspectives réalistes et en même temps pleines d’idéal – pourquoi pas ? -, afin d’accompagner un renouveau anthropologique et social. L’adjectif « durable » qu’on emploie sans cesse pourrait être appliqué à notre civilisation : peut-elle être durable sans enfants à venir, sans familles solides pour les mettre au monde et les élever et sans préoccupation politique et sociale à cet égard ? La question est ouverte, et sur ce thème majeur nous voulons entendre et prononcer des paroles libres – que j’espère fécondes.
Présentation[1].
Merci beaucoup, Olivier Rey, d’être venu parmi nous ce soir. Pour la séance d’aujourd’hui qui débute notre cycle, nous avions décidé de faire un petit pas de côté, car il nous a semblé important de nous demander pour commencer ce qu’est la vie humaine. C’est pourquoi nous vous avons demandé de bien vouloir nous faire part de vos réflexions sur ce sujet.
Il se trouve que nous nous connaissons depuis longtemps : nous nous sommes rencontrés il y a au moins quinze ans dans des cercles qui réfléchissaient aux rapports entre science et foi. Olivier, vous êtes entré à Polytechnique et, après votre sortie de cette école, vous avez d’abord été chercheur en mathématiques, vous avez passé une habilitation à diriger les recherches sur les équations aux dérivées partielles, puis, plus tard, vous avez bifurqué vers la philosophie et en particulier la philosophie des sciences. Vous êtes actuellement chercheur au CNRS au sein de l’Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques, et vous enseignez également à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Vous avez écrit beaucoup d’articles publiés dans des revues scientifiques spécialisées et de nombreux essais, parmi lesquels je citerai : Une folle solitude, Le fantasme de l’homme autoconstruit, paru en 2006, Le testament de Melville. Penser le bien et le mal avec « Billy Budd » paru en 2011, Une question de taille (2014) et Quand le monde s’est fait nombre (2016). Ce dernier ouvrage, consacré à la statistique, a eu un retentissement assez important. Ensuite, Leurre et malheur du transhumanisme, paru en 2018, a reçu le Prix Jacques Ellul. Je citerai encore Gloire et misère de l’image après Jésus-Christ (2020) et Réparer l’eau (2022), afin d’illustrer l’éclectisme de vos préoccupations. Je passe quelques essais pour ne pas tarder à vous laisser la parole, mais j’aimerais indiquer tout de même que vous avez aussi publié au moins deux romans, dont un en 2014 intitulé Après la chute, qui a été remarqué par la critique et même désigné par Michel Houellebecq comme étant un roman digne d’être lu ! En outre, vous participez régulièrement à de nombreuses conférences et débats.
[1] Par Rémi Sentis
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Communication
Ce qui nous intéresse ici au premier chef est la vie humaine. Mais il m’a semblé qu’une réflexion sur la vie en général n’était pas inutile. En effet, au moins dans une certaine mesure, c’est parce que la vie en général est mal conçue que la vie humaine se trouve elle-même mal conçue.
Quand on pose la question « qu’est-ce que la vie ? », la première idée est d’aller ouvrir un dictionnaire pour y trouver une définition. Cela étant, j’ai appris très jeune à ne pas tout attendre des dictionnaires. Enfant je me suis mis assez vite à lire des livres au-dessus de mon âge – rien de pervers, je le précise : je lisais notamment du Balzac. Mais dans Eugénie Grandet par exemple, il est question de volupté ; or à dix ans j’ignorais le sens de ce mot. Je suis donc allé regarder dans mon petit Larousse, édition de 1972, où j’ai trouvé ceci : « Plaisir des sens : boire avec volupté. Grand plaisir en général : les voluptés du travail, de l’étude. » Pourtant je sentais bien, quand il était question des « émotions de fine volupté » que faisait sourdre dans le cœur d’Eugénie la vue de son cousin, qu’il ne s’agissait pas d’une incitation au travail ou à l’étude. Quelque chose qui n’allait pas. En même temps, j’avais l’impression qu’il s’agissait d’un mot dont il aurait été gênant de demander le sens à mes parents. Mais revenons au mot vie. La recherche dans les dictionnaires montre qu’au cours de l’histoire, la définition a énormément varié – pour autant qu’on puisse remonter dans le temps, puisque les dictionnaires n’apparaissent pas avant la seconde moitié du xviie siècle.
Quelques définitions de la vie
Dans les plus anciens dictionnaires de langue française dont on dispose (Richelet, Furetière), la vie est définie comme l’union de l’âme et du corps. Dans ses quatre premières éditions – 1694, 1718, 1740, 1762 – le Dictionnaire de l’Académie française donnait également pour premier sens du mot vie : « l’union de l’âme avec le corps », ou « l’état où est l’homme quand son âme est unie à son corps ». Il ne s’agit pas d’une spécificité française. Le grand Dictionnaire de la langue anglaise élaboré au xviiie siècle par Samuel Johnson donne pour définition du mot life : « Union and cooperation of soul with body. »
D’où vient une telle conception de la vie ? Si l’on remonte très en amont, jusqu’aux textes les plus anciens de la tradition occidentale, comme l’Iliade, on trouve le mot psykhé, traditionnellement traduit dans notre vocabulaire par « âme ». Cela étant, la psykhé dans l’Iliade désigne essentiellement la propriété de respirer ou de saigner, et correspond finalement à quelque chose comme la vitalité, – celle qui évidemment quitte le corps, le soma, avec la mort. C’est plus tard que cette psykhé, cette vitalité du corps jusqu’à la mort, va être hypostasiée et devenir une unité substantielle, correspondant à l’âme telle qu’on la concevra ensuite, c’est-à-dire l’âme en tant qu’elle habite le corps pendant la vie et s’en détache à la mort – ayant donc une existence propre, indépendamment du corps qu’elle habitait. Dans une perspective qu’on peut qualifier de gnostique, l’union de l’âme et du corps sera même une malédiction pour l’âme – le soma apparaît comme une prison pour la psykhé qui, grâce à une connaissance particulière, la gnosis, doit apprendre à s’en libérer. Dans la perspective chrétienne orthodoxe, formalisée dans les conciles, l’union de l’âme et du corps est au contraire comprise comme un bien. Chez Aristote, l’âme est le principe d’animation d’un corps ; par conséquent, de ce point de vue, l’existence d’une âme sans corps n’est pas concevable. Si maintenant on considère que l’âme survit à la mort du corps, après cette mort l’âme séparée du corps n’est pas libérée, comme dans la perspective gnostique, mais dans un état imparfait – elle soupire après le corps qui lui sera rendu à la fin des temps – le corps glorieux.
Par rapport à ces anciennes définitions de la vie centrées sur l’union de l’âme et du corps, on assiste à la fin du xviiie siècle à un changement radical dans les dictionnaires : dans sa cinquième édition en 1798, le Dictionnaire de l’Académie définit le mot « vie » comme « l’état des êtres animés tant qu’ils ont en eux le principe des sensations et du mouvement ». Et dans la huitième et dernière édition en date, celle de 1935, la vie est définie comme « l’activité spontanée propre aux êtres organisés qui se manifeste chez tous par les fonctions de nutrition et de reproduction, auxquelles s’ajoutent chez certains êtres les fonctions de relation, et chez l’homme la raison et le libre arbitre ». De la vie comme union de l’âme et du corps on passe donc à la vie comme « activité spontanée propre aux êtres organisés » ou, chez Littré, à un « état d’activité de la substance organisée ». On trouve encore, dans le dernier grand dictionnaire français en date, le Trésor de la langue française, la définition suivante de la vie : « Ensemble des phénomènes et des fonctions essentielles se manifestant de la naissance à la mort et caractérisant les êtres vivants. »
Les choses ne s’arrêtent pas là. La science moderne s’est emparée des phénomènes vitaux avec une discipline spécialement dédiée à leur étude – la biologie. Comment définir scientifiquement la vie ? Les tentatives sont multiples, et les résultats aussi divers que peu convaincants. La revue Origins of Life and Evolution of Biospheres a consacré à la question, en 2010, un numéro spécial intitulé Defining Life. Parmi les nombreuses définitions proposées, on trouve celle-ci : « La vie est un réseau complexe d’agents autonomes se reproduisant par eux-mêmes, dont l’organisation fondamentale est déterminée par des données matérielles engendrées par un processus historique ouvert, au sein duquel ce réseau collectif évolue. » Ou bien celle-là : « Les entités vivantes sont des systèmes autonomes capables d’évolution adaptative individuellement, collectivement, ou par descendance. […] La vie est un concept qui indique que la capacité à exprimer ses propriétés est présente virtuellement ou en acte. » Ou encore : « Un système vivant est un système capable d’autoproduction et d’autoconservation à travers un réseau régénératif de processus qui s’étend à l’intérieur d’une frontière qu’il a lui-même constituée et qui se régénère lui-même à travers des interactions cognitives ou adaptatives avec le milieu. »
Les difficultés que l’on a à définir scientifiquement la vie, dont témoignent ces essais qui flirtent avec le grotesque, sont compréhensibles si l’on considère que la vie fait partie de ces notions premières que les essais de définition obscurcissent plutôt qu’elles ne les éclairent. Pensons, pour faire un parallèle, au libre arbitre dont parle Descartes dans ses Méditations métaphysiques. Hobbes et Gassendi lui ont reproché d’invoquer le libre arbitre sans avoir défini ce qu’il entendait véritablement par là ni prouvé son existence. Descartes a répondu à Hobbes : « Je n’ai rien avancé ou supposé touchant la liberté que ce que nous ressentons tous les jours en nous-mêmes et qui est très connu par la lumière naturelle. » À Gassendi : « Car cela est tel que chacun le doit plutôt ressentir et expérimenter en soi-même que se le persuader par raison. » Et comme Gassendi persistait dans ses objections, Descartes conclut : « Ne soyez donc pas libre si bon vous semble, pour moi je jouirai de ma liberté puisque je la ressens en moi-même. » Pour en revenir à la vie, je trouve éclairante la remarque de James Lovelock (surtout connu dans l’espace public pour sa théorie sur l’Hypothèse Gaia[1]) :
Notre survie et celle de notre espèce dépendent de notre faculté à répondre de façon rapide et correcte à la question : est-ce vivant ? […] La puissance de notre faculté à détecter la vie apparaît clairement quand nous regardons une rivière couler depuis un pont : le mouvement incessant de l’eau ne cesse d’envoyer à nos yeux des flashes de lumière, au gré des remous et des vaguelettes qui reflètent la lumière du soleil, et pourtant, si l’eau est claire, nous pouvons distinguer un poisson, en particulier s’il nage à contre-courant, et nous savons qu’il est vivant. Si vous estimez que cette remarque évidente est sans intérêt, essayez de fabriquer un détecteur de vie qui repérerait la présence du poisson. C’est loin d’être facile, alors que la détection de la vie nous est donnée gratuitement par notre équipement mental[2].
Effectivement, un petit enfant sur la margelle du pont en voyant le poisson repèrera immédiatement un être vivant, qu’il distinguera par exemple d’un morceau de bois qui flotte à la surface du courant, ou du clapot.
La poursuite d’une fin propre
Soulignons un point : la remarque selon laquelle nous pouvons distinguer un poisson « en particulier s’il nage à contrecourant ». En effet, qu’est-ce qui nous signale immédiatement la présence d’un être vivant ? C’est le fait qu’un être vivant poursuit une fin qui lui est propre. Alors que la branche de bois qui flotte sur l’eau est emportée par le courant, le poisson, lui, suit une trajectoire qui est la sienne. Ce constat fait apparaître la notion de téléologie, c’est-à-dire le fait d’être orienté vers un but. Les êtres vivants sont des êtres qui ont des finalités propres. À ce sujet une querelle théologique a existé, aux xiiie et xive siècles, dont l’enjeu est fondamental. Pour le dominicain saint Thomas, il n’y avait nulle opposition entre souveraineté de Dieu et autonomie au sein du vivant ; en effet la manifestation la plus éclatante de la puissance de Dieu est d’avoir appelé à l’existence des créatures animées de leurs propres fins. Quand un humain fabrique une horloge, il l’organise intérieurement pour qu’elle réponde à sa fin qui est de montrer l’heure ; elle demeure un complet automate ; la puissance divine dépasse infiniment cette puissance fabricatrice, dans la mesure où elle est capable de donner le jour à des créatures animées de leurs propres fins. Certes, c’est parce que Dieu l’a voulu ainsi qu’elles poursuivent ces fins, il n’en demeure pas moins que ces fins sont bien celles des créatures en elles-mêmes. Le nominalisme, en particulier celui du franciscain Guillaume d’Occam, était quant à lui solidaire d’une théologie qui insistait non sur la sagesse et la bonté de Dieu, mais sur sa toute-puissance, détachée de sa paternité – toute-puissance en vertu de laquelle chacune des créatures singulières était créée de façon directe, sans référence à une quelconque nature commune, à un ensemble d’individus. De ce point de vue, toute forme d’autonomie reconnue à la nature paraît restreindre l’exercice de la volonté divine, et être, en tant que telle, blasphématoire. Au demeurant, les deux partis vont s’accuser mutuellement de blasphème : du côté dominicain, on reproche aux franciscains de restreindre la puissance de Dieu, en l’empêchant de créer des créatures autonomes ; du côté franciscain, on considère à l’inverse qu’il est blasphématoire de prétendre que quelque chose dans la nature échappe à la volonté immédiate de Dieu. Quoi qu’il en soit, dans la perspective occamienne, l’ensemble des finalités naturelles se trouve en quelque sorte concentré, rapatrié, en Dieu, et seuls les êtres humains, en tant que dotés d’une conscience réflexive, sont à même d’ordonner leurs actions en vue de fins qui sont les leurs ; reconnaître que les êtres naturels puissent être animés de fins propres, reviendrait à ne pas faire justice à l’omnipotence divine et cela s’apparenterait à de l’idolâtrie.
Notons que, lorsque dans un sillage cartésien on parlera d’animaux-machines, il n’y aura rien de nouveau : Descartes s’inscrit dans cette tradition franciscaine qui, lorsqu’on la pousse jusqu’à ses dernières conséquences, ne peut voir dans les animaux que des automates.
Accepter ou refuser la téléologie dans le vivant
Quant à la science moderne, elle a résolument tranché la querelle du côté franciscain, en rejetant toute référence à une téléologie qui puisse trouver place dans une appréhension scientifique de la nature. Voici ce qu’écrivait à ce sujet, en 1970, le biochimiste Jacques Monod, dans son livre Le Hasard et la Nécessité :
La pierre angulaire de la méthode scientifique est le postulat de l’objectivité de la Nature. C’est-à-dire le refus systématique de considérer comme pouvant conduire à une connaissance “vraie” toute interprétation des phénomènes donnée en termes de cause finale, c’est-à-dire de “projet”. […] Il est impossible de s’en défaire, fût-ce provisoirement ou dans un domaine limité, sans sortir de celui de la science elle-même[3].
Cela étant, au paragraphe suivant, Monod remarquait : « L’objectivité cependant oblige à reconnaître le caractère téléonomique des êtres vivants, à admettre que dans leurs structures et performances ils réalisent et poursuivent un projet. ». D’où la situation délicate de la biologie moderne, qui en tant que science (au sens moderne du terme) doit refuser la téléologie, et qui en même temps doit reconnaître que ses objets sont des êtres téléologiques. Situation paradoxale, parfaitement résumée par une phrase attribuée au généticien anglais Haldane : « La téléologie est pour le biologiste comme une maîtresse sans laquelle il ne peut pas vivre, mais avec laquelle il ne veut pas être vu en public. »
Selon Monod, le problème central de la biologie réside dans la contradiction entre le refus scientifique des causes finales et le caractère téléologique du vivant, contradiction, dit-il, « qu’il s’agit de résoudre si elle n’est qu’apparente, ou de prouver radicalement insoluble si en vérité il en est bien ainsi ». Fondamentalement, on se trouve donc placé devant l’alternative suivante : ou bien le vivant en tant que tel peut être appréhendé par la science moderne, mais alors le vivant en tant qu’être téléonomique se dissout, et ce n’est plus le vivant ; ou bien le vivant en tant que tel ne peut pas être appréhendé par la science au sens moderne du terme, mais alors la science au sens moderne du terme n’est plus la science dans sa prétention à l’universalité.
En pratique, on navigue entre les deux termes de l’alternative – ce qui fait du vivant une plaie suppurante au flanc de la science moderne. Si l’on en croit Kant et sa Critique de la faculté de juger, le vivant ne saurait être appréhendé sans prise en compte de la finalité – constitutive, au moins pour nous, du vivant en tant que tel. À l’endroit du vivant, et contrairement à ce qui peut se produire pour l’inanimé, ce que Kant appelle le « jugement téléologique réfléchissant » ne peut jamais devenir « jugement déterminant ». C’est-à-dire qu’on ne peut jamais éliminer la téléologie qu’on avait d’abord identifiée dans l’objet. Kant en conclut :
Il est bien certain que nous ne pouvons pas connaître suffisamment les êtres organisés et leurs possibilités internes d’après de simples principes mécaniques de la nature, encore bien moins nous les expliquer. Et cela est si certain que l’on peut dire hardiment qu’il est absurde pour les hommes de seulement former un tel dessein ou d’espérer qu’il surgira un jour quelque Newton qui pourrait faire comprendre ne serait-ce que la production d’un brin d’herbe d’après des lois naturelles qu’aucune intention n’a ordonnées[4].
Autrement dit, on ne pourra jamais résorber le vivant dans une science mathématique de la nature. Cela ne signifie pas que les sciences mathématiques de la nature n’ont rien à dire sur le vivant. Elles peuvent à l’intérieur du vivant étudier d’innombrables processus mécaniques ou chimiques ; mais le vivant en tant que tel, c’est-à-dire en tant qu’il est, par définition, téléologique, doit précisément pour cette raison lui échapper.
La vie comme résistance à la mort
Comment la biologie s’accommode-t-elle de cette contradiction qui, d’une part, l’oblige, par fidélité aux préceptes de la science moderne, à refuser la téléologie et, d’autre part, a pour objet des êtres téléologiques ? Le compromis qui a été trouvé consiste à admettre que le vivant comporte bien une finalité, mais une finalité réduite à sa plus simple expression : celle de résister à la mort. Faute de réussir à mécaniser ou à chimiser le vivant, la biologie moderne s’est ingéniée à circonscrire au maximum la finalité qu’elle ne parvenait pas à éliminer, en la réduisant à un motif unique, le même partout : l’autoconservation. Une certaine forme de téléologie a donc bien été reconnue au sein de la nature, mais uniquement dans une perspective survivaliste. Pour la pensée ancienne et médiévale, chaque vivant avait un être à accomplir qui transcendait sa pure et simple existence factuelle, et l’autoconservation ne valait qu’en tant qu’elle était au service de cette fin. Pour Aristote, l’autoconservation était la forme la plus basse du désir qu’éprouve l’être fini d’avoir part à l’éternel[5]. Ce qui importait n’était pas tant la vie en soi que la conformité de la vie à ce qu’elle devait être ; et si l’être voulait persister dans la vie, c’était pour exprimer ce qu’il était, non pas seulement pour perpétuer un processus vital. Pour saint Thomas, « le bien pour tout être est d’atteindre sa fin ; le mal est qu’il en soit détourné[6] ». Il disait aussi que « l’âne ne désire pas devenir cheval, car il cesserait d’être lui-même[7] ». L’âne qui est poursuivi par un fauve se fera peut-être manger, faute de courir aussi vite que le cheval, mais sa mission première sur terre est d’être un bon âne, d’accomplir son asinité, non pas de se transformer en quelque chose d’autre. À ce titre, l’autoconservation est une fin seconde, subordonnée à la fin première qui est l’accomplissement d’un être propre. Néanmoins, l’autoconservation va désormais être considérée comme la fin première et ultime, et l’ensemble des caractères déployés par la vie, dans leur diversité, va se trouver envisagé comme déterminé par cette seule fin et justifié par elle. Le grand médecin Bichat a résumé cela, au début du xixe siècle, en une formule placée en tête de ses Recherches physiologiques sur la vie et la mort : « La vie est la somme totale des fonctions qui résistent à la mort. » C’est la conception qui s’est imposée. Dans une perspective darwinienne, la multiplicité des formes de vie est multiplicité des stratégies pour échapper à la mort.
Quand Bichat parle de résistance, il perçoit bien de la finalité ; mais d’un bout à l’autre du règne vivant, cette finalité est un motif unique et uniforme, un pur « être contre la mort ». Nous en sommes toujours là. On se rappelle que Jacques Monod a reconnu les êtres vivants comme « objets doués d’un projet ». Cela étant, ce projet est toujours le même. Je cite à nouveau Monod :
Tout projet particulier quel qu’il soit n’a de sens que comme partie d’un projet plus général ; toutes les adaptations fonctionnelles des êtres vivants comme aussi tous les artefacts façonnés par eux accomplissent des projets particuliers qu’il est possible de considérer comme des aspects ou des fragments d’un projet primitif unique, qui est la conservation et la multiplication de l’espèce[8].
Le compromis trouvé manifeste bien qu’il y a de la finalité dans le vivant. Mais cette finalité est partout et toujours la même : une pure résistance à la mort. Comme l’a remarqué Jacques Dewitte : « Une telle façon de voir est une formation de compromis entre le parti-pris anti-téléologique de la science moderne et la nécessaire prise en compte du caractère téléologique des êtres vivants[9] ».
Compromis bancal, faut-il le souligner, d’où découle une conception extrêmement pauvre de la vie, et même absurde comme l’a remarqué Hans Jonas :
Le critère de la survie est inadéquat quand il s’agit d’évaluer la vie : si le point important était le simple fait de durer, la vie n’aurait même pas dû commencer. Elle est dans son essence précaire et périssable, une aventure dans la mortalité [je trouve cette formule magnifique] et sous aucune des formes qu’elle est susceptible de revêtir elle ne saurait être aussi assurée de sa durée que peut l’être un corps inorganique. Ce n’est pas la durée comme telle, mais “la durée de quoi” qui est la question[10].
La théorie darwinienne de l’évolution ne s’en est pas moins entièrement élaborée autour des notions de lutte pour la vie, struggle for life, et de sélection des mieux adaptés, fittest, qui réussissent à survivre et avoir une descendance, ou qui ont la descendance la plus nombreuse, sans aucune considération, à aucun moment, de ce que telle ou telle forme vivante aurait en soi à être. C’est une conception extrêmement pauvre, et extrêmement triste aussi, de la vie. Dans une lettre de 1860 Darwin parle de l’effet que produit sur lui la vue d’une plume de paon :
Il est curieux que je me souvienne bien du temps où penser à l’œil me donnait froid dans le dos, mais j’ai dépassé ce stade du tourment et maintenant de petits détails insignifiants de la structure suffisent souvent à engendrer le malaise. La vue d’une plume de la queue d’un paon, chaque fois que je la regarde, me rend malade[11].
Si l’on regarde la vie en tant que collection d’êtres ayant chacun un être particulier à manifester, on est émerveillé par la vue d’un paon – émerveillé qu’il existe des créatures déployant autant de beauté. En revanche, si l’on part du principe que la seule finalité des êtres de la nature est de résister à la mort, la longue traîne que déploie le paon devient un handicap contre les prédateurs, et à ce titre un cauchemar pour Darwin. Depuis lors on s’est évertué, par un certain nombre d’acrobaties intellectuelles, à « rationaliser » le paon. Il faut faire intervenir dans l’affaire la sélection des mâles pour les femelles. Vous voyez sur quelle pente glissante on se trouve entraîné : on en est réduit à invoquer le sexe pour ramener la queue du paon dans le giron de la rationalité.
Et la vie humaine ?
Qu’en est-il de l’être humain, quelle place lui donner ? Sa première mission n’est pas de résister à la mort, mais de vivre une vie humaine. Pour mesurer ce que cela signifie, il est bon de se reporter une fois de plus à Aristote, qui distinguait trois types d’âmes dans le vivant : d’abord l’âme végétative, présente dans tout être vivant, qui en assure les facultés de nutrition, de reproduction et de respiration ; ensuite l’âme sensitive et motrice que l’on trouve chez les animaux ; et enfin une troisième âme qui caractérise l’être humain, l’âme intellective. Cette classification aristotélicienne est intéressante notamment en ce qu’elle permet de mesurer à la fois une continuité dans le vivant – l’être humain connaît une vie végétative comme les plantes et une vie sensitive comme les animaux -, et la singularité humaine, liée à la vie intellective. Pareille approche sera reprise par saint Thomas qui, pour préserver l’unité de l’âme, préfèrera parler, pour l’humain, d’une seule âme, dotée de la faculté végétative, de la faculté sensitive et motrice, ainsi que de la faculté intellective.
« Une vie à laquelle l’examen fait défaut ne mérite pas qu’on la vive » dit Socrate, que fait parler Platon dans son Apologie de Socrate. Pourquoi ? Parce que cet examen relève de la faculté intellective qui, en tant qu’elle caractérise l’être humain, doit être déployée au sein d’une vie véritablement humaine. La faculté intellective demande, en conformité avec la nature sociale de l’homme, à être développée par la culture. En ce sens, le culturel en l’homme ne s’oppose pas au naturel mais en est l’expression. Leibniz, dans ses Essais de Théodicée, écrivait : « Selon Aristote on appelle naturel ce qui est le plus convenable à la perfection de la nature de la chose, mais Monsieur Hobbes appelle l’état naturel celui qui a le moins d’art, ne considérant peut-être pas que la nature humaine dans sa perfection porte l’art avec elle. ». Magnifique critique d’une pensée qui, à partir des xviie et xviiie siècles, va opposer en l’homme le naturel au culturel. Louis de Bonald, au début du xixe siècle, est beaucoup revenu sur ce thème, en notant :
L’homme passe par deux états très distincts : dans le premier il a une intelligence sans connaissance de ses pensées, sans volonté, et des mouvements sans action. C’est l’état natif de l’homme, état originel, imparfait, et dont il fait effort pour se tirer. Au sortir de cet état, trop souvent il tombe dans un état vicieux et dégénéré, celui où sa volonté est sans raison et son action sans force ou sans vertu ; ou bien il passe à l’état perfectionné ; celui où sa volonté est éclairée par la raison et son action forte et vertueuse : c’est l’état naturel de l’homme, état bon, état accompli, état de la fin de l’être, bien différent de son état natif ou imparfait qui est l’état du commencement, et où Jean-Jacques Rousseau et ceux de son école ont placé l’état naturel de l’homme, erreur fondamentale qui infecte leurs écrits, et qui, malgré les couleurs brillantes de leur style, les rendra inutiles même alors qu’ils auront cessé d’être dangereux[12].
Je ne suis pas sûr qu’ils aient cessé d’être dangereux, mais on voit apparaître chez Bonald un état de la fin de l’être, qui pour un être humain est un état où il est hautement cultivé. Bonald écrit encore : « C’est parce que [l’]état naturel et accompli, opposé à l’état natif ou originel, est pour l’homme moral comme pour l’homme physique un état d’effort, d’art et d’action, qu’on dit communément et avec une grande vérité qu’il n’y a rien de si difficile à atteindre que le naturel, soit dans les ouvrages d’esprit, soit dans les manières[13]. » L’état naturel n’est pas donné à l’être humain, c’est en réalité un horizon à rejoindre. Bonald toujours : « Un Iroquois ou un Caraïbe sont des hommes natifs, Bossuet, Fénelon et Leibniz sont des hommes naturels[14]. »
Naturel et mystique
Ce qu’on entend par faculté intellective, chez l’être humain, ne doit pas exclure mais, au contraire, inclure une faculté mystique. Si, aujourd’hui, le mot « intellectif » semble antithétique avec celui de « mystique », on doit se rappeler que, pour saint Thomas, la faculté intellective était ce par quoi l’être humain était à l’image de son créateur, et entrait en relation avec lui. On trouve, dans les Cahiers de Simone Weil, ce passage :
Les mystères de la foi catholique – et ceux des autres traditions religieuses ou métaphysiques – ne sont pas faits pour être crus par toutes les parties de l’âme. […] L’Eucharistie ne doit pas être un objet de croyance pour la partie de moi-même qui appréhende les faits, là est la part de vérité du protestantisme (ou, vis-à-vis de l’Incarnation, du déisme). Mais cette présence du Christ dans l’hostie n’est pas non plus un symbole, car un symbole est la combinaison d’une abstraction et d’une image ; c’est quelque chose de représentable pour l’intelligence humaine, ce n’est pas surnaturel. En cela les catholiques ont raison, non les protestants. Seule la partie de moi-même qui est faite pour le surnaturel doit adhérer à ces mystères. Mais cette adhésion est plutôt amour que croyance[15].
On retrouve ici l’idée des différentes parties de l’âme. On trouve aussi l’idée que face au mystère divin, l’intelligence humaine est dépassée – mais c’est précisément elle qui s’éprouve comme dépassée (comme la raison dont la dernière démarche, selon Pascal, est de reconnaître ce qui la surpasse). Un des malheurs de la modernité est qu’elle s’ingénie à boucher l’accès à « la partie de moi-même qui est faite pour le surnaturel », pour reprendre les mots de Simone Weil. Le philosophe américain William James, un des fondateurs au xixe siècle de l’école de pensée dite pragmatiste, avait l’honnêteté de reconnaître que quelque chose lui manquait.
Je n’ai pas l’expérience vivante d’un commerce avec Dieu. J’envie ceux qui l’ont, car je sais que l’addition d’une telle expérience m’aiderait grandement. Le divin, pour ce qui concerne ma vie active, se limite à des concepts impersonnels et abstraits qui, en tant qu’idéaux, m’intéressent et me déterminent, mais ne le font que de manière bien faible en comparaison des effets qu’un véritable sentiment de Dieu pourrait produire si j’en avais un. C’est en grande partie une question d’intensité, mais une variation d’intensité peut déplacer tout le centre de l’énergie morale d’une personne. Cela étant, bien que je sois dépourvu de conscience de Dieu au sens direct et le plus fort, il y a pourtant quelque chose en moi qui s’éveille lorsque j’entends des propos, tenus par d’autres, qui proviennent de cette région. Je reconnais cette voix profonde. Quelque chose me dit : c’est là que se trouve la vérité, et je suis sûr que ce ne sont pas les vieux préjugés théistes de l’enfance qui parlent. […] Appelez cela, si vous voulez, mon germe mystique. C’est un germe très répandu[16].
Ainsi William James reconnaît-il que cette partie de l’âme est bien présente en lui, même si elle ne s’est pas développée. Au lieu de nier son existence il préfère admettre qu’elle n’a pas germé en lui. Malgré tout, il sent quelque chose frémir en lui aux récits d’expériences provenant de cette partie de l’âme plus épanouie chez d’autres.
Dans une perspective gnostique, qui trouve dans la modernité de nouvelles modalités d’expression,[17] le monde est ce dont il faut s’échapper. Dans une vision chrétienne orthodoxe, la mystique ne s’oppose pas au naturel, mais lui apporte une bénédiction. Comme le résume Fabrice Hadjadj : « Dans le christianisme, l’au-delà n’est pas un ailleurs, c’est un ici-bas devenu ici-haut[18]. »
L’engendrement
Un lien peut être établi avec la question de l’engendrement qui préoccupera cette assemblée au cours de l’année. L’engendrement, pour l’être humain, doit être entendu de deux manières. D’une part il relève du déploiement de ses facultés, en tant que finalité propre à tous les êtres vivants. D’autre part l’être humain a été créé à l’image de son Créateur, et appelé à Lui ressembler. Or l’engendrement est présent à l’intérieur de la Trinité même, au sein de laquelle le Père engendre le Fils. Par conséquent, ce n’est pas seulement en tant qu’être vivant que l’être humain est appelé à l’engendrement, mais aussi en tant qu’il est à l’image de Dieu et appelé à la ressemblance. L’engendrement est donc l’objet d’un double commandement. Concernant l’engendrement d’ordre spirituel, Saint Thomas a répondu à l’objection selon laquelle les religieux faisant vœu de célibat semblaient se soustraire à ce commandement d’engendrer : selon lui, ce commandement à l’engendrement est donné collectivement à l’humanité, et le fait qu’un certain nombre d’êtres au sein de la communauté se soustraient à l’engendrement charnel ne relativise pas l’importance dudit commandement, mais permet au contraire son accomplissement. En effet ces personnes à l’intérieur de la communauté qui n’engendrent pas charnellement sont au service de la communauté qui, elle, engendre charnellement.
Je note enfin que le thème dominant de loin les autres dans la peinture chrétienne est celui de la Vierge à l’Enfant. L’alliance de Dieu avec l’humanité est allée jusqu’à l’Incarnation, selon une maternité charnelle. Les enfants qui nous naissent sont appelés à être baptisés, c’est-à-dire à renaître selon l’esprit. Il y a donc bien double naissance, de sorte que l’être humain, à la fois animal et créature à l’image de Dieu, puisse déployer ses facultés en vue de ses finalités.
Echanges de vues
Marie-Joëlle Guillaume
À partir de la définition de la vie comme l’union de l’âme et du corps, vous nous avez fait suivre tout un parcours où nous avons approfondi la notion de téléologie, et ce qui s’est opposé à elle ; et l’on a vu que tout cela s’enracine dans ces querelles passionnantes du Moyen Âge qu’on aurait tort d’oublier. Mais en voyant à quelle hauteur vous nous avez amenés à la fin, je repensais à ce que chantait déjà le Chœur, dans l’Antigone de Sophocle : « Il est bien des merveilles / Aucune ne surpasse l’homme ». Oui, quelle merveille que l’homme, si l’on songe à cette téléologie qui l’enracine à la fois dans le monde du vivant et dans autre chose qui est son propre destin. Vous nous l’avez vraiment admirablement fait saisir.
Jean-François Lambert
Dans les propos liés à l’écologie politique, il y a, me semble-t-il, beaucoup d’ambiguïtés et d’erreurs qui sont dues au fait que les domaines ne sont pas vraiment définis. Je voudrais citer un auteur – dont je ne me souviens pas du nom – qui faisait partie de groupes de réflexion autour de Francisco Varela sur la question de l’autonomie (autopoïèse), lequel disait : « L’homme est naturellement culturel parce qu’il est culturellement naturel. » On peut dire que c’est de la gymnastique, et un certain type de chercheurs, à cette époque, s’est plu à faire ce genre de pirouettes. De fait cette formule agace par sa circularité, qui n’est pas très logique, mais en même temps me semble dire quelque chose de l’intrication totale pour l’homme entre ce qui est dit naturel et ce qui est dit culturel. Par ailleurs, je me permets de citer le philosophe des sciences Hubert Dreyfus qui disait en substance : « Si les robots ne pensent pas, ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas d’âme, c’est parce qu’ils n’ont pas de corps. »
Olivier Rey
On parle beaucoup, aujourd’hui, d’intelligence artificielle. Au moment où ce syntagme est apparu, dans les années 1950, l’ambition était de simuler, par la machine, les différents aspects de l’intelligence humaine. Au début il s’agissait simplement de calcul – raison pour laquelle on parle encore de computer en anglais (alors que s’est imposé en français le terme plus heureux d’ordinateur). On a rapidement été amené à un double constat : d’une part, il s’avère extrêmement difficile de reproduire l’intelligence humaine dans ses innombrables aspects ; d’autre part, pour des tâches particulières, les machines électroniques peuvent s’avérer extraordinairement supérieures aux humains. Progressivement, ce qu’on appelle intelligence artificielle s’est donc émancipé du modèle humain. Cela est parfaitement justifié, dans la mesure où pensée humaine et intelligence artificielle sont de nature différente. On a tendance aujourd’hui à localiser la pensée dans le cerveau, alors qu’en réalité nous pensons avec l’ensemble de notre corps – en particulier dans les prises de décision. Le système hormonal, dans l’affaire, joue un rôle déterminant. Or l’intelligence artificielle n’a pas d’hormones. Les ordinateurs sont des machines algorithmiques, qui ont un support matériel mais pas de corps – et donc pas d’âme non plus, puisque l’âme anime un corps. C’est en ce sens que je comprends la phrase d’Hubert Dreyfus que vous citiez.
Rémi Sentis
Concernant le domaine de l’intelligence artificielle, il y a dans le courant de pensée dominant une position assez paradoxale : non seulement les tenants de ce courant envisagent la mort de la mort, soit l’immortalité, grâce à la technique (discours classique dans les médias par exemple), mais ils appellent également à vivre sans se reproduire sous prétexte que la planète serait menacée par l’espèce humaine. Dans les deux cas on se dirige vers une espèce de statu quo ; d’une part on ne meurt plus et d’autre part il ne faut plus avoir d’enfants. Qu’en pensez-vous ?
Olivier Rey
Les discours sur « la mort de la mort » vont de pair avec une conception de la vie dont le souci essentiel serait l’autoconservation. On ne prend plus la peine de s’interroger sur ce qu’est une vie véritablement humaine, on vise simplement l’immortalité ; mais l’immortalité pour quoi ? On ne sait pas. La fin disparaît dans le déploiement des moyens. Cela d’autant plus que l’immortalité annoncée serait obtenue par hybridation avec la machine. J’ai cité saint Thomas disant que l’âne ne désire pas devenir cheval parce qu’il cesserait d’être un âne. De même, un homme vraiment homme ne désire pas s’amalgamer à la machine, parce qu’il cesserait d’être un homme. Il faut déjà être considérablement mort pour viser une survie transhumaniste.
Par ailleurs, il faut raison garder : ces promesses d’immortalité ne guère sérieuses. Deux grands récits ont accompagné soutenu le développement scientifico-technologique au cours des derniers siècles. Selon l’un, plutôt d’obédience française, la science et la technique étaient au service de l’émancipation et du bonheur du genre humain ; l’autre, portée notamment par la grande université allemande du xixe siècle, concevait la science comme un accomplissement de la vie de l’esprit. Les événements xxe siècle ont largement entamé la crédibilité de ces deux récits, en montrant que le progrès techno-scientifique pouvait aussi bien conduire à l’esclavage qu’à l’émancipation, et n’offrait aucune garantie contre la nuit de l’esprit. Jean-François Lyotard, dans La Condition post-moderne publiée en 1979, a pris acte de l’épuisement de ces deux grands récits, lequel épuisement caractérise précisément, selon lui, ce qu’on appelle la postmodernité. Or, ne plus croire au salut par la science et la technique n’est pas bon pour les affaires ; il est donc apparu nécessaire de trouver un récit de remplacement, à même d’entretenir le moral des ménages et de les pousser à la consommation. La promesse de la mort de la mort constitue ce nouveau récit, promu par des niais qui y croient et des cyniques qui y trouvent leur intérêt. De plus, persuader les gens que la mort est un accident indéfiniment différable permet de leur faire accepter un « monitorage » permanent, un assujettissement permanent aux puissances qui prétendent veiller sur leur santé.
Quant à la natalité, il est logique qu’elle s’effondre lorsque la mort se trouve comme forclose. Dans Les Carnets de Malte, Rilke écrit ceci :
On savait autrefois (ou peut-être le pressentait-on) qu’on contenait la mort à l’intérieur de soi-même, comme un fruit son noyau. Les enfants en avaient une petite, les adultes une grande. Les femmes la portaient dans leur giron et les hommes dans leur poitrine. On possédait sa mort et cela conférait à chacun une singulière dignité et une paisible fierté. […] Et quelle mélancolique beauté était celle des femmes, lorsqu’elles étaient enceintes, debout, et que, dans leur grand corps, sur lequel leurs deux mains fines involontairement se posaient, il y avait deux fruits : un enfant et une mort. Le sourire intense, presque nourricier, sur leur visage rasséréné ne venait-il pas du sentiment qu’elles avaient parfois de sentir croître en elles à la fois l’un et l’autre[19]?
La forclusion de la mort conduit à rejeter le fait de donner la vie.
Général Bertrand Ract Madoux
Je voudrais savoir si je me trompe en disant que, après les grandes querelles que vous nous avez si bien décrites, il y a aujourd’hui vis-à-vis de la vie, en simplifiant, deux attitudes différentes au sein de la population. De façon schématique, d’un côté des gens désireux de « sauver la planète », des écologistes pour lesquels la nature, les plantes, les animaux doivent être la priorité de nos combats, les hommes n’étant que des animaux un peu différents ; et puis de l’autre, une petite minorité de personnes (dans laquelle je range les croyants) qui militent pour une écologie intégrale, autour du pape, en essayant de faire comprendre -– non sans mal –, que le souci de la planète doit inclure celui de l’homme, de la vie, et de sa protection du début à la fin (celle-ci étant au moins aussi importante que les zones humides et les batraciens). Est-ce qu’il s’agit d’une querelle de notre temps ?
Olivier Rey
On pourrait dire cela. Je mettrai cependant une limite à l’opposition que vous faites entre des écologistes qui considèrent les humains simplement comme des perturbateurs de la nature, et les tenants de l’écologie intégrale. En ce qui concerne les premiers, certains en effet peuvent aller jusqu’à dire que sans être humain la nature se porterait mieux, comme si les êtres humains étaient des extraterrestres qui avaient débarqué sur une planète formidable et ravageaient tout ! Certes, certaines conduites sont ravageuses ; mais considérer l’être humain simplement comme un perturbateur de la nature est une conception aberrante – en particulier de la part de personnes qui par ailleurs tiennent les humains comme des animaux parmi d’autres. D’autre part, effectivement le pape actuel défend, avec l’écologie intégrale, une conception du problème beaucoup plus sensée, qui n’oppose pas l’être humain à la nature. Cependant, il demeure selon moi un point commun entre les écologistes et le pape, que je pourrais appeler le « penser planète ». « Planète », en grec, signifiait « astre errant ». La Terre n’est donc devenue une planète qu’avec le système de Copernic. Mais, comme l’a écrit Husserl, « l’arche-originaire terre ne se meut pas ». Nous sommes d’abord des habitants de la Terre, non d’une planète parmi d’autres que nous contemplerions depuis l’espace. Quand le pape parle de la planète comme de la « maison commune », il me semble épouser à certains égards le discours des écologistes dont vous parliez auparavant. Il n’y a pas une humanité sur une planète, il y a des communautés humaines qui habitent la Terre. C’est la nuance que j’apporterais : l’opposition que vous mentionnez est recevable, mais, derrière cette opposition, apparaissent aussi des points communs discutables.
Nicolas Aumonier
Je souhaiterais prolonger la réflexion pour tenter de concilier deux réalités, microbiologique et anthropologique. Si vous considérez que tout ce qui est analyse scientifique nous place dans une perspective uniquement survivaliste, ne faites-vous pas un peu rapidement l’impasse sur toute la description foisonnante, extraordinaire aussi quand on s’y plonge, de ces processus micro-organiques extrêmement coordonnés, régulés, nombreux, qui décrivent la vie cellulaire comme un déséquilibre fondamental producteur d’énergie ? Le cycle de l’acide citrique montre que l’on récupère deux électrons et un demi de O2, et que c’est avec cela que l’on vit, dans un déséquilibre poursuivi jusqu’à ce que la mort l’arrête. Si nous limitons ce déséquilibre à un effort pour résister à la mort, nous ne comprenons plus la dimension anthropologique de ce qu’il permet : l’attente, le désir, la perspective de construire, etc. Mais si nous ne complétons pas cette anthropologie en entrant dans le détail microbiologique de son fonctionnement concret, ce que ne pouvait pas faire Aristote, nous manquons la réalité fine, précise et régulée de ces processus vitaux, et sommes plus exposés à leur réduction cartésienne à de l’étendue comprise comme grandeur, figure et mouvement. Comment rendre compte de ce monde qui nous constitue et forme la base de toute anthropologie sans le passer sous silence ni le réduire ? En 1961, le grand biologiste Ernst Mayr livre sa célèbre distinction entre la biologie du comment et la biologie du pourquoi, entre une biologie molécularo-mécaniste des processus reposant sur des causes proches et expliquant des fonctionnements, et une biologie historico-darwinienne utilisant des causes plus lointaines, et qui essaie de répondre à la question de savoir pourquoi (et aussi comment) les choses se sont passées ainsi. C’est l’époque de la découverte de l’opéron lactose, de la mise au jour de régulations qui permettent à certains de penser qu’elles nous dispensent d’un grand Régulateur divin, ou, à tout le moins, de quelque chose comme une finalité de la vie. Mais comme nous ne pouvons pas nous passer de décrire ces processus comme des fonctions, les biologistes de ces années-là sont tout de même contraints de parler de lois d’un organisme à poursuivre son propre but (« Une bactérie, une amibe, une fougère, de quel destin peuvent-elles rêver sinon de former deux bactéries, deux amibes, plusieurs fougères ? » F. Jacob (1970), La Logique du vivant, Paris, Gallimard, p. 12), autrement dit de parler de téléonomie (Jacques Monod), au lieu de finalité globale (téléologie). Ils pensent avoir matérialisé la finalité en la limitant à une téléonomie. Or, ce que Mayr sépare en deux directions de recherches, la biologie mécaniste et la biologie évolutionniste, doit aujourd’hui être ressaisi dans son unité réelle, faute de quoi notre concept de fin serait vide, et nos explications, aveugles. Il me semble ainsi que la synthèse incomplète que tentait la téléonomie doit être retravaillée, élargie, précisée, pour faire tenir ensemble biologie et anthropologie.
Olivier Rey
Votre remarque me fait penser à un sujet connexe concernant la biologie moderne. Quelque chose s’est passé au xixe siècle et encore plus au xxe siècle, quand on s’est mis à appeler la biologie « science de la vie », et qu’elle a été soumise non plus aux catégories aristotéliciennes mais aux catégories de la science moderne, c’est-à-dire à la physico-chimie. Ainsi, l’histoire naturelle est devenue la biologie moderne, non par ajout d’une seconde couche à la première, mais par remplacement.
Comme le disait François Jacob lui-même, « on n’interroge plus la vie aujourd’hui dans les laboratoires. On ne cherche plus à en cerner les contours. […] C’est aux algorithmes du monde vivant que s’intéresse aujourd’hui la biologie » (La Logique du vivant, p. 320-321). L’histoire naturelle a déserté les universités. Cependant, on peut séquencer les génomes et les triturer, étudier les réactions chimiques dans les cellules, sans que jamais on sache comment un loriot construit son ni, parce que pour cela, il n’y a pas d’autre méthode que d’observer des loriots dans la campagne. Je ne conteste pas la validité des travaux qui sont menés dans les laboratoires ni leur intérêt, je dis simplement que ces nouveaux travaux ne se sont ajoutés à ce qu’on faisait auparavant, mais les ont remplacés, et qu’aujourd’hui les biologistes qui étudient les mécanismes cellulaires pourraient même ne pas savoir à quoi ressemblent les plantes ou les animaux au sein desquels ces mécanismes prennent place. À cet égard, l’attitude de Jean-Paul II à propos de de l’affaire Galilée est intéressante. Jean-Paul II est le pape qui a reconnu, en 1992, que l’Église avait commis une erreur lors du procès intenté à Galilée en 1633, en confondant l’Écriture sainte avec des interprétations de l’Écriture sainte qui, en tant qu’interprétations, pouvaient être discutées. Cela étant, une dizaine d’années plus tard, dans une de ses conférences, il a aussi affirmé : « Pour ceux qui ont des oreilles attentives et dont les yeux ne sont pas voilés, la création constitue comme une première révélation, qui possède un langage éloquent : elle est comme un autre livre sacré dont les lettres sont constituées par la multitude de créatures présentes dans l’univers[20]. » Ces mots font écho à la célèbre déclaration de Galilée, affirmant que le livre de l’univers est écrit en langue mathématique et que « ses caractères sont des triangles, cercles et autres figures de géométrie ». Discerner dans la nature des créatures, des êtres vivants, ou bien des figures de géométrie, procède d’esprits différents, et cette différence retentit sur la façon qu’ont les êtres humains de s’appréhender eux-mêmes. La question n’est pas de savoir si l’idée galiléenne est légitime, mais si elle doit être hégémonique. Dans les dialogues de Galilée, l’aristotélicien est nommé Simplicio et fait montre d’un esprit borné conforme à son appellation. Je ne crois pas pareil mépris justifié.
Marie-Joëlle Guillaume
Pendant la période du Covid, on nous parlait de « sauver des vies », or « sauver des vies » était vu d’une façon très étroitement hygiéniste. Autrement dit, si l’on reprend votre analyse, il s’agissait uniquement de sauver la vie pour elle-même dans sa définition au ras des pâquerettes, et pas du tout l’être humain tel qu’il est. Il y a tout de même eu de la part des familles, en particulier chez celles qui n’ont pas été autorisées à voir un proche en train de mourir, ou à qui l’on n’a pas permis d’accompagner les obsèques, des réactions qui, me semble-t-il, visaient vraiment l’être au sens de l’âme, comme s’ils avaient dit : « On n’est pas des chiens. » Finalement, on nous a considérés comme des sortes de chiens à sauvegarder – je caricature peut-être un peu –, cela a été vécu quand même très durement par un certain nombre de gens qui en ont directement souffert. Peut-on rattacher cela à l’évolution philosophique, au fait qu’aujourd’hui on n’a plus de repères – pas même scientifiques – ou à la volonté de puissance d’un certain nombre de gens ? Car on constate que le Covid a été l’occasion pour certains de prendre la main sur un certain nombre de situations et surtout d’êtres humains… Comment l’analysez-vous ?
Olivier Rey
Nous sommes dans une situation de confusion extrême, dont on trouve un exemple emblématique dans les définitions actuelles du mot « vie », telles que je les ai citées (« l’ensemble des phénomènes et des fonctions essentielles se manifestant de la naissance à la mort et caractérisant les êtres vivants », « l’activité propres aux êtres organisés », ou, plus savant, la vie comme « système capable d’autoproduction et d’autoconservation à travers un réseau régénératif de processus qui s’étend à l’intérieur d’une frontière qu’il a lui-même constituée et qui se régénère lui-même à travers des interactions cognitives ou adaptatives avec le milieu », etc.) D’un autre côté, résonne encore à nos oreilles l’affirmation du Christ : « Je suis la vie. » Or il est évident que quand le Christ dit « Je suis la vie », il ne veut pas dire : « Je suis l’activité spontanée propre aux êtres organisés. » Cependant, à partir du moment où la référence chrétienne s’est trouvée marginalisée (ce que Marcel Gauchet a appelé la « sortie de la religion), quelque chose de la sacralité attachée à la vie dont parlait le Christ s’est trouvé rabattu sur la vie organique. Le président Emmanuel Macron a maintes fois parlé, pendant la pandémie de Covid, de « sauver des vies » – là encore, la référence à un salut est signifiante. Mais pourquoi fallait-il sauver des vies ? Pour pouvoir simplement maintenir le fonctionnement de systèmes organiques ? Ou bien la vie n’est que cela, et on comprend mal pourquoi il faudrait attacher tant d’importance à sa continuation. Ou bien elle est aussi autre chose, et dans ce cas on devrait en tenir compte, et ne pas humilier cette part au nom de statistiques vitales. On m’a raconté une anecdote terrible : un vieux prêtre confiné dans sa chambre d’EHPAD, sans pouvoir en sortir ni voir personne, parce qu’il fallait justement sauver sa vie ! Or il suppliait de le laisser sortir ! Il criait : « Laissez-moi sortir ! C’est parce qu’on ne laisse pas les vieux sortir quand il y a des épidémies qu’après, les gens sont pour l’euthanasie ! » Au passage, je note que dans les revendications actuelles en faveur de ce qu’on appelle l’« euthanasie », il y a dans certains cas quelque chose de cet ordre qui s’exprime : la peur de voir sa vie réduite au simple fonctionnement des organes, entretenu par une machinerie hospitalière. Les protestations du vieux prêtre sont à cet égard éclairantes.
Par ailleurs, il n’est pas douteux que certains ont vu dans la crise sanitaire une fenêtre d’opportunité à saisir afin d’accélérer les mutations en cours et de mettre en place des dispositifs de contrôle devant lesquels en temps normal la population aurait rechigné, de « numériser » tous les aspects de l’existence et de faire progresser la gestion managériale du cheptel humain.
[1] La Terre est un être vivant. L’hypothèse Gaïa [Gaia: A New Look at Life on Earth], trad. Christel Rollinat et Paul Couturiau, Paris, Flammarion, coll. « Champs », 1993.
[2] The Vanishing Face of Gaia. A Final Warning, Victoria (Australie), Allen Lane-Penguin Books, 2009, chap. 7, p. 125.
[3] Le Hasard et la Nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, Paris, Le Seuil, 1970, chap. I, p. 32-33.
[4] Critique de la faculté de juger [1791], trad. Alexis Philonenko, Paris, Vrin, coll. « Bibl. des textes philosophiques », 1993, § 75, p. 335.
[5] De l’âme, II, 4, 415a.
[6] Somme contre les gentils, III, quest. 122.
[7] Somme théologique, Ia, quest. 63, art. 3.
[8] Le Hasard et la Nécessité, op. cit., chap. I, p. 26.
[9] Jacques Dewitte, note à l’article de Robert Spaemann, « Téléologie de la nature et action humaine », in Jacques Dewitte et al. – Phénoménologie et philosophie de la nature, revue Études phénoménologiques, tome XII, n° 23-24, Bruxelles, Ousia, 1996, p. 53.
[10] Le Phénomène de la vie. Vers une biologie philosophique [1966], trad. Danielle Lories, Paris/Bruxelles, De Boeck Université, coll. « Sciences, Éthiques, Sociétés », 200, Essai IV, V, p. 117.
[11] Lettre de Charles Darwin au botaniste Asa Gray, 3 avril 1860.
[12] Législation primitive, considérée par la raison [1802], livre I, chap. II, VIII.
[13] Essai analytique sur les lois naturelles de l’ordre social [1800], chap. IV.
[14] « De l’état natif et de l’état naturel », article du Mercure de France, n° 4, an VIII.
[15] Cahiers de Marseille, VI (hiver 1941-1942), in Œuvres, éd. Florence de Lussy, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 1999, p. 858.
[16] Lettre à James Henry Leuba (1904), cité par R.B. Perry, The Thought and Character of William James: Briefer version, New York, George Brazier, 1954, p. 266.
[17] Selon Eric Voegelin, « l’essence de la modernité consiste en un accroissement du gnosticisme » [La Nouvelle Science du politique. Une introduction [1952], trad. Sylvie Courtine-Denamy, Paris, Le Seuil, coll. « L’Ordre philosophique », 2000, p. 183], à travers une « immanentisation » de ses objectifs – il ne s’agit plus, par la gnose, de libérer l’esprit de sa prison charnelle mais, par la puissance technologique, d’assurer un règne sans partage de l’esprit sur la matière.
[18] L’Agneau mystique. Le retable des frères Van Eyck, Paris, L’Œuvre, 2008, p. 15.
[19] Les Carnets de Malte Laurids Brigge [1910], trad. Claude David, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 1991, p. 27 et 33.
[20] Audience générale du 30 janvier 2002 (http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/audiences/2002/documents/hf_jp-ii_aud_20020130.html).