Séance conclusive autour de Pierre de Lauzun, Pierre Deschamps, Emmanuelle Hénin, Rémi Sentis, Père Jean-Christophe Chauvin, Jean-Didier Lecaillon, Jean-Luc Bour et Joseph Thouvenel

 

Marie-Joëlle Guillaume

Chers amis, d’abord merci de votre présence ce soir, merci aux quelques membres qui ont bien voulu s’inscrire pour nous offrir leurs réflexions. Comme je vous l’ai annoncé, cette séance est un peu spéciale, puisque nous devions comme d’habitude avoir un conférencier pour introduire nos échanges, et qu’il s’est trouvé indisponible. Le thème qui lui avait été confié l’a donc été finalement à plusieurs d’entre vous, à savoir « Que faut-il transmettre à nos enfants pour que la France renaisse ? Il est convenu que vos interventions dureront environ cinq minutes chacune. Merci de bien vouloir vous respecter ce format, qui n’empêche pas d’offrir un message substantiel. Plusieurs d’entre vous ont bien voulu, à notre demande, donner un titre à leur intervention ; nous commençons avec Pierre de Lauzun sur le thème « Comment peut-on transmettre à contre-courant de la société sans s’en isoler ? ».

 

 

 

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COMMUNICATIONS

 

Pierre de Lauzun

S’agissant de ce qu’il faudrait transmettre et notamment de ce qu’il faut selon moi transmettre aux enfants – ceux sur lesquels on a une responsabilité directe, enfants ou petits-enfants – le contenu ne me paraît pas poser problème, je ne vais donc pas m’étendre sur ce point. En effet, pour moi, il s’agit du vrai, du beau, du bien, du sens de l’honneur et de la responsabilité. Le problème, c’est que ces choses-là allaient complètement de soi à une époque, même si nous ne les comprenions pas tous exactement de la même manière, mais que ce n’est absolument plus le cas aujourd’hui. Nous sommes dans une société qui ne fonctionne pas du tout de cette manière-là, que ce soit dans la culture supposée commune, ou dans les écoles en particulier. Le problème consiste alors à savoir comment s’organiser en n’ayant qu’une confiance moyenne dans les gens à qui l’on confie ses enfants, tout en sachant que ces derniers auront à vivre dans cette société et qu’on ne peut pas les isoler de l’ambiance générale.

Par conséquent je pense qu’il y a un besoin très fort de réflexion théorique sur la stratégie à mener en la matière, avec des conséquences immédiatement pratiques. Si je prends mon cas personnel, quand mes enfants ont commencé à aller à l’école, j’étais dans un climat naturel de confiance, et j’avais le sentiment que malgré des références politico-religieuses un peu différentes, l’enseignement correspondait grossièrement à peu près à ce que j’attendais. Mais les années passant, avec mes enfants mais surtout avec les générations d’après, j’ai bien vu que l’école ne correspondait plus du tout à ce qu’on pouvait en attendre auparavant. Ainsi, le risque est double : d’une part de ne pas voir ce problème, et d’autre part, en sens inverse, de surréagir et par exemple de mal interpréter la voie bénédictine de Rod Dreher[1]. Certains comprennent en effet cela comme un appel à l’isolement et à une coupure d’avec la société. Or, outre le fait qu’une telle attitude ne me paraît pas conforme à la logique d’une pensée chrétienne en général et catholique en particulier, cette injonction me semble contre-productive, puisque de toute façon toutes ces personnes et tous ces enfants une fois devenus grands seront immergés dans la société.

 

Il nous a été demandé par ailleurs de proposer des mesures concrètes. De mon côté j’ai deux idées particulières qui visent à desserrer cette atmosphère trop univoque et pas nécessairement positive. La première, c’est celle des écoles et d’abord des écoles hors contrat – ce n’est un secret pour personne que j’ai participé pendant des années à la Fondation pour l’école, qui soutient la création de ce type d’écoles. Mais au-delà des écoles hors contrat, l’idée importante, c’est la réforme de l’Éducation nationale. Chacun sait que l’Éducation nationale est devenue, comme je le rappelle régulièrement, la plus grosse institution ‘’soviétique’’ subsistante, posant très exactement les mêmes problèmes que l’Union soviétique, non seulement par son côté monolithique, idéologique et totalement régi par le haut, mais aussi par son inefficacité. J’ajoute le problème qu’elle pose en termes financiers, puisqu’elle dépense davantage qu’ailleurs pour un résultat qui, mesuré objectivement, est moins bon. On a donc un problème majeur de ce côté-là. En abordant le problème de l’Education Nationale par l’aspect financier et pratique, on a incidemment l’avantage de ne pas être attaqué idéologiquement, mais bien entendu on ne peut sous-estimer le problème du monolithisme idéologique qu’il faudrait desserrer.

Le deuxième aspect qui me paraît extrêmement important mais dont on parle beaucoup moins, c’est le problème des subventions aux associations. Nous sommes dans un pays où il y a un système massif de subventions d’associations par les collectivités locales et par l’État ; une très grande partie de ces subventions sont accordées sur des critères de copinage ou des critères politiques fortement marqués par les idéologies dominantes. Or il s’agit de l’argent des citoyens – question qui n’est jamais posée, alors qu’il s’agit d’un problème majeur. Il y a en effet un relais idéologique considérable constitué par tout un ensemble d’associations qui ne subsisteraient pas sans cette aide publique. Le cas du Planning familial est bien connu, mais il y en a beaucoup d’autres qui sont dans ce cas-là, et c’est clairement quelque chose qui, même dans la simple logique du fonctionnement démocratique, est une totale aberration. Tout le monde voit très bien que lorsqu’il y a un consensus, par exemple pour aider le club de foot de la ville, on considérera que le financement peut être utile, et en tout cas personne ne s’y opposera. Mais c’est beaucoup moins évident pour des associations idéologiques et subventionnées, dont il ne s’agit pas de restreindre la liberté, mais de modifier les règles de financement. Actuellement la fiscalité permet de déduire en gros les deux tiers des dons faits à la plus grande partie des associations, ce qui permet aux gens de contribuer à leur fonctionnement ; d’autre part les citoyens, par leur choix fiscal, témoignent du fait que l’association correspond à une réalité. Alors que dans la plupart des cas, les associations qui vivent de subventions n’ont qu’une base très faible de gens qui spontanément leur donneraient leur temps ou leur argent. Or par ce biais-là elles peuvent arriver à prospérer, et surtout à influencer massivement le débat public.

 

Marie-Joëlle Guillaume

Merci Pierre ! Vous vous demandiez comment transmettre à contre-courant sans s’isoler. C’est un appel au discernement. Or tel est précisément le thème de réflexion qu’a choisi Pierre Deschamps : « Dans une société déboussolée, transmettre à nos enfants le réflexe et la pratique du discernement ». Nous l’écoutons.

 

Pierre Deschamps

Quand j’ai découvert la question « Que faut-il transmettre à nos enfants pour que la France renaisse ? », je me suis demandé à qui l’on posait la question, et plus précisément si on la posait à tous les parents, éducateurs etc., ou si l’on se limitait aux parents chrétiens. Il me semble que le Père Jean-Christophe Chauvin va répondre tout à l’heure en ce qui concerne les parents chrétiens, puisqu’il nous expliquera que ce qu’il faut surtout leur transmettre, c’est la foi. De mon côté, j’ai donc pris le parti de répondre à la question pour une population plus large, celle que constituent les parents, les éducateurs, etc., quelles que soient leurs opinions et leurs convictions. Il me semble en effet que l’AES ne doit pas s’adresser qu’aux chrétiens, et qu’elle a vocation à s’adresser aussi aux autres. D’où le titre que j’ai choisi et que Marie-Joëlle a rappelé : « Transmettre à nos enfants le réflexe et la pratique du discernement ».

J’ai choisi ce thème, même si je ne suis pas le plus compétent autour de cette table pour disserter sur le discernement, mais je vais quand même le faire. Discerner, au départ, c’est distinguer des choses, et puis avec le temps il s’est agi de distinguer, de différencier des idées, des opinions, des promesses, et cette différenciation est opérée par notre intelligence. Le discernement consiste à distinguer le vrai du faux, le bon du mauvais, le juste de l’injuste, le permis de l’interdit, le bien du mal, le manipulatoire, le démagogique, de ce qui est présenté de manière sincère, etc. Et plus généralement, l’enjeu est de savoir distinguer les conséquences à long terme de ce qui semble sans conséquence pour le moment. Le discernement est comme une lanterne dans le brouillard ; il permet d’éclairer ce qui semble encore peu visible dans les faits, les gestes, les ressentis et les influences. Le discernement sensible, lui, permet de voir avec le cœur ce qui ne se voit pas avec la simple observation ; il permet d’être attentif à ce que les uns ressentent et pensent, et qui est souvent peu apparent à première vue. On peut citer à cette occasion la célèbre phrase de Saint-Exupéry : « On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux ». Et donc la pratique de ce discernement permettra de se forger au fil du temps un esprit critique.

J’ai noté différents apprentissages à maîtriser par les enfants dans la perspective du discernement. Par exemple, apprendre à bien se connaître soi-même, aller à des sources fiables d’informations – il sera question l’année prochaine, dans notre thème de travail, de l’influence néfaste des réseaux sociaux et d’autres pratiques numériques. Il y a aussi la capacité à pratiquer une écoute active, à prendre le temps de questionner et d’approfondir, à évaluer les conséquences des choix, ou enfin à parvenir à l’objectif poursuivi, qui est de développer la pensée critique. Quant aux parents, aux enseignants et aux éducateurs, il leur faut accepter les erreurs de raisonnement des plus jeunes en leur expliquant l’origine de leurs erreurs. Enfin, dernier point, il importe d’être soi-même exemplaire, et de faire preuve de discernement face aux jeunes, quand ils développent des raisonnements, quand ils énoncent leurs opinions, quand ils prennent parti.

 

Marie-Joëlle Guillaume

Merci beaucoup, je vois que chacun respecte les temps et va à l’essentiel, cela nous promet de beaux échanges ensuite. Je vais demander à Emmanuelle, si elle le veut bien, de prendre la parole maintenant, car le thème de son message « Transmission, la nécessité de regarder l’avenir en face », me semble s’imposer à ce stade.

 

Emmanuelle Hénin

Le diagnostic quant à l’état de délabrement de notre éducation a été posé depuis quarante ans, et je le partage entièrement, en voyant des étudiants qui à force de méconnaître la langue, sont devenus incapables de penser et dépourvus de tout repère historique. La massification de l’enseignement n’est pas la principale cause de l’effondrement : les milliers de cartes postales des poilus conservées, qui ne contiennent aucune faute d’orthographe, montrent qu’il est possible d’amener une classe d’âge entière à partager une langue et une culture communes, et c’est cette langue et cette culture qui ont longtemps fait la force d’attraction et d’assimilation de notre pays. Et je dirais qu’il y a plus grave encore que l’inculture aujourd’hui, c’est la violence des jeunes. J’ai écouté récemment une émission sur cette escalade de la violence des jeunes qui s’entretuent, c’est effrayant.

La cause profonde du désastre tient à l’égalitarisme effréné et totalitaire embrassé par les idéologues zélés de l’Education nationale depuis 1975 (loi Haby) et qui continue à sévir. Cet égalitarisme implique la destruction de toute hiérarchie, entre bons et mauvais élèves, entre élèves et professeurs, entre grands auteurs et textes insignifiants, entre langage soutenu et langue parlée. Or sans hiérarchie, sans échelle à gravir, on ne peut élever personne, et le mot élève n’a plus de sens. Enfin, l’omniprésence des écrans dans les collèges, lycées et universités a porté le coup de grâce à toute tentative de transmettre, en faisant de la lecture un effort insurmontable et rédhibitoire, et en détruisant la capacité de concentration des jeunes gens (la capacité d’attention tourne autour de 9 secondes, celle du poisson rouge, selon Bruno Patino). Pire encore, les écrans représentent l’apogée de la conspiration contre toute espèce de vie intérieure, que dénonçait Bernanos dans la modernité. Seule consolation que j’ai eue cette année auprès des étudiants de 1e année : après m’avoir entendue leur parler de leur aliénation aux écrans, ils m’ont applaudie à tout rompre. Signe qu’ils ont besoin de se l’entendre dire, mais ils n’ont pas la capacité de résister : ils sont doublement victimes, de la société de consommation et de la démagogie éducative qui s’asservit à cette société.

Si le diagnostic est posé depuis longtemps, le remède l’est aussi et il est mis en œuvre dans des structures privées hors contrat, comme les écoles du réseau Espérance banlieues et Espérance ruralité. Il faut réhabiliter l’élitisme républicain, l’excellence pour tous, et transmettre l’amour de la France et l’envie d’un destin commun.

 

Le problème n’est donc pas de trouver le diagnostic ni les remèdes (nous sommes tous d’accord sur ce point), mais de réfléchir aux conditions de possibilité d’un redressement, d’une renaissance. Dans l’état actuel de la France, la pente vers le pire, la course à l’abîme (comme nous l’a encore montré notre président de la République) est difficilement réversible, ou plutôt on voit mal par quel miracle elle s’inverserait. De la Révolution française à la fin du XXe siècle, la logique de la modernité a cohabité avec les structures chrétiennes, donnant l’illusion que le progrès technique était compatible avec le progrès social, mais l’effacement complet de ces dernières laisse la place à un nouveau paganisme, un monde non seulement post-chrétien mais aussi post-humaniste, où la différence entre une personne, une machine et un animal est de plus en plus contestée.

Olivier Rey en est convaincu : la matrice de la modernité est la démesure, et cette démesure croissante ne peut que dévorer et détruire ses enfants. Il disait, en conclusion d’une conférence intitulée « Vivre dans une société boursouflée » : « Je crains que nous ne soyons plus capables d’éviter l’effondrement. Ce qui importera alors, c’est de ne pas s’affoler, de ne pas céder à la panique. Le plus important aujourd’hui, me semble-t-il, ce n’est pas de consacrer nos énergies à prolonger les jours d’un monde subclaquant, mais de préserver et cultiver avec d’autres les ressources qui nous rendront capables, sur les ruines du Léviathan, de rebâtir un monde peuplé d’entités diverses, libres et bien proportionnées ». Rod Dreher ne dit pas autre chose dans Le pari bénédictin : « Allons-nous couler avec le navire parce que la seule idée de grimper dans des chaloupes nous effraie ? Personne n’est capable de résister seul, tant sont puissantes les forces à l’œuvre contre le christianisme authentique. »

Comme Alasdair MacIntyre, Rod Dreher compare notre situation à celle de la fin de l’Empire romain. Sur les ruines du paganisme, de solides communautés permirent alors de recréer un ordre et une nouvelle civilisation, notamment les communautés monastiques fondées par saint Benoît de Nursie. Il préconise donc de transmettre à nos enfants l’anthropologie chrétienne et de les tenir le plus à l’écart possible des influences contraires, notamment des écrans. Il faut travailler à sauver l’essentiel, sans se décourager, à semer des graines dont nous ne récolterons pas les fruits. « Les barbares, parmi lesquels je range les élites, les médias et les autres grandes institutions des cultures occidentales, finiront par s’épuiser, et la culture par renaître, mais ce n’est pas pour demain. En attendant, les chrétiens vont devoir se renforcer pour résister à la colonisation des esprits et des cœurs. » (Dreher)

Concrètement, des expérimentations ont lieu : des laïcs se regroupent avec leur famille pour mener une vie centrée sur l’essentiel, autour d’un sanctuaire ou d’un monastère en activité ou désaffecté. Eco-hameau chrétien à la Bénisson-Dieu ; ou habitat partagé autour de monastères, comme Notre-Dame de la Chaux en Saône et Loire. Le projet Monasphère a été imaginé pendant le Covid, et salué par Rod Dreher : « Si le projet Monasphère fonctionne, alors les familles catholiques trouveront des moyens de vivre leur foi en communauté, tout en étant ancrées dans le monde. (…) Dans notre monde postchrétien, les croyants ont besoin de communautés fortes de fidèles. » Autre exemple, le projet « Jericholoc Paris » compte 4300 membres ; c’est un projet de colocations entre chrétiens rencontrés sur les réseaux sociaux. Leur fondateur, Raphaël Garnier, le définit comme « une structure bien plus ressourçante [que métro boulot dodo] : prière, service et partage ! Une Jericholoc, c’est juste des colocs qui décident de mettre un peu de fraternité et un peu de prière dans leur vie quotidienne ». C’est aussi le succès des propositions d’habitat partagé chrétien à vocation solidaire, comme l’Association pour l’Amitié ou l’Association Lazare.

Il reste un motif d’espoir : la France est le pays où la jeunesse catholique est la plus dynamique d’Europe, et la seule en Europe à faire ce genre d’expérience, qui donne à penser que le « petit reste » sera capable, après l’effondrement des utopies post-humanistes, de rebâtir une société chrétienne, et pleinement humaine.

 

Marie-Joëlle Guillaume

Merci, Emmanuelle, pour cette perspective d’espérance. Nous enchaînons avec le propos de notre secrétaire général, Rémi Sentis, sur « La grandeur de la paternité face au drame de sa destruction ».

 

Rémi Sentis

Les pères de famille sont les derniers grands aventuriers du monde moderne, nous rappelait Péguy. Mais les jeunes gens de maintenant refusent de s’engager, l’âge moyen des hommes au moment du mariage est désormais de 40 ans, et trop souvent dès qu’une grossesse s’annonce, leur premier réflexe est : IVG. Comme le disait Philippe Oswald dans son livre publié il y a 26 ans, Debout les pères, on assiste à une éclipse sans précédent de la figure du père. Le père, c’est celui qui se lève tôt, qui se lève la nuit lorsque le petit fait un cauchemar, qui sait mettre des limites, qui sait punir en cas de comportement violent. Les sociologues, les psychologues, les éducateurs, le rappellent de façon de plus en plus pressante : une société sans père est une société sans repères, elle dégénère dans un cortège de violence. Premier point. Mais sur la place du père, les puissants qui nous gouvernent sont schizophrènes : certes ils sont d’accord avec le constat précédent concernant la violence, mais ils font tout pour saper l’autorité paternelle, en prétendant que même sa présence dans la famille est anecdotique, et ils entendent même réduire le rôle du père à un acte purement mécanique, celui du géniteur. Cela s’inscrit dans la dérive du droit de la famille : cela a commencé timidement en 1985, avec la loi qui autorise de remplacer le nom patronymique de l’enfant par un autre se référant à la mère. Il y a eu surtout la loi de mai 2013 instituant la double filiation maternelle, et son corollaire, la loi autorisant la PMA unisexe, avec laquelle la suppression définitive de la paternité est devenue tellement banale. Alors, petite parenthèse sur ce point, grâce à cette loi sur la PMA unisexe, il y a eu au moins 6000 premières tentatives de PMA sans père l’année dernière, environ la moitié avec des mères célibataires et la moitié avec des couples de femmes lesbiennes. Ce nombre, c’est quatre fois le nombre des demandes de PMA avec dons de sperme pour les couples hétérosexuels. Donc la fabrication de ces milliers d’enfants que l’on aura délibérément privés de père a un coût pour les finances publiques. Par divers recoupements, on peut l’estimer à au moins 180 millions d’euros par an : les coûts des actes de PMA, le fonctionnement de l’Agence de biomédecine, l’amortissement des nouvelles installations, sans compter les arrêts de travail, les consultations psychiatriques etc., cette prise en charge par l’agent public n’est pas anodine, cela rend la société entière complice de l’effacement de la paternité. Nous avons bien fait de manifester pour nous opposer à cette dérive diabolique en 2012-23.

Autre point et conclusion : la crise de confiance dans l’avenir, qui est à la source de l’effondrement démographique actuel, s’enracine dans la déconstruction de la paternité, elle s’enracine aussi dans le discours sur la famille promouvant, je cite : « la dislocation et le réaménagement de la matrice culturelle chrétienne », pour parler comme les sociologues qui sont bien en vue. Il est donc urgent de transmettre aux jeunes la grandeur de la paternité. Quand bien même de nombreux pères ont failli, et que certains ont commis des actes abominables, il convient d’insister sur la nécessité et la beauté de la paternité. Le père est celui qui donne, celui qui se donne, et l’incarnation du Fils nous a révélé ’amour du Père, de qui toute paternité au ciel et sur la terre tient son nom (Éphésiens, 3) ; la paternité suscite l’émerveillement, elle peut donc nous conduire à la transcendance, et si nos nouveaux clercs adoptent une attitude de méfiance vis-à-vis de la paternité, c’est sans doute parce qu’ils ont peur de cette transcendance. Merci.

 

Marie-Joëlle Guillaume

Merci Rémi, pour cette réflexion essentielle et si peu exprimée dans le débat public. Au stade où nous en sommes, je pense qu’il faut en venir directement maintenant à l’aspect spirituel, je vais donc donner la parole au Père Chauvin.

 

Père Jean-Christophe Chauvin

Que faut-il transmettre à nos enfants pour que la France renaisse ? La réponse qui me vient simplement, c’est « la foi », car la foi donne la vie éternelle, et il n’y a rien de mieux pour renaître ! De quoi meurt en effet notre pays, de quoi meurent nos jeunes ? D’individualisme d’abord, c’est-à-dire en fait d’orgueil, de manque d’espérance, de projet, de sens pour leur vie, de manque de culture, de racines historiques, de manque de repères, de modèles de saints à suivre, à imiter, d’une éducation au courage, aux vertus, à la maîtrise de soi, pour pouvoir avancer sur le chemin de la sainteté. Or la foi n’est-elle pas l’élément principal pour renaître de tous ces manques ? Je ne dis pas que la foi soit la seule réponse, et qu’il n’y a pas de réponse au plan naturel, mais je dis que la foi est la réponse principale et qu’il ne faut pas l’oublier.

Dans son discours aux Bernardins, le pape Benoît XVI nous a rappelé que ce sont les moines qui ont fondé la civilisation occidentale : éducation, littérature, musique, etc., mais que ce n’était pas ce qu’ils cherchaient. Ce qu’ils cherchaient, c’était Dieu ! Quaerere Deum était leur devise. Donc il y a beaucoup de réponses naturelles à la question posée, mais n’oublions pas la réponse surnaturelle : c’est en cherchant Dieu que la France pourra renaître. La foi qu’il nous faut donc transmettre doit être une foi vivante, pas seulement une liste de dogmes, mais une relation vivante avec Jésus notre Sauveur, une foi en particulier qui se transmette à travers des communautés vivantes, qu’Emmanuelle évoquait tout à l’heure ! Non seulement à travers des grands événements, comme les JMJ, le pélé de Chartres, le Frat, mais aussi dans des communautés de proximité et du quotidien. J’avais pensé aux patronages, aux scouts, aux aumôneries, aux fraternités de l’Emmanuel, mais il y a encore beaucoup d’autres choses qui existent dans ce sens-là.

Concrètement, je voudrais vous partager une expérience que j’ai pu voir sur le site d’Aleteia, qui rapporte que l’aumônerie de Bondy, en pleine Seine-Saint-Denis, est passée de 8 à 100 jeunes en une année. Pourquoi ? D’abord l’aumônier, en apprenant qu’il avait un cancer, a offert sa maladie pour les jeunes, et c’est sans doute une piste ; mais quand on demande à la jeune responsable ce qui s’est passé, elle répond que c’est Jésus, que c’est une vraie grâce. L’aumônier, grand admirateur de Don Bosco, veut leur offrir le meilleur : « Il y a parfois de la demi-mesure dans les aumôneries », observe-t-il. « Ici je leur demande un engagement de prière, de fréquentation des sacrements, en particulier de la confession. Autant de choses pleines d’espérance ». J’ai vu aussi sur internet que l’aumônerie de Trappes a vécu un phénomène semblable ; parmi ces jeunes, il y a une vraie soif de repères solides, de doctrine. J’évoquerai aussi les 7000 adultes, dont la moitié ont moins de 40 ans, qui ont été baptisés en France la nuit de Pâques, les 5000 catéchumènes adolescents de notre pays, qui sont aussi des signes. Les évêques eux-mêmes en sont surpris, car ce n’est pas le fruit d’une pastorale particulière ; là encore, me semble-t-il, c’est Jésus qui travaille.

Alors que faire concrètement ? D’abord prier car tout cela nous dépasse, et l’on ne prie pas suffisamment pour tout cela. Le père Le Prevost, fondateur des religieux de Saint-Vincent de Paul, disait que « nous serons forts, si nous sommes bien convaincus un jour que la prière est la seule grande puissance du monde, que c’est la plus noble et la plus haute des œuvres. » Ensuite, je pense qu’il nous faut accompagner et faire confiance aux jeunes qui rayonnent. Dans les patronages de ma paroisse, il y a deux jeunes, un garçon et une fille de 20-25 ans, qui ont été baptisés il y a 5 ans et qui rayonnent, au point qu’on peut, je pense, leur attribuer le doublement des jeunes à la messe dominicale au cours des trois dernières années. En écoutant ce qui se passe dans les aumôneries de Bondy ou de Trappes, j’ai ressenti la même chose : il y a toujours un jeune ou une jeune qui est là et qui rayonne. Donc ma conclusion, c’est l’encouragement à la vie de prière, et à l’accompagnement solide des jeunes qui rayonnent.

 

Marie-Joëlle Guillaume

Merci de nous donner ce témoignage qui ne voit pas seulement les adultes en « transmetteurs », mais aussi les jeunes eux-mêmes, ce qui est plein de promesses pour un renouveau ! Nous enchaînons avec vous, Jean-Didier : « Aimer la vie et éduquer pour que la France renaisse ».

 

Jean-Didier Lecaillon

La question qui nous est posée est une question délicate et complexe, mais essentielle, et pour y répondre dans le cadre imparti, je me risque à l’élargir quand même un peu au départ, sous forme d’une interrogation complémentaire, en quelque sorte, ou préalable. En effet, la question est « Que transmettre à nos enfants ? » et celle que je me pose est : « A quels enfants ? ». Dite autrement, la question de la transmission se pose seulement s’il existe une génération suivante, et donc le premier élément de réponse à la question posée, me semble-t-il, est de renforcer dans notre société le désir d’enfant. Je citerai ici au passage le pape Benoît XVI : « L’homme, la personne dans son intégrité, est le premier capital à sauvegarder et à valoriser. » Si je cite Benoît XVI, c’est pour ne pas vous choquer en utilisant cette notion de capital humain qui est souvent décriée, j’en ai bien conscience ; mais je pense qu’elle est décriée parce qu’elle est mal comprise, et elle est mal comprise parce qu’elle est insuffisamment étudiée, alors qu’elle pourrait pourtant nous offrir des perspectives d’action intéressantes. Alors certes c’est une notion que je mets en avant, comme je vous l’ai expliqué en d’autres temps, parce qu’elle a été remise à l’honneur dans la théorie économique récente ; mais je ne voudrais pas avoir l’air de faire un plaidoyer pro domo, je rappellerai simplement que cette notion de « capital humain » n’est pas nouvelle, on la retrouve chez les philosophes grecs, puis chez les économistes classiques, et au XIX siècle elle apparaît dans les réflexions de grands intellectuels catholiques tels Frédéric Ozanam.

Afin d’illustrer l’importance de cette référence pour répondre à la question posée, je pars d’une réalité anthropologique : la dignité de toute personne humaine suppose le libre arbitre, ou si vous préférez la reconnaissance de la liberté des enfants de Dieu. Et être libre, c’est choisir le bien, c’est donc pouvoir le faire, ce qui passe, et cela a été dit d’une façon ou d’une autre par ceux qui sont intervenus avant moi, cela passe par l’éducation, l’éveil de la conscience, la capacité d’analyse et l’intelligence des choses. Alors, puisqu’il nous a été demandé de faire aussi des propositions concrètes, sur ces deux points, renforcer le désir d’enfant et l’éducation, j’ai essayé de mettre quelques propositions en perspective.

En premier lieu, éduquer qui ? La réponse est : les petits d’homme. La première chose à faire pour assurer l’avenir, c’est donc d’aimer la vie, car derrière le désir d’enfant, je pense qu’il y a l’amour de la vie. Plus concrètement il convient d’étudier la réalité, puis les raisons d’une diminution du désir d’enfant, et de prendre les mesures pour la contrarier. Il s’agit d’accompagner, de contribuer à créer un cadre favorable à ce qui reste un investissement, un capital : le capital humain, la production d’hommes. De nombreuses mesures d’une véritable politique familiale doivent être envisagées et mises en œuvre dans cette optique. Ce n’est certes pas suffisant, mais c’est au moins nécessaire, l’argumentation pouvant tourner autour du développement durable, d’une vision positive de la société, de l’ouverture aux autres.

Les pistes d’action doivent d’abord tenir compte de la nécessité d’informer sur la dimension économique de l’importance de ce capital humain ou de ce désir d’enfant ; il s’agit aussi de promouvoir l’image « de la maternité », qui ne s’oppose pas à la paternité, et puis enfin de reconnaître l’investissement dans ce capital. C’est en réalité une notion de justice dont il s’agit de tirer les conséquences.

En second lieu il faut former, c’est-à-dire éclairer, mettre à disposition, soutenir ; le terme éduquer – le corps et l’esprit – est en fait le plus approprié. Je passe sur la question du corps, mais du point de vue de l’esprit, cela concerne la connaissance de l’histoire, la capacité d’analyse par l’acquisition de capacités intellectuelles ; j’en ai entendu quelques échos dans les interventions précédentes, la formation à la prise de recul et à l’esprit critique devrait être prioritaire, or c’est ce qui manque le plus actuellement. J’en témoigne en tant que professeur, mes étudiants n’ont plus l’esprit critique, on ne les incite d’ailleurs pas à l’avoir, pas plus qu’on ne les incite à l’ouverture à la spiritualité.

Concernant les pistes d’action, je pense qu’il serait bon de remettre au goût du jour l’idée d’une Ecole de parents – j’ai évoqué dans un livre à paraître d’ici l’automne cette idée d’une école de parents, qui vous est peut-être venue à l’esprit aussi. Car nous avons tous lu l’ouvrage de Madame Charlotte Chaunu à propos des Cent ans de l’AES ; j’y ai découvert que l’école de parents a en fait été fondée en 1931 par Andrée Butillard dans le cadre de l’Union féminine civique et sociale. Il n’y a donc rien de nouveau, mais peut-être pourrions-nous réinvestir cette belle idée.

Deuxième idée : investir dans la formation, la formation civique, la formation culturelle. Je citerai comme exemple qu’il faut reprendre, ou développer, ce qui avait été initié par Jean Ousset sous la forme de cellules de formation, soit, pour ceux qui connaissent, l’action d’ICHTUS aujourd’hui.

Dans cette perspective c’est une troisième idée que je vous transmets, il faudrait aussi encourager des productions éditoriales à l’image de ce que fait notre Académie, à condition de bien organiser leur diffusion.

Le don de la vie implique en effet un accompagnement multiforme : soins que les parents apportent aux enfants, besoins d’affection et de suivi psychologique de l’enfant, nécessité de répondre aux questions avec le souci d’assurer la meilleure insertion dans la société… Le capital humain qu’il s’agit de transmettre a bien des composantes physiques, morales, psychologiques, comportementales. Notons au passage que cela justifie le dépassement d’une vision productiviste[2] ; la définition retenue pas l’OCDE[3] semble plus réaliste dans la perspective envisagée dans cette courte présentation.

Je résumerai donc mon propos en disant que c’est l’amour de la vie qu’il faut transmettre à nos enfants d’une part ; et d’autre part qu’il convient d’assurer leur bonne éducation, le reste nous sera donné par surcroît, et la France pourra renaître.

 

Marie-Joëlle Guillaume

Merci beaucoup, Jean-Didier. Dans un instant je donnerai lecture à notre assemblée de la petite note que Joseph Thouvenel nous a fait parvenir, puisqu’il est aujourd’hui en voyage à l’étranger. Mais auparavant je donne la parole à Jean-Luc Bour.

 

Jean-Luc Bour

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais dire que je n’étais pas très à l’aise avec la deuxième partie de l’interrogation : « pour que la France renaisse ». J’étais mal à l’aise d’abord parce que mon éducation et ma vision ne s’arrêtent pas à la France ; en effet j’ai été marqué par Robert Schuman et tous les « pères de l’Europe », et ma vie professionnelle a eu une dimension internationale très forte. J’étais donc ennuyé de restreindre ma réflexion à la France.
D’autre part, en ce qui concerne la notion de « renaissance », j’ai bien entendu ce qu’a dit le père Chauvin, exprimant le fait que si l’on doit renaître, c’est parce que l’on est en train de mourir et que la renaissance est à prendre en un sens de résurrection. Mais pour moi le monde continue, or renaître voudrait dire revenir sur du passé, alors qu’il n’est pas question à mes yeux de revenir à un état passé, il s’agit uniquement de promouvoir l’avenir, de former le mieux possible les personnes pour qu’elles puissent aller vers un accomplissement spirituel.

Donc mon idée force est de rappeler que l’homme ne vit que de relations. Dans les évangiles cela se traduit bien évidemment par le commandement de l’amour, qui est le premier commandement, à savoir s’aimer les uns les autres comme le Christ nous a aimés. Ainsi la notion de service des autres doit-elle être primordiale, « les autres » désignant ceux du présent et ceux du futur ; et nous ne sommes que des gardiens protecteurs et développeurs du monde qui nous est confié. Selon moi, ces relations entre les êtres doivent se baser sur la vérité des faits et des réalités scientifiques, sans que cela empêche d’avoir de l’empathie à l’égard de ceux qui n’ont pas encore connaissance de cette vérité factuelle, et qui peuvent donc en avoir une perception différente ; il faut les écouter et essayer de les faire évoluer. La France et l’Europe sont des corps vivants qui se transforment, il est important de le comprendre en ayant conscience de notre histoire. Pour renaître, il faut d’abord comprendre d’où nous venons ; quelqu’un parlait de l’histoire tout à l’heure, or c’est tout un processus historique qui a permis le développement de l’homme, et de tout l’homme, parfois à travers des ruptures : j’ai entendu Emmanuelle parler des monastères qui sont advenus sur les ruines de l’Empire romain, par exemple.

Trois idées concrètes à mettre en œuvre dans nos familles : tout d’abord la mise en valeur par l’exemple, notamment du service à l’autre dès le plus jeune âge des enfants – et un enfant de 1 an et demi peut parfaitement percevoir cela. Sens du service qui doit être exercé aussi en dehors de la famille, de sorte que les plus âgés, dès 8, 9 ou 10 ans peuvent être éduqués par ce que font les parents et grands-parents en dehors de la seule cellule familiale. Ensuite, dans nos familles et à l’école, favorisons l’enseignement des sciences et surtout de la logique : causes, conséquences, et responsabilité face à la liberté de choix qui nous est donnée en tant que chrétien. Chacun est libre, et par conséquent responsable de ses actes. Il faut avoir compris que tout acte porte à conséquence, et c’est un enseignement tout à fait logique que les mathématiques aident à comprendre, que la physique aide à voir, ou même la chimie parfois plus encore grâce aux expériences de laboratoire. Il me semble donc important d’enseigner le sens des responsabilités et d’apprendre à exercer sa liberté par rapport au bien ou au mal. Troisième point : soyons des artisans de paix dans nos environnements familiaux, professionnels ou amicaux, développons le souci du bien commun qui permet le développement de chacun. On peut apprendre beaucoup de choses, mais s’il n’y a pas de vision du bien commun, gage de paix, qui repose aussi sur l’État de droit, personne ne pourra se développer.

 

Marie-Joëlle Guillaume

Merci beaucoup. Je vais vous lire le texte de Joseph Thouvenel, mais auparavant, une petite remarque à la suite de l’entrée en matière de Jean-Luc : oui, évidemment, la France n’est pas la seule concernée ; simplement, dans la mesure où nous avons conscience de la dégringolade de notre pays et où la France est notre prochain, on commence par elle. Voilà pourquoi nous avons mis l’accent sur la France, sans compter que c’est le thème de réflexion qui avait été défini dans le programme dès l’origine.

Joseph est allé tout à fait dans ce sens ? Voilà sa contribution :

« Que leur transmettre ? L’amour de la France, la fierté de leur pays, de sa culture, de ses racines chrétiennes, le fait qu’ils sont les héritiers et les dépositaires d’une histoire faite de travail, d’efforts, du labeur et des combats des générations précédentes, combats pouvant aller jusqu’au sacrifice de la vie. Chacun doit prendre conscience de son devoir de transmission, qui commence par donner l’amour de notre pays. Cette transmission débute dès le plus jeune âge par une éducation, une ambiance qui doit imbiber l’enfant, c’est donc le rôle de la famille ; encore faut-il que ces familles aient la capacité de le faire. Capacité qui se trouve renforcée ou annihilée par l’ambiance générale de la société, notamment par le traitement de l’information et le choix des divertissements proposés par les différents médias. Un des éléments fondamentaux pour l’appropriation de ces valeurs par le jeune est l’exemple : celui qui voit ses parents travailler incorpore consciemment et inconsciemment le travail comme une normalité ; celui qui voit ses parents tricher incorpore consciemment et inconsciemment la triche comme une normalité. L’école, du primaire au supérieur, devrait être le relais de cette transmission familiale ; au contraire, bien souvent, le monde enseignant transmet une contre-culture, inculquée sans prise de distance avec les théories fumeuses, propage une culture de la désespérance, quand ce ne sont pas des délires islamo-LGBT compatibles. Autant de chantiers aussi considérables qu’urgents qui nous concernent tous ».

 

Après toutes ces interventions dont je remercie vivement les auteurs, j’aimerais vous informer de ceci : nous avons reçu un texte intitulé « Propos sur la famille » de notre ami Jean-Paul Guitton ici présent, et d’autre part un texte du docteur Delarue – qui en raison de problèmes de santé ne peut pas être là aujourd’hui – sur le thème « Respect de la vie – Avenir de l’homme ». Ces deux textes de qualité ne sont pas présentés ce soir car ils sortent de l’épure de notre sujet, mais ils figureront sur notre site internet, puis dans nos Annales 2023-2024.

Avant de lancer notre débat, d’abord merci encore à tous ceux qui sont intervenus et qui ont bien montré notamment les finalités de la transmission ; je pense aux propos tenus sur la paternité, sur la maternité, sur le fait de pratiquer le discernement, de refuser la démesure, ou d’arriver à réagir ensemble. Permettez-moi d’ajouter une petite note personnelle, sur deux points. Le premier concerne la transmission de la culture, et, à cet égard, vous ne serez sans doute pas étonnés que j’insiste sur la littérature étant donné ma formation. Je ne donnerai qu’un seul exemple : je pense que l’on n’enfermerait pas la femme dans des idéologies destructrices – en tout cas, cela ne marcherait pas – si l’on avait poursuivi à l’école l’étude littéraire de nos grands poètes, et de nos grands écrivains de manière générale. En effet, il y a dans la littérature française une mise en valeur de la femme, un respect, une analyse fine des sentiments humains, que l’on est capable de percevoir ensuite dans la vie quand on les a découverts en classe. Si cette étude littéraire n’a pas été faite, si l’on n’a pas expliqué ces textes comme on le faisait du temps où j’étais élève ou jeune professeur (on s’est mis ensuite à les décortiquer selon des méthodes pseudo-scientifiques, en leur enlevant leur âme), il manque aux jeunes une qualité de regard sur la femme qui a pourtant marqué toute notre histoire et permis aux femmes d’y jouer un rôle éminent d’éducatrices et de civilisatrices. Quand on cherche à pénétrer le sens de notre littérature, on s’aperçoit qu’elle est intensément humaine, et profondément nourrie de christianisme… L’anthropologie chrétienne dans son ensemble peut se transmettre en douceur à travers elle.

Ensuite, il y a tous les aspects d’éducation morale : la ‘’morale de nos pères’’ n’était pas enseignée sans raison. Cela touche évidemment à ce qui a été dit par plusieurs d’entre vous, et à ce que nous disons sans cesse sur la nécessité de promouvoir la famille, ainsi qu’à votre idée d’école des parents, Jean-Didier – je sais que cela fait grand plaisir à Charlotte d’entendre évoquer Andrée Butillard, qui fut une grande personnalité.

C’est maintenant le temps du débat.

 

DEBAT

 

Jean Chaunu

J’avais juste deux remarques à faire sur le rapport à l’histoire, notamment dans ce que vient de dire Jean-Luc Bour au sujet de la notion de ‘’renaissance’’. Je suis très marqué par le livre de Rémi Brague Europe, la voie romaine qui explique que le propre de la romanité, c’est justement de percevoir l’ancien comme nouveau, et que l’Occident est marqué par une succession de renaissances qui sont à chaque fois des nouveautés, au sens où elles partent effectivement de l’ancien comme élément nouveau.

La deuxième remarque que je voudrais faire puisqu’il a été beaucoup question d’histoire, concerne la nécessité, à mon sens, de regarder l’histoire en face ; en effet l’un des grands problèmes aujourd’hui est d’arriver à briser le sortilège de ce que François Hartog avait appelé le « présentisme », qu’on pourrait appeler aussi le « présentisme isochrone », nous conduisant à l’impression de vivre depuis 50 ans dans une sorte de surplace. Or en réalité il y a trois générations à qui, me semble-t-il, n’ont pas été données les clés de l’histoire. Il me semble qu’il y a une libération qui passe aussi par la compréhension de l’histoire : si l’on rend aux trois générations la clé de leur histoire, qui est aussi l’histoire d’une révolution, peut-être aurons-nous aussi transmis quelque chose, un éclairage pour nos contemporains.

 

Général Ract Madoux

Merci beaucoup, évidemment on ne peut qu’adhérer à l’ensemble des interventions. J’ai la chance d’avoir des enfants, des petits-enfants, beaucoup de frères et sœurs, j’ai donc un observatoire très intéressant, génération par génération, de ce qui a été fait en matière de transmission. On voit ce qui fonctionne, c’est-à-dire ce qui permet d’arriver à préserver les conditions essentielles qu’on a pu connaître, aussi bien dans la famille que sur le plan religieux, avec la présence de prêtres jeunes et dynamiques, avec des mouvements de jeunesse comme le scoutisme, avec des écoles dans lesquelles il y a des repères, etc. Et en règle générale quand la famille tient bon, et que le comportement du noyau familial est bon, je dirais que les choses se passent bien. En revanche, dès qu’on enlève un des éléments que vous avez tous plus ou moins évoqués, c’est à une vitesse stupéfiante que la foi se perd : une génération suffit largement. Il suffit d’un mariage entre quelqu’un qui est d’une famille catholique pratiquante avec quelqu’un qui ne l’est pas et c’est fini au niveau des enfants, si enfants il y a.

Il est donc très intéressant d’analyser tous les facteurs, et de constater aussi qu’il y a des îlots d’espoir un peu partout, dont vous avez cité des exemples. Je ne suis d’ailleurs pas tout à fait d’accord avec vous, cher Père, tous ces catéchumènes qu’on a vu arriver dans l’Eglise sont le fruit du travail des prêtres, des diacres, et des laïcs qui se dévouent dans les paroisses, etc. ; les évêques évidemment trouvent cela merveilleux, mais en réalité c’est le fruit de tout un travail accompli, qui va évidemment dans le bon sens. En revanche, soyons réalistes, la proportion des catéchumènes dans l’ensemble de notre société française et a fortiori européenne – on pourrait s’intéresser à l’échelle mondiale mais cela nous concerne un tout petit peu moins – est dérisoire. Et, à moins qu’ils ne viennent à nous de l’extérieur, nous sommes face à un travail colossal. C’est un modèle très fragile, et il y a des adversaires de ce modèle, pour des raisons qui personnellement me dépassent, mais il faut lutter pied à pied contre ces adversaires en formant, en donnant le choix, le sens critique, tout ce que vous avez dit de façon fort pertinente.

 

Marie-Joëlle Guillaume

Merci beaucoup, effectivement tout ce qui a été dit sur le sens critique, le discernement, l’apprentissage du discernement, est essentiel dans la période de crise que nous vivons.

 

Nicolas Aumonier

Jean-Paul Guitton a fait parvenir aux membres du conseil une note dont il va sûrement nous dire un mot et qui porte principalement sur l’éducation morale aux vertus familiales. Je souhaiterais partir de là.

Il me semble d’abord qu’il y a une distinction à construire entre le transmissible et l’intransmissible. Du côté du transmissible, sans doute un équilibre entre l’amour de soi et l’amour des autres, mais non au sens où l’entendait Rousseau qui pensait qu’il y avait en nous deux principes, l’amour de soi et la pitié, mais qui cantonnait la pitié à n’être qu’un principe relatif, pouvant très bien ne pas se développer si nous vivions loin des autres, de sorte que tout se ramène chez lui d’une certaine manière à l’amour de soi ; or le Seigneur nous rappelle qu’il faut s’aimer soi-même pour aimer les autres. Et puis il y a toute cette culture à transmettre, qui repose finalement sur un amour de la vie. Du côté de l’intransmissible, la haine de soi et des autres, mais aussi la volonté de ne rien transmettre et bien sûr la culture et l’amour de la mort, non pas l’ars moriendi, cet art de mourir qui peut évidemment être considéré comme du transmissible, mais tout ce qu’il y a de glauque dans nos sociétés et de morbide. Il existe une vraie culture de vie, et une culture de mort, bien théorisées par feu notre Pape et saint Jean-Paul II. Il faut donc s’attacher à transmettre la culture de vie, et s’efforcer d’éteindre toute possibilité de transmettre la moindre culture de mort. C’est la raison pour laquelle il faut distinguer le transmissible et l’intrans­missible.

Deuxièmement, pour transmettre quelque chose, je crois qu’il faut avoir le sens du temps long, c’est-à-dire à la fois le sens de la langue, le sens de l’histoire, de l’histoire des sciences, des humanités, c’est-à-dire de ce que l’on aime et de ce que l’on transmet, et bien sûr spécialement l’amour des grands textes. Et tout cela est une mémoire, mais une mémoire pour l’avenir. Or seule la mémoire des personnes leur permet de faire mémoire.

Troisièmement, l’éducation aux vertus paraît nécessaire pour vivre et pour transmettre la vie. Les vertus morales sont passées aux oubliettes au motif qu’elles seraient démodées. Pourtant, aujourd’hui, tout élève suit un enseignement moral et civique, – l’EMC – dont le vide est absolument invraisemblable, à moins de parler non des valeurs de la République – toute valeur suppose une évaluation qui la fragilise -. mais plutôt des vertus millénaires de la République romaine. Les vertus civiques sont nécessaires pour construire sa vie et la transmettre. Bien plus, l’humilité, le respect et le service des autres ne doivent pas simplement être transmis, mais doivent être transmis pour être eux-mêmes transmis.

 

Marie-Joëlle Guillaume

Merci beaucoup. J’aimerais que l’amiral Carlier, qui devrait nous rejoindre bientôt au sein de l’Académie, veuille bien réagir aux propos qui ont été tenus.

 

Amiral Emmanuel Carlier

Merci beaucoup, Madame, de me donner le micro, je n’avais rien préparé de particulier, et ce que je vais dire a déjà été exprimé au fil des interventions, des communications des uns et des autres. En vous écoutant, je voyais deux mots ressortir, qui ne sont pas liés à la question du contenu de la transmission, parce que je pense que nous sommes globalement ici d’accord sur ce que nous voulons transmettre, mais plutôt liés à la façon de transmettre. Dans la transmission, le transmetteur ne peut pas s’exonérer de fournir un effort pour que le récepteur, c’est-à-dire l’enfant, le jeune, l’adolescent, et même peut-être l’adulte – on a toujours quelque chose à apprendre de ses anciens ! – soit placé, en tant que récepteur, dans de bonnes conditions pour recevoir ce qui lui est transmis.

Ces deux mots – ou vocables – qui me viennent donc à l’esprit, c’est d’abord l’entretien d’une culture générale développée – cela rejoint ce qui a été déjà dit, en particulier sur l’importance de la littérature, de l’histoire, etc. Cela signifie qu’il nous faut tout au long de notre vie développer notre culture générale. C’est ensuite la volonté de servir. Ce point me semble très important : on le mesure avec nos enfants, on le constate également avec les jeunes qu’on a pu encadrer – en tant que marin j’ai encadré des équipages de bâtiments de combat dont la moyenne d’âge était de 25 ans -, le bon transmetteur est celui qui sert. Cette notion de service a été abordée par l’un des intervenants de ce soir : celui qui sert, qui montre qu’il sert, doit nécessairement être exemplaire. Si l’on ne sait pas servir, si le récepteur ne voit pas que le transmetteur est quelqu’un qui sert, ce dernier aura beaucoup de mal à faire passer les éléments qu’il souhaite transmettre.

 

Hervé de Kerdrel

Je serai très bref. A la suite de ces échanges, la question que je me pose est la suivante : serions-nous tous ensemble à Berlin ou à Rome, aurions-nous sur le même sujet, en remplaçant la France par l’Allemagne, l’Italie, un échange d’une autre nature ? La question que nous nous posons vaut-elle pour la France, ou est-elle simplement un peu plus large, à l’aune de frontières de vieilles cultures européennes ? C’est la question que je voulais poser, ne voyez aucune tendance politique de ma part, ni fédéraliste, ni anti-fédéraliste, ni quoi que ce soit…

 

Marie-Joëlle Guillaume

Bien sûr, c’est une question de civilisation. Elle dépasse même l’Europe, car nous avons entendu deux fois au cours des exposés de ce soir nommer Rod Dreher, qui est américain et qui pose le même problème de fond. Je vais laisser la parole là-dessus à Pierre de Lauzun.

 

Pierre de Lauzun

Oui, je connais un petit peu les États-Unis, j’y suis allé régulièrement et j’y ai vécu. Or le problème se pose tout à fait dans les mêmes termes aux États-Unis, dont la culture est internationalement hégémonique.  Il faut toujours regarder ce qui se passe aux États-Unis, parce que cela va influencer assez fortement ce qui se passe ici. Ce qu’on constate aux États-Unis, c’est qu’effectivement il y a ce qu’ils appellent des « guerres de culture » extrêmement intenses. La différence avec nous, c’est qu’il y a beaucoup plus de résistance à l’idéologie dominante qu’il n’y en a chez nous. Mais le problème se pose de façon analogue et il y a plutôt tendance à des évolutions qui ne vont pas dans le bon sens. Par exemple, sur le plan religieux, la foi recule très nettement aux États-Unis ; ce qu’on avait connu chez nous il y a quarante ou cinquante ans, tend à s’y produire maintenant et de façon rapide. Dès lors je pense que la question se pose dans des termes très proches. Mais la différence, c’est justement ce que j’ai évoqué tout à l’heure, c’est-à-dire qu’il y a une plus grande pluralité de forces aux États-Unis, et il n’y a pas cette espèce d’emprise que donne en France la structure jacobine de l’État, l’organisation publique qui fait que tout cela est diffusé par l’école, ou par tout un milieu à prétention culturelle ou associative, très directement et massivement lié à l’appareil d’État. C’est la différence, et c’est probablement là où le système français est particulièrement marqué, spécificité issue évidemment de notre histoire.

 

Marie-Joëlle Guillaume

Merci beaucoup. Avant de conclure, Jean-Paul, vous souhaitez ajouter un mot.

 

Jean-Paul Guitton

La fiche que je vous avais envoyée et dont il a été question se situait plutôt dans la suite de notre séance du 16 mai. C’est la raison pour laquelle elle concernait essentiellement la famille. Cela dit, sur la question posée aujourd’hui, j’aurais buté moi aussi sur l’expression « pour que la France renaisse », mais nous venons d’en parler. Bien sûr, nous sommes attachés à la France, mais la question est plus large et dépasse notre seul pays. Je remercie Nicolas Aumonier d’avoir fort bien résumé celui de mes propos qui concernait la question posée, à savoir le souci de l’éducation morale. Personnellement je suis un fruit de l’enseignement public : à la « laïque », dans les écoles primaires, il y avait au tableau une maxime morale tous les matins et ceci me paraît très bon… Je ne sais pas depuis quand ça ne se fait plus, est-ce dès 1968 ou après ? Mais tout commence par-là : l’éducation morale, à l’école ou en famille, l’apprentissage du respect de soi, de la maîtrise de soi, autant de choses permettant ensuite de vivre en société en ayant le souci des autres. Cela rejoint d’ailleurs les thèses que Pierre de Lauzun et beaucoup d’autres ont évoquées, la question du bien et du mal, etc. Si on ne l’apprend pas dès le plus jeune âge, je pense qu’on manque quelque chose d’essentiel.

Enfin, ce qui n’est pas dans ma fiche mais que j’aurais voulu volontiers citer, c’est un souci de culture générale, il vient d’en être abondamment question. Mais qu’est-ce que la culture générale ? Il faudrait la définir. Par exemple, dans le « Jeu des 1000 francs » il y a 40 ans, les questions étaient vraiment des questions de culture générale ; aujourd’hui, au « Jeu des 1000 euros » qui lui a succédé, les questions touchent le plus souvent aux variétés, au sport et au cinéma. La culture générale n’est-elle pas plus vaste ? Il se trouve que j’ai fait partie d’un jury, il y a déjà plus de 30 ans à l’EMCTA – l’École Militaire des Corps Techniques et Administratifs – où il y avait une seule épreuve à l’oral, dite de culture générale. Il s’agissait de faire un exposé de 5 minutes sur une question tirée au sort, préparée pendant une heure, et il y avait ensuite une discussion fort longue, puisque l’épreuve devait durer 3/4 d’heure en tout. Les étudiants étaient à bac + 2, bac + 3, bac + 4. Or j’ai constaté à l’époque que les étudiants de bac + 2 ne savaient pas grand-chose de ce qu’on appelle la culture générale, qui correspond à ce que vous avez cité : l’histoire, la géographie, la littérature et dans une certaine mesure le cinéma, et les sciences – mais on ne peut pas aller très loin dans les sciences pour une épreuve de ce genre. C’était ce que l’on appelait autrefois les humanités.

Cela dit, les questions d’actualité font tout de même partie de la culture. Et je reviens à mon jeu des 1000 €, parce qu’aujourd’hui vous avez des jeunes qui ne connaissent plus rien à la géographie ! Je termine avec une belle citation que tout le monde devait connaître et qui est gravée au fronton du lycée de Saint-Cyr où se tenait le jury auquel je participais : « La véritable école du commandement, c’est donc la culture générale ». C’est une phrase de Charles de Gaulle qui conclut un développement, puisqu’il y a le « donc ». On peut étendre le sens du mot commandement à toutes les responsabilités, que ce soit dans l’entreprise ou ailleurs dans la société.

 

Joël Templier 

De mon côté j’ai un exemple de transmission que je trouve exemplaire, avec ce qu’a créé Philippe Hayat, soit avec www.100000entrepreneurs.com  dans le secteur de l’Éducation nationale. Philippe Hayat est plus jeune que moi et j’ai travaillé longtemps avec lui ; il est le petit-fils d’un fonctionnaire français en Tunisie qui travaillait visiblement bien et dont on a payé le voyage en France pour pouvoir payer des études à ses enfants. Philippe Hayat est un polytechnicien brillant, qui a estimé qu’il fallait réinjecter dans l’Education Nationale le sens de l’effort et la possibilité de réussir par le mérite en France selon un projet, etc. Or ce n’est pas vraiment ce qui est dit et communiqué, et d’ailleurs réformer l’Education Nationale par le haut est impossible : il y a les syndicats notamment qui ne laissent pas beaucoup de liberté pour réformer tout cela, sans compter qu’il faudrait des siècles.

Philippe Hayat a donc imaginé réformer par le bas et estimé qu’il y avait environ six millions d’élèves en Seconde, Première, Terminale, BTS, c’est à dire six millions de jeunes entre la Seconde et l’enseignement supérieur, auprès de qui il fallait témoigner. Il a calculé qu’il faudrait 100 000 entrepreneurs qui consacrent chacun deux demi-journées à 30 élèves pour toucher les six millions d’élèves. Donc il a cherché 100 000 personnes pour aller témoigner de ce qu’ils font, de leurs projets professionnels, de leur création d’entreprise, de leur évolution etc. Et j’ai participé à cela, muni d’un kit, car quand on se retrouve devant une classe de Seconde, ce n’est pas forcément évident ; donc nos témoignages sont préparés avec l’aide de ces kits, adaptés aux différentes classes d’âge ; tout cela est très bien fait pour pouvoir échanger. Philippe Hayat a aussi écrit un petit livre intitulé Entreprenez, par réaction et sous le même format que « Indignez-vous » de Stéphane Hessel, que d’ailleurs à l’époque j’avais communiqué à l’aumônerie, car il montre la possibilité en France de réussir « en se prenant en mains ».

Ainsi, je suis allé à Noisy-le-Grand pendant quelques années, trois années de suite, où j’ai été très bien accueilli par les professeurs. L’idée n’est pas de donner un cours mais de rendre possible la réussite professionnelle dans l’imaginaire des jeunes. En France on peut réussir si l’on veut, et lui-même en est un excellent exemple. Il a d’ailleurs créé ensuite un fonds [Serena Capital], pour moi c’est un exemple de transmission concret. Cet homme a d’ailleurs aussi fait un peu de politique au moment des centres de compétitivité mis en orbite par Nicolas Sarkozy, il était dans ces cercles-là. Parmi les mesures concrètes à prendre, je pense donc qu’il y a le fait d’aller sur le terrain. Le site www.100000entrepreneurs.com  fonctionne toujours, vous pouvez aller voir. Et puis peut-être certains d’entre vous irez témoigner de ce que vous avez entrepris dans la vie professionnelle ; je trouve que c’est un formidable exemple concret de transmission.

 

Général Ract Madoux 

Juste un mot pour dire que cela existe aussi au niveau des artisans ; il y a une initiative en cours actuellement mais qui est étendue à toute la France, où des artisans retraités invitent des élèves, de classes de Troisième, Seconde, à venir passer une journée ou deux de stage, et tout cela uniquement dans le cadre d’initiatives bénévoles, un peu hors système. Cela fonctionne très bien, cela s’appelle l’Outil en Main.

 

Marie-Joëlle Guillaume

Je crois que nous allons achever notre travail de ce soir avec l’armée. Je repense à ce que nous disait tout à l’heure Jean-Didier Lecaillon sur le capital humain, sur le désir d’enfant, et la nécessité à nouveau de transmettre cela, ce qui est un premier élément. Mais à travers tout ce qui a été dit ce soir, il ressort que la qualité des transmetteurs, dont il a été question tout à l’heure, et le fait qu’il y a de beaux exemples, tel celui de Bondy, montre que ceux qui sont actuellement en responsabilité, ou qui l’ont été mais ont encore des forces vives pour transmettre, sont appelés à ne pas renoncer.

Car pour qu’une transmission soit faite à nos enfants et petits-enfants, il faut d’abord qu’il y ait des gens qui décident de transmettre, et qui se disent, même s’ils ne sont plus tout jeunes : « Je ne suis pas désormais rangé sur le côté, je peux intéresser encore, du moment que j’ai la conviction d’un certain nombre de choses nécessaires, une expérience… ». Vous parliez des artisans, c’est un très bon exemple. Je crois qu’il y a là un vrai message d’espérance : si l’on ne reste pas dans son petit îlot personnel, il y a moyen de transformer la société.

En tout cas merci à tous, ce fut une belle séance de conclusion de notre année. J’ajoute que notre thème de l’année prochaine étant : « La responsabilité éducative : former des personnes libres », la séance qui vient de se dérouler apparaît comme un avant-goût de ce que nous étudierons bientôt. Je souhaite que ce soit aussi passionnant.

 

 

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En annexe au texte de la séance :

 

  • Une note du Docteur Delarue : « Respect de la vie – Avenir de l’homme»

 

  • Une note de Jean-Paul Guitton : « Propos sur la famille»

Respect de la vie – Avenir de l’homme

 

Deux événements récents marquent une évolution de notre société, dans un sens inquiétant : la constitutionnalisation de la liberté d’avorter et le projet de loi sur la fin de vie. L’un et l’autre indiquent, comme l’a dit Jean Leonetti, une « bascule anthropologique »; pour lui, ce projet de loi est le contraire de la fraternité.  S’est ajoutée, ces tout derniers jours, l’intention manifestée par le directeur de l’O.M.S., de donner un statut officiel au Centre des Droits Reproductifs (CRR), qui est un lobby radical de l’avortement et des droits sexuels, afin d’enjoindre les États qui ne l’ont pas encore fait, d’autoriser et libéraliser l’avoortement.

La tradition judéo-chrétienne avait sacralisé le respect de la vie humain, même s’il y a eu au cours des vingt siècles passsés de nombreuses entorses à ce précepte. Désormais, la morale religieuse est négligée, ignorée, quelquefois dénigrée, voire combattue et c’est maintenant le législateur qui décrète la morale, selon le principe que « ce qui est légal est moral ». Pire encore, on voit apparaître une inversion des valeurs, pour laquelle plaidait Frédéric Nietzsche : « les faibles et les ratés doivent périr et nous devons les aider en cela ». C’est évidemment tout à fait contraire à la dignité de l’homme.

La vie doit être aimée ; non seulement respectée, promue, célébrée, soignée, mais aussi désirée. La vie nous a été confiée, nous n’en sommes pas les maîtres absolus, mais les gardiens. Le droit à la vie ne comporte pas le droit de décider quand et comment y mettre fin. Celui qui aime la vie ne l’enlève pas, mais la donne ; ne se l’approprie pas, mais la met au service des autres ; et la maternité n’est pas un « asservissement » (Simone de Beauvoir) et encore moins une prestation, rémunérée ou non. C’est pourquoi il faut formellement s’opposer à la « gestation pour autrui » – nouvelle forme d’esclavage – comme aussi au bricolage hormonal et chiruirgical que constitue la « transition de genre », en contradiction frontale avec l’écologie, dont on se réclame à cor et à cri.

Cette éthique « ne constitue pas » disait Benoît XVI « une imposition dictée de l’extérieur à la conscience de l’homme, mais une norme qui a son fondement dans la nature humaine ellemême ». Mais à l’heure actuelle, la société est dominée par une conception positiviste du droit. Le relativisme éthique est dépassé par l’individualisme, la revendication du pouvoir et des droits individuels illimités, droit de chacun à l’autonomie, à s’autodéterminer. En dévoyant les droits qui découlent de la dignité de créature, la société mine sa propre légitimité morale.

Nous avons donc à transmettre en héritage cette conception sacrée de l’être humain, mise à mal par certains dispositifs ou projets qui touchent à l’anthropologie. L’être humain est corps, âme et esprit. Mais ce dernier est souvent oublié. La réflexion rationnaliste omet toute transcendance, toute réflexion sur la nature humaine, son identité, la finalité de l’existence.

L’homme, délié de Dieu, a oublié qu’il est habité par l’Esprit Saint et sauvé par la Grâce. À son apostasie, il a substitué les succédanés que sont les spiritualités New Age, les techniques de relaxation, de sophrologie, de ressourcement, qui font florès, comme le recours aux gourous ou aux voyantes en tout genre.

La déconstruction développée après Heidegger par Jacques Derrida, l’arraisonnement de l’être par la technique sont désormais convertis en processus de destruction, de décomposition par le biais du « wokisme » et de la « culture de l’annulation ».

Un autre point mérite réflexion : l’avènement à grande vitesse de ce qui est appelé « intelligence artificielle » et la perspective inquiétante rêvée par certains d’un homme augmenté, voire d’un transhumanisme,  affranchi des contraintes biologiques, pourraient aboutir à une véritable rupture avec l’espèce humaine, quand l’intelligence, la raison, la conscience même seront totalement élaborées, modelées, contrôlées par une machine, au-delà de ce que redoutait Georges Bernanos dans La France contre les robots. Il s’agit de dépasser les limites du corps, sa vulnérabilité et sa mortalité. Les perspectives transhumanistes sont celles d’une humanité qui doute d’elle-même, qui refuse sa fragilité et sa dépendance et qui n’a aucune espérance eschatologique. L’homme est devenu démiurge du monde et de lui-même

La philosophie morale contemporaine peut-elle apporter des réponses à cette évolution technologique qui s’annonce ? Le règne de l’hubris, de la démesure, de « ceux qui dévastent la terre » comme l’énonce l’Apocalypse, est une liberté déconnectée de toute vérité, soumise à l’arbitraire de la seule volonté de puissance. Le pape Jean-Paul II disait : « Si dans le domaine de la médecine et de la recherche biomédicale, les hommes se laissent conditionner par des choix égoïstes ou par des ambitions prométhéennes, il sera inévitable que la dignité humaine et la vie elle-même soient dangereusement menacées ».*

« Qui nous fera voir le bonheur ? » demande le psalmiste (Ps 4). L’expertise de la foi se révèlera déterminante dans les temps à venir.

La conclusion est donnée par le Livre de la Sagesse : « Vains par nature tous les hommes qui, en considérant les œuvres, n’ont pas reconnu l’Artisan […] Car la grandeur et la beauté des créatures font, par analogie, contempler leur Auteur » (Sg 13 : 1, 5).

 

La formation doit :

  • être philosophique, économique et politique,
  • être essentiellement pratique : apprendre à commenter, organiser, animer,
  • adresser des témoignages dans des secteurs multiples : milieux éducatifs, culturels, entreprises, associations , acteurs de la vie publique.

 

 

* Déclaration à l’Assemblée du Conseil pontifical pour la Pastorale de la Santé – 2 mai 2002

 

                            

                                                                                       François Delarue – 13 juin 2024 

 

 

 

Propos sur la famille

 

 

Confucius disait que, s’il devenait empereur, il ferait établir un dictionnaire pour rendre aux mots leur sens. Plus récemment Orwell a proposé la novlangue.

Beaucoup des questions dites de société sont touchées par une déformation voire une perversion du langage, notamment en matière familiale. L’évolution des mœurs et celle du langage se combinent parfois subtilement. C’est ainsi que la parentalité tend à remplacer paternité et maternité, qui, chacune, sont mal vues. Mais en procédant de la sorte, on a fait le lit de la théorie du genre, même si l’assimilation des fonctions paternelle et maternelle peut avoir quelques avantages.

 

On a longtemps considéré que la famille était la cellule de base de la société et nous pensons qu’elle doit le rester. Prenons cependant garde, tant la société se rend perméable aux nouveaux langages qui voudraient que la cellule de base de la société soit l’individu, ce qui correspond à l’individualisme grandissant dans notre monde. C’était une des affirmations de la sociologue Irène Théry qui a longtemps inspiré l’UNAF et les instances politiques françaises pour la définition de la politique familiale.

 

La politique familiale actuelle est très marquée par l’égalité des rôles des deux parents et la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle. Après une naissance, la mère est priée de retourner le plus vite possible à sa vie de salariée, puisque les tâches familiales et ménagères ne sont reconnues que si elles ne sont pas exercées par les parents eux-mêmes. Pour le reste les mesures en faveur des familles relèvent le plus souvent d’une politique sociale, tant la notion d’universalité est perdue de vue. Cependant la place tenue par les familles mono-parentales (selon un horrible oxymore !) pose des questions d’inégalité sociale, car elle s’oppose fondamentalement au principe d’égalité[4].

 

Dès lors la promotion des valeurs familiales classiques, pour ne pas dire traditionnelles, n’est pas facilitée. À vrai dire cela devrait commencer par une affirmation de ce qu’est LA famille (merci Confucius !) Il conviendrait de le faire au plus haut niveau, c’est-à-dire dans la Constitution, comme a su le faire la Hongrie. Il faudra bien un jour refondre la Constitution de 1958 et la purger des ajouts qui depuis soixante ans l’ont alourdie inutilement, à commencer par la reconnaissance de l’avortement.

 

Ensuite les mesures à préconiser pour redéfinir une politique familiale (et nataliste, pourquoi pas ?) …, on hésite à en faire une liste, sans envisager quelques préalables comprenant une indispensable résurrection de l’instruction morale à faire quotidiennement à l’école maternelle et à l’école primaire, en sorte que les enfants apprennent progressivement la maîtrise de soi et le sens des autres, ouvrant la voie à une vie harmonieuse en famille et dans la société.

 

Un accent particulier doit être mis, une réflexion doit sans doute être approfondie sur le principe d’universalité, puisque le souci de l’universalité est souvent oublié par les responsables politiques appelés à définir des mesures de politique familiale, mais également par bien des familles bourgeoises qui se satisfont, par exemple, du plafonnement des allocations familiales !

 

L’individualisme régnant paraît s’opposer à une saine vision de la cellule familiale. Cependant ne faudrait-il pas réfléchir à des évolutions possibles de la conjugalisation et de la familialisation en matière de fiscalité et de politique sociale ? Pour ne prendre que l’exemple des allocations familiales, elles sont accordées à chaque enfant, à partir du second, mais en réalité à l’un ou l’autre des parents. Est-ce un système juste, et notamment l’exclusion du premier enfant est-elle équitable ? Il y a probablement un mouvement assez puissant en faveur de l’individualisation de l’impôt sur le revenu. Aussi est-il nécessaire d’étudier cette question dès maintenant.

Parallèlement la remise en ordre des quinze à vingt mesures que gèrent les CAF, en référence au principe d’universalité, obligera sans doute à examiner la question du revenu universel, dont il conviendrait de dire en quoi il ne serait pas conforme à la doctrine sociale.

 

On rappelle volontiers dans le mouvement familial, et notamment aux AFC, que les premiers éducateurs des enfants sont les parents[5]. Peut-être devrait-on étudier dans quelle mesure la poursuite de carrières féminines gratifiantes est facilement conciliable avec la pleine responsabilité de parents et notamment de jeunes parents, dont nos mères ont amplement prouvé qu’il pouvait s’agir d’une responsabilité à temps plein (avec notamment l’exercice complémentaire de responsabilités associatives et dans les paroisses) ?

 

Enfin il est probablement urgent de réfléchir à la monogamie, qui n’est plus reconnue que comme un principe théorique par la République. Pourquoi les gens se gêneraient-ils, puisque la seconde épouse est reconnue par les CAF comme une famille mono-parentale et bénéficie d’une prime ad hoc ?

 

 

                                               Jean-Paul Guitton, 1er juin 2024

[1] Rod DREHER, Comment être chrétien dans un monde qui ne l’est plus – Le pari bénédictin, éditions Artège, 2017.

[2] C’est-à-dire ce qui augmente la capacité productive d’une personne.

[3] « Ensemble des connaissances, qualifications, compétences et caractéristiques individuelles qui facilitent la création du bien-être personnel, social et économique », in L’investissement dans le capital humain, 1998.

 

[4]Je suis toujours surpris, sans doute trop naïvement, par le nombre de femmes seules qui élèvent des enfants,

mais qui n’ont vraisemblablement pas été si seules pour les concevoir.

[5]Cela me laisse très perplexe, quand je croise dans la rue, le matin, de jeunes pères se rendant d’un pas pressé vers

la crèche la plus proche pour y déposer leur jeune progéniture, ou l’après-midi des nounous généralement issues

comme l’on dit de la diversité, promener des poussettes multi-places occupées par de charmants blondinets. A-t-on suffisamment réfléchi aux accoutumances que cette délégation de responsabilité peut entraîner, notamment en matière gastronomique, si la nourriture des jeunes enfants est confiée sans précaution à des assistantes maternelles d’origine africaine ?