Par le Père Thierry Dominique Humbrecht, o.p., Dominicain, écrivain, théologien, philosophe, lauréat de l’Académie des sciences morales et politiques (2006) et de l’Académie française (2016). Membre sociétaire de l’Académie catholique de France (2015).
Bernard Lacan : Mon Père, après nos séances sur l’engagement des chrétiens dans la cité sous les angles de l’engagement politique, de l’engagement dans l’enseignement et dans l’entreprise, nous abordons aujourd’hui avec vous la difficile question de l’engagement dans la culture et la communication.
Comme rien n’est anodin, si nous avons placé cette intervention en deuxième partie de notre cycle, c’est sans doute parce que nous avions inconsciemment ressenti qu’il pouvait être nécessaire de nous « chauffer » dans un premier temps sur des sujets où nous nous sentons plus à l’aise. Comme si nous voulions nous rassurer sur nos forces, avant d’aborder l’engagement dans la culture et la communication dans lequel nous ressentons combien les chrétiens sont submergés, voire marginalisés, dans un contexte général où ils savent, moins qu’ailleurs, trouver leur vraie place.
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Sans empiéter sur ce que vous allez nous dire avec une lucidité et une bonne dose d’impertinence (terme que je me suis autorisé à emprunter à votre livre L’évangélisation impertinente) il me semble que votre pensée est une belle illustration de cette maxime bien connue de tous « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, mais parce que nous n’osons pas que les choses sont difficiles ».
La vigueur de votre parole prolonge, quelques 800 ans après, celle du fondateur de l’Ordre des Frères prêcheurs, Ordre dans lequel vous êtes entré en 1985, où vous avez été ordonné en 1991.
Depuis lors, le moins que l’on puisse dire est que, pratiquant vous-même ce que vous recommandez à tous, vous avez assuré des fondations solides à votre pensée. Docteur en philosophie, Docteur canonique en philosophie, Directeur des Études des étudiants dominicains de la province de Toulouse, vous enseignez la philosophie et la théologie à l’Institut Catholique de Paris, à celui de Toulouse, au Studium des Dominicains, à l’institut de Philosophie comparée de Paris.
Vous vous passionnez aussi bien sur la philosophie médiévale que sur les débats philosophiques contemporains. Auteur à succès, dont nombre d’entre nous ont dégusté la prose incisive, vous êtes également une plume recherchée par la Revue thomiste, la revue Communio, et par des publications grand public telles que Famille Chrétienne, La Nef, Parole et Prière.
Ce parcours, qui n’est évidemment pas le plus banal qui soit, a nourri votre réflexion sur l’urgence et la portée de l’engagement culturel des chrétiens. Vous les appelez à se sentir dignes et capables, mais surtout mobilisés par un tel engagement. Pour peu qu’ils le décident, qu’ils cessent de se lamenter sur l’installation d’idéologies de destruction et qu’ils retrouvent pour eux, et pour les générations à venir, les priorités existentielles qui en seront la source de leur présence lumineuse pour tous.
Votre impertinence, parce qu’elle s’ancre dans la vérité est éminemment pertinente pour notre réflexion. Ne nous ménagez pas, entrainez-nous dans votre élan pour que nous devenions porteurs de la Bonne Nouvelle et soyons donc présents et vivifiants dans la communication et plus largement de la vie culturelle d’aujourd’hui.
Père Thierry-Dominique Humbrecht : “L’engagement chrétien dans la culture et la communication”, selon le titre que vous m’avez proposé, ne devrait pas soulever de problème, pour un chrétien. Il va de soi dès que les termes en sont posés et posés ensemble.
S’il est vrai – partons des choses profondes – que nous sommes placés sous l’égide d’un Dieu trinitaire et donc de la personne du Verbe, et de l’Incarnation du Verbe en Jésus-Christ, le communicateur numéro un est le Verbe de Dieu qui s’incarne pour faire connaître. C’est une « manifestation », comme dit saint Thomas d’Aquin. Sous cette égide-là, prédication de Jésus, enseignement de l’Église, les sacrements qui donnent la réalité de la grâce, l’évangélisation par la parole et par l’exemple, l’inscription est évidente de la vie chrétienne en terme de Verbe et de Verbe communiqué. Du reste, il n’est pas exclu que la société communicationnelle elle-même soit une fille ou bien un résidu du christianisme. Après tout, les autres civilisations communiquent-elles ? Pas tant que cela, finalement. C’est nous qui nous intéressons à elles plutôt que l’inverse.
Nous, chrétiens, sommes façonnés à la fois par une parole qui explique et par une image qui montre. Tout cela pour expliquer Dieu et pour le montrer. Et en le montrant, manifester la réalité de la grâce et la rendre effective.
Il y a vingt ans, Umberto Eco (qui vient de mourir) avait signé un article désopilant et pétillant, mais c’était il y a vingt ans, c’est un peu périmé, sur les ordinateurs. Il disait : « PC est protestant et Mac est catholique ». Cela ne vaut plus maintenant parce qu’ils se sont rapprochés les uns des autres.
Sur les écrans des premiers PC, souvenez-vous, déroulaient des listes de chiffres illisibles où seuls les mathématiciens savaient ce qu’il fallait taper. Ils tapaient des chiffres parce qu’ils les connaissaient, parce que des listes de codes. Il n’y avait rien d’intuitif : on savait à l’avance ou bien l’on était perdu. Alors que dès les premiers Mac, il y avait un bureau, une poubelle, un dossier et, avec la souris, le débutant mettait le fichier dans la poubelle ou dans un dossier.
Donc, l’article d’Eco consistait à dire : avec un PC et le système DOS, en fait les premiers Windows, avant que Windows se macifie, vous êtes seul face à l’angoisse de votre écran, vous êtes seul face au salut sans aucune certitude d’être sauvé, vous êtes protestants. Avec Mac, vous avez des images. C’est chaleureux, c’est convivial, c’est une communauté. Avec Mac, vous êtes catholiques.
C’était un très bon article. Mais ce qu’il y avait de juste là-dedans (cela pourrait englober les chrétiens mais il est vrai que les protestants ont mis la pédale douce, sur l’image, justement) est que le christianisme est iconique. Il procède par mode d’images, d’images qui parlent, mais d’images. Jésus a prêché par des paraboles. C’est profondément inscrit dans le christianisme.
De ce point de vue, toute parole sacramentelle est, par excellence, une parole cultivée et communicante, un acte performatif comme disent les philosophes. Un acte performatif est celui qui fait ce qu’il dit au moment où il le dit. Au moment où des paroles sont prononcées, les choses arrivent. J’ouvre la porte et je suis en train de l’ouvrir, donc elle s’ouvre : c’est un acte performatif.
C’est assez dire que la théologie chrétienne se tient entre ce que le Père Marie-Dominique Chenu, dominicain, appelait « la loi d’incarnation » : tout ce qui est chrétien s’incarne et ce qu’on appelle aussi (c’est la même idée) la « sacramentalité de la grâce ». Toute grâce divine est sacramentelle. Elle se donne par mode d’incarnation. Ce n’est jamais une idée de grâce, une idée de salut. La grâce passe toujours par des choses concrètes, des actes concrets, des communautés. On ne se sauve pas tout seul.
En clair, tout ce que Dieu donne, il le donne par un geste, une parole l’accompagne. Ce geste parlant est la grâce même, aussi réelle que transformante. Le pardon chrétien ne se donne pas à soi-même, il se reçoit auditivement. Il faut s’entendre dire qu’on est pardonné par quelqu’un d’autre car on ne se pardonne pas à soi-même. Il y a là une réalité anthropologique profonde. Nos esprits et nos cœurs de chrétiens sont structurés par cette grâce-là très au-delà de ce qu’ils imaginent. Nous sommes structurés par la grâce, même la société communicationnelle, vous disais-je tout à l’heure.
Notre Dieu n’est pas celui du silence. Il parle de toute éternité, il se dit dans le Verbe. Il ne fait pas que parler ni même agir de haut et de loin. Il s’en occupe. Il s’occupe lui-même des choses. Il s’incarne et il montre tous ses secrets avec un corps d’homme. Et il veut que l’évangile se transmette non par une sorte de présence muette, contagion anonyme et tellement humaine ; en fait très peu assurée car, quand une chose n’est pas dite, quand elle n’est pas transmise, il y a peu de chances qu’elle soit reçue et entendue. Il veut que ce soit par un enseignement. C’est la parole de Jésus au moment de l’Ascension : « Allez dans le monde entier proclamer l’Évangile à toutes les nations ».
Les années cinquante à soixante-dix, presque un peu quatre-vingts, qui ont prôné plutôt un apostolat implicite et muet, ont commis une erreur, non seulement pastorale et stratégique mais une erreur théologique sur l’essence même du christianisme Le christianisme est une religion de paroles. Si l’on se tait, on n’est plus chrétien. C’est ce qui s’est passé. En trois générations soumises au silence éducatif du chrétien, on a déchristianisé les familles les plus chrétiennes. De ce point de vue, la Providence exauce dans ces cas-là, et infailliblement.
À l’encontre, voici la réponse de Pierre et de Jean à leurs juges, dans les Actes des Apôtres : « Nous ne pouvons pas, quant à nous, ne pas publier ce que nous avons vu et entendu » « On va vous battre » « Eh bien battez-nous. Nous ne pouvons pas, quant à nous, ne pas publier ce que nous avons vu et entendu ». Ainsi en est-il. Culture et communication coulent donc, pour les chrétiens, de source. Ou, plutôt, ce devrait être le cas.
Dans certains pays où le christianisme est sinon plus facile à vivre en public, du moins doté d’une existence sociale et médiatique au même titre que d’autres appartenances, par exemple aux États-Unis ou bien en Italie, la communication chrétienne ne pose pas de problèmes en tant que domaine public d’intervention. Aux États-Unis, tout est possible et donc le meilleur, mais le prix à payer sera fort. Nous sommes aux États-Unis, ce soir se tient la réunion qui est la nôtre ; demain, dans la même salle se tiendra la réunion d’un groupe sataniste. Tout le mode aura droit de cité. Évidemment, c’est tout le monde à égalité, du coup.
En Italie, l’enracinement chrétien et catholique est plus fort. Il est quand même en forte baisse. La pratique, dit-on, est passée de 50 à 10 % en vingt ans, donc ne rêvons pas. Et certains petits craquèlements quand même, du discours italien montre que les choses pourraient se franciser, à bien des égards. En tout cas, en France, il en va tout autrement, nous le savons. On peut même avoir l’impression d’une inversion de relief : plus on est chrétien, plus on semble avoir désertifié culture et communication.
Les pressions extérieures sont connues : laïcité – et pas seulement laïcisme. Le laïcisme serait la version idéologique, la laïcité, une prétendue neutralité. Rien que l’évocation de la neutralité nous pousse tous au mutisme, par atavisme. Nous avons appris la leçon. Mais aussi, bien sûr, anti-catholicisme romain ; terrorisme intellectuel depuis Sartre qui a réussi, à lui seul, à paralyser la vie intellectuelle française et à tuer la brillante génération d’écrivains français de l’entre-deux guerres. Vous vous souvenez de cette phrase célèbre de Sartre : « Dieu n’est pas un artiste, monsieur Mauriac non plus ». Il fut un terroriste de ce point de vue ; mais aussi mépris public – ça, on le voit chaque jour pour tout ce qui concerne l’Église catholique ; droit constant de remontrances à l’égard de ses représentants, réciproquement mutisme sur les situations des représentants des autres religions.
Le catholicisme romain, nous le savons, lui, a tous les droits, en tout cas celui d’être battu comme plâtre. Tout cela est notre quotidien et seule la naïveté pourrait nous en préserver. Mais il y a peut-être aussi d’autres causes et ce sont celles-là qu’il faut chercher.
Les causes extérieures que je viens de résumer hâtivement sont aisées à identifier, plus encore à dénoncer. Nous n’allons pas le faire. Les causes intérieures éveillent davantage une sorte de pudeur voire d’offuscation que j’ai pu, de-ci de-là, expérimenter. Et je me suis dit : tiens, puisque les réactions sont irritées, c’est qu’il doit y avoir quelque chose à creuser. Il y a des choses à ne pas dire donc il faut les dire, de toute évidence. C’est, à mon sens, le signe qu’il faut chercher de ce côté-là.
Posons donc la question : pourquoi si peu de chrétiens s’engagent-ils dans la culture et la communication quand, de toute évidence (pour les raisons théologiques que j’ai résumées au début), ce devrait être l’inverse ? On devrait avoir des journalistes qui disent : il est naturel depuis toujours que dans les métiers de communication, d’enseignement, de pédagogie, on trouve surtout des chrétiens ; c’est leur spécialité, par la force des choses. Aujourd’hui, c’est plutôt l’inverse. Pourquoi ? En France ! Ailleurs, je ne sais pas.
La droite ligne de cette réflexion devrait plutôt poser la nécessité et la grandeur d’un tel engagement puis en arriver, après avoir posé la nécessité des choses, en dernière partie ou mieux en conclusion à quelques résolutions pratiques qu’on tasse toujours sur la fin. Ce serait trop facile.
Outre le fait qu’alors les situations concrètes arrivent tard, trop tard, au moment où le public n’en peut plus ; outre cet autre fait qu’en bonne métaphysique – en tout cas celle de Saint Thomas, et non pas celle de Duns Scot, de Suares ou de Leibniz – on n’arrive pas au réel au terme d’une définition, au terme d’une théorie impeccable qu’on applique, comme on descendrait de la montagne, mais au contraire d’en bas, du réel, pour construire une pensée du concret. Bref, il faut préférer l’être réel à l’être possible. Outre tout cela, donc, je crois qu’il vaut mieux attaquer de front certaines questions propres à l’engagement actuel et partant, futur du chrétien dans la culture et la communication.
Donc il me semble qu’il n’y a pas assez de chrétiens. Alors pourquoi décréter une rareté ? Elle est patente, me semble-t-il. Il faut se refuser à se contenter de peu comme trop de catholiques.
J’appelle “se contenter de peu”, les réflexions qu’on peut se faire : « Mais vous voyez bien, Père, qu’il y a tel prêtre, tel journaliste, tel intellectuel, tel professeur… » Évidemment, c’est bien le moins quand même qu’on ait chacun un exemple en tête, voire, si l’on est un peu au parfum, plusieurs exemples : cinq, six, dix ! Mais je ne vais pas m’en contenter quand même, on est soixante-six millions en France. Faut-il se contenter d’un ou deux exemples, fussent-ils éminents ?
D’ailleurs, cela a un effet très pervers dans la presse catholique. Ce sont toujours les mêmes qu’on montre, on s’en contente, ils suffisent à nous rassurer.
Supposons un jeune intellectuel catholique qui parle bien, qui s’intéresse beaucoup à la politique et qui fait rêver toutes les mères catholiques pour de toutes autres raisons, notamment comme futur gendre. « Vous voyez bien, Père, qu’il y a un intellectuel catholique, lui. ». Je dis : « Mais je sais bien. Je lui ai dit d’ailleurs, qu’il fallait qu’on le clone », justement parce qu’on n’en a pas tellement. Mais enfin : est-ce tout ? C’est un vieux prêtre breton qui disait : « les catholiques se contentent de peu ». Il n’en faut pas un, il n’en faut pas dix, il n’en faut pas vingt. On arrivera tous à vingt si on cumule les noms que nous connaissons, mais il en faut cinquante, cent, pour des raisons aussi proprement médiatiques que je vous dirai à la fin. Quand même, est-ce tout ce qu’on a ?
Avec la facilité de l’information, c’est-à-dire le fait que n’importe qui peut être immédiatement connu de tous par une revue, par un bon article qui le met en valeur, le public est rassasié, assez rapidement. On n’a pas besoin d’en connaître tant que cela, on se contente de peu et du coup ce sont des arbres qui cachent l’absence de forêt. Et pourquoi pas aussi, rêvons, un cinéaste ? Enfin un cinéaste chrétien ! Pourquoi pas un politique chrétien tant qu’on y est ? Il y en a beaucoup qui rêvent en ce moment. Le propre des rêves est de permettre de se fracasser ensuite. Et pourquoi pas un romancier ?
Je suis frappé de voir, même chez des Frères ou des prêtres, l’espèce d’angoisse de trouver enfin dans l’année un film chrétien. Et ils reviennent abattus, en disant : « C’était épouvantable ». Mais je dis : « Pourquoi tu t’étonnes ? « Parce que je croyais que c’était un film chrétien ». Mais pourquoi penser que ce film pourrait l’être ?
Depuis Le Roi lion, dessin animé de Walt Disney, nous savons que nous avons passé le cap de l’imaginaire chrétien. Pour moi (mais je ne les connais pas tous) c’est celui où le roi lion, le père, qui est mort, apparaît dans les cieux et parle à son fils en disant : « Tu verras, toi aussi, mon fils, tu rentreras dans le Grand Tout ». On n’est plus dans les Walt Disney comme Blanche-Neige ou Cendrillon où c’est la jeune fille protestante américaine (1942 pour Cendrillon) qui attend en apprenant le ménage et le soin de sa maison, le retour de son GI américain qui revient de la guerre contre les nazis. C’était l’éducation de la jeune fille américaine. C’est fini, si on peut appeler cela du christianisme, c’était l’esprit américain de l’époque. Aujourd’hui, c’est le Grand Tout ! Tous les films quasiment parlent du Grand Tout. C’est une sorte de bouddhisme diffus.
Mais pourquoi y aurait-il des films chrétiens ? Avec des cinéastes tels qu’on les voit, je ne vois pas par quel miracle. Cette sorte de naïveté me stupéfie. Ce n’est pas parce qu’on en a besoin qu’il y en a. L’être nécessaire n’engendre pas l’être existant.
Les chrétiens ne cessent de réclamer, et ils ont raison, la transmission : transmission éducative, culturelle, religieuse, artistique ; je n’ose dire : philosophique et théologique, il ne faut rien exagérer quand même. Ils (les catholiques) croient à la transmission. On va même dire, parfois, que ce sont un peu les seuls. Ce n’est pas tout à fait vrai. Il y a des voix qui s’élèvent parmi des intellectuels d’autres confessions, ou sans confession du tout, qui la défendent aussi et de plus en plus, c‘est tout à leur honneur. Mais enfin les catholiques, un peu par essence, croient à la transmission, ce pour quoi d’ailleurs souvent, chez les jeunes étudiants, il y a pas mal d’historiens. Ils sont mieux équipés du point de vue du sens de l’Histoire (ils ne sont pas forcément plus instruits), mais ils ont le sens de l’héritage historique. On ne peut pas en dire autant des philosophes.
Mais alors, s’ils croient en la transmission, pourquoi transmettent-ils si peu, à leurs enfants exceptés ? Pourquoi transmettent-ils si peu ?
Les métiers de communication existent : les chrétiens y sont-ils ? Telle est la question. Et pourquoi si peu proportionnellement et numériquement ?
Je voudrais, avec vous, examiner trois manières d’entrer dans ces problèmes.
I – Transmission entre projets et acteurs
Il n’est pas rare d’entendre, pour l’Église, des quantités de projets : le défi d’urgence. (Cette langue de bois m’horripile, mais je l’utilise exprès, parce qu’elle est utilisée.) Des défis, des urgences, des nécessités. Je postule que tous ces projets sont bons. D’ailleurs plus le temps passe, plus une certaine crise dans l’Église s’estompe, quoi qu’on en dise, et donc plus les projets, quoi qu’il en soit de leur diversité d‘appartenance, sont bons. Dès que les idées arrivent, elles sont bonnes et puis il y a de la place pour tout le monde. On ne peut pas dire qu’on se monte sur les pieds. Donc, cela ne me pose aucun problème.
Le reste – il doit y avoir un petit reste – relève parfois de la rectitude spirituelle, plus souvent d’une rectitude doctrinale, souvent même d’un discernement prudentiel à parfaire, sans doute. Y a-t-il un rock chrétien ? Je n’y crois guère, mais c’est une opinion personnelle. Mais, dans l’ensemble, les projets sont bons.
Les nécessités ne sont pas moins patentes, incontestables, criantes : vous devriez aller chez les pauvres, chez les riches, dans les universités, à la télévision, dans les débats d’idées, partout ! Bien sûr qu’on devrait y être. Tout est vrai. Je ne cherche, ici, ni à nuancer ni à hiérarchiser – il y aurait pourtant matière – il faut être partout ! Le point est ailleurs, de mon point de vue, et il est double.
Il y a mille nécessités et chacun voit l’Église à sa porte. Les discours sur les priorités dans l’Église : j’en ai entendu cent ! Dans l’Église elle-même, dans notre saint Ordre dans ses chapitres généraux, partout. Chacune de ces instances, très pénétrée, ou chacun de ces débats ou de ces discours, assis sur la vérité comme Falstaff sur son tonneau de whisky, peut, sans se tromper, décréter trois ou quatre idées de présence chrétienne comme prioritaires. Ce seront de bonnes idées. D’ailleurs tout est prioritaire, puisqu’il faut annoncer le Christ partout et à tous. Mais, encore une fois, chacun voit l’Église à sa porte.
J’ai rarement entendu ou lu de grands esprits visionnaires. Benoît XVI, en fut un. Il avait une appréciation de chaque problème et de la hiérarchie des problèmes, la comparaison des problèmes entre eux. Il ne voyait pas seulement un point à la lumière duquel il lisait tout le reste. Il avait une palette – du temps où c’était lui qui était en charge – et cela, c’est rare.
Partout ailleurs, au fond chaque famille spirituelle, exprime les priorités de sa spiritualité. C’est très bien parce que ce sont de véritables valeurs (j’ôte le mot “valeurs” qui est piégé. Ce sont des réalités subjectives et non pas objectives, comme l’a rappelé Rémi Brague, comme l’avait dit Étienne Gilson dans les années trente, donc : attention ! terme piégé à ne pas utiliser chez un catholique, cela tue la vérité objective alors qu’il semble la prôner), donc chacun a de très bonnes idées. Mais souvent, elles expriment les valeurs de sa tribu… Donc je me garderai de placer “culture et communication” aux titres des priorités. Je m’en garderai de les extraire car l’agencement prioritaire sera noyé par dix autres. Donc j’évite les grands discours, nous ne sommes que des artisans de quartier. Benoît XVI fut un visionnaire, nous, nous faisons ce que nous pouvons. Si tout le monde peut pourvoir à tout ou bien à chaque chose, c’est parfait. Le vrai problème n’est ni dans les projets, ni dans les défis si élaborés fussent-ils, ou bien même si approuvés par tous les évêques qu’on voudra.
Le problème, me semble-t-il – c’est la thèse que je défends dans cette partie – est dans les acteurs. La seule question est celle-ci : qui fait quoi ? Tout simplement, c’est trivial, mais je crois que c’est la seule question qui vaille. Qui fait quoi ? Penser est aisé, agir est une autre affaire.
Notre maître des novices, le Père Alain Quilici, nous l’a dit, une fois, en passant, et j’en suis resté marqué à jamais : « Tout peut se faire, s’il se trouve quelqu’un pour le faire ». Voulez-vous que les couloirs soient mieux balayés, prenez un balai vous-mêmes. Si vous en avez l’idée, c’est peut-être que non seulement elle est bonne mais c’est qu’elle vous habite et donc c’est à vous de le faire.
Je prends un exemple plus noble. Le Père Marie-Joseph Lagrange, autre dominicain, fondateur de l’École biblique de Jérusalem, a vu l’état déplorable de l’exégèse catholique à son époque et la pression de l’exégèse positiviste de son époque. Il s’est dit : on ne va pas y arriver comme cela. Donc, Frère étudiant, il pestait contre une Bible très inférieure à son niveau jusqu’au moment (et c’est le Père Montagnes, son biographe qui l’a dit) où ce qui était chez lui une colère et un ressentiment est devenu une finalité : puisqu’il n’y a personne d’autre, je vais m’y mettre.
Il n’y a personne d’autre. En tout cas, personne d’autre pour penser le problème en ces termes-là. Ce qui est le cas de toutes les idées majeures que l’on porte. « Fais-le toi-même » est la seule solution. « Mais il doit bien y avoir d’autres personnes ! », vous voyez le refus, le refuge dans la nécessité de l’être possible. Mais non ! « Il y a toi, tu fais ou sinon rien ne se fera ». Donc la question des acteurs.
La première thèse que je soumets à votre jugement est celle-ci : ce qui se fait chez les chrétiens, autant qu’il pourrait ou bien devrait se faire, est soumis aux personnes disponibles pour y œuvrer. Quand je dis “disponibles”, je n’entends pas les distinguer d’une armée d’autres qui serait une armée d’égoïstes. Simplement sont disponibles pour œuvrer, pour répandre le règne du Christ ceux qui ont la disponibilité, concrète, d’y œuvrer, ne fût-ce que leur agenda. Et l’agenda est la manière de dire si l’on est disponible ou pas. À savoir de donner leur vie au Christ et à l’Église, ce sont les consacrés disponibles en tous points, dans une certaine mesure d’ailleurs ; mais aussi de donner leurs compétences humaines et donc aussi professionnelles à la sanctification du temporel, et ce sont les laïcs qui s’engagent. Si donc (et ainsi je noue les fils de ce premier point) il faut pour toutes choses des acteurs à la fois résolus, compétents et disponibles. Une telle exigence de bon sens se révèle terrible et à bien des égards inaccessible.
Cela explique à la fois l’immense dévouement de beaucoup, le travail de chacun, souvent caché, et aussi la carence numérique des ouvriers. Il y a des manques quantitatifs considérables mais, nous n’aimons pas les chiffres, surtout lorsqu’ils sont déprimants.
Au fond, pour remplacer les prêtres, actuellement en France, pour cause de retraite, de décès, depuis dix ans et pour les années à venir, il faut vingt mille prêtres clefs en main. Il faut donc vingt mille séminaristes, sachant qu’il faut sept ans pour les préparer. Mais, il y en a huit cents, il en manque donc dix-neuf mille deux cents. Après on peut avoir tous les projets possibles pour un diocèse, il faut plus que décupler le nombre de séminaristes.
Un évêque, qui aurait tout d’un coup cinquante jeunes prêtres, fait ce qu’il veut, tous les projets, tous les défis, tout ! Il peut même les gaspiller. Cela ne sert à rien de faire des réunions, d’avoir de bonnes idées mais personne pour les réaliser…
Application de ce qui était un principe général, à l’engagement dans la culture et la communication. Là aussi le déficit de quantité fait sentir ses effets. Il est dû à une cause commune et aussi à une cause propre. La cause commune est, en France, la réduction numérique des catholiques pratiquants et convaincus. La cause propre touche à la culture et à la communication comme telles. Pourquoi ces deux domaines semblent-ils proportionnellement plus désertés que d’autres domaines ? Ce devrait être l’inverse. Ces magiciens du Verbe que sont les chrétiens devaient chérir les métiers d’enseignant, d’éducateur, d’écrivain, de chercheur, de journaliste, de politique.
Or que constate-t-on ? Nombre d’observateurs, mi-amusés, mi-alarmés, écrivent sur le fait que les jeunes catholiques se ruent sur les écoles de commerce (c’est aussi mon propre discours depuis trois ou quatre ans) plutôt que sur les études littéraires au sens large – j’appellerai “études littéraires” celles qui président à notre sujet de ce soir – c’en est écrasant !
À des agrégatifs de philo cette année, j’ai demandé par SMS de m’envoyer en direct toutes les phrases anti-catholiques des professeurs. J’en ai eu encore aujourd’hui : « Vous n’allez quand même pas interpréter ce texte avec la sottise catholique ». C’est toutes les semaines.
Retenons pour lors que les meilleurs projets ont des termes mais aussi des limites. J’ai nommé à cette heure la limite du nombre, celle qui caractérise la minorité catholique fervente, le noyau dur, la masse critique. Beaucoup de choses en dépendent, nos infortunés évêques le savent bien mieux que nous. Que voulez-vous qu’ils fassent quand ils n’ont personne sous eux ?
II – Piété domestique et métiers profanes ou la catholicité protestante
Avec cette titulature un peu bizarre, il s’agit de désigner un type de situation qui semble caractériser nombre de catholiques – on pourrait contester.
Entendons par là non pas ceux des catholiques qui se sentiraient proches, doctrinalement, des protestants, non ! Bien au contraire ! À bien des égards les catholiques en question sont plutôt des ultras. C’est un phénomène que j’ai récemment essayé de formaliser, qui bouge encore dans ma tête.
Pour nombre de ces catholiques, vous en connaissez certainement quelques-uns, la césure de la laïcité les a atteints dans les fibres de leur être. Concrètement : ils sont pieux à la maison, au besoin apôtres à la paroisse ou ce qui en tient lieu, mais ils sont profanes dans le monde profane. Ils concourent pourtant de toutes leurs forces à leur travail professionnel où ils engloutissent temps, compétences et énergie. Dans ce travail, la plupart du temps et quoi qu’on en dise, presque aucun rayonnement chrétien n’est possible. Je crois qu’on trompe les jeunes sur la marchandise en leur disant que quel que soit leur métier, ils vont pouvoir rayonner comme chrétiens, c’est faux. Il y a même des professions proches de l’administration politique, une grande mairie par exemple, où on fait signer à un jeune qui entre pour être secrétaire, un document lui interdisant de parler religion et politique dans les locaux. À l’université, cela l’est aussi d’une autre façon. Tant et si bien que ces hyper cathos vivent – c’est là, la comparaison – comme des protestants : pieux chez eux, profanes dans le monde.
Ce fait est étonnant en lui-même mais jusqu’à un certain point. Ce ne serait pas la première fois, il y a souvent, depuis le jansénisme et l’hyper augustinisme, une source commune aux ultra-cathos et aux protestants. C’est peut-être elle, la source.
Retournons à l’application à notre sujet. Si les catholiques ont choisi, pour la plupart, des métiers d’affaires, d’entreprise ou bien d’autres mais très bien payés, cela signifie aussi qu’ils ne se préoccupent pas des métiers culturels et de communication. Et je suppose à ce titre que ces métiers-là sont moins bien payés, ce qui est le cas, globalement, sans parler des artistes maudits (eux sont subventionnés par le gouvernement).
S’ajoute à cela – à moins que ce soit le corollaire – un certain mépris, en milieu catholique, pour les métiers d’enseignants. C’est assez frappant dans les familles. Ce n’est pas formalisé, bien sûr, on reste dans le non-dit, dans la demi-teinte, mais souvent la vérité perce. Sans aller jusqu’aux mots d’un sinistre personnage de l’Histoire du XXe siècle (Baldur von Schirach) : « Quand j’entends le mot “culture“, je sors mon révolver », il y a tout de même quelque chose de ce phénomène.
On peut reprocher à la gauche idéologique d’avoir marqué pendant cinquante ans le terrain culturel, d’ailleurs de façon tyrannique, exclusive et souvent tracassière pour ne pas dire policière, jusqu’à aujourd’hui, mais il faudrait avouer, aussi, que ceux qui auraient pu proposer autre chose ont abandonné le terrain. Et tout espace laissé libre est occupé par d’autres.
Par exemple, la manif dite « pour tous » a, paraît-il, réveillé les catholiques (ce qui est un compliment amer. Leur condition habituelle est donc le sommeil. Donc ce sont des intermittents du réveil. Ils se sont rendormis depuis, disent certains) pour manifester contre la loi qui allait être votée. Mais ce mouvement géographique de déplacement dans les rues de Paris, de dernière minute et qui a fait grand effet, qui a traumatisé le gouvernement, comme me l’a dit un journaliste haut placé, donne tout de même l’impression d’avoir été justement de dernière minute, comme une sorte de baroud d’honneur avant de perdre. Ne soyons pas naïfs.
Où étaient les catholiques, depuis quarante ans, depuis Michel Foucault en gros, pour voir venir le phénomène ? Parce qu’il pouvait se voir venir, ce phénomène qui allait être voté. Tout était en route. C’était en vitrine ! Que faisaient les catholiques ? Des affaires. Ce contraste doit nous donner à réfléchir : les catholiques étaient aux affaires, les bobos aux idées.
Soit, dira-t-on, mais depuis deux ans la situation a changé. Est-ce si sûr ? S’est-il levé tant que cela d’intellectuels ? Il est sans doute difficile de chiffrer autant que de voir ce qui se prépare dans l’ombre. D’ailleurs tout intellectuel n’est pas forcément médiatique, peut-être tant mieux pour lui et puis il y en a, plus jeunes, qui se préparent.
D’où l’importance de battre la campagne pour informer les chrétiens, me semble-t-il, non de l’importance de la culture et des médias, non plus que de la politique d’ailleurs, mais de celle de s’y adonner, ce qui revient à dire, osons le dire, de s’y adonner professionnellement.
On ne peut pas rester continuellement dans une culture du bénévolat paroissien. Sous ce rapport, la vie politique n’est pas du bénévolat, c’est une carrière avec tout ce que cela comporte, malheureusement. Si l’on choisit d’en faire son métier, on renonce à d’autres métiers. C’est concurrentiel, surtout s‘ils sont mieux côtés socialement et mieux rémunérés.
Je connais de jeunes professeurs qui me l’ont dit : « Je suis prof, mes trois frères sont dans le commerce, je suis le vilain petit canard de la famille. Je suis méprisé, parce que je gagne moins, parce que c’est un métier pourri ». Combien de fois ai-je entendu cela…
S’y adonner professionnellement signifie aussi et surtout y pousser les jeunes générations, c’est-à-dire ses propres enfants plutôt que de prêcher pour les autres. Sommes-nous disposés à voir nos enfants devenir journalistes, enseignants en classes littéraires : sciences po, publicistes, éducateurs et même universitaires et chercheurs, toujours dans les matières de transmission culturelle : philosophie, histoire, lettres, sciences politiques. S’il s’agit d’être enseignant d’espagnol ou agrégé de gymnastique, d’accord, mais c’est autre chose, il n’y a guère de transmission chrétienne. Donc “être cela, plutôt que” commerciaux surpayés, ingénieurs, centraliens, hommes d’affaires. Nommons les choses. Les bobos font ce choix-là, en tout cas beaucoup d’entre eux. Pourquoi les cathos ne le feraient-ils pas ?
Deux objections.
La première objection est que que nos enfants font et feront ce qu’ils voudront. Certes, oui, et nous ne pouvons que leur souhaiter. Mais il ne faut pas reprendre d’une main ce que l’on a dit donner de l’autre. Il y a une incitation éducative préparatoire à leur choix. À quoi les aurons-nous rendus sensibles ? Au niveau de vie de leurs parents, aux deux maisons, aux trois voitures ou bien à la lecture ? À la passion de la finance ou bien, en famille, aux débats d’idées ? Au mutisme, en famille, ou bien à l’argumentation ? Tout se prépare.
Ceux que j’ai vus devenir profs à un certain niveau – et là, malheureusement, Bourdieu avait raison, lui, le marxiste –, ce sont des héritiers : la plupart du temps, les profs sont fils de profs. Ils ont reçu cela dans leur ADN, il leur donne vingt ans d’avance. Il y a des exceptions dont lui, Bourdieu, justement, mais c’est un régime d’exception dans un régime de castes. Malheureusement, je crois qu’il a raison. Sa conclusion a été : puisqu’il y a des castes, il faut supprimer l’élite. On pourrait aboutir à la conclusion inverse, mais je crois que sur l’analyse, il n’a pas entièrement tort.
Le système républicain permettait à la méritocratie, au petit-fils d’instituteur – soit dit en passant, être fils d’instituteur, c’était déjà beaucoup en 1900 – de devenir professeur d’université. Peut-on espérer de voir éclore un jour un communicant professionnel issu d’une famille de taiseux ? C’est difficile à imaginer. Même par réaction, je ne sais pas s’il y arrivera.
Seconde objection, l’école elle-même fait des scientifiques plutôt que des littéraires. Ce n’est que trop vrai. Mais si les belles cravates romantiques du mathématicien Cédric Villani servent en ce moment au ralliement de la cause des mathématiques, faute d’engagement, faute de vocations d’enseignant en mathématiques, cela ne doit pas faire illusion : les maths sont écrasants dans tous les lycées. Ils sont un critère de sélection et d’excellence. Mais il faut tout faire pour ouvrir des classes littéraires de qualité, d’élite même, pour devenir concurrentiels et susciter des vocations autrement que par défaut. Certains lycées le font, trop peu sans doute.
Par ailleurs il existe bien sûr plusieurs établissements supérieurs, littéraires au sens large, de qualité, qui sont ouverts aux futures générations. Sans parler des établissements publics, traditionnellement considérés comme les porches de ce genre de carrière, il faut noter plusieurs établissements privés qui œuvrent avec une grande prise de risques parce qu’ils n’ont pas le soutien des institutions étatiques, pêle-mêle : l’ICS à La Roche-sur-Yon pour diverses matières, l’IPC à Paris en philosophie, certaines facultés liées aux instituts catholiques et, depuis cette année, l’École professorale de Paris. J’en oublie sûrement. L’offre devient conséquente et complémentaire.
En revanche, la demande chez les parents catholiques traduit malheureusement souvent la structure protestante de leur choix, à savoir : « Tu feras une belle carrière profane et rémunératrice ». L’argument l’emporte au dernier moment sur toute considération d’apostolat culturelle.
Le chemin est donc encore long pour que les établissements susnommés s’imposent dans la conscience chrétienne, tant chez les catholiques les plus exigeants, y compris dans le clergé, le public doit être préféré au privé. Le sujet que nous abordons ne pourra pas trouver son lieu pertinent d’incarnation tant que ce point-là ne sera pas devenu l’objet d‘une mise en débat. En parler, c’est déjà agir.
Précisons qu’il ne s’agit pas, pour les chrétiens, de ne desservir que le monde chrétien, mais de rendre une formation privée catholique aussi compétitive que le public. Sauf qu’elle doit pour cela, à titre premier, être aussi catholique que compétitive.
J’ai voulu pointer le problème d’étanchéité entre la foi et le métier que l’on choisit. C’est cela que j’ai appelé le côté protestant.
III – Si on parle de sainteté dans l’intelligence, quel type d’activité une telle sainteté requiert-elle ?
Jacques Maritain, en effet, disait : « Il y a une sainteté de l’intelligence ». Qu’est-ce qu’une telle affirmation signifie ? Comment en parler sans se payer de mots ?
Récemment, j’ai eu à présenter devant un public d’étudiants et d’élèves de terminale, la figure (c’est ce qu’on m’avait demandé) de Saint Thomas d’Aquin. Avec justement comme titre imposé “Saint Thomas et la sainteté de l’intelligence”. Je me suis dit (il est excellent d’avoir des contraintes, c’était la mienne) : de quoi vais-je leur parler ? Les contraintes : ces jeunes ne font pas de philosophie sauf justement les élèves de terminale mais ce sont les plus jeunes, donc. Et en outre, la vie de saint Thomas n’offre rien de croustillant en soi ni pour eux. Cela ne va pas les intéresser.
Dans le cadre d’une sainteté de l’intelligence, de quoi leur parler ? De philosophie plutôt que de théologie. Cela paraissait plus adapté à eux ; la philo, ils en ont fait un peu. On m’a même dit : « Parlez leur des cinq preuves de l’existence de Dieu ». J’ai réfléchi et j’ai flairé le piège. Non pas un piège qu’on me tendait mais mon propre piège possible à mon insu.
Si je leur parle de philosophie pour présenter saint Thomas, même la philosophie de saint Thomas, même de métaphysique, même du Dieu de ce philosophe ou de l’accord de la raison et de la foi, je leur aurais bien parlé – c’est la matière que j’enseigne depuis vingt ans ! –, mais pas de mon sujet qui était, je le rappelle, “La sainteté de l’intelligence”. On me demandait la grâce et je leur parlais de la nature. Alors, « ce n’est pas grave », eût-on pu répondre pour me consoler, « un aussi beau travail sur la nature ne peut que préparer la grâce ». La réponse est non. La nature ne prépare pas à la grâce. Seule la grâce prépare la grâce. La nature s’y trouve incrustée, non point indépendante et hors de la grâce, encore moins dissoute dans la grâce, mais intégrée et autonome.
Donc la nature ne prépare pas à la grâce. Le christianisme n’est pas maurrassien. À tel point qu’un chrétien doit se souvenir que la nature n’est pleinement nature que dans la grâce. Sans la grâce, la nature est tronquée d’elle-même, ne fût-ce qu’à cause du péché originel et aussi parce que c’est la grâce qui est pour la nature guérissante et fortifiante.
Sans la grâce, il n’y a pas de nature au sens intégral. Alors je ne vais pas commencer par la nature tronquée pour arriver à la grâce. C’est un marchepied deux fois inaccessible.
Donc, à ces jeunes, il me fallait parler de l’intelligence sainte ou en cours de sainteté, à savoir une intelligence chrétienne, déjà, de résolution et de principe (donc je ne commençais pas ma philo), une intelligence attachée à connaître et à aimer non pas tout objet possible, ni même Dieu philosophiquement mais selon la foi et sous la charité. Sinon c’était une belle activité contemplative mais il y a une contemplation païenne. Et il s’agissait de sainteté, et donc de contemplation en régime chrétien et non pas simplement en régime humain, sinon – là aussi les mots peuvent nous tromper – sous prétexte que c’est beau et que cela conduit vers Dieu, c’est chrétien. Pas du tout, cela ne l’est pas !
Appliquons ces réflexions à notre problème. S’il s’agit, pour les chrétiens, de s’engager dans la culture et la communication, c’est pour accroître la culture chrétienne et donc aussi humaniste et non l’inverse. Et pour pouvoir communiquer le Christ et aussi les réalités humaines qui en découlent, et non l’inverse. On n’arrive pas au Christ au terme de l’homme. Seul le Christ éclaire l’homme sur l’homme.
Par conséquent, s’il s’agit de former un journaliste fût-il sportif, un éditeur, un professeur même qui ne communique jamais quelque chose du Christ par mode d’impossibilité laïciste ou bien par mode de commodité personnelle, alors chacun est en droit de se demander s’il est si nécessaire que cela d’y trouver des chrétiens. Un communicateur muet sert-il à quelque chose ?
Par exemple, regardez des films récents, des dix dernières années ou des séries récentes, français ou américains. Il y a à peu près le même topo, il n’est pas rare d‘y trouver trois populations très distinctes à lire les noms dans le générique. Les producteurs, c’est-à-dire ceux qui donnent l’argent, qui avancent l’argent, portent des noms arabes, maintenant, c’est quasiment à chaque fois le cas ; les réalisateurs et les acteurs, bref, les artistes portent plutôt des noms juifs ; en revanche dans les deux cent cinquante-trois personnes de l’équipe technique, on trouve des noms aux sonorités de bonne francitude. Il doit y avoir quelques cathos parmi les machinistes, pas parmi les artistes, encore moins parmi les gens riches. Comme si il y avait les elfes de maison, les hommes, les anges, enfin il y a des races où le catho est vraiment celui qui est derrière la caméra.
Première étape, s’il ne s’agit que d’occuper le terrain de la nature, espérant plus ou moins y porter, un jour, la grâce, nous risquons d’attendre longtemps, car la grâce ne sortira jamais de la nature si elle n’y est pas dès le premier instant. C’était, évidemment, le beau risque de l’humanisme de l’éducation jésuite à l’ancienne – de faire des chrétiens à partir d’un humanisme assumé – mais, sauf que : premièrement, cet humanisme aux atours très humains était en réalité porté par un souci apostolique chrétien. Il y avait cinquante prêtres, y compris le prof de gym d’ailleurs. Dans l’esprit des pédagogues de génie qu’étaient les jésuites, la grâce, en fait, et malgré les apparences, précédait discrètement la nature.
Deuxièmement, aujourd’hui le risque est beaucoup plus grand dans un contexte déchristianisé de commencer par l’humain parce qu’on va finir par lui sans être passé par la grâce. C’est le problème du catéchisme. C’est ainsi que l’on voit les meilleurs chrétiens se déchristianiser : en ne parlant que de l’homme, on n’accède pas au Christ, par auto-laïcisation, certes non voulue, mais systématique.
Abordons la question par un autre biais. Supposons un artiste, peintre, sculpteur, metteur en scène. Certains se disent chrétiens, respectons leur témoignage, tenons-les pour tels : ils se disent chrétiens. Cela dit, deux questions se posent :
– Sont-ils aussi chrétiens qu’ils croient l’être ? Malheureusement, la confusion des connaissances religieuses est telle qu’il y a parfois lieu de poser la question – ce n’est pas un reproche, c’est un constat – dès lors que cette confusion déteint sur leurs discours. S’il dit : « Je suis chrétien mais je crois en la réincarnation », comme un catholique sur quatre en France, il y a un problème.
– À supposer que ces artistes soient chrétiens dans leur tête et dans leur cœur, le sont-ils aussi dans leur œuvre, dans leur art lui-même ? Nous savons l’imprudence de certains curés de paroisse d’avoir laissé la bride sur le cou à trop d’artistes pour refaire le chœur de leur église. Ou bien cela donne une capsule spatiale style Star Trek, dans le meilleur des cas, ou bien le nihilisme qui s’y exprime, entre déconstruction et désincarnation, doit plus à Nietzsche qu’au crucifié. L’ignorance culturelle en fait d’œuvre artistique est d’abord le fait du clergé lui-même. Le problème c’est que, longtemps, ce fut lui, le grand commanditaire. À La Renaissance, artistes et cardinaux mécènes rivalisaient de décadence, mais le programme d’une œuvre d’église était strict. Pour une Annonciation, par exemple, il y avait un programme. Quand on y regarde de près, bien des licences y étaient commises, et à mon avis d’un commun accord, pas tant sur les nudités représentées comme telles que sur certains codes homosexuels plus ou moins masqués, c’est-à-dire exposés. Il semble difficile que les commanditaires aient été des naïfs au point de ne pas voir ce qui se montrait en filigrane, donc ils étaient d’accord. Être chrétien ne suffit pas, l’œuvre doit l’être, aussi.
Autre objection, il suffit, pour la culture comme pour le reste, de sanctifier son travail quel qu’il soit. Donc je me sanctifie comme chrétien dans mon travail quel qu’il soit. Cela vaut pour tous les métiers, y compris les vendeurs de casseroles au Japon qui ont fait fortune ! L’objection est donc : cela ne tient pas à la nature du travail mais à la manière.
La réponse sera, la sainteté de l’intelligence, donc celle du message chrétien de culture et de communication, exige davantage qu’une bonne exécution, ce qui relèverait de la nature. Le travail, même vécu selon la grâce, par un cœur chrétien, mais en secret, appelle aussi une imprégnation de l’Évangile dans l’œuvre même, dans le message, dans l’enseignement, dans les critères d’analyse. Un cinéaste chrétien ne dira peut-être pas certaines choses. Un cœur chrétien se reconnaît toutefois. Ya-t-il des films chrétiens ? Je n’en sais rien. Le Seigneur des Anneaux est-il un film catholique ? Tolkien était catholique, mais une œuvre sans le Christ s’appelle-t-elle une œuvre chrétienne ? « Oui mais vous voyez bien que Galadriel, c’est la Vierge ». Ce genre de concordisme me semble ridicule. Il y a peut-être un personnage de rédempteur mais il est diffracté sur plusieurs personnages, entre Frodon et Aragorn, pourquoi pas ? Mais pourquoi aller y chercher un démarquage ? Comme si, au-delà de la transposition artistique, le christianisme n’était tel que lorsqu’il est implicite et donc deviné. Le Christ ne doit pas être deviné. L’homme était chrétien, il y a une anthropologie pénétrée de christianisme, mais ce n’est pas une œuvre chrétienne. On se paie de mots.
Il y a un autre problème qui touche alors à ce qui viendrait ternir la sainteté de l’intelligence, c’est-à-dire aussi de la volonté chrétienne. Dans l’exercice des métiers dont nous parlons – et il faut en parler parce qu’après tout on en parle beaucoup, – le venin médiatique.
J’en exclus, plus ou moins, les petites mains de ces métiers, que nous sommes tous. Nous sommes préservés par défaut de succès puisque nous n’en avons pas, donc quand on n’a pas de succès, on n’est pas emporté par la drogue des médias. C’est déjà quelque chose. Oh ! On peut en avoir envie, mais enfin même si le cœur est mal disposé, l’effectivité ne suivant pas on est préservé, comme par défaut…
Mais certains sont portés par un succès public. Un danger existe, particulièrement pour le chrétien. Un professeur peut avoir des étudiants et des étudiantes à sa merci. Même le très sérieux et très aligné journal Le Monde, il y a une dizaine d’années, avait osé publier un article de deux pages pour lever enfin l’omerta sur la « promotion canapé » à l’Université des étudiantes doctorantes.
Essayons d’analyser. C’est trop facile de dire : les médias représentent un danger. C’est toujours la personne qui ne réussit pas qui le dénonce pour les autres. C’est fou ce qu’on est vertueux quand on est jaloux ! J’ai trop entendu de gens craintifs ou jaloux se méfier des médias. J’attends de l’entendre de quelqu’un qui a réussi, ce sera plus crédible. Sinon c’est un discours de crainte et de jalousie qui se pare de vertu, il y a trois épaisseurs de dissimulation.
Mais quelle est la réalité ? Dans tous les cas, guette une forme typique de vanité, l’essence de la société médiatique : « Être, c’est être connu ». Vanité et même orgueil : je deviens, moi, la star, la mesure du vrai et du bon. Je méprise un peu mes comparses qui, eux, n’y sont pas arrivés. Quand on est un homme à succès et qu’on a tout le monde à ses pieds, on risque de présenter des symptômes de pervers narcissique. En tout cas on pose des actes manipulateurs, entre séduction, domination et puis destruction. Avoir tout le monde à ses pieds cela sécrète un comportement, même pour des chrétiens, même pour des clercs.
Que deviendra un jeune chrétien ? Un papillon médiatique, brûlé sur les lampes. Star pendant deux ou trois ans, il retournera à son néant. Mais le problème est que le venin sera là, actif dans les veines, un peu comme pour un drogué. L’état de manque sera terrible.
Il n’y a semble-t-il aucun mal a priori à être dans les médias, à être connu dans les médias. Pourquoi pas, après tout ? L’échec serait-il un signe de réussite ? Il ne faut quand même pas exagérer non plus. Que se passe-t-il alors ? Justement, comme la drogue qui consiste à vouloir y revenir, à y être tout le temps, et être tout le temps mis en avant. Comme la drogue, il en faut de plus en plus parce que son effet s’épuise.
Mais aussi parce que la mise en avant iconique par le biais de la télévision – ce ne serait qu’à la radio, cela ne passerait pas autant –, parce que c’est la télévision, il y a une forte érotisation, comme par hasard. Imaginez un chanoine, en 1900, tels qu’on en voit sur les tableaux dans les sacristies de cathédrales, passer à la télévision. Ils font 1m50 pour 110kg, ce sont des curés balzaciens et batraciens. À la télé, ils ne passeraient pas du tout. Ils seraient préservés sans effort du côté érotique.
Mais aujourd’hui, en effet, on joue sur ces codes-là. Donc toute star devient désirable par essence, puisque objet d’adoration collective. Les autres l’adorent, donc il est adorable. Il y a une désignation par les autres. La chute est alors aussi rapide que lente fut l’ascension, et les médias sont grands consommateurs de chair fraîche. On ne tient pas longtemps.
D’où l’importance (c’est ce que je vous avais promis en réserve tout à l’heure) dans l’Église, chez les chrétiens, de la quantité des intervenants, à tous niveaux de la culture. Plus il y en a, moins ils sont là souvent, moins on les starise et moins cela leur fait du mal.
C’est pour cela qu’il ne faut pas se contenter de peu. Il ne faut pas qu’il y ait un seul représentant de chaque spécialité. S’il y en a dix, ils peuvent fonctionner ensemble : « moi, je suis bon pour deux sujets, toi pour deux autres ». Et on passe alternativement, et on ne devient pas une star parce qu’on y passe de temps en temps seulement. S’il n’y en a qu’un il y a danger. Mais s’il y en a cinquante, on est noyé dans la masse, d’où l’importance de la quantité.
Conclusion
Il nous faut donc susciter des acteurs qui soient chrétiens pour être gens de culture.
« Que faut-il pour un chrétien pour être bon politique ? » Réponse : « Qu’il soit chrétien ». Et qu’il soit cultivé aussi pour devenir légitime et crédible. La légitimité est évidemment indispensable. C’est pour cela qu’il faut quitter aussi la culture de la cueillette. Si l’on veut être un bon politique, il faut avoir fait des études qui s’y rapportent. Si on veut être un intellectuel ou un artiste, il faut être un intellectuel ou un artiste aussi diplômé que les autres, professionnel donc.
Il faut aussi des acteurs qui soient chrétiens dans leur œuvre produite, autant que faire se peut et pas seulement dans leur intention cachée.
D’où l’importance – et c’est en fait ce qui est premier – de l’unité de vie pour ces personnes-là. Et ce n’est pas commode, surtout dans des métiers médiatiques et surtout artistiques, l’unité de vie est souvent tiraillée.
Mais s’il n’y a pas cela… Là aussi l’exemple de Jacques et Raïssa Maritain, exemple splendide ! À une période de leur vie, ils se disent à peu près : « On fait une heure d’oraison par jour. Et là, avec toutes les conférences qu’on nous demande, on n’y arrive plus. Qu’est-ce qu’on fait ? On se donne une semaine pour réfléchir ». Ils ont réfléchi et après ils ont dit : « Ce n’est plus possible. Désormais, on va faire deux heures d’oraison par jour ». Et je crois que c’était la bonne solution.
L’unité de vie est celle d’une cohérence entre l’être, l’agir et l’art. Avec cela, tout est possible.
Échange de vues
Jean-Paul Guitton : Je voulais revenir sur le point suivant : avec insistance vous avez soutenu qu’il faut “être un bon professionnel” pour tout, y compris pour la politique. Or il y a une question, me semble-t-il, qu’on peut peut-être se poser aujourd’hui, en France : Est-ce qu’on ne souffre pas de la trop grande professionnalisation de la politique ? On en a fait un métier, on y fait carrière, etc.
Père Thierry-Dominique Humbrecht : Est-ce la professionnalisation qui les plombe ? Je ne pense pas. Il y a un tel degré de technicité (moi, je suis très ignorant) : il faut quand même avoir des connaissances très précises en économie, en sociologie… Cela s’apprend. On ne peut plus faire de la politique comme, peut-être, au début du XXe siècle où on pouvait partir de la base. Jaurès était quand même agrégé de Lettres, c’est la base si on veut. Je crois qu’il faut un certain niveau parce que, en plus, s’il n’y a pas cette connaissance technique, on ne sera pas employé et on ne sera pas en politique ou alors on collera des timbres à la mairie dans un village. C’est une vie politique mais enfin, vous voyez ce que je veux dire.
Donc je crois que cette compétence est requise mais en plus elle existe ! D’abord parce qu’il y a des milliers de jeunes qui, à deux pas de chez vous, étudient cela rue Saint-Guillaume, et puis parce qu’il y a des chrétiens malgré tout qui l’ont fait, qui le font, qui n’y ont pas forcément perdu leur âme – ils ne sont pas médiatisés, ceux-là –, au même titre que les autres. Si on veut être respecté, il faut être de même niveau que les autres. En 1934 Étienne Gilson avait écrit Pour un ordre catholique, un petit livre – vite oublié que j’avais aidé à rééditer il y a quelques temps –, il pestait exactement dans les mêmes termes .
Je résume la situation, je n’exagère pas. On est en 1934, quand même. Gilson dit en substance : la France est un pays laïc qui ne veut plus être chrétien et qui fait tout pour ne plus l’être. Les catholiques sont méprisés, socialement. Mais ils le sont particulièrement au plan professionnel, y compris dans l’école. Par conséquent, puisqu’il en est ainsi, si les catholiques veulent être reconnus en justice, ils sont obligés à être meilleurs que les autres, donc à être plus excellents. Ils doivent être excellents pour être reconnus dans la simple justice. Ce qui les oblige, y compris dans l’enseignement, à y être professionnels. Et de même que je ne comprends pas que l’on refuse à un prêtre d’enseigner, s’il en a les capacités, dans l’école, de même je ne comprends pas qu’un prêtre puisse enseigner n’importe quelle matière sous prétexte qu’il est prêtre. C’est l’universitaire qui parle.
Quand même il faut pouvoir s’imposer par quelque chose de naturel. S’imposer par l’excellence professionnelle. On n’est pas d’accord entre nous, on est assis à une même table ronde, on a tous le même diplôme, maintenant, on discute.
Mgr Philippe Brizard : Je suis troublé par ce que vous avez dit. D’abord, vous me rappelez mes années de formation, entre 1965 et 1973, et un peu au-delà en comptant les années de formation continue où la théologie de la mort de Dieu régnait en maîtresse. Comment se fait-il que l’Eglise se soit embourbée dans ce mouvement-là qui a créé une omerta organisée. On n’annonçait plus rien. On prônait, par exemple, des postures qui se réclamaient de Charles de Foucauld mais on ne disait que la moitié de ce qu’il avait dit : « s’enfouir… », mais on oubliait que Charles de Foucauld visait l’évangélisation des peuples.
Cela dit, vous me troublez d’une autre manière.
Quand le christianisme a commencé, ils étaient onze ou douze… et ils y sont allés ! Vous avez » dit à peu près ceci : il n’y a plus de prêtres et donc il n’y a plus de troupes. Par conséquent on ne peut plus travailler. Je ne pense pas ainsi. Il faut repartir sur d’autres bases, revoir les institutions, les existantes ayant fait leur temps, la hiérarchie elle-même n’est pas immuable. Le sacerdoce est de droit divin, mais la répartition des fonctions et des pouvoirs entre évêques, prêtres et diacres n’est pas immuable.
Père Thierry-Dominique Humbrecht : Pour votre première question, je distinguerai entre la thématique de la mort de Dieu et celle de l’enfouissement. Je ne suis pas sûr que ce soit tout à fait la même chose, même si ça a eu lieu en même temps et que, peut-être, il y a eu des interactions.
“La mort de Dieu” est un thème philosophique pour philosophes, en quelque sorte, mais qui a rejailli un peu sur toute la culture, dont on essaie d’ailleurs de savoir qui aurait commencé. Ça peut plonger très loin. Mais là, c’est plutôt le côté nihilisme nietzschéen qui a frappé plutôt les intellectuels.
La thématique de l’enfouissement à laquelle vous faites allusion, très justement, qui est peut-être sur d’autres bases. C’est-à-dire, l’apostolat chrétien doit être implicite. Nous nous enfouissons (si je comprends bien) pour avoir une présence chrétienne qui ne parle pas mais simplement en étant là.
Et cela a joué un rôle considérable, qui peut-être pouvait s’expliquer dans une sorte de chrétienté que l’on suppose aujourd’hui avoir été gorgée de prêtres et de présence chrétienne, mais ça n’est déjà plus vrai ; mais qui peut s’expliquer aussi par le fait qu’il y avait le problème d’une classe ouvrière déchristianisée : les prêtre n’allaient plus parce qu’on ne voulait pas voir arriver des corbeaux. Avec deux guerres mondiales où les prêtres avaient vécu dans les stalags, les tranchées, ils avaient vu le vrai monde, le monde en dehors des sacristies, le monde païen. Donc ils se sont dit : il faut y aller. Moyennant quoi, curieusement, pour se taire, ce sont les prêtres qui y sont allés. C’est à la fois ultra-clérical et finalement inopérant, il aurait fallu des laïcs. C’était un peu mal parti.
Là je crois que ce fut une erreur pastorale. Le christianisme qui ne se dit pas est un christianisme qui se perd.
Dans un premier temps, ça ne se voit pas parce que les chiffres sont énormes, on continue. Il y a un collège catholique – c’est ma génération – où l’on a enlevé tous les crucifix. Tout le monde sait qu’on est catho, mais trois générations après, plus personne ne le sait. Donc il faut remettre les signes pour apprendre par les signes, les choses. Donc c’est une faute pédagogique majeure dont nous continuons à payer le prix, je crois. Assez vigoureusement, on en sort.
Votre deuxième question. Le christianisme, ce n’est pas la quantité qui compte. Les premiers chrétiens étaient onze ou douze.
Oui. Mais il ne faut pas fantasmer sur les premiers chrétiens qui étaient onze, douze ou vingt-cinq ou deux cent-cinquante. Non ! Nous ne sommes pas onze, douze, vingt-cinq ou deux cent-cinquante. Nous sommes des millions de chrétiens partout. Et pour ce qui est de la France, il y a des instances chrétiennes présentes partout.
La question n’est pas de se retrouver à onze pour être plus authentiques, on pourrait très bien être onze et être très inauthentiques. Moi, j’estime que la qualité et la quantité vont souvent ensemble, contrairement à ce qu’on dit. Ça permet de la perte, d’ailleurs, alors que quand on est onze, on n’a pas le droit d’attraper un rhume.
Mais surtout il y a des choses non pas à tenir, il y a peut-être des choses qu’il faut alléger. Enfin, concrètement : quand les bons catholiques partent en vacances, sans se poser aucunement la question, ils imaginent avoir une messe sur leur lieu de vacances ! Parce que les chrétiens sont partout, parce qu’il y a des prêtres partout ! On continue tous à fonctionner sur le fait qu’il y ait des prêtres partout. Ce qui n’est pas vrai. Je commence à conseiller à des gens : « Vous allez faire bâtir une maison de campagne, ou en acheter une, êtes-vous sûr qu’il y a une messe à moins de deux cents kilomètres d’ici dix ans ? » « On ne s’est pas posé la question. » « Vous vous la posez tout de suite sinon, votre maison, vous allez être obligés de la vendre. Ou alors, comme ce qui a arriver la première année, vous prenez la voiture et la deuxième année, vous n’irez plus. » On s’habitue très vite à ne plus y aller. Il suffit de ne rien faire, donc on s’habitue très vite.
Le problème, c’est que nous continuons à vivre sur un grand pied ! On prétend vivre à mode léger mais en fait, on ne le fait pas ! Il y a toujours cent vingt évêques en France, il y a toujours des réunions. On vit sur un grand pied.
Peut-être que des diocèses vont fusionner comme les départements, il ne faut pas rêver non plus, pour les mêmes raisons, tout simplement parce qu’il n’y a plus de population. On fait des quêtes, ça, ce sont des choses réalistes, on ponctionne les dernières familles chrétiennes pour qu’elles participent à toutes les associations parce qu’on a des besoins énormes ! Donc il y a des besoins qui restent à grande échelle. On n’est pas dans le petit, justement. Il y a une culture accumulée.
Le problème c’est que si on la perd, comme les églises elles-mêmes dans les villages, elles ne seront pas remplacées par leur fermeture ou par des choses rationnelles. Elles seront remplacées par d’autres choses, vous le savez aujourd’hui. Toute place laissée libre sera occupée par d’autres. Combien de musulmans pressent nos prêtres de leur donner : « Mais, Père, dans votre ville vous avez huit églises gothiques vides, nous, on n’a pas de mosquée. Donnez-les nous ». Par quoi cela sera-t-il remplacé ? Il faut ouvrir les yeux aujourd’hui.
Donc les besoins sont un peu à proportion aussi de la culture accumulée, malgré tout, sans parler du salut des âmes. Donc on ne peut pas faire comme si on était onze ou douze parce que déjà dans chaque diocèse il y a onze ou douze prêtres valides et ils sont épuisés.
On est obligé de penser en chiffres plus grands, voyez, parce qu’ils existent.
Françoise Sellier : Merci beaucoup, mon Père, de ce que vous avez dit sur le laïcisme mais aussi la laïcité elle-même.
Malheureusement au moment où, dans la société en général, il y avait cette crise concernant l’école, en mai 68 et surtout après 68. On aurait pu espérer que, comme en d’autres époques, l’Église serait le refuge de la culture, justement au moment où elle était attaquée à la fois idéologiquement mais aussi par les conditions de vie. Georges Bernanos disait : « On ne comprend rien au monde moderne, si on ne voit pas que c’est une conspiration de tous les instants contre toute forme de vie intérieure ». Or sans vie intérieure il ne peut y avoir de culture.
Père Thierry-Dominique Humbrecht : Supposons, Madame, que ce que vous dites ait relevé d’un fait, mais quels sont les acteurs ? Tout ça, c’est de l’ordre de l’héritage puisque ça s’est fait, effectivement, il y a quelques décennies. Supposons qu’on en subisse les conséquences, d’une façon ou d’une autre, très bien !
Quels sont les acteurs qui peuvent faire autre chose ? Il y en a. Je peux vous en citer. Peut-être trois fois plus que vous ne pourrez m’en citer parce que je suis dans la boutique. Donc je ne suis pas en mal de carnet d’adresse, mais tout se résout par les acteurs.
Je pense même que dans les choses de l’Église, c’est plutôt par la base que par les différents sommets que les choses se font. Je crois beaucoup plus aux acteurs qui font des choses que les motions qui viennent d’un ou deux degré de plus. Donc : où sont les gens pour faire ?
Vous savez, tout est possible ! Le redressement de la catéchèse, de tout ce que vous voulez, tout est possible s’il y a un bataillon dans la rue de gens qui attendent pour le faire. Alors la question est : où sont-ils ? Je suis très matérialiste, de ce point de vue. Mais il n’y a pas d’autre moyen.
Anne Duthilleul : Une remarque à propos des cas de succès médiatiques que vous avez évoqués, pourquoi, lorsqu’il y a quelqu’un qui émerge, veut-on lui faire parler de tout ?
Si c’est un chrétien vous pouvez imaginer que l’Esprit-Saint va lui souffler les réponses sur tous les sujets sur lesquels on va l’interroger, encore faudrait-il qu’il les connaisse… Mais sous prétexte que quelqu’un est connu… Alors, peut-on résister à cette pression et dire : allez voir un tel ou un tel qui répondra sur un sujet pour lequel il est formé ?
Père Thierry-Dominique Humbrecht : C’est une question intéressante. Dans les petits détails auxquels on peut arriver, quelqu’un comme Rémi Brague dirait : « Moi, je refuse de parler de domaines qui ne sont pas les miens. Donc je reste professionnel ». Donc cela, c’est une éthique, personnelle.
Maintenant, c’est vrai qu’on peut s’élargir un peu. Je ne crois pas que l’orgueil naisse du fait qu’on peut parler un peu de tout. Mais davantage d’avoir envie d’être là tout le temps.
Alors, d’où vient cette habitude de demander tout à quelqu’un ? Peut-être d’abord parce que les médias ont besoin d’une parole ; besoin de quelqu’un qui ait une sorte de sagesse et puis les questions doivent s’enchaîner rapidement. On a à peine trente secondes pour répondre à une question. Il faut que ce soit un flux tendu donc on ne va pas approfondir.
Donc ils ont besoin d’avoir du consommable, comme on dirait de l’encre d’imprimante. Ils ont besoin de gens qui puissent répondre aux questions. Ce n’est pas forcément un mal en soi. Maintenant, en effet, on n’est pas tenu de parler de tout et je crois qu’il faut même se garder d’avoir la prétention de parler de tout, donc n’intervenir que sur certains sujets.
Donc maintenant, pourquoi pas ? Il en faut beaucoup.
Je dis “non” à l’Esprit-Saint, comme vous l’avez dit. Il y en a marre de ce genre d’emplâtre de l’Esprit-Saint. Comme disait quelqu’un que je connais : « Cela suffit de faire passer l’Esprit-Saint pour un amateur », celui qui est requis uniquement pour l’improvisation, c’est-à-dire pour le ratage. Un peu comme on se plaint de ne croire ni à Saint Joseph ni aux anges, mais on les utilise que pour trouver la place de parking. C’est indigne ! Non, ce ne sont pas eux qui font cela, c’est vous qui êtes arrivée cinq minutes plus tôt ou alors il y a quelqu’un devant vous qui a déboîté et qui est parti. Enfin, ils sont là pour notre salut, pas pour des histoires de garagiste ! C’est indigne ! Du cambouis sur les ailes, je proteste !
On a l’air, ce faisant, de privilégier la grâce mais au contraire, on les réduits à l’être naturel. Et là, il y a un mépris du christianisme. On badigeonne de grâce des choses qui sont purement naturelles. Priez-les tant que vous voulez pour le salut de telle personne. Là, cela marchera, peut-être à tous les coups. Enfin ils agiront à tous les coups, cela marchera si la personne veut. Si c’est pour la place de parking, vous avez eu de la chance, c’est tout. Et la chance existe partout, elle est au niveau des causes secondes non voulues. Le hasard et la chance existent à notre niveau, ce n’est pas supprimé par la Providence, c’est inséré.
L’Esprit-Saint, comme on nous le disait pour nous apprendre à prêcher, c’est dans les semaines qui précèdent et, dans les heures que vous avez passées à préparer. Un exemple connu : un prêtre qui disait : « Moi, quand je prêche, les dix premières minutes, j’ai préparé et les dix suivantes, c’est l’Esprit-Saint ». Et un autre lui répond : « Moi, je préfère quand c’est toi… ». L’Esprit-Saint nous inspire non pas de dire quelque chose qui serait au-delà de nous, presque malgré nous. Il nous donne de travailler.
Isabelle Callies : Votre intervention m’a beaucoup intéressée, notamment parce que j’enseigne l’histoire-géographie. Vous avez parlé d’auto-laïcisation. Ce que je peux constater dans l’enseignement, c’est l’auto-censure.
Il arrive souvent que les enseignants aient peur de parler, de dire certaines choses qui n’entrent pas dans l’étroitesse d’esprit de la bien-pensance. L’inspecteur n’a plus besoin d’être dans la classe pour que les professeurs, d’eux-mêmes, se privent de leur liberté d’enseigner. Cette auto-censure est presque plus perverse que la censure. Il y a une atmosphère de peur qui naît dans les écoles professorales, y compris les écoles professorales privées soutenues par les diocèses, dans lesquelles paradoxalement il n’est pas toujours bien vu d’affirmer ses convictions.
L’enseignant qui surmonte cette peur, qui ne craint pas de parler librement, et très vite classé, repéré, étiqueté. Il en va ainsi pour les professeurs qui osent aujourd’hui parler du Christ.
Père Thierry-Dominique Humbrecht : Vous avez tout à fait raison. De deux choses l’une ; il faut pouvoir faire sa carrière sinon on en est viré et on ne mange plus, mais il y a une part de martyre à assumer, c’est un martyre plus ancien mais cette auto-mutilation, à la fois subie et volontaire. On finit par soi-même se flageller, presque demander pardon d’avoir dit un mot de trop. Et il faut tenir bon parce que il faut quand même être là. Si je ne suis plus là, je serais remplacé par qui ?
Donc il n’y a pas de solution. Mais cela, on le sait ! Cela ne doit pas intervenir en cours de débat, me semble-t-il. C’est notre point de départ, pour la jeune génération. Il faut le leur dire ! Il faut leur dire comme point de départ : voilà ce qu’il y aura. Moyennant quoi, le sachant, vous l’intégrez comme un vaccin en disant : avec cela, qu’est-ce que je peux faire ? Malgré tout ! Comme l’eau, qui passe partout, il y a quand même quelque chose qui peut percer, et doit percer.
Alors tant mieux si, en effet, il y a des établissements qui permettent une plus grande liberté de parole. Que fait l’Église pour qu’il y ait des établissements ? Les acteurs, c’est très facile : un directeur, dix professeurs sur quarante qui soient catholiques (je suis brave quand même, dix sur quarante !) et un aumônier qui ait la tête sur les épaules.
Bernard Lacan : Et un directeur de l’enseignement qui soit au-dessus.
Père Thierry-Dominique Humbrecht : Il ne faut pas rêver, non plus. Et pourquoi pas des évêques qui y croient ? Parce que cela, j’ai entendu dire, historiquement (alors, est-ce vrai, pas vrai ?) le dédain de l’épiscopat pour l’école est une réalité très ancienne. C’est une réalité qui date peut-être de la fin du XIXe siècle.
À savoir, pour l’école catholique, puisque ce n’étaient que des curés qui faisaient le travail – je passe sur les réalisations féminines –, il y avait ou bien les ordres spécialisés, jésuites, oratoriens et assimilés. Donc là, d’accord, on ne dit rien de toute façon ils sont à part et comme disait un très saint curé : « De toute façon ce qui n’est pas de la paroisse n’est pas l’Église, donc c’est à part » ; ou bien les prêtres diocésains, en quantité aussi. Mais, qui mettait-on dans les écoles ? Dans l’entre-deux guerres, du temps où l’école était pleine de prêtres, des prêtres surnuméraires, il y en avait trop. Donc concrètement ils ne pouvaient pas être entretenus dans la paroisse. Telle paroisse a telle population : elle peut nourrir un curé, cinq vicaires, six personnes. Un septième, ce n’est pas possible. On va le mettre instituteur comme cela il sera entretenu par l’école, il mangera.
Et donc dans le subconscient du clergé français, donc dans celui des évêques, puisque les évêques sont d’anciens prêtres, si je puis dire, il y a le fait que l’école, c’est le rebut du clergé, par bien des côtés. Et il en est resté quelque chose qui a pris figure d’une idéologie nouvelle mais dont la prise de conscience a été très récente, celle du cardinal Lustiger, dans les dernières années : « J’ai négligé l’école catholique et je m’en repens », comme le seul lieu qui reste, avec l’armée, où on peut parler de Dieu et du Christ à des gens qui ne sont pas venus pour cela. Tous les autres lieux sont des lieux qui rassemblent des volontaires. Quand on dit : « Je parle aux frontières », l’illusion guette. On parle à des gens qui sont venus vous écouter. Donc ce ne sont pas des frontières, ce sont des gens qui écoutent, ce sont des chrétiens. En revanche, dans une école, on parle à des païens. Un enfant catholique, baptisé, est un païen. C’est un chat sauvage. Tout est à faire. Et là, on les enseigne. Et, je pense que l’Église de France en a pris conscience très récemment. Les bras vous en tombent, c’est comme cela, à une époque où il y a trop peu de gens pour s’en occuper.
Bernard Lacan : Je voudrais faire un peu d’auto-flagellation. Je fais partie de ceux qui ont fait leur carrière dans les affaires et en plus, j’ai été Président des anciens d’HEC.
Donc je suis très troublé par ce que vous avez dit et j’essaie évidemment de me rattraper en faisant partie de l’AES pour, justement, débattre et témoigner de ma foi chrétienne et, dans mon rattrapage personnel, je suis content de faire partie du comité de sélection pour des livres concernant l’humanisme chrétien. Et j’espère, que cela me sera retenu comme rattrapage de vocation ratée car il est important d’encourager des jeunes auteurs chrétiens qui publient des vrais livres, qui témoignent de leur foi. Et je pense que c’est plutôt une bonne chose qu’une Académie comme la nôtre prenne du temps pour sélectionner, pour encourager des auteurs chrétiens et, à notre mesure, leur donner un coup de main pour qu’ils soient mieux connus. J’ai besoin de votre absolution.
Père Thierry-Dominique Humbrecht : Vous avez mon absolution sous condition pour la première partie. En revanche mes applaudissements pour la seconde.
Je suis un homme du livre, de l’objet livre et de la transmission par le livre. Paraissent, en France, dit-on, deux cents livres par jour, ce qui est beaucoup. Et donc il y a un effet de noyade. Les livres, même profanes, se noient les uns les autres, ils ont une durée de vie de plus en plus courte.
Et donc les auteurs chrétiens là-dedans, 10 % de l’édition nationale, sont encore plus noyés que les autres, donc toute institution qui les promeut par une récompense fait une œuvre pie de toute évidence. On peut faire comme cela mousser quelque chose au meilleur sens du terme. Sinon, vraiment, tout le monde est noyé.
Je suis frappé quand même de voir nos jeunes frères chez nous, qui sont pour la plupart des hommes de lecture, ce ne sont pas forcément des hommes du livre, ce sont des hommes de l’écran maintenant, et donc pour les textes qu’ils vont lire, le poids matériel, le goût matériel, la sensualité du livre, certains ne l’ont déjà plus. Comme certains ne savent plus écrire à la main, ils écrivent uniquement sur ordinateur. Ils écrivent bien parce que je suis intraitable sur le style rigoureux donc ils refont leur copie. Mais certains disent : « je n’arrive plus à écrire à la main ». Moi qui suis un fanatique de l’écriture à la main et au stylo-plume, je plaide pour cela mais on passe pour le dernier des ringards.
En effet, il faut préserver la culture du livre, dans l’élément culturel. Et donc, tout ce qui peut être fait pour promouvoir des auteurs, des jeunes auteurs, des auteurs méritants, c’est vraiment une très bonne chose. C’est magnifique !
Séance du 23 février 2017