S.E. Georges HABSBOURG-LORRAINE, ambassadeur de Hongrie en France et auprès de la principauté de Monaco
Introduction par Marie-Joëlle Guillaume
C’est avec grand plaisir que j‘accueille ce soir tous les participants à cette séance exceptionnelle de notre Académie, où nous recevons S.E. Georges Habsbourg-Lorraine, ambassadeur de Hongrie en France, qui nous fait l’honneur d’apporter sa pierre aux travaux de cette année – dont je dirai un mot dans quelques instants
Mais d’abord, Excellence, permettez-moi de rappeler que grâce à votre personnalité nous sommes entraînés ce soir au cœur de l’histoire du continent européen et de sa civilisation, ce qui n’est pas sans signification à l’heure où nous réfléchissons à son avenir politique et humain. Petit-fils du dernier empereur d’Autriche, Charles 1er, déclaré Bienheureux par le pape Jean-Paul II, et de son épouse l’impératrice Zita, dont le procès en béatification a été ouvert, vous êtes aussi le fils cadet de l’archiduc Otto de Habsbourg aujourd’hui disparu mais qui était très attaché à la construction européenne et bien connu en France. Nous aimons d’ailleurs nous souvenir qu’il prisait tout particulièrement notre culture.
Vous avez vous-même la double nationalité hongroise et autrichienne, et c’est comme ambassadeur de Hongrie que la France a eu le plaisir de vous accueillir en 2020.
Marié et père de trois enfants, vous ne craignez pas d’affirmer vos convictions chrétiennes et vous êtes très attaché à la famille traditionnelle. En cela, Excellence, il semble que vous exprimez la mentalité profonde de votre pays, conscient de son identité chrétienne millénaire, et qui a eu l’occasion d’affirmer par la voix de son gouvernement sa volonté d’y être fidèle.
Or nous vous avons précisément invité pour évoquer la politique hongroise de la natalité et de la famille, qui n’est pas sans liens avec l’attachement de votre pays à l’anthropologie chrétienne.
L’Académie d’éducation et d’études sociales (AES) a en effet choisi comme thème de réflexion et d’action pour 2023-2024 la question de la transmission de la vie. Nous nous sommes donné pour tâche, au long de nos huit séances mensuelles, d’inventorier les enjeux démographiques, anthropologiques et sociaux de cette transmission, qui apparaît comme le grand défi d’aujourd’hui.
Votre communication et les échanges de ce soir se situent à un tournant important de ces réflexions. Les premières séances nous ont en effet permis de relier l’effondrement de la natalité française en 2023 (qui a fait la une des journaux en janvier dernier) à une crise des mentalités – malthusianisme, révolution sociale libertaire occidentale, etc. – qui remonte beaucoup plus loin. Mais après le diagnostic, il faut en venir aux remèdes possibles. L’immigration nous étant apparue comme une solution en trompe-l’œil, ce sont des politiques en faveur de la natalité et de la famille que nous voudrions pouvoir préconiser, face à « l’hiver démographique » français et européen.
D’où notre appel, Excellence, à l’exemple hongrois. Cette politique mise en place depuis une dizaine d’années dans votre pays, sur quoi a-t-elle pris appui ? Quels ressorts, quels moyens ont été mis en œuvre pour l’incarner ? Avec quels résultats ? Parce que l’enfant est l’avenir de l’homme, parce que sans enfants c’est la désespérance et le déclin qui nous guettent, nous sommes impatients de savoir les tenants et aboutissants de l’expérience hongroise, unique en Europe aujourd’hui, à notre connaissance. Monsieur l’Ambassadeur, vous avez la parole.
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COMMUNICATION
S.E. Georges Habsbourg-Lorraine
Mesdames et Messieurs les académiciens, Mesdames et Messieurs, c’est un très grand plaisir d’être ce soir avec vous et d’avoir la possibilité de vous présenter le cas hongrois sur un sujet qui est très important. Notre gouvernement a en effet vraiment pris la décision de s’occuper des questions de démographie et d’essayer de donner l’exemple d’une politique nataliste. Cette politique a des résultats. Le gouvernement est en place depuis 2010 après avoir gagné les élections, à un moment où la situation de la natalité en Hongrie était très compliquée parce qu’elle était à 1,25 enfants par famille, ce qui était extrêmement bas et qui a créé beaucoup de problèmes en termes de développement notamment.
Cette année nous avons fait un sondage dans l’Union européenne sur la question
démographique et nous avons demandé à chacun des pays de l’Union comment ils envisageaient de mieux se préparer au futur. Il a été très intéressant de voir la grande différence entre les anciens pays de l’Union européenne, et ceux de l’Europe centrale. Les premiers pensent pouvoir résoudre le problème démographique avec l’immigration, et cela leur paraît finalement assez simple à régler. En Europe centrale, en revanche, on s’inquiète du manque de naissances et l’on cherche des solutions politiques et économiques pour aider les familles. Ainsi, le ministère des questions familiales a fait monter un groupe de réflexion sur les changements à conduire pour offrir davantage de possibilités aux familles. Une des premières mesures a été de modifier la Constitution afin de définir clairement la notion de famille, ce qui nous a valu naturellement des critiques. Le Premier ministre a déclaré que quand on n’a pas la possibilité de définir la famille, elle risque de disparaître ! Selon notre Constitution actuelle, la famille est composée d’un père, d’une mère et des enfants, le père étant un homme, la mère une femme. Or cette définition a suscité un grand débat dans l’Union européenne, qui remet en cause le fait d’imposer qu’un père soit un homme et qu’une mère soit une femme ! L’autre article polémique inséré dans notre Constitution concerne la protection de la vie dès son commencement : la Hongrie considère en effet qu’il est essentiel de protéger la vie du fœtus dès sa conception.
Si je remonte un peu dans l’histoire, j’observe que dès 1981 la natalité a constamment été en baisse en Hongrie jusqu’à 2010, ce qui nous a conduit à revaloriser la famille dans la Constitution, et à promouvoir différentes mesures de soutien aux jeunes familles, rendant intéressant pour elles le fait d’avoir plus d’enfants. Naturellement, c’est une politique qui coûte cher. J’aimerais vous présenter en quoi consistait ce programme familial : la première mesure concernait les jeunes couples à qui l’on a offert des crédits à des conditions spéciales. Il s’agit en effet d’un crédit sans intérêt et sans hypothèque avec une garantie d’état. Les bénéficiaires sont les couples qui acceptent d’avoir des enfants dans les 5 ans. Après avoir eu leur premier enfant (dans les 5 ans) le crédit va devenir un crédit sans intérêt jusqu’à son échéance ; après le deuxième enfant 30 % du crédit actuel devient une subvention d’état, et après le troisième enfant le crédit actuel devient une subvention à 100%. Le second point de ce programme a concerné l’intégration du temps que des mères de famille consacrent à éduquer leurs enfants en restant à la maison, dans le temps de travail global d’une femme et en conséquence dans le calcul de sa retraite. Le gouvernement a par ailleurs augmenté la flexibilité du travail des femmes, en leur donnant la possibilité de maintenir le congé de maternité en parallèle de travailler à mi-temps ou dans un autre format allégé. Une telle solution leur permet de cumuler le salaire de travail et le montant correspondant au congé de maternité. Tous ces points ont été très importants.
Une autre de ces mesures a concerné les jeunes familles. On s’est demandé de quoi ces familles avaient besoin. Elles ont besoin de logements spacieux. C’est pourquoi on a conçu des crédits spéciaux concernant les logements, qui offrent aux jeunes couples la possibilité de trouver un appartement, ou de construire une maison selon leurs opportunités. On a aussi aidé les familles à acquérir une voiture nécessaire à leurs déplacements. L’étape suivante a été réalisée en 2020 : on a fait en sorte que les mères de famille qui ont quatre enfants ou plus ne payent plus d’impôts sur le revenu, ce qui est vraiment très avantageux. Puis, on a étendu cette mesure aux jeunes jusqu’à 25 ans : eux non plus ne payent plus cet impôt. Par conséquent ils peuvent dégager de l’argent pour investir dans la famille.
Naturellement, pour financer toutes ces différentes mesures on a eu besoin de beaucoup d’argent, ce qui a représenté l’année dernière 4,3 % de notre PIB. Quand on voit les difficultés de certains pays à consacrer pas plus que 2 % de leur PIB à leur défense et leur participation à l’OTAN, on peut imaginer ce que cela signifie pour un pays de mettre 4,3 % de son PIB dans un programme de renforcement de la famille destiné au soutien des jeunes familles !
En conséquence, cette politique de la famille mise en œuvre entre 2010 et 2023 a commencé à faire remonter la natalité, qui est passée de 1,24 enfant par femme à 1,51. Ce n’est certainement pas suffisant, mais représente un pas très important dans la bonne direction. Du fait, ces changements ont permis la naissance de 178 000 bébés de plus. Et puis, cette politique a eu d’autres effets positifs : en 2010 il y avait 35. 520 mariages en Hongrie, et en 2023 il y en a eu 50.150, ce qui représente une augmentation de 41 %. Cela montre que les jeunes voient dans le mariage une sorte de nécessité, en tout cas considèrent qu’il est bon pour eux de se marier, d’avoir des enfants, et que cela représente un avantage économique direct pour eux. Il y d’ailleurs selon les statistiques beaucoup moins de divorces et beaucoup moins d’avortements en Hongrie, ce qui est à l’évidence une conséquence de la mise en place de cette politique familiale.
La Hongrie s’est demandé ensuite comment poursuivre cet ensemble de mesures de soutien aux familles et a souhaité, dans cette perspective, donner plus de responsabilités aux jeunes parents. On a fait passer une loi qui a une fois de plus fait l’objet de vives critiques au niveau de l’Union Européenne, une loi en faveur de la protection des enfants : cette loi stipule en effet que les parents doivent décider eux-mêmes de l’éducation sexuelle des enfants. Cela signifie que jusqu’à ce que l’enfant ait 18 ans, la responsabilité de son éducation sexuelle revient à ses parents, dans une totale liberté. Les parents peuvent faire ce qu’ils pensent être le meilleur pour leur enfant et ils doivent également avoir la possibilité de choisir l’école qui leur convient, en toute connaissance de cause. En effet, on constate que dans plusieurs pays de l’Union européenne, les ONG prétendant faire l’éducation sexuelle des enfants peuvent entrer dans les écoles et donner un enseignement sans demander l’avis des parents ; c’est le cas en Scandinavie, en Espagne, en Allemagne, et je crois aussi en France. Or en Hongrie les parents ont le droit de savoir quelle éducation sexuelle recevra leur enfant. Cette loi permet aussi aux parents de savoir si les programmes télé contiennent des éléments de propagande LGBTQ ou liés à la théorie du genre. La diffusion de ces programmes est autorisée, mais ils doivent s’afficher comme tels pour ne pas prendre les parents au dépourvu. La Commission européenne a immédiatement réagi à cette loi par une déclaration qui la qualifiait de honteuse à l’égard des valeurs européennes, enjoignant à la Hongrie de revenir en arrière. En vérité, cette réaction est même intervenue deux heures seulement après la conférence de presse qui présentait ce texte de loi. Pourtant il nous a semblé très important de montrer comment le mouvement LGBTQ, présent dans maints pays de l’Union européenne, peut impacter le développement des enfants, et d’inviter les pays à en prendre la mesure.
Malheureusement ces lois nous ont valu beaucoup d’hostilité de la part de l’Union européenne, qui a supprimé plusieurs financements destinés à la Hongrie et a conditionné leurs déboursements au changement de notre loi : l’UE exige en effet que ces ONG puissent intervenir dans les écoles hongroises. Or nous avons besoin de ces fonds qui nous sont dus, mais nous considérons aussi que la vie de nos enfants est plus importante que l’argent qui vient de Bruxelles. Puis nous essayons de montrer que l’on peut faire les choses différemment.
Ce que nous avons envisagé dès 2015, c’est d’organiser presque chaque année un grand sommet de la démographie à Budapest. Nous avons invité des spécialistes de différents pays pour évoquer les différents leviers d’influence sur la démographie, et cela nous a beaucoup aidés dans la mise en place des différentes mesures de cette politique familiale. L’année derrière ce fut très intéressant d’évoquer l’impact de la sécurité sur la natalité. Nous nous sommes penchés sur les conséquences de toutes les difficultés liées à la crise de la Covid, de la guerre en Ukraine, de l’insécurité dans les grandes villes, et également sur la façon d’y faire face. En réalité le gouvernement a cherché à assurer davantage de stabilité aux familles, qui, sans parler des guerres et des pandémies, s’inquiètent de la situation économique, des problèmes d’emploi, et se demandent si elles auront de quoi financer une vie de famille avec plusieurs enfants.
Ainsi, il est évident que la Hongrie a intérêt à poursuivre cette politique dans le futur, et à l’améliorer encore. Naturellement aussi la crise du Covid a été un frein à la natalité comme dans beaucoup d’autres pays – les statistiques montrent bien que peu de bébés sont nés pendant la période du Covid parce que les gens ne se sentaient pas suffisamment en sécurité. Mais comment soutenir davantage encore, politiquement, la famille ? J’essaie de ma part poursuivre une réflexion en tenant bien compte la notion de subsidiarité qui est évoquée dans les traités de Maastricht de cette Union européenne ; car cette subsidiarité ne doit pas jouer seulement en faveur de l’Union européenne, des États, des régions, des villes, des villages, mais aussi au niveau de la famille qui est la base de notre société.
Voilà donc la façon dont se présente la situation en Hongrie. J’ai essayé de vous donner un aperçu des mesures politiques qui ont aidé les jeunes familles ; en tout cas cette préoccupation sera une priorité de notre présidence de l’Union européenne que la Hongrie prendra de 1er juillet. Le pays qui préside le Conseil de l’UE a la possibilité de choisir plusieurs priorités, en concertation avec deux autres pays de la Troïka. Dans notre cas ces pays sont l’Espagne et la Belgique, qui ont pris la présidence avant nous. Chaque pays a des priorités pour lui-même, mais aussi ce trio peut formuler des priorités communes. Nous avons fait des problèmes démographiques une question prioritaire. Plusieurs des réunions qui se tiendront en Hongrie pendant la présidence vont traiter la question de la démographie avec la participation des spécialistes et des ministres. Ce sera l’occasion pour nous de présenter à tous ces spécialistes ce que nous avons fait en Hongrie, ainsi que nos résultats, en espérant amener la discussion à un autre niveau.
Malheureusement j’ai bien conscience que nous aurons une présidence très difficile, car elle commence dans la deuxième moitié de l’année, ce qui signifie que nous aurons seulement quinze jours de présidence avant que les gens ne partent en vacances d’été ; en été tout le monde sera attiré par les Jeux Olympiques ; ensuite il restera les mois de septembre, octobre, novembre, et puis en décembre tout le monde sera en train de penser à Noël, ce qui est très bien, mais nous laissera peu de temps, environ trois mois seulement pour faire un travail qui prend normalement six mois. L’autre problème vient de l’échéance du cycle du travail européen : après le 9 juin, jour des élections européennes, pendant un certain temps la Commission ne travaillera pas, parce qu’il n’y aura pas encore les nouveaux commissaires, et nous ne savons pas encore quelles décisions ils prendront quand ils seront en place étant donné que la ligne directrice de la politique pourrait être influencée par les résultats des élections. Nous serons donc dans une situation plus compliquée que les autres, mais on essaiera de faire au mieux pour vraiment profiter de cette présidence et montrer que la Hongrie est capable de gérer une présidence dans des conditions difficiles. Néanmoins même dans un période de changement institutionnel nous aurons toute la possibilité de travailler prioritairement sur la question démographique et donner un bon exemple.
Merci beaucoup de m’avoir offert l’opportunité d’exposer les mesures concrètes que la Hongrie a mises en place, nous pouvons en discuter désormais si vous le souhaitez et je peux répondre à vos questions.
ECHANGES DE VUES
Marie-Joëlle Guillaume
Merci infiniment, Excellence. D’abord vous nous avez donné un tableau qui est à la fois très intéressant et très encourageant, parce qu’on s’aperçoit que vous avez pris les choses dans un ordre que nous aimerions bien voir pris chez nous, à commencer par cette définition de la famille qui, c’est tout de même un comble, paraît très courageuse aujourd’hui alors qu’elle n’a rien que de très naturel. Par ailleurs il est impressionnant de vous entendre parler de 4,3 % du PIB consacré à la famille. Mais vous nous avez donné des éléments très concrets sur les différents pas qui ont été faits, ce qui est particulièrement intéressant pour nous. On sait bien aussi que vous vous heurtez à l’obstacle des mentalités répandues actuellement dans l’ensemble de l’Union européenne – et c’est le cas aussi dans notre pays. Avant de donner la parole à la salle, j’aimerais vous poser une question : pourquoi la natalité était-elle si basse en Hongrie en 2010 ?
S.E. Georges Habsbourg-Lorraine
Je pense qu’il s’agit d’un problème rencontré également dans les autres pays marqués par la période communiste. Je pense aussi que la situation si difficile de 2010 était aussi un héritage du système politique d’avant 1989. En effet le communisme n’a pas fait beaucoup pour augmenter le taux de natalité, les familles n’étaient pas tellement encouragées à avoir des enfants, elles ne recevaient guère d’aides pour avoir des enfants, et puis le système communiste a toujours essayé de séparer les enfants des parents, pour pouvoir leur donner une éducation politique. Cela a créé des problèmes et dilemmes aux parents, qui se sont demandé s’il y aurait un avenir pour leurs enfants susceptibles d’être récupérés par le parti politique. Il est évidemment plus facile d’avoir des enfants quand on a la possibilité de financer leur éducation, puisque naturellement avoir des enfants est une grande aventure ; on ne pense pas toujours au coût que cela représente.
On n’a donc pas vraiment aidé les jeunes familles, ce qui a rendu d’autant plus nécessaire l’arrivée d’un gouvernement qui prenne en main la question démographique – sans considérer la migration comme une solution. C’est un constat assez fort, je sais. Dire cela aussi clairement dans l’UE est délicat, car par leur histoire certains pays n’ont pas du tout la même approche de la question migratoire. Il faut voir que la situation en France est très différente de la situation de l’Europe centrale : la France était un pouvoir global, elle a eu dans l’histoire, depuis un siècle et demi, des contacts avec presque tous les pays du monde. En effet, pour se battre derrière le drapeau français durant la Première et la Deuxième Guerre mondiales vous avez eu en France des soldats venus des pays arabes, de l’Afrique et de l’Asie. Ainsi, la présence de personnes d’origine étrangère est plus forte chez vous depuis longtemps, car des liens avec leurs pays d’origine ont été tissés de longue date.
Les grandes vagues de migrations actuelles vers l’Europe ont naturellement suscité une certaine peur en Europe centrale ; et en Hongrie nous aimerions bien trouver une solution en concertation avec nos voisins d’Europe centrale pour montrer que nous avons vraiment la possibilité de stabiliser la situation d’une autre manière. Mais pour augmenter la natalité il a fallu mobiliser une forte volonté politique.
Marie-Joëlle Guillaume
Merci beaucoup.
Clément Leguay
Excellence, merci pour votre présentation. Je reviens sur ce chiffre de 4.3% qui représente un grand poids économique très significatif. Je me demandais si ces 4,3 % amenaient à une croissance, s’il y avait une contrepartie. Par exemple, si l’on construit un appartement plus grand, est-ce que cela veut dire qu’il y a un investissement qui est fait et donc est-ce qu’il y a 4,3 % net ou est-ce que c’est brut ? Y-a-t-il des contreparties dans la croissance interne ? Et par rapport à ce que vous disiez en introduction, c’est-à-dire à votre choix d’une politique nataliste plutôt que celui d’une politique d’immigration comme l’ont fait d’autres pays européens : ce choix procède-t-il d’une comparaison financière entre l’une et l’autre ? La politique nataliste vous coûte 4,3 % du PIB mais savez-vous combien vous aurait coûté une politique d’immigration ? De la sorte il peut y avoir des choix de politiques publiques sur cet aspect.
S.E. Georges Habsbourg-Lorraine
Merci beaucoup ; malheureusement je ne peux pas vous dire qu’on a fait le calcul parce que c’est très difficile, les différents pays ont leur singularité, et je pense qu’il est assez difficile de trouver un pays où le coût de migration a été intégré dans la politique démographique. Je suppose, en effet, que nous avons réellement utilisé 4,3 % de budget, et puis, oui, il y a bien un retour sur investissement, puisque la Hongrie connaît aujourd’hui une situation de plein emploi, reçoit beaucoup d’investissements – la qualité du travail fait en Hongrie est reconnue -, et que cela donne par conséquent une grande stabilité économique au pays. Cette situation de plein emploi nous a beaucoup apporté, ainsi que la confiance des investisseurs, alors que les crises se multiplient, que la guerre s’installe chez nos voisins, et que les difficultés de la question de l’énergie sont réelles, avec notamment des prix à la hausse.
L’autre atout de la Hongrie réside dans la grande sécurité qu’elle offre. Et cela joue un rôle très important, que l’on mesure par contraste avec la situation hélas bien plus dégradée des pays où l’immigration est très forte. En Hongrie il n’y a pas d’immigration. Nous sommes ouverts pour accueillir les réfugiés, mais nous n’acceptons pas que les migrants illégaux entrent. Nous avons accueilli et soutenu près d’un million et demi de réfugiés Ukrainiens. En revanche, avec l’immigration nous avons été assez stricts et nous avons fortifié notre frontière. En effet, la Hongrie a toujours accepté les migrants, mais en les obligeant toujours à « s’enregistrer » c’est-à-dire à passer par toutes les différentes étapes administratives ; et pour cette raison ils sont en réalité très peu nombreux. Aussi quand des migrants parviennent en Hongrie, ils n’y restent pas, ils partent sans délai vers d’autres pays de l’Union Européenne. La situation en Hongrie renforce le sentiment de sécurité qui contribue beaucoup à la réputation du pays et à son potentiel de développement. Notre choix est très clair : privilégier les intérêts de la population hongroise et investir de l’argent en faveur des jeunes familles pour redynamiser la démographie. D’ailleurs, c’est au moment même où l’on a introduit toutes les mesures pour les familles que les investissements des entreprises en Hongrie sont devenus très importants. Si je considère seulement la France, elle représente le cinquième plus grand investisseur en Hongrie, avec 500 entreprises françaises présentes chez nous, qui créent plus de 50 000 emplois.
Marie-Joëlle Guillaume
Ce que l’on peut déduire tout de même de votre réponse, Excellence, c’est qu’à partir du moment où l’on parie sur la famille, on envoie un message de confiance, et du coup les investisseurs et tout le reste suivent.
S.E. Georges Habsbourg-Lorraine
La famille et aussi la sécurité.
Nicolas Aumonier
Monsieur l’Ambassadeur, merci beaucoup de ce que vous avez dit. En juin 2023, un rapport a, je crois, été remis à l’ONU, qui considère que les personnes LGBTQIA+ risquent d’être dans une situation de discrimination si elles n’ont pas les mêmes droits que les autres, comme l’accès au mariage par exemple. Je souhaiterais savoir comment vous gérez cette question supranationale et quels instruments de régulation politique vous avez peut-être mis en place à cet effet.
S.E. Georges Habsbourg-Lorraine
Merci beaucoup, et désolé de ne pas avoir évoqué cette question quand j’ai parlé sur la protection des enfants jusqu’à 18 ans. Quand les enfants atteignent les 18 ans, s’ils décident de devenir membre de LGBTQ, de changer leur genre, etc., ils bénéficient alors de la même protection que dans tous les autres pays de l’Union européenne. Quand ils ont 18 ans, les enfants peuvent faire ce type de choix, et nous avons aussi des organisations LGBTQ en Hongrie, des manifestations Christopher Street etc. En revanche cela s’adresse aux adultes, et c’est très clairement dit. Les parents décident de l’éducation de leurs enfants, et si les parents le souhaitent, les groupes LGBT ne peuvent pas infiltrer l’école. Naturellement ce genre de dispositions a exposé la Hongrie à une grande vague de critiques au sein de l’Union Européenne, et elle est devenue aux yeux de cette dernière le symbole de l’homophobie. Je pouvais faire des rencontres très intéressantes dans ce contexte ici en France, où il y a des hommes politiques très favorables à l’idéologie du genre et aux LGBTQ ; or ils ont décidé de voyager en Hongrie pour présenter leur position et ont organisé des réunions avec les associations LGBTQ qui naturellement existent aussi en Hongrie. Lors d’une réunion avec les politiciens français j’ai pu parler avec eux, et ils ont affirmé qu’en Hongrie la situation des personnes LGBTQ était bonne, qu’ils recevaient la même protection que dans les autres pays de l’Union européenne…C’est exclusivement la question de l’éducation à l’école qui manifeste une différence réelle. Je pense donc que la politique hongroise a vraiment prouvé qu’il existe la possibilité de respecter ces minorités, de leur accorder une protection. Maintenant il reste deux questions : l’adoption des enfants par des couples homosexuels et le mariage homosexuel. A priori l’adoption pour un couple ou une personne homosexuelle est plutôt fermée, car on préfère qu’en cas d’adoption l’enfant entre dans une famille telle qu’elle est définie par notre Constitution, c’est-à-dire formée d’une mère et d’un père. Mais on a bien conscience qu’il existe des cas très particuliers. Prenons l’exemple d’un couple qui a un accident de voiture, et dont l’enfant orphelin très jeune a un oncle qui représente le point de contact familial et qui vit avec un homme. On peut alors faire exception au principe énoncé auparavant et lui permettre d’être adopté par cet oncle homosexuel. La loi ne règle donc pas 100 % des cas, on a toujours la possibilité de faire des exceptions. Quant au cas du mariage, les couples homosexuels peuvent conclure un contrat mais pas un mariage stricto sensu. Mais ces couples homosexuels peuvent bénéficier pratiquement des mêmes droits que les couples mariés. En revanche on ne l’appelle pas union « mariage », il s’agit pour nous d’un simple contrat même s’il produit en réalité le même résultat qu’un mariage. C’est pourquoi je comprends mal toutes ces critiques virulentes que subit la Hongrie, parce qu’en réalité ce système fonctionne assez bien. Merci.
Hélène Leroy
Excellence, j’aurais deux questions si vous le permettez. La première concerne la politique de natalité que vous menez : à votre avis touche-t-elle toutes les couches de la société, ou est-ce qu’elle a plus d’impact sur certaines catégories ? Je me demande par ailleurs si vous avez le sentiment que les jeunes Hongrois sont confiants et espèrent dans l’avenir. Car il va y avoir les élections européennes en juin et l’on sait que le fait pour les parents de s’engager dans l’aventure familiale avec enfants repose beaucoup sur l’espérance dans l’avenir.
S.E. Georges Habsbourg-Lorraine
Merci beaucoup, ce sont de très bonnes questions. Il est un peu difficile de répondre à la deuxième. Est-ce que les jeunes Hongrois ont confiance dans l’avenir ? Les sondages nous montrent que c’est le cas en effet. Il y a un chiffre très important qui témoigne pour moi de cette confiance, c’est celui qui montre la différence entre les Hongrois qui quittent le pays et ceux qui rentrent de l’étranger. Il y a quelques années beaucoup de jeunes ont quitté le pays pour aller vivre ailleurs. Autour de 2020 le chiffre des jeunes revenant en Hongrie est devenu plus important que celui des jeunes quittant le pays. C’est donc qu’ils ont compris l’intérêt qu’ils avaient à rentrer en Hongrie où la situation en termes d’emploi et de qualité de vie n’a finalement pas tant à envier à celle des autres pays européens, qui s’est révélée moins bonne qu’ils ne l’avaient espéré. C’est pourquoi j’ai des raisons de penser que la confiance est là.
Concernant la première question, sur les différentes classes de la société, je pense que la politique familiale a un effet positif sur l’ensemble de la société, parce que c’est devenu réellement intéressant économiquement d’avoir des enfants ; et puis la flexibilité offerte aux mères qui veulent rester auprès de leurs enfants tout en gardant la perspective d’aller travailler a manifestement un impact réel.
Père Jean-Christophe Chauvin
Vous nous avez beaucoup parlé des incitations économiques à destination des familles, mais comme vous le disiez, avoir des enfants demande certes des moyens financiers mais aussi beaucoup de générosité. D’où ma question : y a-t-il aussi des actions politiques menées en faveur de l’éducation morale ? En effet je pense par exemple à nos enfants en France, s’ils sont préparés à travailler, ils ne le sont guère à être père ou mère de famille.
S.E. Georges Habsbourg-Lorraine
Nous avons mené en Hongrie une grande campagne sur la famille, du fait que l’on a bien conscience que concevoir de bons programmes ne suffit pas si l’on n’a pas la possibilité de communiquer à leur sujet. C’est très difficile, mais ce que je peux vous vous dire, c’est que l’élément qui a été déterminant, c’était plutôt le côté économique et l’importance du bonus reçu par les familles ayant beaucoup d’enfants. Mais le gouvernement a vraiment mené une campagne de grande ampleur pour présenter son programme politique, créant des événements, expliquant les différentes mesures d’aide en faveur des familles, etc. L’éducation morale et la campagne sur les vertus de la famille est aussi en projet, mais malheureusement je n’ai pas vu une très grande activité de l’Église de Hongrie sur le sujet, seul le gouvernement semble se soucier de la promotion de la famille.
Dans la salle
Merci, Excellence, pour ces propos très instructifs. Deux questions : on sait qu’il y a eu des tensions de la Hongrie avec le Vatican à propos de la question migratoire. Où en est votre pays sur ce point ? Est-ce que les relations se sont apaisées et comment gérez-vous cela ? Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ? Par ailleurs, vous êtes ambassadeur de la Hongrie en France, et vous nous avez expliqué tout ce que fait la Hongrie en matière familiale. Or tout cela est à peu près à l’opposé de ce que fait notre gouvernement, et notre République avance plutôt dans l’autre sens. Comment l’exemple de la Hongrie pourrait-il être contagieux et nous entraîner en France dans une action qui pourrait aussi nous ouvrir les yeux comme vous l’avez fait ce soir ?
S.E. Georges Habsbourg-Lorraine
Merci beaucoup pour les deux questions. Parlons d’abord du Vatican. Je peux en effet vous donner une réponse très directe, parce que j’ai la chance d’avoir un cousin comme ambassadeur au Vatican. Il y travaille depuis huit ans, pour représenter la Hongrie auprès du Saint-Siège ; et je dois dire qu’en effet pendant l’année 2015 le Vatican a émis certaines critiques sur la politique migratoire de la Hongrie. Mais je tiens à préciser aussi que nous avons eu l’honneur de trois visites du Pape en Hongrie – plus précisément trois rencontres avec la communauté hongroise. Lorsque le Pape s’est rendu en Roumanie où il a rencontré la minorité hongroise. Ensuite il est venu pour le congrès œcuménique à Budapest. Puis il a annoncé vouloir faire une visite d’Etat de trois jours en Hongrie. C’est donc un honneur d’avoir reçu trois visites du Pape dans notre pays qui n’est pas tellement grand ; elles témoignent de son intérêt pour ce que nous faisons notamment en matière de politique familiale mais aussi en ce qui concerne notre position par rapport à l’Ukraine. En effet là aussi la Hongrie a un contact très direct avec le Vatican. Aujourd’hui, en considérant cette situation très difficile de notre voisin ukrainien, tous disent qu’il est très important d’aider l’Ukraine à garder une stabilité, et à finir cette guerre. Mais il nous semble qu’il faudrait aussi parler des façons de ramener la paix. Or c’est le message du Pape François, et c’est aussi une position que la Hongrie soutient très fortement. Aussi, je constate que désormais les rapports avec le Vatican sont vraiment excellents et d’ailleurs dans dix jours notre président effectuera sa prochaine visite au Vatican, laquelle ne présentera, je pense, aucun problème.
La situation en France est différente, car celle-ci a décidé de prendre une autre direction pour gérer les questions de la démographie ; mais je ne peux que présenter les résultats de mon propre pays. Je n’ai guère d’influence sur ce qui se passe ici, mais quand je suis invité, j’ai la possibilité de parler de sujets comme celui de la démographie. Or je vais être invité à maintes occasions quand la Hongrie aura la présidence du Conseil de l’Union européenne, et naturellement j’en profiterai pour expliquer que la démographie est une priorité pour nous, et pour présenter la politique que nous menons et souhaitons encore déployer. Mais ce n’est pas à moi, comme ambassadeur, de donner des conseils, vraiment il n’est pas question pour moi de critiquer les politiciens français. La seule chose que je peux faire, c’est présenter ce que nous faisons, et de fait je le fais très souvent.
Antoine Renard
Merci, Excellence, vous avez bien montré, dans votre communication et au travers de vos réponses à plusieurs questions, que la politique familiale était un investissement d’une nation pour son avenir. Cela me suggère deux questions. L’expérience montre que cet effort d’investissement produit des effets de long terme, mais qui ne sont durables que si cet effort est continu dans le temps. D’où ma première question : y a-t-il des moyens constitutionnels, juridiques, législatifs, de s’assurer que cette politique familiale soit maintenue quels que soient les aléas du suffrage universel ? Ma deuxième question, un peu plus provocatrice peut-être, est inspirée par la comparaison que vous avez faite vous-même entre les dépenses de politique familiale (à hauteur de 4,3 % du PIB en Hongrie) – même si c’est un investissement, il est assez normal de le rapporter au PIB – et les 2 % de dépenses consacrées à la défense. Or l’Union européenne a décidé, pour inciter les différents pays à augmenter leur effort d’armement, de sortir les dépenses d’investissement dans la défense pour l’appréciation des critères de convergence de la zone Euro. Est-il envisageable que la Hongrie, à l’occasion de la présidence de l’Union européenne, propose d’en faire autant pour les dépenses de politique familiale ?
S.E. Georges Habsbourg-Lorraine
Que pourrait-on imaginer pour que cette politique familiale se poursuive ? Comme dans tous les autres pays démocratiques, le gouvernement actuel viendra à changer, même s’il a connu un grand succès depuis bien des années et que notre Premier ministre est le plus ancien de l’Union européenne, puisqu’il est en fonction depuis 18 ans ; mais naturellement cela ne peut pas durer indéfiniment, et le prochain gouvernement décidera de sa propre politique. Il est très difficile de mettre en place des structures destinées à permettre le maintien de cette politique, parce que c’est de la responsabilité du gouvernement et du Parlement de décider quels projets conduire dans le futur, et quels changements mener par rapport au précédent gouvernement. Le problème en Hongrie, c’est que l’opposition est très segmentée en maints partis d’opposition, qui par conséquent peinent à trouver des accords. Certes sont représentés d’un côté des partis d’opposition très favorables à la famille, mais d’autres ont des priorités complètement différentes. C’est pourquoi il m’est difficile de répondre à cette question, qui relève d’une décision souveraine du gouvernement et du Parlement d’un pays après des élections. J’espère qu’ils verront les effets positifs de la politique suivie, et que pour cette raison le nouveau gouvernement souhaitera la poursuivre cette politique, mais ce n’est jamais garanti.
En ce qui concerne la seconde question, peut-être le fait que nous ayons la présidence européenne est-il très important, mais pas suffisamment pour faire cela. Mais merci beaucoup pour cette question.
Hervé de Kerdrel
Excellence, merci beaucoup pour vos propos clairs, directs et simples. Vous nous avez rappelé effectivement que vous étiez partis au début des années 2010 d’un taux de natalité de 1,23 %, et que vous êtes aujourd’hui à un taux d’environ 1,51% avec des efforts menés sur une bonne dizaine d’années c’est-à-dire sur le long terme. Aujourd’hui, ce taux de natalité continue-t-il à augmenter sur la base des mesures politiques que vous avez mises en place ou va-t-il falloir en prévoir d’autres pour aller au-delà ? Vous nous avez dit que 1,51% n’était pas suffisant du point de vue démographique, et on le sait en effet. Par conséquent va-t-il falloir prévoir d’autres mesures ? Et dans cette hypothèse, après le crédit gratuit, la voiture, l’appartement, quelles sont les autres idées que vous pourriez faire valoir ?
S.E. Georges Habsbourg-Lorraine
Non, en effet, 1,51 % ce n’est pas assez, et il faut continuer d’envisager de nouvelles mesures. Mais naturellement aussi la situation n’est pas très favorable économiquement, c’est pourquoi j’espère qu’on aura au moins la possibilité de poursuivre la politique familiale actuelle. Je ne vois guère comment dans les prochains mois ou dans les deux prochaines années on pourrait conduire une politique familiale plus généreuse ; en effet cela représente un investissement très important, qu’on ne fait pas qu’une fois mais qui représente une dépense constante. Je pense qu’il y aura peut-être encore la possibilité de faire quelques aménagements d’impôts en les diminuant encore un peu pour les familles, mais ce ne sera pas facile, cela a représenté un grand travail d’en arriver là ; chaque petit pas en avant pour avoir plus d’enfants représente un investissement très important et quelquefois certaines années sont plus faciles. Hélas aujourd’hui la croissance s’est un peu arrêtée.
Françoise Pons
Monsieur l’Ambassadeur, je suis Françoise Pons, j’ai réalisé un film pour la chaîne KTO sur l’identité chrétienne des Hongrois, où j’introduis notamment ces thèmes. Je souhaiterais savoir si l’objectif du gouvernement de parvenir au renouvellement des générations d’ici 2030, est ajourné en raison de la stagnation économique. Et second point, je voudrais savoir quel concept de la famille vous souhaiteriez mettre en avant pendant la présidence hongroise de l’Union européenne. Qui sont vos alliés en Europe ? Quels pays pourraient être sensibles aux arguments de la Hongrie pendant cette présidence, sachant que le sommet démographique à Budapest regroupe des pays allant au–delà de l’Union européenne ? Merci Monsieur l’ambassadeur.
S.E. Georges Habsbourg-Lorraine
Merci beaucoup. Naturellement on a essayé à l’occasion de ces sommets de chercher des alliés dans les différents pays de l’Union européenne, pour mieux représenter cette politique familiale que nous menons. En réalité, ce sont plutôt différents partis politiques au sein des différents pays de l’Union européenne qui peuvent nous aider à promouvoir la politique familiale. Mais naturellement tout va dépendre des résultats des élections au Parlement européen, le 9 juin prochain, au niveau des différents groupes politiques qui ont une influence au Parlement européen. S’il y a plus de partis influents qui sont favorables au développement des familles, alors on aura la possibilité de travailler avec eux.
Quant à la stagnation démographique actuelle, comment l’expliquer ? Par la situation générale vraiment difficile en ce moment, du fait notamment de la guerre en Ukraine qui menace la sécurité et la confiance si importantes pour engager les familles à avoir des enfants. On a donc cette guerre avec notre voisin ukrainien, on a des problèmes énergétiques ; or la sécurité énergétique est aussi un facteur d’explication important. Mais je suis absolument convaincu que si cette guerre se termine, et que la reconstruction commence en Ukraine, la stabilité reviendra et par conséquent il y a aura également, je l’espère beaucoup, un regain de natalité. Quant à notre présidence, c’est vrai que j’ai parlé des différents partis politiques, mais in fine c’est la Hongrie qui fera le programme. C’est du ressort de notre gouvernement d’établir les priorités de la future présidence hongroise, de déterminer les sujets, les questions, les éléments qu’on voudra présenter, de voir comment on pourra promouvoir et influencer les familles des 27 pays de l’Union, nous et les 26 autres gouvernements que nous allons rencontrer en Hongrie… Naturellement on trouvera des alliés sur certaines questions, mais ce ne sera pas un combat facile. J’espère toutefois vraiment qu’on pourra mettre ce temps à profit.
Joël Templier
Vous avez fait allusion dans votre politique de stabilité familiale à une diminution du taux de divorce, et je ne sais d’ailleurs pas si le Pacs existe en Hongrie. Pour éclairer ma question en tant que Français, je voudrais vous parler du dernier numéro de la revue Études sur la fécondité, qui propose, au-delà des solutions classiques que vous avez citées, comme l’immigration ou l’aide financière, d’aider à la recomposition des familles.
D’une part ils partent du double constat que d’une part les couples séparés, nombreux en France, n’ont pas eu autant d’enfants qu’ils l’auraient souhaité s’ils ne s’étaient pas séparés ; d’autre part, qu’une famille recomposée sur deux a généralement un enfant. C’est pourquoi ils imaginent une politique nationale aidant à la recomposition de la famille, du fait que la fécondité dépend d’abord de la rencontre d’un homme et d’une femme. Je ne sais pas si c’est vrai, mais ils citent quatre pays où semble-t-il des initiatives ont été prises en ce sens : les États-Unis avec le Président Bush, l’Angleterre avec Tony Blair, Singapour et le Japon – même si au Japon cela n’a pas représenté un grand succès. Alors que je n’y avais jamais pensé, je trouve que cela peut être pertinent.
S.E. Georges Habsbourg-Lorraine
Merci beaucoup, c’est une sûrement une idée en effet, puisque cette politique fonctionne dans certains pays. Je ne peux malheureusement pas vous donner des statistiques exactes sur les remariages ; le seul chiffre que j’ai trouvé en préparant cette soirée est le chiffre des divorces en Hongrie, dont je n’ai hélas pas les dates exactes. Mais il y a 30% d’avortements en moins parmi les couples mariés, et les deux tiers ont lieu au sein des couples hors mariage.
Par conséquent, en effet oui, il faut être créatif et réfléchir à un autre programme qui pourrait permettre de convaincre les personnes d’avoir des enfants dans les meilleures conditions possibles.
Emmanuelle Henin
J’ai deux questions : puisque les avortements ont beaucoup diminué, est-ce parce que vous avez une politique d’incitation et d’aide aux jeunes femmes qui leur permet de garder leurs enfants ? En effet, finalement il y a un droit qu’on ne cite jamais, c’est celui de ne pas avorter, jamais évoqué. Et puis deuxièmement, il y a une sanction qui me semble assez grave, c’est celle qui prive les Hongrois du droit de bénéficier du programme Erasmus. Et je voulais savoir comment vous faites face à cette situation, comment vous trouvez des compensations pour que les étudiants puissent quand même voyager.
S.E. Georges Habsbourg-Lorraine
Merci beaucoup, la question d’Erasmus est en effet une chose complètement incompréhensible pour moi, quelquefois la Commission est vraiment trop créative ! Car enfin, quel est le résultat de cette mesure de privation du financement des programmes Erasmus ? Eh bien, c’est que les étudiants de certaines universités hongroises qui, aux yeux de la Commission, ne sont pas bonnes, parce qu’il s’y exerce une influence politique qui ne lui convient pas, n’ont pas la possibilité d’aller dans les ‘’bonnes’’ universités, où ils pourraient voir, pourtant, la grande différence qui existe entre celles-ci et les universités en Hongrie… En revanche, les étudiants qui viennent d’ailleurs ont la possibilité, avec l’Erasmus, de venir en Hongrie, et d’étudier dans ces universités hongroises qui semblent pourtant plus problématiques, pour la Commission, que les autres universités de l’Union européenne.
Comment avons-nous réagi ? La Hongrie a décidé de mettre en place un nouveau système pour les universités en les dotant de structures de Fondations, auxquelles elle donne beaucoup d’argent ainsi que des propriétés, pour leur permettre de devenir plus indépendantes de l’État et de mieux travailler. Dans le conseil de ces Fondations qui sont au-dessus des universités, il y avait aussi des membres du gouvernement, donc des ministres ainsi que des membres du Parlement. Mais la Commission européenne a estimé que cette influence du gouvernement sur le conseil des Fondations était inacceptable. La Hongrie a répondu que si c’était un problème pour la Commission, elle allait supprimer tous les hommes politiques du conseil de ces Fondations, ce qu’elle a fait. Mais malheureusement la Commission continue actuellement de refuser ce financement des programmes Erasmus de la Hongrie. Le gouvernement de son côté a déclaré qu’aucun étudiant hongrois ne devait être sanctionné par ces décisions de la Commission à Bruxelles. Dans cette perspective, il a débloqué l’argent nécessaire au maintien des programmes de mobilité, et finance aujourd’hui les étudiants qui veulent partir à l’étranger. Il existe deux programmes de bourse : d’un côté le Programme de Bourse PANNÓNIA va contribuer au financement de la mobilité des étudiants et de l’autre le HURIZONT finance la recherche. Mais en même temps la Hongrie accueille beaucoup d’étudiants étrangers, spécialement des Français – on a beaucoup de contacts avec l’Université de Szeged, qui est adaptée à recevoir les étudiants francophones. Personnellement je ne comprends pas du tout les raisons de cette décision européenne.
En fait, ils veulent supprimer les financements de tous les côtés ; alors ils ont décidé de supprimer aussi l’Erasmus pour une certaine catégorie d’universités, mais c’est une décision sans aucun sens. J’espère toutefois que la situation reviendra à la normale cette année. Naturellement il s’agit d’une question très politique, puisque, la Hongrie ayant commencé à recevoir ces fonds qui lui étaient dus, le Parlement européen a décidé de poursuivre la Commission européenne devant la Cour européenne des droits de l’homme. Jusqu’aux élections européennes, nous ne recevrons plus rien, mais on peut espérer qu’ensuite les choses soient rétablies.
Concernant les aides destinées à éviter l’avortement, elles ont fonctionné puisque l’avortement est en baisse et que les enfants sont devenus financièrement, pardon de le dire, « rentables » ; en effet, avec des enfants, les couples ont vraiment la possibilité de gagner beaucoup d’argent et d’avoir une vie agréable grâce aux aides de l’État. S’ils n’ont pas d’enfant, il faut à nouveau payer ses crédits, la situation a beaucoup changé. Malheureusement il faut bien admettre que l’argent contribue à la stabilité, et il est vrai que les gens sont convaincus aujourd’hui qu’il vaut la peine d’avoir des enfants, ce qui explique que ce dispositif ait bien fonctionné.
Laurent Lafforgue
Je suis mathématicien. Merci beaucoup, Excellence, pour cette présentation très impressionnante. Je ne sais pas si vous pourrez répondre à ma question, qui porte sur ce que j’appelle le mystère hongrois. Je constate en effet une singularité hongroise qui fait mon admiration. Cette singularité est d’abord celle du courage, puisque parmi tous les pays de l’Union européenne et même parmi tous les pays du monde occidental, ou du monde dit occidental, la Hongrie n’hésite pas à faire cavalier seul alors que c’est un petit pays, comme vous l’avez dit. Les Français expriment souvent l’idée que la France n’est pas assez grande pour pouvoir faire cavalier seul, alors que la Hongrie qui est plus petite, le fait. C’est le premier point.
Le deuxième point, c’est qu’à mes yeux non seulement la Hongrie est singulière et courageuse, mais elle est aussi raisonnable. Ainsi, la politique de la famille que vous nous avez présentée aujourd’hui est en quelque sorte la politique du bon sens, et devrait l’être pour tous. Or, pour rester fidèle au bon sens, la Hongrie doit au contraire aller à contre-courant de la grande majorité des pays du monde occidental. Vous avez également mentionné à plusieurs reprises le problème très important de la guerre en Ukraine, un pays voisin de la Hongrie. Je peux vous dire comme citoyen français que depuis deux ans, j’ai trouvé d’innombrables fois en écoutant les nouvelles que la Hongrie était le seul pays à tenir un discours raisonnable et responsable, aussi bien pour l’avenir du monde, que pour les relations avec la Russie, qui sont extrêmement importantes, ou encore pour le bien de l’Ukraine elle-même. Et j’ai donc bien souvent rêvé que la France tienne le même discours, de concert avec d’autres pays : s’ils le tenaient en effet, je pense que la paix serait revenue depuis longtemps.
Le dernier point que je veux mentionner, c’est le point particulier mais très important et très délicat dans le monde aujourd’hui, du rapport au passé. Dans le monde moderne, on perçoit souvent le passé de manière négative, et l’ensemble des pays occidentaux ont tendance à rejeter leur passé. Or, Excellence, vous êtes l’incarnation d’une relation au passé, puisque par votre héritage familial vous représentez mille ans d’histoire. Je trouve absolument remarquable, et pas du tout indifférent, que la Hongrie ait choisi pour la représenter en France un membre de la famille Habsbourg. Je ne suis pas sûr que, par exemple, l’Autriche l’aurait fait.
S.E. Georges Habsbourg-Lorraine
Non, en effet, l’Autriche n’aurait pas fait cela. Tout d’abord, merci beaucoup pour tout ce que vous avez dit sur la Hongrie, vous avez tout à fait raison. Mais naturellement aussi cette politique me donne beaucoup de travail comme vous pouvez l’imaginer, parce que la Hongrie est toujours très claire sur ses positions. Cela s’explique naturellement du fait notamment qu’il y a un gouvernement très stable. Or malheureusement au sein de l’Union européenne, il y a très peu de gouvernements vraiment stables. En Hongrie on a un gouvernement très stable depuis très longtemps et personne ne conteste qu’il soit le résultat d’une élection démocratique. Il y a eu des élections en 2022 en Hongrie, des observateurs sont venus de toutes parts pour observer que la démocratie, prétendument en danger, était bien préservée. Or tous ces observateurs officiels ont affirmé que les élections s’étaient très bien passées. Je pense que la Hongrie a le grand avantage d’avoir un Premier ministre qui dispose d’un parlement stable, mais qui a conscience qu’il peut changer, ce qui est important en démocratie. Mais en ce moment il a derrière lui une grande majorité de la population, qui a confiance dans la parole des hommes politiques pour lesquels elle vote. Il est vrai que parfois le gouvernement dit trop clairement ce qu’il pense, et cela ne rend pas mon travail facile : je dois sans cesse expliquer la position de la Hongrie, différente de celle du reste de l’Union Européenne, que ce soit au sujet de l’Ukraine ou en matière de politique familiale. Mais ce positionnement est très respecté dans le pays, et le Premier ministre le sait.
En même temps, je vois dans le fait d’exprimer sa singularité une certaine similarité avec la France dont le Président affirme souvent très clairement ses opinions. D’ailleurs, la relation entre le Président Macron et le Premier ministre Orban est très bonne, puisqu’ils savent très bien qu’ils viennent politiquement de deux univers différents, mais qu’ils sont tous deux membres de la famille européenne, et pour cette raison appelés à travailler ensemble. On peut avoir des positions différentes, mais il faut travailler ensemble pour l’Europe. Et tous les deux ont également compris que pour obtenir l’ouverture d’un débat il fallait parfois présenter une question non seulement avec beaucoup de clarté mais peut-être aussi sans nuance, en allant au-delà de sa propre pensée. Car cela constitue une bonne base de discussion du point de vue des médias, qui guettent les positions extrêmes pour commencer un débat. Quand Orban exprime une idée il ouvre un débat, ce qui est excellent, parce que sans débat on n’avance pas.
Merci beaucoup également pour ce que vous avez dit sur ma famille ; naturellement c’est pour moi fascinant d’avoir aujourd’hui la possibilité de représenter la Hongrie en France, comme membre de la famille Habsbourg. Mais la position de ma famille est beaucoup plus simple en Hongrie qu’en Autriche, qui hélas n’est pas très correcte avec ma famille. En effet, elle l’a traitée de la manière la plus stricte et la plus désagréable possible. Par conséquent il y a aujourd’hui une grande différence entre la Hongrie et l’Autriche. Cette dernière affiche partout les marques de l’histoire de la famille Habsbourg avec Sissi, François-Joseph, leurs châteaux, etc. Ainsi les Autrichiens vivent de la famille Habsbourg, tandis que les Hongrois vivent avec la famille Habsbourg ! Les Autrichiens n’ont pas un grand intérêt à voir les Habsbourg vivants ; ils s’intéressent surtout au fait de pouvoir faire de l’argent avec le passé des Habsbourg.
J’ai eu la chance de pouvoir revenir en Hongrie en 1989, où je suis alors retourné habiter et travailler. Je suis devenu ambassadeur en 1997, ambassadeur itinérant, et maintenant je reste dans cette position par rapport à tous les différents gouvernements, parce que je reste en dehors des partis politiques. Et cela n’a pas été un problème pour les différents gouvernements hongrois de me maintenir en fonction comme ambassadeur itinérant jusqu’en 2020 ; et puis un jour le Premier ministre m’a demandé de venir à Paris, ce dont je lui suis très reconnaissant, parce que ce travail m’oblige en me donnant la chance de représenter la Hongrie dans un pays qui a une relation très profonde avec ma famille. En effet je m’appelle Habsbourg-Lorraine, or la Lorraine est déjà liée à la Bourgogne, et puis il y a beaucoup d’autres liens avec la France. Ainsi je peux vraiment représenter la Hongrie, et travailler sur son image. Car dans la presse, les journaux, la télévision, la Hongrie n’est hélas pas présentée de manière très positive ; c’est donc pour moi l’occasion de rectifier cette présentation médiatique et de rétablir la vérité sur la réalité de la vie en Hongrie. Mais la chose la plus importante pour moi est d’essayer de convaincre les gens de voyager en Hongrie, afin qu’ils voient par eux-mêmes quelle est réellement la situation, qui, je le répète, ne correspond pas à ce qu’en disent les médias. J’ai la chance de pouvoir jouer ce rôle et j’essaie de l’assumer pleinement. Par ailleurs, je suis vraiment très reconnaissant à la France de la façon dont elle m’a reçu, comme à la Hongrie qui m’a fait confiance pour la représenter ici. Merci beaucoup pour votre question.
Jean-Luc Bour
Excellence, merci beaucoup pour toute votre présentation. Je retiens beaucoup de choses, mais en particulier deux points. Premièrement, le fait que des mesures techniques et économiques ont apporté des résultats ; deuxièmement, le fait que l’histoire des pays est différente, et qu’en conséquence les choix démographiques relatifs au maintien de leur population, ou à l’augmentation de leur population pour des raisons économiques sont différents. Néanmoins dans l’ensemble des pays occidentaux le mouvement de baisse de la natalité s’est accompagné, ou provient, d’un objectif affiché de libération de la femme, ainsi que de mesures ayant favorisé à la fois la gestion de toutes les conséquences de la sexualité, ainsi que le placement des enfants en crèche, l’insertion professionnelle, etc. Or d’après ce que vous nous avez expliqué, il n’y a pas exactement la même situation en Hongrie, les mêmes politiques, etc. Ma question est : est-ce que les femmes soutiennent moins votre gouvernement que les hommes ?
S.E. Georges Habsbourg-Lorraine
Non, je pense que le soutien est bien là, ou en tout cas celui d’une grande majorité. Le gouvernement a beaucoup travaillé à donner une situation économique favorable aux familles et à les convaincre qu’il était possible de gérer une famille en Hongrie sans y perdre ; ailleurs, dans d’autres pays en effet, les gens craignent malheureusement souvent de perdre leur temps et leur argent en ayant des enfants. Or la Hongrie a montré qu’on pouvait tout mener de front, qu’un père pouvait s’engager auprès de son enfant tout autant qu’une mère, qu’ils pouvaient donc collaborer, prendre un congé maternité/paternité tout en gardant leur travail ; bref on a prouvé que les familles avec enfants pouvaient tout autant conserver une aisance financière et une bonne qualité de vie. Pour cette raison je pense que nous sommes parvenus à trouver un bon équilibre pour les familles, même si encore une fois nous sommes loin d’atteindre le taux de 2,2 enfants par couple, ce qui serait idéal pour que la société reste stable. On en est loin, mais je pense que nous avons montré qu’il était tout à fait possible de mener une politique familiale susceptible d’apporter cette sécurité dont les familles ont besoin pour donner la vie à des enfants. C’est pourquoi j’espère que notre exemple sera suivi par d’autres pays.
Frantz Toussaint
Merci, Excellence. Dans la mesure où la conjugalité est la base de la famille, j’aurais voulu savoir si l’Etat avait mis en place des politiques de soutien au couple. Comme vous l’avez dit dans votre propos, et comme cela a été inscrit dans votre Constitution, vous avez défini la famille comme étant constituée d’un père, d’une mère, et d’enfants. Alors quelle est votre politique de soutien à la conjugalité pour qu’elle soit stable, durable, et qu’elle puisse porter des fruits, au-delà du fait que les enfants peuvent être une monnaie ou relever d’un intérêt financier ?
S.E. Georges Habsbourg-Lorraine
Quand on pense à ce que signifie avoir des enfants, on envisage probablement au départ l’enjeu financier qui n’est pas négligeable. Quand les enfants sont là, ils deviennent plus importants que tout ; c’est ce que l’on a constaté avec beaucoup de familles. C’est pourquoi le premier pas est le plus important, et il ne doit pas être empêché par la peur d’avoir des enfants. La mise en place d’une politique familiale rassurante du point de vue des finances et de l’emploi était donc nécessaire. Quand les familles ont des enfants, l’Etat est là pour les aider. Je pense, même si malheureusement je n’ai pas les chiffres avec moi, que le fait que le taux de divorce ait beaucoup diminué en Hongrie montre que cette politique a aussi contribué à aider les couples à rester mariés. D’un côté, il est en effet très important de montrer la nécessité de la famille comme base de la société, comme structure de maintien de la société, de sa stabilité. Mais cela n’enlève pas les préoccupations du quotidien, comme celle de nourrir sa famille en période d’inflation, celle de l’avenir incertain, etc. Alors, d’un côté il s’agit pour la politique de montrer l’importance de la famille, mais de l’autre, qu’il est possible d’avoir une famille durable dans de bonnes conditions, qu’on peut envisager d’avoir des enfants sans trop craindre le futur. Or je pense que nous avons plus ou moins réussi ce défi en Hongrie.
Tristan de Carné
Excellence, est-ce que la population hongroise est, disons, plus « classique » que la population française ? On a en effet le sentiment que pour un certain nombre de Françaises aujourd’hui et dans d’autres pays européens, le simple fait de parler de politique de natalité va engendrer une réaction un peu vive, du genre « Ne touchez pas à nos ventres ». On a entendu ce discours récemment ici ; donc est-ce que cette politique nataliste que vous menez a été facilitée par un état de l’opinion un peu plus « classique » ?
S.E. Georges Habsbourg-Lorraine
Je dirais que le gouvernement hongrois est clairement un gouvernement conservateur, qui a trouvé une majorité dans la population ayant manifesté son intérêt pour une politique conservatrice. C’est une chose qu’on ne voit pas tellement en France. Ici les conservateurs ne sont pas aussi puissants qu’en Europe centrale. Naturellement cela s’explique notamment par l’histoire, par les événements de ces dernières années. Et puis cette politique conservatrice menée en Hongrie a réussi, a produit des résultats. Il est très difficile de comparer les différents pays dont les histoires sont différentes. Le développement du pays dans les cent dernières années a été marqué, ne l’oublions pas, par le système communiste jusqu’en 1989, période pendant laquelle les gens ont fait l’expérience de beaucoup de choses qui ne fonctionnaient pas et dont ils ne veulent plus. C’est pourquoi la Hongrie a cherché des alternatives, dont la politique actuelle du gouvernement fait partie. Il me semble donc difficile de comparer notre pays d’Europe centrale avec ceux de l’Europe de l’Ouest, dont les sociétés ont évolué de façon complètement différente ces cinquante ou soixante dernières années. Chez nous le conservatisme est en réalité très logique. Néanmoins, même s’il est réel dans le pays, il apparaît naturellement encore beaucoup plus présent dans la presse, à la télévision, sur Internet, ce qui est une question dont nous sommes en train de discuter, car la présentation dans les médias a naturellement aussi un impact. Mais je pense que pour mieux le comprendre, il faut vraiment prendre en considération la région où se trouve le pays, son histoire, et les raisons pour lesquelles le développement est allé dans cette direction. Mais les élections des dernières années ont prouvé que la politique conservatrice du gouvernement a eu beaucoup de succès.
Marie-Joëlle Guillaume
Il nous faut en venir à la conclusion. Je voudrais dire, Excellence, que vous venez de nous faire passer une soirée absolument passionnante, et l’on s’est rendu compte en vous entendant de ce que représente une politique fondée véritablement sur l’humain : on n’était pas dans l’idéologie, mais dans l’humain, dans les problèmes concrets des citoyens, et c’est plein d’enseignements. On ne vous étonnera pas en vous disant qu’en vous invitant nous voulions chercher une inspiration pour notre cher vieux pays, qui pour l’instant ne se porte pas très bien de ce côté-là. Mais je voudrais aussi rappeler que, dans le langage diplomatique, quand on affirme qu’il y a eu des échanges francs, en général il s’agit de propos un peu musclés ; or nous avons fait connaissance ce soir avec une franchise exquise. Donc, merci infiniment Excellence, nous sommes très heureux de vous avoir accueilli ce soir.